Amadeo Bordiga

Les buts des communistes

(«le prolétaire»; N° 497; Juil.-Août-Sept.-Oct. 2010)

Retour sommaires

 

 

Cet article a paru le 29 février 1920 sur les colonnes d’«Il Soviet», organe de la «Fraction Communiste Abstentionniste» du Parti Socialiste Italien. A cette époque le PSI, qui avait adhéré à l’Internationale Communiste, était dirigé par son aile gauche qui s’appelait «maximaliste». Traditionnellement dans les partis sociaux-démocrates le programme dit «maximal» était celui du but final, du socialisme; il était réservé aux grands discours des jours de fête tandis qu’il existait un programme dit «minimal» portant sur des améliorations et des réformes réalisables car compatibles avec le capitalisme; ce programme minimum constituait le véritable programme d’action de ces partis réformistes. Et bien qu’elle affirmait vouloir lutter pour le programme maximal, la tendance majoritaire dans le parti restait en réalité sur le terrain de la lutte pour des réformes: elle appartenait à cette variété particulière du réformisme que les bolcheviks appelèrent «centrisme» - révolutionnaires en paroles, réformistes en fait. Afin de constituer un véritable parti communiste, la Gauche communiste s’était organisée en fraction et elle menait une lutte théorico-politique contre la confusion régnant dans le PSI (1).

Les perspectives fondamentales que rappelle l’article n’ont pas changé après 90 ans; elles indiquent une ligne invariante qui ne peut être modifiée malgré tous les «innovateurs», tous les tenants d’un «socialisme du vingt-et-unième siècle» qui prétendent découvrir des voies nouvelles alors qu’ils ne font que suivre les vieux sentiers battus des révisionnistes et des traîtres de toujours, des «centristes» d’hier et d’aujourd’hui.

 

*    *    *

 

La révolution socialiste a lieu lorsque, au sein de la société capitaliste, le conflit entre producteurs et rapports de production est devenu intolérable et qu’il existe des forces tendant à instaurer un nouveau système de rapports.

Cette tendance révolutionnaire se heurte à la force armée, dont les institutions politiques centralisées dans l’Etat bourgeois règlent l’organisation et le fonctionnement, et par laquelle la classe dominante empêche que les rapports existants - qu’elle a intérêt à conserver - ne soient modifiés.

 

Pour que la révolution puisse accomplir sa tâche économique, il est nécessaire d’abattre d’abord le système politique qui centralise le pouvoir; l’unique moyen dont dispose la classe opprimée pour cela, c’est de s’organiser et de s’unifier en parti politique.

Le but historique des communistes est précisément la formation de ce parti et la lutte pour la conquête révolutionnaire du pouvoir.

Il s’agit de libérer les forces latentes capables d’engendrer le nouveau système économique, sur la base des progrès de la technique productive, forces qui sont aujourd’hui comprimées par la structure politique du capitalisme.

La tâche qui est la raison d’être du parti communiste est donc caractérisée par deux principes fondamentaux:

1) l’universalité, car il comprend le plus grand nombre possible de prolétaires et il agit au nom de la classe et non pour des intérêts catégoriels ou locaux de groupes de travailleurs;

2) l’attachement au but final, au programme maximum, car il vise un résultat qui n’est pas immédiat et qui ne peut être atteint graduellement.

Sans doute la société bourgeoisie fournit-elle au cours de son évolution des solutions partielles à des problèmes particuliers, mais elles n’ont rien à voir avec la solution finale et intégrale poursuivie par le parti communiste.

Même l’intérêt des prolétaires, lorsqu’il s’agit d’un intérêt contingent et limité à des groupes plus ou moins vastes, peut, dans une certaine mesure, se satisfaire au sein du monde bourgeois.

La conquête de ces solutions particulières n’est pas l’affaire des communistes. C’est une tâche dont se chargent spontanément d’autres organisations du prolétariat, comme les syndicats, les coopératives, etc...

Le parti communiste n’intervient dans ces conquêtes partielles que pour ramener l’attention des masses sur le problème général de la conquête finale du pouvoir. Comme le dit le «Manifeste du Parti Communiste», «le résultat véritable de ces luttes n’est pas le succès immédiat, mais l’organisation toujours plus grande des travailleurs».

Après la conquête révolutionnaire du pouvoir, les forces productives latentes qui étouffaient dans le carcan du système capitaliste seront libérées.

Même à ce moment, la préoccupation principale du Parti ne sera pas une tâche de construction économique, à laquelle contribuera spontanément l’extraordinaire explosion d’organismes: cette énergie porteuse d’un nouveau monde existait déjà en puissance dans le conflit entre les producteurs et les formes de production et la révolution politique ne fait que lui permettre de se développer. La véritable tâche du Parti ce sera encore la lutte politique contre la bourgeoisie vaincue, mais qui s’efforcera de reprendre le pouvoir, et la lutte pour l’unification des prolétaires au delà des intérêts égoïstes et corporatistes.

Cette seconde activité prendra une importance plus grande au cours de cette période.

Aujourd’hui l’existence de l’ennemi commun, le pouvoir centralisé dans l’Etat, le capitaliste toujours présent dans l’usine, cimente naturellement la solidarité prolétarienne qui se dresse contre la formidable solidarité organisée du patronat.

Demain, lorsque les ouvriers d’une usine, d’une localité, d’une catégorie professionnelle auront été libérés de la menace de l’exploiteur capitaliste par la force du pouvoir prolétarien, il se peut que les intérêts locaux prennent plus de force et de virulence avant que tous n’acquièrent la conscience politique communiste dans son universalité.

Telle est peut-être la raison de la mesure prise par l’Etat russe des Soviets et que la presse bourgeoise a annoncé comme la dissolution des comités d’usine.

Le problème le plus difficile de la tactique communiste a toujours été de s’en tenir fidèlement à ces caractères de finalité et de généralité dont nous avons parlé plus haut.

Au lieu de s’attacher de toutes leurs forces et en dépit de toutes les difficultés, à l’implacable dialectique marxiste du processus révolutionnaire, les communistes ont souvent cédé à des déviations où leur action s’est égarée et émiettée dans de prétendues réalisations concrètes et dans une surestimation de certaines institutions, qui sembleraient constituer une passerelle de passage au communisme plus aisée que le saut effrayant dans l’abîme de la révolution, la «catastrophe marxiste d’où devrait surgir le renouveau de l’humanité».

Le réformisme, le syndicalisme révolutionnaire, le coopérativisme ne sont pas autre chose.

Les tendances actuelles de certains maximalistes qui, devant les difficultés de la destruction violente du pouvoir bourgeois, cherchent un terrain pour réaliser et concrétiser leur activité, pour la rendre techniquement possible, ainsi que les initiatives qui surestiment la création anticipée d’organes de l’économie future comme les comités d’usine, tombent dans les mêmes erreurs.

Le maximalisme ne connaîtra sa première victoire qu’avec la conquête de tout le pouvoir par le prolétariat. Avant cela, il n’a rien d’autre à proposer que l’organisation toujours plus vaste, toujours plus consciente de la classe prolétarienne sur le terrain politique.

 


 

(1) En ce qui concerne la lutte de la Gauche Communiste au sein du PSI et la fondation du PC d’Italie, voir la série d’articles à ce sujet dans notre revue théorique «Programme Communiste»: PC n°94, 95, 97.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

Retour sommaires

Top