Argentine

Les cacerolazos ont pu renverser les présidents

Pour combattre le capitalisme il faut la lutte ouvrière!

(«le prolétaire»; N° 460;  Janvier-Février 2002)

Retour sommaires

 

 

Il y a quelques années à peine l’Argentine était décrite par les économistes et les capitalistes comme l’exemple à suivre, le bon élève du FMI, qui, en suivant à la lettre ses recommandations et en instaurant une parité fixe entre sa monnaie et le dollar, avait réussi à se débarrasser de l’hyper inflation (2300% d’inflation en 1990!) et à renouer avec la croissance économique (presque 10% de croissance pour 1991, la première année de la nouvelle orientation économique libérale). Les investisseurs et les grands groupes capitalistes internationaux se félicitaient des privatisations qui leur permettaient d’acheter des secteurs entiers de l’économie: l’eau, le gaz, le téléphone, l’électricité, les chemins de fer, la sidérurgie, les ports, les banques, les centrales thermiques, la compagnie pétrolière, la compagnie d’aviation, etc. sont tour à tour privatisées. Très souvent, ce sont des entreprises internationales, la plupart européennes (Espagne, Italie, France), qui rachètent ces sociétés. Le gouvernement garantit aux repreneurs des entreprises de service public qu’ils seront payés en dollars et qu’ils n’auront pas de difficultés pour rapatrier leurs bénéfices. 90% des banques et 40% de l’industrie argentines sont désormais contrôlés par des capitaux étrangers. Le premier employeur du pays est la société française de supermarchés «Carrefour». Les entreprises espagnoles sont les plus gros investisseurs étrangers avec plus de 30 milliards de dollars d’investissement (10 % du PNB argentin) (1).

Cette «libéralisation» de l’économie, ce sont les prolétaires qui l’ont payé et durement, alors que pendant un certain temps les couches moyennes ont pu en bénéficier, notamment grâce au crédit facile. La privatisation des entreprises publiques s’est traduite par des licenciements massifs pour restaurer leur rentabilité (par exemple dans la compagnie pétrolière YPF rachetée par l’espagnole Repsol, le nombre de salariés est passé en quelques mois de 52000 à 6000!). Lorsque la croissance artificielle de l’économie droguée par ces rentrées d’argent dans les caisses de l’Etat s’est heurtée aux troubles économiques internationaux de la fin des années quatre-vingt dix, le «miracle argentin» s’est évanoui. Entrée, comme les autres pays d’Amérique Latine ou d’Asie, en récession en 1998 après la crise financière russe et l’éclatement de la bulle spéculative japonaise, l’Argentine n’en n’est plus sortie. La dévaluation de la monnaie brésilienne alors que le peso restait toujours lié au dollar, lui a fait perdre ce qui était son premier débouché commercial, alors que le flux des investissements étrangers commençait à se tarir, étant donné qu’il ne restait plus grand chose à vendre ou à brader au capital international. La dette extérieure a commencé à prendre de l’ampleur, tout en restant dans l’absolu à un niveau pas trop élevé, équivalent à celui d’un pays européen, comme ne cessaient de le répéter les dirigeants du pays: c’est surtout son service qui est devenu de plus en intolérable, jusqu’à représenter 90 % des recettes d’exportation!

Fin 2000 le gouvernement argentin était virtuellement en cessation de paiement et il ne réussit à éviter la faillite que par une aide d’urgence du FMI. Les mesures d’«assainis-sement» prises pour essayer de rétablir l’équilibre des finances - coupures brutales dans les dépenses publiques - aggravent la récession économique. En réaction se déclenche une vague de grèves - contrôlées le plus souvent par les bonzes syndicaux péronistes - et de mouvements de chômeurs nettement moins contrôlés: les «piqueteros», les coupures de route (les premiers piqueteros étaient apparus en 1996 dans la province de Neuquén).

Fin juillet le Parlement adopte une loi de «déficit zéro» qui implique entre autres une baisse autoritaire immédiate de 13 % des salaires des fonctionnaires et des retraites. Les nouvelles mesures d’austérité ne suffisent pas à rétablir la situation financière de l’Etat et la fuite des capitaux s’accélère. Début décembre, soit disant pour combattre les spéculateurs (mais en réalité le gouvernement a laissé aux vrais spéculateurs qui sont les grandes entreprises étrangères et les secteurs bourgeois dominants tout le temps nécessaire à la mise en sécurité de leurs capitaux dans les banques américaines ou européennes), le gouvernement décide de bloquer les compte en banque (les banques instaurent aussitôt une commission de 40% pour l’utilisation des cartes bancaires en pesos et 30% en dollars!), touchant de plein fouet les classes moyennes.

Les chômeurs, les sans réserve, les laissés pour compte du capitalisme argentin, se mettent alors à piller les supermarchés pour pouvoir manger. Face à ces émeutes de la faim - qui éclatent dans un pays qui est l’un des plus gros producteurs agricoles du monde! - le Président décrète le 19 décembre l’état d’urgence contre les «ennemis de la République». C’est la rue qui lui répond, avec la manifestation spontanée de dizaines de milliers de personnes tapant sur des casseroles (manifestants petits bourgeois du centre de Buenos Aires) tandis que d’autres, plus prolétariens, s’affrontaient aux forces de police ou attaquaient divers édifices, commerces. La répression policière fit 35 morts. Au matin le président, démissionnaire, quittait en hélicoptère les bâtiments officiels de la Casa Rosada encore entourés de manifestants. 4 autres présidents lui succédèrent dans les 2 semaines chaotiques qui suivirent...

 

*   *   *

 

Après 4 ans de récession des dizaines de milliers d’entreprises ont fait faillite alors que celles qui subsistent ont licencié en masse: le taux de chômage atteint officiellement les 20 %; mais il faut lui ajouter au moins 15 % de travailleurs en «sous-emploi». La perte de pouvoir d’achat est estimée en moyenne à 50 % pour les cinq dernières années. Sur les 37 millions d’habitants du pays, les statistiques en classent 5 millions dans la «pauvreté extrême» (incapacité de subvenir aux besoins physiologiques de base) alors qu’ils n’étaient que 200.000 il y a trente ans et 14 millions dans la pauvreté contre 1 million en 1970. Alors que la dette extérieure est passée dans le même temps de 7,6 milliards de dollars à 130-150 milliards, la fortune placée à l’étranger par les bourgeois est estimée à 120 milliards de dollars (pendant la seule période où, soit disant pour combattre les spéculateurs, le gouvernement imposait le gel des comptes bancaires, on estime qu’un millier de riches bourgeois auraient fait sortir de 10 à 20 milliards de dollars).

«L’Argentine est ruinée, a déclaré le nouveau président, Eduardo Duhalde. Il n’y a plus un peso dans les coffres». Et il a lancé un appel à l’union nationale pour «éviter l’effondrement (...) l’anarchie et la violence fratricide». Le directeur du FMI, dans une interview à la presse internationale, a été plus direct. Le chemin vers le retour à la croissance, a-t-il déclaré, «est un chemin douloureux. (...) Les conséquences sociales devront être particulièrement prises en compte. Mais il faut être honnête: il n’y a pas d’issue sans souffrance» (2).

Voilà le double langage des bourgeois: d’un côté l’appel à l’union nationale - alors que les capitalistes qui se sont enrichis sur le dos des prolétaires, n’envisagent aucunement de faire le moindre geste en leur faveur - pour prévenir la lutte fratricide, comme si prolétaires et bourgeois argentins étaient des frères et non des ennemis de classe; de l’autre la promesse de la souffrance pour les prolétaires!

C’est le patron du FMI qui parle vrai; le capitalisme ne connaît qu’une seule solution pour sortir de ses crises: faire souffrir les prolétaires, c’est-à-dire les exploiter encore davantage, leur arracher jusqu’à la dernière goutte de sueur, les priver de tout ce qui coûte cher - en matière sociale, de santé, d’éducation, de retraites, etc., et rejeter dans le prolétariat une partie des couches intermédiaires qui avaient pu croire possible leur intégration dans les rangs de la bourgeoisie.

Contre les ravages de la crise capitaliste la population argentine, classes mêlées, a réagi: qui pacifiquement avec des casseroles, qui violemment en pillant les magasins ou incendiant les bâtiments publics. Les cercles bourgeois dirigeants ont dû sacrifier quelques politiciens pour calmer la foule, mais c’est la même politique que suivront leurs remplaçants, la politique que dictent les lois inflexibles du profit capitaliste, la politique d’écrasement des prolétaires. Il n’existe qu’une voie pour s’opposer à cette politique: la lutte contre le capitalisme, la lutte ouvrière unissant tous les prolétaires sur des objectifs non populaires mais de classe, la lutte non nationale mais internationale, la lutte se fixant le but final non de la réforme mais de la révolution.

Seule cette lutte prolétarienne de classe, nécessitant pour être menée avec des chances de succès la reconstitution préalable de son organe dirigeant, le parti, solidement organisé sur les bases des principes marxistes, pourra se poser le problème d’entraîner derrière elle des secteurs des classes moyennes paupérisées, au lieu de voir celles-ci se porter à la tête des mouvements de mécontentement et les utiliser à leur seul profit.

Mais alors il ne s’agira plus de faire tomber un président, mais de renverser le capitalisme; et ce ne sera plus le bruit des casseroles qui retentira dans les rues, mais celui des armes.

 


 

(1) cf «Le Monde Diplomatique», janvier 2002, «L’Expansion», février 2002.

(2) cf «Le Monde», 23/01/02

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

Retour sommaires

Top