Le capitalisme mondial au tournant de la crise (2)

(«le prolétaire»; N° 497; Juil.-Août-Sept.-Oct. 2010)

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Mutations des rapports de force inter-impérialistes mondiaux

 

Lorsque les autorités japonaises ont publié à la mi-août 2010 les chiffres du PIB (Produit Intérieur Brut) nippon au deuxième trimestre, le monde s’est aperçu qu’ils étaient inférieurs à ceux chinois: l’économie chinoise, selon ce critère [1], venait donc de devenir la deuxième du monde en dépassant l’économie japonaise, et tout indique que ce résultat se verra confirmé pour toute l’année 2010. Certaines informations préliminaires de l’Agence Internationale de l’Energie indiquent en outre qu’elle est vraisemblablement devenue la première consommatrice d’énergie dans le monde [2].

A la fin 2009, le gouvernement de Pékin avait déjà triomphalement annoncé que la Chine, supplantant l’Allemagne, avait accédé au rang de premier exportateur mondial; dix ans auparavant, elle ne se situait qu’au neuvième rang.

Sans doute les effets de la crise économique en 2008 et 2009 expliquent une partie de ces changements, les exportations chinoises en 2009 par exemple ayant moins reculé (-16%) que les exportations allemandes (-18%), américaines (-18%) et surtout japonaises (-30,8%). Cependant cette progression des exportations chinoises est une tendance de longue durée, qui illustre la croissance économique de ce pays.

En 1999, les Etats-Unis étaient les premiers exportateurs mondiaux de marchandises; en 2003 l’Allemagne leur ravissait la première place, alors que la Chine ne cessait de progresser. Plus précisément, les dix plus grands pays exportateurs étaient en 1999 les suivants, dans l’ordre: Etats-Unis, Allemagne, Japon, France, Grande-Bretagne, Canada, Italie, Pays-bas, Chine et Belgique. En 2009 nous avions: Chine, Allemagne, Etats-Unis, Japon, France, Pays-Bas, Italie, Belgique, Corée du Sud (au douzième rang dix ans plus tôt) et Grande Bretagne: l’ancien «despote du marché mondial» était ainsi relégué à la queue du classement.

Au cours de la dernière décennie, les exportations chinoises ont augmenté de 20%, celles de l’Inde (qui se situe encore loin des premiers exportateurs) de 16% et celles de la Corée du Sud de 9,7%, alors que les américaines n’ont progressé que de 4,3% et celles du Japon de 3,3% (soit moins que des pays européens comme les Pays-Bas: 8%, l’Allemagne: 7,5%, l’Italie: 5,7% ou même la France: 4,6%) [3].

 

La Chine, nouvel «atelier du monde» ?

 

Les médias affirment couramment que la Chine est l’«atelier du monde», lui appliquant l’appellation qui était utilisée pour la Grande-Bretagne au dix-neuvième siècle et que Marx lui-même n’hésitait pas à employer. Quelle réalité y a-t-il vraiment derrière ce cliché?

Jetons d’abord un coup d’oeil vers le passé. Marx écrivait en 1858 que la Grande-Bretagne (qui, la première, avait connu la révolution industrielle) jouissait d’une «situation de monopole qui en fait l’atelier du monde» [4], son industrie produisant des marchandises pour le monde entier; mais il ajoutait aussi que le capitalisme britannique sapait lui-même cette situation en exportant ses capitaux; il fournissait également ses futurs rivaux en machineries et équipements avec lesquels ceux-ci développaient leur propre industrie. En 1870 la Grande-Bretagne produisait encore 53% du fer mondial, 50% de son charbon et consommait presque 50% du coton produit dans le monde; on estime qu’elle représentait presque 32% de la production industrielle mondiale et qu’elle assurait près du quart du commerce mondial. Elle était alors à l’apogée de sa puissance économique. Cependant derrière elle se profilait un concurrent dynamique (bien qu’encore peu présent sur le marché mondial), qui avait été le premier client des équipements britanniques: les Etats-Unis avec 23% de la production industrielle de la planète. Ils étaient suivis par l’Allemagne (13%), puis par la France, distancée à 10%. La Russie était à 3,7%, la Belgique à 2,9%, l’Italie à 2,4%, les autres pays ayant des quantités négligeables.

 A la veille de la première guerre mondiale, si la Grande-Bretagne détenait encore la part la plus importante du commerce mondial (16%, contre 13,8% à l’Allemagne, 11,5 % aux Etats-Unis, 10% à la France) elle avait définitivement perdu sa place d’atelier du monde; elle ne représentait plus que 13,6 % de la production industrielle mondiale contre 32% aux Etats-Unis qui avaient pris la première place dans les dernières années du dix-neuvième siècle; mais elle venait aussi d’être doublée par l’Allemagne (14,8%), la Russie où fermentait la révolution anti-tsariste ayant elle-même dépassé l’impérialisme français, l’ «usurier du monde»: respectivement 8,2 % et 6,1%; venaient derrière, l’Italie à 2,5%, devant un nouveau venu qui avait démontré sa force militaire face à la Russie, le Japon à 2,4% [5].

La puissance américaine allait être très fortement amplifiée par les conséquences de la première, puis de la deuxième guerre mondiale qui furent un gigantesque business; l’impérialisme yankee assurait fermement non seulement sa prédominance économique et commerciale, mais aussi, en conséquence, son hégémonie politique et militaire sur une bonne partie du monde tout au long du vingtième siècle, pour une durée et à un degré inconnus par le vieil impérialisme britannique. En 1945, au sortir du conflit, les Etats-Unis, à qui la guerre n’avait causé aucune destruction de l’appareil productif, assuraient environ la moitié de la production industrielle mondiale.

Mais même après la reconstruction et le redémarrage des économies des pays ravagés par la guerre, ils ont longtemps conservé une part prépondérante de cette production; c’est ainsi qu’en 1953, ils représentaient encore 44,7% de la production industrielle mondiale, suivis par l’Union Soviétique (10,7%) et la Grande-Bretagne (8,4%). L’Allemagne était à 5,9%, la France à 3,2%, le Japon à 2,9, l’Italie à 2,3%, à égalité avec la Chine. Mais la part des Etats-Unis dans les exportations mondiales ne s’élevait qu’à 18,8% (alors que la part de l’Europe occidentale était de 39,4%): leur marché intérieur était pour eux de loin le plus important.

 Les décennies qui ont suivi virent un lent mais inexorable déclin de l’écrasante supériorité économique américaine, à mesure que progressaient rapidement les impérialismes concurrents, européens et japonais.

En 1980 la part des Etats-Unis dans l’industrie mondiale est ainsi redescendue pratiquement au niveau de 1913: 31,5%. La seconde puissance industrielle est toujours l’URSS, à 14,5%; elle n’a bien sûr pas réalisé le socialisme ni même économiquement dépassé l’Amérique comme l’avait promis Kroutchev dans les années cinquante. En effet le Japon est devenu la deuxième puissance économique mondiale en termes de PIB et il s’est hissé à la troisième place de la production industrielle internationale avec 9,1%, suivi par l’Allemagne (5,3%), la Chine (5%), la Grande-Bretagne (4%), la France (3,3%), l’Italie (2,9%). Le Japon s’est lancé avec vigueur à la conquête du marché mondial; rien ne semble devoir l’arrêter et les médias américains et européens se font de plus en plus l’écho des craintes de leurs industriels devant la «menace» constituée par le flot sans cesse croissant des marchandises nippones. En Chine, le gouvernement vient d’inaugurer, fin 1978, son grand tournant en faveur de la libéralisation économique et de l’économie de marché [6].

Dix ans plus tard, l’URSS se débat dans une profonde crise alors que le Japon a continué son ascension. Les principales puissances industrielles mondiales se classent en 1990 de la façon suivante: les Etats-Unis à 28%, sont talonnés par le Japon à 22%. L’Allemagne représente 12% de la production industrielle mondiale, suivie par l’Italie (6,6%), la Grande-Bretagne et la France étant ensuite pratiquement au même niveau (5,7%). La Russie, tombée à 3,3%, est passée derrière la Chine (4%) - la chute du rouble accentuant sans doute le recul russe dont la cause principale est la grave crise économique qui conduit à la dislocation de l’URSS. Il faut remarquer que les pays européens (on peut aussi noter la part de l’Espagne: 3%) ont fait mieux que résister au déclin qui touche l’Oncle Sam puisqu’ils ont réussi à augmenter leur part de la production industrielle mondiale; la Chine stagne encore, bien que les entreprises privées s’y développent de plus en plus, au détriment des grandes entreprises d’Etat.

Arrivons maintenant à la situation actuelle. Les services de l’ONU, qui sont la principale (ou plutôt la seule) source en matière de comparaison internationale, ne fournissent plus de données sur la production industrielle dans le monde, mais sur le critère beaucoup plus confus de la «valeur ajoutée dans l’industrie» [7]. Il n’est pas possible de faire des comparaisons précises avec les données précédentes.

Selon ce critère, les Etats-Unis étaient toujours en 2008 (derniers chiffres disponibles) la plus grande puissance industrielle (24% du total mondial); mais un puissant nouveau-venu est apparu au cours de ces 18 années et il a connu une croissance fulgurante: la Chine, qui se situe à 18% (après s’être hissée à 6% en 1995, 10% en 2000, 13% en 2005, etc.). Le Japon, qui a culminé en 1995 à 26%, ne représente plus que 14% du total mondial. Nous avons ensuite l’Allemagne (10%), loin devant l’Italie (5%), la Grande-Bretagne (4,2%), la France (4%), la Russie (3,3%), le Brésil (3,1%) et la Corée (3%). Pour ce qui concerne l’ «industrie manufacturière» (l’industrie proprement dite, en excluant le secteur des mines et de l’énergie), les écarts sont plus faibles: les Etats-Unis sont à 18%, la Chine à 15,6% et le Japon à 15,4%.

Bref, la Chine aujourd’hui n’est donc pas du tout l’ «atelier du monde» comme l’ont été à tour de rôle les Etats-Unis et la Grande-Bretagne; cela n’empêche pas que les plaintes des capitalistes européens et américains face ce nouveau concurrent sont aussi bruyantes que celles qui retentissaient il y a vingt ans devant le concurrent japonais. A nouveau la presse américaine s’inquiète du risque que les Etats-Unis perdent leur prédominance industrielle détenue depuis plus d’un siècle et, pire encore, que leur économie dans son ensemble passe au deuxième rang d’ici quinze ou vingt ans.

 

Production d’acier et crises

 

Quelques chiffres vont illustrer la montée en puissance du nouveau géant asiatique.

Pour ne pas alourdir démesurément cet article, nous nous contenterons d’examiner la production d’acier, mais en nous y attardant un peu. Il s’agit en effet d’un indice classique du développement de la production et de l’industrie d’un pays et de l’évolution des rapports de force économique entre les grands impérialismes. L’acier est utilisé aussi bien pour les boîtes de conserve, la construction ou les automobiles que pour les armements. Le parti a consacré plusieurs travaux à l’étude des variations de la production sidérurgique des divers pays et à ses rapports avec le déclenchement des grands conflits mondiaux [8].

La période dite de la «guerre froide» avait été marquée par une course à la première place des producteurs d’acier entre les Etats-Unis et l’URSS; celle-ci finissant par l’emporter en 1974, au moment où éclate la grave économique qui met fin aux fameuses «trente années glorieuses» d’expansion économique d’après la deuxième guerre mondiale, selon l’expression des économistes bourgeois: 136 millions de tonnes contre 132 aux Etats-Unis et 119 au Japon. Les autres pays qui se rangent parmi les 10 plus grands producteurs d’acier sont: L’Allemagne avec 53 millions de tonnes, la France 27, la Chine 26, l’Italie 23, la Grande-Bretagne 22, la Pologne 13 et la Tchécoslovaquie 12,7.

5 ans plus tard, à la veille de la crise économique suivante, l’économie internationale a fini par reprendre sa croissance, quoique à un rythme ralenti. En 1979 les dix premiers producteurs mondiaux sont dans l’ordre: l’URSS (149 millions de tonnes), les Etats-Unis (123), le Japon (111), l’Allemagne (43), la Chine (37), l’Italie (26), la France (23), la Pologne (19), le Brésil (15), la Tchécoslovaquie (14). Les pays capitalistes occidentaux et japonais n’ont pas réussi à revenir au niveau de 1974 (la Grande-Bretagne se trouvant reléguée au douzième rang mondial, après l’Espagne) et la forte récession de 1980-82 aura des retentissements importants; mais la hiérarchie internationale des pays industriels ne connaît pas encore de grandes mutations. Le prétendu «camp socialiste» paraît solide et même blindé par rapport aux crises économiques qui semblent ne frapper que les pays occidentaux.

Faisons un bond de dix ans; en 1990, alors que l’Union Soviétique est sur la point de s’écrouler et que monde plonge vers une nouvelle récession internationale, nous avons le classement suivant: l’URSS est toujours, et largement, en tête avec 154 millions de tonnes d’acier produites dans l’année; la quantité a sans doute diminué par rapport à son pic historique de 1988 (163 millions de tonnes), mais le pays étouffe sous le poids de la surproduction métallique.

Le Japon est en deuxième position à 110 millions, suivi par les Etats-Unis qui sont descendus à 89 millions (soit à un niveau guère plus élevé que celui de...1948). La Chine s’est hissée au quatrième rang avec 66 millions de tonnes, précédant l’Allemagne (38,4), l’Italie (25), la Corée (23), le Brésil (20), la France (19) et la Grande-Bretagne (18), qui profite de la chute de la Pologne et de la Tchécoslovaquie pour revenir parmi les dix premiers, réussissant à doubler l’Espagne au passage. Les pays industriels occidentaux et le Japon sont encore sensiblement au dessous des niveaux de 1974, à l’exception de l’Italie, et surtout de l’Espagne qui a repris une croissance continue après une courte baisse en 1975-1976.

Arrivons maintenant à la veille de la récession du début du vingt-et-unième siècle; la bulle des «nouvelles technologies» n’a pas encore éclaté et les attentats du World Trade Center n’ont pas encore eu lieu; nous sommes toujours dans l’euphorie de la «nouvelle économie» qui, selon les propagandistes du capitalisme, aurait fait disparaître les crises; mais les bouleversements qui ont eu lieu dans notre classement des producteurs d’acier témoignent des mutations qui se sont produites dans les rapports de force entre les impérialismes, à commencer par la disparition de l’URSS.

Le premier producteur mondial d’acier est en effet en l’an 2000 la Chine avec 127 millions de tonnes, devant le Japon à 106 millions et les Etats-Unis à 101 millions. Suivent de loin la Russie (59), l’Allemagne (46), la Corée (43,7), l’Ukraine (31), le Brésil (27), l’Inde (26,9), l’Italie (26,7). La Chine a détrôné en 1996 le Japon, qui n’aura été le plus gros producteur mondial d’acier que pendant quelques années, sa production stagnant depuis une décennie.

 Signe d’un regain de vitalité industrielle, les Etats-Unis, par contre, ont vu leur production augmenter pendant ces 10 ans de presque 13% bien qu’elle reste toujours très inférieure à celle de 1974; en Europe, la production allemande a augmenté de plus de 7%, celle de l’Italie de 6%, celle de la France, qui avec 20 millions de tonnes ne fait plus partie des 10 premiers producteurs mondiaux, a tout de même augmenté de 5%, alors que la production britannique a reculé de 15%. La plus forte hausse de la production en Europe est celle de l’Espagne avec 16% qui lui permet de dépasser à nouveau la production britannique (15,8 millions contre 15,1).

Mais ces variations sont peu de choses par rapport aux progressions de nouveaux pays: sur la même période la production brésilienne progresse de 25%, celle de l’Inde de 79%, celle de la Corée de 90% et bien sûr celle de la Chine bat tous les records avec une augmentation de 92%. Il faut aussi signaler dans la même tendance l’augmentation de la production turque (54% avec 14 millions de tonnes) et surtout celle de la production mexicaine: 80% avec 15,6 millions de tonnes d’acier. L’industrialisation s’étend maintenant à vive allure à des pays longtemps relégués à la périphérie du monde capitaliste.

Venons en à présent à la situation actuelle, ou plutôt à celle qui a précédé immédiatement la crise actuelle. Nous prenons en effet en compte les chiffres de 2007, la production mondiale d’acier ayant commencé à baisser, mais de façon inégale et différenciée géographiquement, à partir de mai-juin 2008 jusqu’en avril 2009: une baisse de près de 25%, sans précédent depuis la dernière guerre mondiale, qui a débuté dans les grands pays capitalistes, épicentre de la crise économique, où elle a atteint les 50%, avant de gagner toute la planète.

Lors de la crise des années trente, la baisse de la production mondiale d’acier avait été ininterrompue pendant 3 ans, jusqu’à 1932 où elle était de 58% inférieure au record de 1929; à cette époque, seule une petite poignée de pays produisait de l’acier. C’est ce qui a fait dire à de nombreux économistes: «la différence avec 1929, c’est qu’aujourd’hui nous avons la Chine!». Il est vrai que dans la crise actuelle la chute de la production des grands pays a été moins longue mais plus brutale qu’alors, tandis que la production chinoise n’a baissé que de 4% et qu’elle a recommencé à augmenter dès 2009, tandis que les pays occidentaux et le Japon étaient encore en plein marasme.

Revenons à 2007; la domination chinoise dans la production d’acier est écrasante, avec 489 millions de tonnes, soit un véritable bond en avant de 380% en 7 ans! C’est une quantité qui correspond à celle de toute la production mondiale en 1967. Le Japon vient ensuite à 120 millions (13% d’augmentation) tandis que les Etats-Unis sont redescendus à 98,5 millions ( -2,5%). Les suivants sont la Russie en nette progression à 72,4 (+22%), l’Inde en plein boom à 53 (97% de hausse!), la Corée à 51,5 (+18%), l’Allemagne à 48,6 (+2,3%), l’Ukraine à 42,8 (+38%), le Brésil à 33,8 (+25%) et l’Italie à 31,5 (+18%). Nous devons aussi noter, au onzième rang, la forte poussée turque avec 25,8 millions de tonnes (+84%), le Mexique, dans l’orbite américaine, voyant sa progression se ralentir (+13%).

En ce qui concerne les autres pays européens, l’Espagne est toujours en hausse (19 millions de tonnes, soit 20% d’augmentation) alors que la France recule (19,2 millions, -4%) de même que la Grande-Bretagne (14,3 millions, -5%).

Produisant 35% de l’acier coulé sur la planète (autant en un mois que l’Allemagne en une année) et reléguant les autres producteurs à la portion congrue: 9% pour le Japon, 7% pour les Etats-Unis, 5% pour la Russie, 4% pour l’Inde, si la Chine n’est pas l’atelier du monde, elle est bel et bien devenue l’aciérie du monde [9]!

 

La domination du capital étranger

 

La structure des exportations chinoises s’est modifiée au cours des années, à mesure que se développait la puissance de son industrie. Alors qu’il n’y a pas si longtemps elle exportait avant tout des produits textiles et des vêtements à bas prix, ce sont maintenant des ordinateurs ou des machines qui sont de plus en plus ses produits phares à l’export. C’est là un trait typique du capitalisme qui se développe d’abord dans ce qu’on appelle «l’ industrie légère» et la production de biens de consommation; puis, au fur et à mesure de son développement la part de l’industrie lourde et de la production de biens de production devient de plus en plus importante.

L’industrie textile était l’industrie la plus importante en Chine au moment où les armées de Mao prirent le pouvoir (comme elle l’était en Angleterre dans la première moitié du dix-neuvième siècle), mais pendant la période maoïste les exportations textiles chinoises sur le marché mondial subirent comme toutes les autres exportations une réduction drastique.

Les réformes économiques de la fin des années soixante-dix donnèrent un coup de fouet aux échanges économiques avec le reste du monde; la part de la Chine dans les échanges mondiaux passa ainsi de 1% en 1980 à plus de 8% en 2008. Les exportations passèrent de 14 milliards de dollars en 1979, à 1218 milliards en 2007. L’industrie textile et de la confection fut le premier bénéficiaire de ce tournant; en quelques années les exportations de textiles chinois l’emportèrent sur ceux des autres pays en développement, où cette industrie, quittant les vieux pays capitalistes, s’était largement concentrée, pour atteindre leur pic en 1985. L’industrie de la confection, qui requiert davantage d’activité industrielle, continua proportionnellement à croître et en 1994 la Chine devint le premier exportateur mondial de vêtements. Cette année-là les secteurs du textile, de la confection, du cuir, des jouets, etc., représentaient plus de 34% des exportations chinoises, tandis que celui des équipements mécaniques et électriques n’en représentait que moins de 13%. Aujourd’hui la Chine est toujours le premier exportateur mondial du textile et de l’habillement (réalisant 23% des exportations mondiales de textile et 33% des exportations de vêtement en 2007), mais désormais les équipements mécaniques et électriques constituent près de 60% de ses exportations.

Elle est désormais le premier producteur mondial d’électroménager, de composants électroniques, de matériaux de construction, le deuxième producteur dans la chimie, etc.

Si l’on considère une production aussi emblématique du capitalisme moderne que celle de véhicules, officiellement considéré comme un «secteur-clé» par les autorités de Pékin [10], on constate qu’en 2007 la Chine était le troisième producteur mondial; toutes catégories confondues (soit véhicules utilitaires et automobiles), le Japon était le premier producteur avec 11,6 millions de véhicules (dont 10 millions d’automobiles), suivi par les Etats-Unis avec 10,8 millions (dont 4 millions d’autos), la Chine avec 8,9 millions (dont 6,3 d’autos), l’Allemagne avec 6,2 millions (5,7), la Corée avec 4 millions (3,7), la France avec 3 millions (2,5), le Brésil avec 2,9 millions (2,3), l’Espagne avec 2,8 (2,2), le Canada avec 2,6 (1,3), l’Inde avec 2,2 (1,7). Dix ans plus tôt, la Chine n’était qu’au dixième rang avec seulement 1,6 millions de véhicules produits! Cependant, la première entreprise automobile chinoise, FAW, n’était en 2007 qu’au vingtième rang mondial des producteurs avec 600.000 véhicules produits: c’est l’américain General Motors qui produisait et vendait le plus de véhicules en Chine, les constructeurs étrangers dans leur ensemble détenant 70% du marché...

Cet exemple illustre une caractéristique peu connue mais très importante de l'économie chinoise actuelle:  la domination du capital étranger sur les secteurs les plus dynamiques et les plus productifs de l'industrie. Selon un expert du gouvernement chinois commentant avec une satisfaction teintée d'amertume la nouvelle que la Chine était le premier exportateur mondial: «environ 83% des produits de haute technologie et 75% des produits électroniques exportés ont été fabriqués dans les entreprises à capitaux étrangers» [11].

Les statistiques officielles chinoises illustrent cette domination [12]; en 1986 les entreprises à capitaux étrangers étaient à l’origine de 5,6% des importations et de 1,8% des exportations du pays; en 2007 les pourcentages étaient de 57,8% des importations et de 57,1% des exportations: plus de la moitié du commerce extérieur chinois est en fait l’oeuvre de filiales de firmes étrangères! Mais il ne s’agit pas que du commerce; en 1990 les entreprises à capitaux étrangers étaient responsables de 2% de la production industrielle chinoise totale. En 2007 elles réalisaient 31% de cette production. Sans doute ce pourcentage est-il en diminution depuis 2003 où il avait atteint presque 36%; mais, lors qu’on considère en outre qu’une partie des entreprises à capitaux purement chinois sont des sous-traitants d’entreprises étrangères, il est incontestable que l’industrialisation et surtout la progression du commerce extérieur chinois dépend pour une part significative du capital international. Les entreprises étrangères assureraient même 40% du PIB chinois [13].

Au cours des dernières décennies, les autorités de Pékin ont délibérément décidé de faire appel aux investissements étrangers, d’abord dans des «zones spéciales», puis dans tout le pays, pour faire décoller la croissance économique, la faiblesse du capital indigène ne laissant pas d’autre choix. Il est bien enterré le vieux slogan maoïste «compter sur ses propres forces»...

A cet égard, une autre caractéristique significative du commerce extérieur à relever est l’importance des «processing exports», c’est-à-dire de l’exportation de marchandises produites (ou assemblées) à partie de pièces détachées ou de composants importés.

 Plus de la moitié du total des exportations font en effet partie de cette catégorie, ce pourcentage se montant à 85% pour les entreprises à capitaux étrangers; ce taux est nettement plus élevé pour les exportations de matériel électronique et pour les biens d’équipements, que pour le textile, l’acier ou la chimie où les entreprises étrangères sont peu présentes. Le capitalisme chinois ne maîtrise donc que partiellement, et même pas du tout pour ce qui est des secteurs dits de «haute technologie», les filières de production des marchandises exportées par son pays. Classiquement, des entreprises à capitaux étrangers y importent des composants et des pièces détachées des pays asiatiques voisins, pour y faire produire à bas coût par des ouvriers chinois exploités de façon bestiale, des marchandises qui sont ensuite exportées vers les pays capitalistes développés, y compris vers ceux d’où sont issus ces capitaux.

 Les médias ont relevé que la nouvelle selon laquelle l’économie de la Chine allait dépasser celle du Japon, n’avait pas suscité d’émoi dans ce pays. Ce n’est pas seulement parce que les capitalistes japonais sont alléchés par le marché chinois, mais aussi et peut-être surtout parce que la délocalisation d’une partie de leur production dans ce pays a représenté pour nombre d’entre eux un véritable ballon d’oxygène; les bas coûts de production, à commencer par ceux de la main d’oeuvre, leur ont permis de trouver une échappatoire à la baisse de leur taux de profit: «la possibilité d’assembler leurs produits à bas prix en Chine a donné un nouveau souffle de vie à beaucoup de compagnies japonaises», écrit un quotidien financier [14].

Depuis le début des années 90 le flux d’investissement direct étranger en Chine, favorisé par des incitations gouvernementales, a connu une très forte progression, au point que la pays est devenu la deuxième destination des investissements extérieurs dans le monde, après les Etats-Unis. Près de 70% des ces investissements ont eu lieu dans l’industrie et un peu moins de 25% dans l’immobilier (qui est depuis quelques années le deuxième moteur de la croissance économique chinoise). Les premiers investisseurs sont, selon les statistiques officielles, Hong Kong, des paradis fiscaux, le Japon, les Etats-Unis, Taiwan et la Corée du sud. Hong Kong et les paradis fiscaux (Îles Vierges, Îles Caïman, etc) sont des relais utilisés par des capitalistes d’autres pays, ou même des capitalistes chinois.

L’importance prise par le capital étranger dans l’industrie chinoise n’est sans doute que transitoire; les capitalistes étrangers se plaignent régulièrement qu’après avoir investi en Chine, ils se retrouvent en quelques années face à des concurrents chinois pour les marchandises qu’ils produisent. Ils sont dans la situation des capitalistes britanniques du dix-huitième siècle qui ont financé et équipé leurs concurrents, ou des capitalistes américains de l’après dernière guerre qui ont financé le relèvement des impérialismes européens et japonais.

Mais en attendant, l’importance actuelle du capitalisme étranger dans l’économie ne peut manquer d’avoir de profondes conséquences, y compris sur la politique du pays.

 

Où va la Chine ?

 

La Chine est présentée dans les médias comme la nouvelle puissance objectivement destinée à arracher aux Etats-Unis la domination économique mondiale. A-t-elle plus de chance de réussir que les candidats précédents, le Japon et la Russie?

Par rapport à ces derniers elle dispose de l’avantage de sa masse énorme de population, qui représente un formidable réservoir de main d’oeuvre et, potentiellement, un gigantesque marché intérieur. Mais, en dépit de ses impressionnantes performances économiques que nous avons brièvement illustrées, elle est encore loin d’avoir surmonté une profonde arriération économique. Le PIB par habitant peut être considéré comme un indice, grossier sans doute mais cependant significatif, du développement capitaliste d’un pays; celui de la Chine se situe autour  du centième mondial [15]. La partie la plus importante de la population active est encore employée dans l’agriculture (plus de 40%), et souvent presque en dehors des circuits monétaires et du marché.

 Cela signifie qu’il reste encore un énorme chemin pour qu’elle se trouve réellement au niveau des grandes économies, aux grands impérialismes, qui dominent la planète. Et sur ce chemin elle se heurtera inévitablement à ces derniers; d’ores et déjà ses besoins toujours croissants en matières premières et en énergie la font entrer en conflit avec les impérialismes déjà établis, de l’Iran (qui est maintenant son premier fournisseur en pétrole) à l’Afrique et à l’Amérique Latine. Pour «sécuriser» des voies d’approvisionnement et plus généralement défendre ses intérêts, elle s’est engagée dans un vaste programme d’armement et de modernisation d’une armée pléthorique mais très mal équipée; les dépenses militaires chinoises sont devenues les deuxièmes du monde (mais très loin de celles des Etats-Unis) [16], provoquant l’alarme de ses voisins, Japon et Inde.

Cependant bien avant d’en arriver à une confrontation militaire, les heurts d’intérêts entre grandes, et moins grandes, puissances prennent la forme de pressions économiques de tout type. Au milieu des années quatre-vingt, pour arrêter la montée économique, qui semblait inexorable, du Japon, les Etats-Unis imposèrent à celui-ci une augmentation de la valeur de sa monnaie par rapport au dollar, c’est-à-dire une baisse de la compétitivité de ses marchandises (accords dits «de l’Hôtel Plazza»). Le Japon, dont le territoire est parsemé de bases militaires américaines et dont la «sécurité» est assurée par l’armée U.S. - qui est donc politiquement soumis aux Etats-Unis -, fut contraint d’obéir.

Et aujourd’hui, comme hier, les autorités américaines voudraient obliger le nouveau rival potentiel, la Chine, à réévaluer sa monnaie. Mais ils ne disposent pas du levier politico-militaire qu’ils ont utilisé sur le Japon: la Chine est militairement indépendante des Etats-Unis. De plus, à la différence du Japon, nous avons vu que les entreprises exportatrices y sont en réalité pour partie des filiales ou des sous-traitants de firmes américaines: si le yuan chinois augmente, les téléphones portables d’Apple lui reviendront plus cher et seront donc plus difficiles à vendre. Tous les capitalistes américains ne sont donc pas également partisans de faire pression sur la gouvernement chinois pour qu’il laisse sa monnaie s’apprécier. Enfin, la position financière et économique des Etats-Unis est plus faible que ce qu’elle était il y a trente ans et donc également leurs leviers économiques: les Etats-Unis ont besoin que la Chine continue à leur acheter des bons du trésor et à financer leur déficit. Par conséquent il ne sera pas si facile pour les Etats-Unis de rééditer avec la Chine ce qu’ils ont réussi avec le Japon.

Quoi qu’il en soit, les contradictions, les heurts d’intérêts et les crises entre ces deux pays sont condamnés à s’accroître. Il est difficile d’en dire davantage; mais ce qui est sûr, c’est que les Etats-Unis, l’ennemi n°1 de la révolution mondiale comme nous l’avons appelé dans des textes de parti, n’abdiqueront jamais leur place de dominateur du monde - de même que les capitalistes américains n’abdiqueront jamais leur place de classe dominante: dans l’un et l’autre cas, ce n’est que par la violence qu’ils pourront être détrônés...

 

La bourgeoisie PRODUIT avant tout ses propres fossoyeurs

 

Les capitaux étrangers sont évidemment attirés en Chine par les bas salaires qui permettent de produire des marchandises très compétitives sur le marché mondial tout en engrangeant des profits considérables. Selon des chiffres d’Eurostat, il y a une dizaine d’années, le salaire brut mensuel  moyen d’un ouvrier en Chine était de 100 euros (contre 1500 en France). Après les grèves de cet été le gouvernement chinois a annoncé le relèvement du salaire minimum à 117 euros (137 à Shanghai); la direction de Honda - Chine a accordé une hausse de 24% des salaires, qui le porterait à 237 euros (les grévistes n’ont repris le travail qu’après des affrontements avec le syndicat officiel). Chez Foxconn où les salaires tournaient autour du salaire minimum (100 euros par mois pour 6 jours de travail par semaine), la direction aurait promis selon la presse internationale de les faire passer à 245 euros; en réalité cette augmentation sera accordée aux ouvriers qui auront réussi pendant une période de 3 mois à augmenter suffisamment leur productivité: nul doute qu’il n’y en aura pas beaucoup... La hausse réelle des salaires est nettement plus réduite, puisqu’ils passent de 100 à 130 euros. Mais devant ces hausses, le groupe a annoncé qu’il allait déplacer 20% de ses salariés de Shenzen, dans le nord du pays où le salaire minimum est de 101 euros. Ces hausses de salaire auraient conduit certaines multinationales à envisager de se déplacer dans d’autres pays (par exemple, depuis quelque temps la firme américaine Nike à tendance à se désengager de la Chine pour aller au Vietnam) ou, comme Foxconn, à l’intérieur du pays où les salaires sont beaucoup plus bas encore que dans les régions côtières.

Mais en dépit de ces hausses, d’ailleurs guère supérieures à l’inflation, les salaires restent à un niveau très bas et ils sont toujours attractifs pour la voracité des capitalistes à la recherche de prolétaires à exploiter. Il ne faut donc pas s’attendre à ce qu’ils quittent le Chine, au contraire. Ils vont continuer à investir et à s’implanter dans un pays officiellement «socialiste» et dirigé par un parti se disant «communiste» qui est en réalité un vrai paradis de l’exploitation capitaliste.

Reprenons le cas de Foxconn. Cette entreprise de Taiwan est le plus gros producteur mondial de composants pour appareils électroniques, téléphones portables, etc. Elle emploie 900.000 salariés en Chine, dont de 300 à 400.000 à Shenzen, ville du sud de la Chine. Située non loin de Hong Kong, cette ancienne petite ville de pêcheurs avait été choisie pour cette raison pour héberger en 1979 la première «Zone Economique Spéciale», où les capitalistes étrangers pouvaient librement investir. Le succès de cette zone a fait que la ville compte maintenant plus d’un million et demi d’habitants, l’agglomération dépassant les 7 millions d’habitants (la plus forte augmentation de population de toute la Chine).

Recrutés parmi les jeunes «travailleurs migrants» venus des campagnes, concentrés dans de gigantesques établissements, les ouvriers de Foxconn y sont soumis à une exploitation bestiale: jusqu’à 10 heures de travail par jour, 6 jours par semaine (quand il n’y a pas des heures supplémentaires obligatoires le dimanche) et avec une discipline de caserne. La plupart sont épuisés en quelques mois de ce régime, et remplacés par d’autres. La Chine est en effet un réservoir quasi-inépuisable de main d’oeuvre à bas prix venue des campagnes où vivent encore dans des conditions de survie des centaines de millions de personnes. En cas de ralentissement économique, les travailleurs migrants sont licenciés et renvoyés dans leurs foyers dans autre forme de procès: officiellement, ils sont 24 millions à avoir été dans ce cas au plus fort de la crise.

Le développement accéléré du capitalisme au cours des dernières décennies a créé en Chine une classe ouvrière nombreuse, forte de dizaines de millions de personnes. D’après les statistiques officielles, au moment des réformes de 1978 il y avait 53 millions de personnes employées dans l’industrie; en 2003 (derniers chiffres officiels), il y en avait 89,5 millions. Selon une étude américaine [17], ce chiffre se serait monté à 111 millions en 2006 (alors que 325 millions étaient employées dans l’agriculture); par comparaison, la même année, le nombre de personnes employées dans l’industrie aux Etats-Unis était de 14 millions. Bien entendu, toutes les personnes employées dans l’industrie ne sont pas des ouvriers; il y a des cadres, des garde-chiourmes, etc. Mais les prolétaires y constituent cependant la grande majorité des salariés. D’autre part la classe ouvrière, au sens marxiste du terme, ne se limite pas aux ouvriers d’usine, même si ces derniers ont une place et un rôle déterminants; il y a aussi des prolétaires dans les catégories classées sous la rubrique «services», dans les commerces, les transports, etc., mais aussi dans la catégorie «paysannerie»: les ouvriers agricoles. Tout ceci permet de conclure que la classe ouvrière chinoise est la plus nombreuse du monde.

Regroupant ces prolétaires dans de gigantesques concentrations industrielles, les soumettant à des conditions d’exploitation bestiales, le capitalisme crée du même coup les conditions de leur lutte de résistance immédiate. Les grèves dont la presse internationale a rendu compte cet été (et qui ne sont peut-être que le sommet de l’iceberg) n’en sont qu’un premier exemple. Le développement accéléré des forces productives chinoises dans les dernières décennies, y compris le développement de la plus importante d’entre elles: la classe ouvrière, entraîne aussi le développement des contradictions de tout type, à commencer les contradictions sociales, le fossé toujours grandissant entre les prolétaires et les capitalistes. La Chine n’a pas la possibilité, comme l’ont eue les «fabriques du monde» britannique et américaine, d’anesthésier ses prolétaires en leur concédant des hauts salaires et des conditions de vie supérieures à celles des ouvriers des autres pays, puisque c’est sur leur surexploitation forcenée que se fonde sa croissance.

Les ressources de l’Etat chinois sont utilisées à fond pour accélérer l’industrialisation et maintenir la croissance à un rythme élevé, y compris pour des raisons sociales: les autorités chinoises elles-mêmes ont affirmé qu’une croissance inférieure à 6% mettrait en péril la paix sociale. Mais cette croissance accélérée débouche inévitablement sur la surproduction - surproduction non par rapport aux besoins de la population qui sont énormes, mais par rapport au marché; le plan gigantesque de soutien à l’économie dans la crise actuelle ne fait qu’aggraver les choses sur ce plan. Un rapport de la Chambre de commerce Européenne en Chine en 2009 donnait des chiffres de cette surproduction dans quelques secteurs de l’industrie [18]. Pour prendre l’exemple le plus criant, celui de l’acier, ce rapport indiquait qu’à la fin de 2008 les capacités de production étaient de 660 millions de tonnes pour un marché de 470 millions; et durant l’année 2009, de nouvelles aciéries étaient mises en chantier correspondant à une future production supplémentaire de 58 millions de tonnes... Cette surproduction, qui touche aussi gravement le secteur de l’immobilier, ne pourra être éternellement contenue par les interventions de l’Etat. Même si elle peut être différée encore quelque temps, la crise frappera inévitablement la Chine, avec une force bien plus grande qu’en 2008. Et comme partout, ce seront les prolétaires qui en feront les frais, avec aussi une masse de petits-bourgeois enrichis dans diverses spéculations (plus de vingt millions de personnes joueraient leurs économies à la bourse), qui se verront brutalement prolétarisés.

Avant qu’elle réussisse à devenir la première puissance économique mondiale, la Chine deviendra inévitablement une des arènes les plus importantes, et les plus violentes, de la lutte de classe dans le monde. Ce n’est pas par hasard que la Chine est le pays où la peine de mort est la plus répandue [19]: l’ordre capitaliste ne peut se passer de la répression et de la terreur que celle-ci provoque, même quand la lutte prolétarienne est absente; plus les tensions internes sont grandes, et plus forte est cette répression. Il n’y a pas de doute que la classe ouvrière chinoise sera demain la digne héritière des combattants prolétariens de 1926-27 qu’il lui appartiendra de venger.

Elle pourra le faire à condition qu’elle réussisse à retrouver ses armes de classe, le marxisme et le programme communiste véritables, et qu’elle sache constituer son parti de classe. Cela ne sera ni automatique, ni rapide; c’est d’ailleurs un problème qui ne se pose pas seulement à elle, mais aux prolétaires du monde entier, et qui ne pourra être résolu qu’internationalement.

 

(A suivre)

 


 

[1] Si l’on utilise le PIB à «Parité de Pouvoir d’Achat» (PPA: chiffres rectifiés pour tenir compte des différences de prix à l’intérieur des différents pays), la Chine a dépassé le Japon depuis 2001. Ces chiffres sont des estimations qu’il ne faut pas prendre à la lettre. C’est ainsi qu’en 2007, la Banque Mondiale qui élabore ces données a trouvé une «erreur de calcul» dans son estimation du PIB chinois à PPA, et elle a fourni une nouvelle estimation, inférieure de... 40% au chiffre antérieur. Heureux hasard, cette nouvelle estimation correspondait aux souhaits chinois de bénéficier du statut de pays en développement...

[2] Le gouvernement de Pékin a réfuté cette affirmation, qui le mettait en posture délicate dans les négociations sur le climat.

[3] cf International Herald Tribune, 20-21/2/2010.

[4] cf Marx, «British Commerce», New York Daily Tribune, 3/2/1858. Un traduction en français se trouve sur Programme Communiste n°64.

[5] Ces estimations historiques varient selon les sources, surtout sur le rang de la Russie qui est parfois placée après la France.

[6] Voir à ce sujet le compte-rendu d’une réunion générale du parti: «la Chine, future superpuissance capitaliste», Le Prolétaire n°295 (septembre 1979)

[7] Cette «valeur ajoutée» est égale à la valeur des biens produits, moins la valeur des «consommations intermédiaires», plus la marge commerciale. Après s’y greffent, ou non, des calculs de PPA.

[8] A commencer par le «Fil du Temps» «Sua Maesta l’acciao» en 1950, et les divers «cours de l’impérialisme».

[9] Il s’agit des chiffres de la World Steel Association, disponibles en ligne sur www.worldsteel.org.

[10] A partir de juillet 2008, le gouvernement a décidé d’une augmentation des droits de douane sur les pièces importées pour inciter les constructeurs étrangers à développer leur production locale.

[11] Selon le Quotidien du Peuple, 11/1/2010. cf http//french.peopledaily.com.cn/Economie/6864541.html

[12] Les statistiques officielles en la matière sont consultables en ligne sur www.fdi.gov.cn

[13] Ce dernier chiffre est avancé par le North Carolina Department of Commerce, International Trade Division (2009).

[14] cf Financial Times, 23/8/2010;

[15] Selon les estimations du FMI, il se situait quelque part entre celui du Cap Vert et celui du Congo. cf Financial Tmes, 26-27/9/2009

[16] Le SIPRI donnait pour 2007 un chiffre de dépenses militaires chinoises de 100 milliards de dollars, contre 661 milliards pour les Etats-Unis. cf Financial Times, 11/6/2010.

[17] cf «Manufacturing in China», Monthly Labor Review, avril 2009. Les statistiques chinoises officielles additionnent l’emploi industriel urbain, l’emploi dans les «entreprises industrielles rurales» et l’emploi industriel dans les entreprises informelles.

[18] cf Financial Times, 30/11/2009.

[19] Amnesty international estime à «plusieurs milliers» le nombre de personnes exécutées en Chine, ce qui serait davantage que tous les autres pays de la planète réunis! Les autorités chinoises ne donnent pas de chiffres. cf www.amnesty.org/fr/death-penalty/death-sentences-and-executions-in-2009. Par contre ce sont les Etats-Unis qui détiennent, de loin, le nombre record de personnes emprisonnées

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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