Allemagne 1918-1919: le tragique retard du parti

(«le prolétaire»; N° 491; Nov.-Déc. 2008 - Janvier 2009)

 

 

En novembre 1918, les prolétaires et les révolutionnaires du monde ont les yeux tournés vers l’Allemagne: la révolution allemande: la révolution allemande, espérée depuis si longtemps par les marxistes, attendue impatiemment par les bolcheviks semble commencer.

Au mois d’octobre un nouveau gouvernement avait été formé avec pour la première fois des représentants du Parti Social-Démocrate (une minorité, plus à gauche, s’était déjà constituée en Parti Socialiste Indépendant, expressément pour empêcher la constitution d’un véritable parti prolétarien révolutionnaire); alors que la défaite militaire est consommée et face à une effervescence sociale croissante il s’agit de préserver l’ordre établi en donnant aux prolétaires l’impression que «la paix et les réformes démocratiques» sont l’objectif de ce gouvernement de coalition qui va réaliser une «révolution pacifique», selon les déclarations des sociaux-démocrates. Mais cela est bien incapable d’empêcher le mouvement des masses. Les 2 et 3 novembre les marins de la flotte de guerre se mutinent à Kiel à l’annonce que les navires vont appareiller - probablement pour se livrer à un baroud d’honneur contre la flotte anglaise. Ils s’emparent des navires de combat et menacent de tirer sur les bâtiments officiels si leurs camarades ne sont pas libérés.

En quelques jours un gigantesque mouvement spontané de révolte déferle sur l’Allemagne. Dans tout le pays se forment des Conseils de soldats et d’ouvriers, face auxquels les autorités civiles et militaires sont impuissantes.

 

Mais derrière cette flambée révolutionnaire, il y a une énorme confusion, une absence complète de perspective et d’organisation. Ainsi les marins insurgés de Kiel qui ont fusillé leurs officiers et hissé le drapeau rouge sur les bateaux de guerre acclament le social-démocrate Noske envoyé en toute urgence par le gouvernement pour contenir la révolte. Pire, ils le laissent s’imposer à la tête du comité de soldats et comme commandant de la place militaire. Ce fait est doublement symbolique.

Il montre d’abord le rôle que le Parti Social-Démocrate, les «majoritaires» du SPD, va jouer dans les mois et années à venir. Devant les soldats et les ouvriers il s’affirme comme authentiquement socialiste, il prétend les représenter, défendre leurs revendications et leurs intérêts. Mais en réalité il n’a pour but que de maintenir l’ordre, de sauvegarder la légalité, d’empêcher à tout prix l’explosion révolutionnaire. Il fait semblant d’accepter l’autorité des Conseils qui naissent spontanément, mais c’est pour mieux les empêcher d’exercer un pouvoir effectif et leur faire cautionner le gouvernement de l’Etat bourgeois dont il fait partie. Comprenant beaucoup mieux que certains cercles bourgeois réactionnaires qu’il est impossible de s’opposer frontalement à la lame de fond qui déferle (1), il se laisse porter par le courant pour pouvoir le canaliser dès qu’il commence à s’affaiblir.

C’est ce gouvernement qui pousse à réorganiser dans des «corps francs» une solide force armée de l’Etat bourgeois pour pallier la décomposition de l’armée classique dont une bonne partie passait du côté du «désordre». Ainsi entré à Berlin le 10 décembre 1918 pour régler l’affaire de la Division populaire de marine avec 40.000 hommes, le général Lequis, le 23, n’en avait plus que 2.000 sous ses ordres! C’est ce gouvernement de «révolution pacifique» qui se chargera au cours des mois suivants de décimer l’avant-garde prolétarienne par un jeu habile de provocations et de répressions sanglantes.

Ensuite ce fait montre l’inévitable faiblesse du mouvement spontané. En l’absence d’une véritable direction politique capable de lui donner des objectifs clairs et une coordination effective, ce mouvement va d’une part se laisser engluer dans la direction et l’appareil social-démocrate; et d’autre part s’épuiser dans des «coups de tête» locaux, magnifiques, mais dispersés, que la contre-révolution écrasera d’autant plus facilement les uns après les autres qu’ils ne peuvent déboucher sur rien.

Ce qui se manifeste dès cet épisode et qui éclatera avec une évidence tragique dans les semaines et les mois à venir, c’est l’incapacité du mouvement spontané des masses à prendre le pouvoir. L’explosion de la colère des masses, leur volonté d’en finir avec la guerre, avec la misère, peuvent certes porter des coups très durs à l’Etat bourgeois, paralyser et ébranler temporairement son appareil administratif et militaire.

Mais pour détruire cet Etat de fond en comble, pour se saisir de la direction de la société, pour s’ériger en classe dominante, pour exercer leur propre pouvoir, les masses prolétariennes ont besoin de cet organe de direction politique et organisative qu’est le parti de classe.

Malheureusement, ce qui caractérise alors la situation dans les pays capitalistes développés d’Europe, c’est le retard énorme de la constitution du parti par rapport à l’explosion des luttes de classe; et c’est en Allemagne que cette absence du parti se fait le plus cruellement sentir, précisément parce que les masses y sont projetées dans les luttes les plus radicales. Alors qu’en Russie la lutte spontanée des masses a pu se cristalliser autour d’un parti qui s’était constitué et délimité depuis longtemps et qui s’était imposé et lié aux masses à travers une longue série de luttes économiques et politiques, immédiates et révolutionnaires, le prolétariat allemand ne pouvait pas trouver la direction dont il avait besoin.

Sans aucun doute il existait en Allemagne des courants révolutionnaires qui non seulement avaient combattu la politique social-chauvine de la social-démocratie, mais qui aspiraient à transformer le soulèvement spontané des masses prolétariennes contre la guerre impérialiste en révolution socialiste. Mais un ensemble facteurs, parmi lesquels leur propre manque de clarté et de rigueur politique - allant parfois même jusqu’à la négation de la nécessité même de cette direction! - les avaient empêchés de la constituer effectivement.

Or, ce dont les masses ont besoin au moment où leurs exigences immédiates les obligent à affronter l’Etat bourgeois les armes à la main, ce n’est pas d’un «guide spirituel», mais d’un organe de direction dans tous les sens du terme. D’un organe qui soit certes le représentant du programme historique du prolétariat, mais qui sache relier celui-ci aux exigences immédiates; qui ne soit pas seulement un propagandiste du socialisme, mais une force organisée; qui ait déjà commencé à s’imposer comme dirigeant et organisateur à travers les luttes quotidiennes et partielles de la classe, et qui puisse alors tendre à conquérir une influence non seulement politique mais pratique déterminante sur les larges masses.

En Allemagne, même les éléments les plus avancés étaient restés prisonniers d’une part de la fascination de l’ «unité» ouvrière, et d’autre part d’une vision spontanéiste leur faisant attendre que les prolétaires rompent d’eux-mêmes avec l’idéologie social-chauvine et la politique opportuniste, au lieu de comprendre qu’il leur incombait de devancer ce mouvement pour le rendre possible. Une vision qui croyait que les masses se mettraient en mouvement après avoir «pris conscience» de la trahison social-démocrate, et ne comprenait pas que, même lorsque les déterminations matérielles poussent les masses à secouer dans leur action l’orientation et l’encadrement des «agents de la bourgeoisie au sein du prolétariat» (Lénine), l’influence et le poids de ces partis ne disparaît jamais de lui-même. C’est la lutte du parti de classe qui lui permet dans ces circonstances favorables d’arracher les prolétaires à l’emprise des social-traîtres et de les regrouper autour de lui et de sa direction.

Bien qu’ils aient dénoncé et combattu la trahison ouverte de la social-démocratie en 1914 et sa collaboration de plus en plus étroite avec l’Etat bourgeois au cours de la guerre, les Spartakistes (d’après le nom du bulletin qu’ils publiaient: «Spartakus») hésitaient à rompre avec le SPD: ils attendaient que les larges masses prolétariennes se détournent d’abord du social-patriotisme. Et lorsque les masses ont commencé à s’engager dans cette voie, non par des affirmations politiques, mais par des luttes, des manifestations, des grèves comme celle de janvier 1918 qui toucha près d’un million de travailleurs à Berlin, les Spartakistes se laissèrent encore devancer par l’hypocrisie centriste.

 

De la «révolution» de novembre...

 

Pour empêcher que l’agitation croissante se cristallise autour des Spartakistes, l’aile gauche du réformisme avait pris les devants et s’était constituée en 1917 en Parti Socialiste Indépendant (USPD). Dans ce parti qui se donne des allures révolutionnaires alors qu’il est encore plus pourri que le SPD, les Spartakistes vont recommencer leur travail de Sisyphe pour essayer de la gagner aux positions révolutionnaires, un travail que le PC allemand poursuivra pendant des années: gagner ou moins influencer la majorité, ou au moins la gauche de l’USPD. Malheureusement, chaque fois que le rocher redévale la montagne, il écrase le prolétariat au passage!

En fait, les Spartakistes sont prisonniers dans ce partit que les honnit et ne les tolère que pour les empêcher d’agir de façon autonome, et parce qu’ils lui servent de caution auprès des ouvriers avancés. Cette caution était d’autant plus nécessaire à l’USPD qu’il servait lui-même de caution de gauche aux pires droitiers du SPD, aux Scheidemann, Ebert, Noske et compagnie: pendant la période cruciale de novembre-décembre 1918, il partage avec eux la responsabilité gouvernementale. La présence dans ce prétendu «Conseil des Commissaires du Peuple» (sic!), de ce parti dont les Spartakistes sont membres, fût-ce comme «opposition de gauche», de ce parti qui parle comme eux de «république socialiste», de «changement de système économique», etc., empêche toute offensive générale contre l’Etat bourgeois et même toute clarification politique.

Le 9 novembre, le soulèvement spontané ayant gagné tout le pays, l’empereur abdique et le chancelier «transmet ses pouvoirs» au socialiste majoritaire Ebert qui lui-même a essayé de sauver la monarchie, puis la collaboration avec les partis de droite. Mais face aux prolétaires et soldats insurgés, le seul gouvernement bourgeois possible est un gouvernement aux couleurs «socialistes». Le 10 novembre au soir l’assemblée générale des Conseils d’ouvriers et de soldats de Berlin entérine la formation du gouvernement provisoire préalablement négocié entre le SPD et l’USPD, sous la pression des soldats organisés par le SPD; les positions opposées de Liebknecht, représentant des Spartakistes, sont très largement rejetées au nom de l’«unité». Le 11 novembre les Spartakistes s’organisent en «Ligue Spartakus», mais refusant de se constituer en parti indépendant, ils ne veulent demeurer qu’un «groupe de propagande» au sein de l’USPD.

Cette attitude des Spartakistes renforce inévitablement chez les ouvriers l’idée, défendue d’une certaine façon par Rosa Luxemburg elle-même, selon laquelle la «révolution politique» serait déjà faite et qu’il ne s’agirait plus que de «continuer la révolution» par des mesures socialistes.

Dans son éditorial du 18 novembre de la Rote Fahne, Rosa Luxemburg demande l’organisation d’une «Garde rouge prolétarienne» pour protéger la révolution et «Dans l’administration, la justice et l’armée, élimination des organismes hérités de l’ancien Etat policier, militariste et absolutiste». Après avoir accusé le gouvernement de «laisser faire tranquillement la contre-révolution», elle conclut: «Tout cela est parfaitement régulier. Ce n’est pas en 24 heures qu’un Etat réactionnaire peut se transformer en Etat populaire [?] et révolutionnaire. (...) Le tableau actuel de la révolution allemande correspond parfaitement au degré de maturation interne de la situation. L’équipe Scheidemann-Ebert constitue le gouvernement qualifié de la révolution allemande à son stade actuel (...). Mais les révolutions ne restent pas immobiles (...). Si la contre-révolution ne doit pas l’emporter sur toute la ligne, il faut que les masses soient vigilantes» (2).

La confusion est ici complète; la révolution est vue comme un processus en acte dont le gouvernement est un des fruits, encore immature sans doute, la tâche assignée aux masses prolétariennes étant seulement de rester «vigilantes» pour assurer la continuité de ce processus au cours duquel on semble envisager que l’Etat puisse se «transformer»...

L’état-major allemand, lui, comprenait parfaitement la situation. Le 10 novembre une circulaire du Haut Commandement aux commandants des grandes unités avait appelé à constituer des Conseils de soldats à leurs bottes dans toutes les unités pour garder le contrôle des troupes. Le 16 novembre, une note signée du chef d’état-major (Hindenburg) précisait: «On peut faire savoir que le Haut Commandement est disposé à faire route commune avec le chancelier Ebert, chef du parti social-démocrate modéré, pour empêcher l’extension en Allemagne du bolchevisme terroriste» (3).

A la mi-décembre, le Congrès national des Conseils d’ouvriers et de soldats où les partisans du SPD sont majoritaires (et qui avait refusé d’accepter Luxemburg et Liebknecht en son sein), vote le principe d’abandonner toutes velléité de pouvoir au profit d’une future assemblée constituante; les manifestations convoquées par les Spartakistes pour faire pression sur les congressistes ne réussissent pas à les faire fléchir. Alors que le nombre de chômeurs double, l’agitation, les grèves pour les salaires, les manifestations de rue et les incidents sanglants avec la police se multiplient pendant le mois de décembre à mesure que la réaction relève la tête. Cependant les Spartakistes ne songent encore qu’à demander (sans résultat)... que l’USPD quitte le gouvernement et tienne un congrès extraordinaire: «Si Haase et ses amis quittent le gouvernement, ce geste secouera les masses, leur ouvrira les yeux. Mais si vous persistez à couvrir les actes du gouvernement, les masses se soulèveront et vous balaieront. A présent, en période révolutionnaire (...) ce qui importe, c’est l’explication par les actes» (4). C’est encore l’illusion insensée de pouvoir se servir de l’USPD pour «agir» sur les masses...

En fait de mesures «socialistes», «le gouvernement qualifié de la révolution allemande» réussissait avec l’aide de la hiérarchie militaire à regrouper et à réorganiser une force armée sur laquelle il puisse compter; il s’employait à réduire les prétentions, ô combien timides, du Comité exécutif des conseils. L’offensive du gouvernement fin décembre contre la «Division populaire de la Marine», une unité de 3000 marins révolutionnaires cantonnés au coeur de la capitale, provoque une réaction massive du prolétariat berlinois; mais en dépit de dizaines de morts lors des affrontements, l’affaire se termine par un compromis qui neutralise ces soldats: ils resteront impassibles lors de la semaine sanglante de janvier. Puisque le gouvernement passe à l’offensive sans se préoccuper de ses desiderata, l’USPD rompt la coalition et quitte le gouvernement. Il a joué son rôle paralysant; après les sanglants affrontements, rester dans le gouvernement serait trop compromettant! Il sera de toute façon plus utile au maintien de l’ordre bourgeois dans l’opposition.

 

... à la contre-révolution  de janvier

 

C’est le jour même où les ministres USPD se retirent, le 29 décembre 1918, que les Spartakistes, après d’ultimes hésitations et tentatives de faire convoquer un congrès extraordinaire, quittent finalement ce parti. Enfin, on arrive à la constitution du parti communiste, dans lequel les Spartakistes convergent avec d’autres groupes, notamment les «communistes internationalistes» de Brême.

Nous avons montré ailleurs que ce parti est né non seulement trop tard, mais aussi sur des bases peu claires et peu solides. Il est vrai que ses meilleurs militants seront poussés par les exigences mêmes de la lutte à dépasser leur vision spontanéiste, anti-autoritaire et anti-centraliste, et à revendiquer la nécessité d’une direction centralisée; mais la réaction ne leur laisser pas le temps de tirer la leçon jusqu’au bout. Dans l’article qu’elle écrivit le 8 janvier 1919, une semaine avant d’être assassinée, Rosa Luxemburg finit par reconnaître que le devoir des révolutionnaires n’est pas d’attendre l’illumination des consciences, mais de «s’emparer de toutes les positions de force réelles, de les tenir et de les utiliser». Elle comprend que «l’inexistence d’un centre chargé d’organiser la classe ouvrière berlinoise [et à plus forte raison allemande!] ne peut plus durer»; qu’«il faut que les ouvriers révolutionnaires mettent sur pied des organismes dirigeants en mesure de guider et d’utiliser l’énergie combative des masses».

Tout comme Liebknecht qui, la veille de son assassinat, attribue la défaite des ouvriers de Berlin au fait que «leur force a été paralysée par l’irrésolution et la faiblesse de leurs dirigeants», Rosa Luxemburg parle de «l’irrésolution, des hésitations, des atermoiements de la direction» qui ont produit l’émiettement du mouvement, le désarroi des masses et l’isolement tragique des éléments les plus combatifs qui ne savaient pas eux-mêmes où ils allaient.

Il s’agit là en fait d’une terrible autocritique du mouvement spartakiste. Même après la constitution du KPD, ses dirigeants ne veulent pas se considérer comme la direction du prolétariat. Ils cherchent cette direction ailleurs, dans la gauche des Indépendants, ou chez les «Délégués ouvriers» quand il n’attendent pas une nouvelle «direction qui émane des masses».

C’est cette hésitation des révolutionnaires à assumer leur propre responsabilité pendant toute cette période qui va jusqu’en mai 1919, le jeu ignoble des Indépendants et de la gauche des «majoritaires». La combativité des masses prolétariennes est encore entière et elles répondent à tous les appels à la lutte, quand elles ne déclenchent pas spontanément les grèves, manifestations, occupations de journaux, tentatives de soulèvement, etc.

Mais chaque fois, de Berlin à la Ruhr, de Hambourg à Munich, on assiste au même scénario; Que les mouvements éclatent spontanément, soient lancés par les Indépendants ou même les majoritaires, ou répondent à un appel du KPD, chaque fois les communistes participent aux divers organes unitaires qui prétendent les diriger. Ces organes oscillent entre la phrase barricadière et les compromis avec le gouvernement et, au lieu d’orienter et de diriger la lutte, ils la désorientent et la désorganisent. Jusqu’au moment où l’Etat a rassemblé assez de forces pour passer à la contre-attaque; alors l’«unité» éclate, tout le monde s’enfuit et les communistes restent seuls face à la répression avec ceux des ouvriers qui, malgré leur désarroi, ont encore la force de se battre.

A la fin de l’année, le gouvernement social-démocrate estime qu’il peut et qu’il doit écraser au plus vite la subversion (Noske dira qu’il accepte la responsabilité d’être le «chien sanglant» de la répression). Le 4 janvier le gouvernement limoge le préfet de police Eichhorn, Socialiste Indépendant, qu’il voit comme un obstacle à cette répression (5). Cette mesure déclenche dès le lendemain un gigantesque mouvement de protestation des ouvriers berlinois qui comprennent que le gouvernement s’est engagé dans la voie de l’affrontement. Un comité «révolutionnaire» où participe le KPD aux côtés des Indépendants et des Délégués ouvriers, décide le principe du renversement du gouvernement. Mais il ne donne aucune consigne pratique et dès le 6 les Socialistes Indépendants entament des négociations avec ce-même gouvernement, alors que des groupes d’ouvriers insurgés ont spontanément occupé... le siège du journal du SPD. La direction du KPD est divisée sur la marche à suivre. Pendant ce temps le gouvernement a préparé les «corps francs» qui commencent à attaquer les sites occupés le 10 janvier, puis. Luxemburg et Liebknecht sont capturés et assassinés le 15 janvier; le KPD est interdit et la répression va se déchaîner contre les prolétaires révolutionnaires pendant les mois qui suivent.

 

*   *   *

 

Notre courant s’est efforcé de dégager et de transmettre les dures leçons de ces luttes aussi héroïques que tragiques. Toute tentative de «renforcer» le mouvement par l’unité avec les réformistes, agents avérés de la contre-révolution, ou même avec les «centristes», ces réformistes «de gauche», révolutionnaires en parole, contre-révolutionnaires en fait, l’affaiblit et le mène au massacre. Toute tentative de s’appuyer sur des forces politiques étrangères ou hostiles aux principes communistes pour constituer la direction révolutionnaire, conduit à la catastrophe: personne d’autre que les communistes authentiques ne peut diriger la révolution, et ils ne doivent partager sa direction avec personne.

Si le parti est faible et peu influent, il n’existe aucune recette miracle pour inverser ce rapport de forces. Rechercher désespérément des soutiens et des alliés au sein d’autres partis politiques ne peut que l’affaiblir davantage. Le parti ne peut se renforcer et étendre son influence que sur la base de son programme et de ses principes, en montrant aux prolétaires que lui seul répond à leurs besoins d’orientation et d’organisation, en s’imposant à travers les luttes partielles comme direction effective du mouvement de la classe.

Le parti ne peut pas attendre l’éclatement de la crise révolutionnaire pour se constituer: à ce moment il est presque toujours trop tard! Il doit se constituer, se renforcer et se lier à l’avant-garde, bien avant que les grandes masses soient précipitées dans l’affrontement violent avec l’Etat bourgeois.

Le parti doit précéder les masses, il doit savoir les attendre. Les masses ne peuvent pas attendre le parti: au moment où les facteurs objectifs les obligent à se soulever, il faut qu’elles trouvent leur organe de direction sous peine d’être écrasées. Préparer le parti, c’est préparer la révolution future.

Tel est l’enseignement toujours actuel des grandioses luttes et de la défaite d’il y a 90 ans en Allemagne!

 


 

(1) Au Conseil des ministres, le ministre de la marine affirme: «Il faut faire un exemple. En affamant la ville on ne la réduira pas; il faut y pénétrer avec des forces considérables et la bombarder par mer»; ce à quoi le social-démocrate Scheidemann répond: «Il faut s’interroger sur ce qui va se passera si nous intervenons brutalement à Kiel. Les autres villes proclameront leur solidarité avec Kiel. D’ailleurs nous ne pouvons attaquer les mutins, ils ont trop de munitions et d’artillerie de marine. Il est plus habile de leur dire: on va discuter de vos revendications». cf «Les Spartakistes», G. Badia, pp 56-57.

(2) La «Rote Fahne» (Drapeau rouge) était le quotidien des Spartakistes; son premier numéro était paru le 9 janvier après l’occupation de imprimerie d’un grand journal bourgeois. cf Badia, op. cit., p. 160.

(3) Ibidem, pp. 127-128.

(4) Discours de Rosa Luxemburg le 15 décembre, à la réunion du Grand Berlin des militants de l’USPD. La motion Luxemburg pour la convocation d’une congrès extraordinaire du parti recueille 185 voix, contre 485 à la motion de la direction pour la préparation des élections à la Constituante.

(5) Le 9 novembre, Eichhorn, à la tête d’une manifestation armée, s’était emparé de la Préfecture de police, libérant 600 prisonniers politiques. Depuis il assumait les fonctions de préfet de police, tentant - sans succès! - d’imposer une orientation «révolutionnaire» à ses fonctionnaires. Nouvelle confirmation de ce qu’écrivait Marx après la Commune: il est impossible de s’emparer de l’appareil d’Etat bourgeois pour le faire servir aux prolétaires, il faut le détruire.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

Retour sommaires

Top