Pour l’organisation indépendante de classe

Les leçons des luttes du printemps

( «le prolétaire», N° 480,  Mai-Juin 2006 )

 

 

Lors de la révolte des banlieues de cet automne, nous écrivions que elle était l’annonce de futures tempêtes sociales. Il n’a pas fallu attendre bien longtemps pour voir se vérifier cette prévision.

Les luttes de ce printemps ont entièrement confirmé notre analyse: les contradictions sociales qui ne cessent de s’aiguiser depuis des années déterminent à un certain moment des flambées de lutte, des explosions sociales, qui ouvrent à leur façon la voie difficile de la reprise de la lutte de classe. Les révolutionnaires marxistes doivent les comprendre et les apprécier à leur juste valeur dans leur dynamique historique, sans les «condamner» au nom de schémas abstraits d’une lutte prolétarienne pure ni les encenser en l’état en y prenant pour ce qu’elles ne sont pas et ne peuvent pas être aujourd’hui. La reprise prolétarienne, qui s’accompagnera inévitablement de la tendance à s’organiser en parti de classe, n’est encore qu’une perspective lointaine, tant restent forts les obstacles sur cette voie comme les dernières luttes l’ont montré une fois de plus.

L’ampleur de la vague de luttes qui s’est déclenchée autour du CPE témoigne à la fois de l’aggravation des antagonismes sociaux et du fait qu’en dépit de son usure réelle et à long terme irrémédiable, le système de contrôle social mis en place depuis des lustres et entretenu en permanence par la bourgeoisie, fonctionne toujours avec une parfaite efficacité. Voyons les choses d’un peu plus près.

La promulgation du CPE et de l’ensemble de la loi dite «Egalité des chances» dont il était la mesure phare (même si elle comporte d’autres mesures anti-ouvrières comme le travail des jeunes à partir de 14 ans ou de nuit, les menaces sur les Allocations familiales, etc.) était la suite logique du CNE, celui-ci s’adressant aux travailleurs des petites entreprises sans limite d’âge, celui-là aux nouveaux embauchés de moins de 26 ans, quelle que soit leur entreprise. Ces deux mesures partielles s’inscrivent dans la tendance générale à accroître la pression capitaliste sur les prolétaires en supprimant ou en réduisant les petites concessions que les capitalistes leur avaient faites pour acheter la paix sociale à l’époque de la prospérité économique.

 Dans tous les pays, la classe dominante est contrainte d’accroître continuellement le degré d’exploitation des prolétaires afin de préserver ses profits face à une concurrence toujours plus vive sur le marché mondial. Même la classe ouvrière des pays capitalistes les plus puissants, autrefois relativement «protégée» au point que les réformistes et les idéologues de la bourgeoisie pouvaient lui faire croire qu’elle faisait désormais partie des «classes moyennes», subit de plein fouet cette évolution et se retrouve de plus en plus replacée dans la situation typique du prolétariat selon le marxisme: la précarité de toutes ses conditions de vie et de travail. Le premier ministre n’avait pas fait mystère de son intention d’aller, après le CNE et le CPE, vers le contrat unique demandé par le patronat qui signifie la fin des CDI; on connaît la formule de Parisot, la présidente du MEDEF: «L’amour, la vie sont précaires, pourquoi le travail ne le serait-il pas?»: Pour les bourgeois ce qui ne doit pas être précaire mais garanti à tout prix, ce sont leurs profits, leur système économique et leur domination sur la société!

Comme les attaques frontales risquent d’entraîner des réactions peu contrôlables, la tactique classique des gouvernements est d’y aller par petits bouts, quitte à se voir reprocher leurs hésitations ou leur manque de volonté (reproche fait en particulier aux gouvernements français non seulement par une partie de la bourgeoisie internationale, mais aussi par certains politiciens en France qui préconisaient une stratégie de «rupture»): Le gouvernement actuel a voulu faire preuve à la fois de volonté et de prudence: il a promulgué ses mesures de façon autoritaire, sans prendre la peine de se couvrir du côté syndical, mais les a saucissonnées. Le CNE étant passé sans difficultés (après sa promulgation pendant l’été, les syndicats se sont contentés d’organiser une journée de mobilisation bidon), il a pensé faire de même pour le CPE, estimant que «seuls les gauchistes se mobiliseraient» (déclaration de Villepin à Chérèque, le patron de la CFDT, selon ce dernier).

Mais la réaction des étudiants a été sans aucun doute plus forte qu’il ne le prévoyait et en quelques semaines la mobilisation s’est généralisée, touchant toutes les universités et se propageant même aux lycéens. La puissance et la détermination de cette mobilisation sur un thème qui ne regardait pas spécifiquement les étudiants en tant que futurs cadres, spécialistes ou techniciens au service de la bourgeoisie, mais en tant que futurs salariés, c’est-à-dire qui intéressait au premier chef la classe ouvrière, était grosse de dangers.

L’entrée en action des organisations collaborationnistes, des grands et moins grands appareils syndicaux, professionnels de l’éternelle négociation entre «partenaires sociaux», devenait indispensable pour contrôler la situation avec ces pseudo-initiatives d’action (qui ne sont rien d’autre que des soupapes de sécurité) dont ils ont le secret. Oubliant leurs querelles de boutique pour se constituer, sous la houlette de fait de la CFDT (tout un symbole!) en véritable front unique du maintien de l’ordre (dont la traduction pratique a pu se constater par l’accord pour le flicage des manifs par des flics en civils et la collaboration du SO CGT avec les CRS), les syndicats ont voulu aussi démontrer à la bourgeoisie leur rôle irremplaçable dans la gestion de l’antagonisme social et donc dans la conduite des «réformes» anti-ouvrières, contrairement à ce que croyait un Villepin. Si révolutionnaires qu’ils se disent, tous les courants et groupes qui avançaient comme perspective l’appel aux directions syndicales (ou la «pression» sur elles) pour qu’elles décrètent la grève générale n’ont fait que contribuer à cette manoeuvre conservatrice. Même si elles organisaient une grève générale, comme elles l’ont fait dans le passé, ce ne serait que dans un objectif antiprolétarien.

Le nombre important de manifestants et même des grévistes aux journées d’action après la mi-mars contraignirent les syndicats à parler le 18 mars d’un «ultimatum» au gouvernement avec la menace plus ou moins implicite de la grève générale si le CPE n’était pas retiré. Cette grossière comédie avait pour but de mettre de façon définitive le sort du mouvement entre leurs mains et d’en limiter l’objectif au seul CPE (mesure que le patronat jugeait de peu d’importance) alors que la Coordination nationale des étudiants demandait aussi le retrait de toute la loi «Egalité des chances» et du CNE; or, la Fédération patronale des PME ne voulait surtout pas qu’on touche à ce CNE...

Les semaines qui suivirent virent le maintien «surprenant» de la mobilisation (autour de 3 millions de manifestants pour les deux dernières journées d’action): un nombre important de prolétaires avait compris qu’au-delà d’une mesure partielle, c’étaient leurs conditions de vie et de travail qui étaient en jeu, et qu’ils n’étaient pas prêts à se laisser faire sans réagir. Des voix de plus en plus nombreuses se faisaient alors entendre parmi les politiciens bourgeois de droite et de gauche comme parmi les patrons pour estimer que les risques d’un affrontement social ouvert devenaient de plus en plus grands. De même le danger que l’agitation débouche sur une nouvelle explosion des banlieues a également pesé, à en croire les journaux citant diverses sources policières sur la détérioration rapide du climat social dans les quartiers les plus chauds.

Le gouvernement n’avait pas voulu céder pour ne pas remettre en cause les attaques capitalistes futures, pour ne faire la démonstration devant les travailleurs que la lutte et seule la lutte paye. Il fut finalement obligé de reculer pour préserver la paix sociale, pour ne pas «déchirer le tissu social» selon la formule expressive de Parisot. Les syndicats décrétaient alors aussitôt la fin du mouvement, entérinant sans hésitation le maintien du CNE et de la loi «Egalité des chances»...

Cette capacité des directions syndicales a contrôler un mouvement d’une si grande ampleur numérique est la démonstration de la faiblesse persistante du prolétariat en dépit de son mécontentement croissant: inconscient de sa force potentielle immense (puisque c’est lui qui fait fonctionner toute l’organisation sociale), il remet son sort à d’autres, qui ne sont que des faux amis. Tant qu’il continuera comme aujourd’hui à faire confiance à ces faux amis et vrais ennemis que sont les appareils et les partis collaborationnistes, le prolétariat ne pourra pas véritablement résister aux patrons et à leur Etat, il restera écrasé, opprimé et exploité.

Mais le prolétariat ne pourra concrétiser sa force potentielle que dans la mesure où il réussira à s’organiser, sur ses bases propres, indépendamment des influences, des orientations et des pratiques bourgeoises, collaborationnistes, réformistes, légalistes; autrement dit sur des bases de classe, sur des bases anticapitalistes, aussi bien pour la lutte quotidienne de défense contre les patrons que pour la lutte politique révolutionnaire contre le système capitaliste. La leçon fondamentale des luttes de ce printemps est que sans une organisation et une direction de classe, les mobilisations de millions de personnes, les luttes les plus massives, seront toujours inévitablement récupérées, détournées et finalement réduites à l’impuissance.

Cela ne signifie pas que toutes les luttes sont condamnées d’avance à l’échec, qu’il n’a rien à faire tant que ne se sont pas reconstituées des organisations de classe et l’état-major qui les guide, le véritable parti communiste, révolutionnaire et internationaliste; mais cela veut dire que toutes les luttes pour être victorieuses doivent se libérer de la domination collaborationniste, réformiste (que ce soit celle des partis et syndicats traditionnels ou de leurs concurrents d’extrême gauche) et se donner des orientations et une direction classistes; cela veut dire que c’est au feu de cet affrontement politique et pratique avec la bourgeoisie et son allié le collaborationnisme que les éléments d’avant-garde ressentiront le besoin du parti en même temps que la possibilité réelle de travailler à sa reconstitution.

Dans la période qui vient le système démocratique bourgeois va être utilisé à plein pour détourner les prolétaires des luttes avec la diversion de la farce électorale. Tandis que dans le camp gouvernemental les luttes de clans font rage, déjà l’ultra-pourri PS a repris des couleurs et le moribond PC est saisi de frémissements; l’«extrême gauche» dont les commentateurs bourgeois s’étonnent du «silence» dans les luttes du printemps parce qu’elle était à la remorque des réformistes traditionnels, s’engouffre dans la perspective fumeuse d’une nouvelle union de la gauche (pas seulement la LCR: même LO participe de plus en plus à des initiatives «unitaires»).

Toute cette agitation politicienne ne concerne en rien les prolétaires. Elle n’est en dernière analyse qu’un rideau de fumée à l’abri duquel la bourgeoisie fourbit ses attaques, réorganise son dispositif politique et se prépare à défendre au mieux ses intérêts de classe. De grandes luttes sont tôt ou tard inévitables.

Les militants d’avant-garde doivent le savoir et s’y préparer en travaillant pour la réorganisation classiste du prolétariat.

Le prolétariat est révolutionnaire où il n’est rien!

 

Particommuniste international

www.pcint.org

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