L’impérialisme français et la Tunisie

(«le prolétaire»; N° 499; Mars - Avril 2011)

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«La diplomatie française a défendu jusqu’au bout le régime tunisien» écrivait Le Monde dans son édition du 16-17 janvier. Ce soutien a été démontré avec éclat par les offres du «savoir-faire français en matière de maintien de l’ordre» faites par la ministre des Affaires Etrangères Alliot-Marie (MAM) pendant les émeutes. Mais en réalité il ne s’est pas limité au seul gouvernement de Sarkozy: tous ses prédécesseurs, à commencer par Mitterrand ont fait de même.

 Ce soutien ne s’explique pas par les qualités touristiques du pays, même si parmi le flot de touristes français à la recherche de vacances à bas prix, il y a de nombreux responsables politiques français qui fréquentent, eux, des résidences de luxe, mais par l’existence de solides intérêts économiques. MAM elle-même était allée là-bas à Noël dans le cadre d’une opération financière familiale (le rachat au nom de ses parents d’une société immobilière à un milliardaire tunisien proche de Ben Ali). En proposant quelques semaines plus tard au gouvernement tunisien l’aide des policiers français, elle venait ainsi en aide à ses propres intérêts familiaux!

Bien que sa part de marché soit passée en dessous des 20%, la France est toujours le premier partenaire commercial de son ancienne colonie, et elle y est aussi le premier investisseur.

La Tunisie n’est pas un pays riche, mais elle est cependant relativement développée du point de vue capitaliste; l’agriculture n’y occupe plus que 18% des travailleurs, contre 32% pour l’industrie (l’inverse est vrai pour l’Egypte: 32% dans l’agriculture, 17% dans l’industrie). Si le tourisme est un secteur important et dynamique, son poids dans l’économie du pays est plus faible que celui de l’industrie. La Tunisie serait devenue le premier exportateur industriel de l’Afrique, devant l’Afrique du Sud. L’industrie du phosphate dont la Tunisie est le 5e producteur mondial est florissante, mais les travailleurs et les habitants de la région de Gafsa où elle est concentrée se débattent dans une misère noire; une grève de milliers de mineurs au chômage à Redeyef en 2008 y avait été réprimée de façon sanglante (3 morts, plus de 300 arrestations). Le chômage est probablement de 30%, bien loin du chiffre officiel (14%). La crise économique mondiale ne pouvait manquer d’affecter les exportations tunisiennes; c’est le secteur textile, déjà en butte à une redoutable concurrence asiatique qui a été touche de plein fouet. Représentant la moitié des exportations et occupant 250 000 personnes, il a vu sa production baisser de 15 % l’année dernière.

Le pays compte aujourd’hui plus de 3000 entreprises exportatrices qui emploient 320 000 salariés, la plupart d’entre elles étant des entreprises appartenant en partie ou en totalité à des capitalistes étrangers.

 A partir de la fin des années 90 en effet les investissements étrangers se sont considérablement accru dans ce pays, attirés par les bas salaires, les avantages fiscaux, la réforme du code de travail qui a généralisé la «flexibilité» et la précarisation, et la docilité des travailleurs garantie par la politique ultra-répressive de l’Etat. De 1997 à 2010, les investissements étrangers ont été multipliés par 6 (de 402 millions de Dinars à 2425), également à la suite de la privatisation de certains secteurs qui ont été vendus à des sociétés étrangères (c’est ainsi que la Caisse d’Epargne à acheté la BTK ou que Groupama est devenu le premier actionnaire du principal groupe d’assurance tunisien).

Les entreprises françaises sont les plus nombreuses des entreprises étrangères; au nombre de 1270, elles emploient plus de 100 000 personnes. Outre ses investissements dans les secteur du tourisme, de la banque, de l’assurance, du commerce ou des centres d’appel, la France est aussi le premier investisseur dans le secteur industriel. A côté des investissements traditionnels dans le secteur du textile-habillement (le tiers des soutiens-gorges vendus en France viennent de Tunisie!), on compte maintenant des investissements dans les secteur de la sous-traitance automobile, la plasturgie, etc. Parmi les grandes entreprises les plus connues on peut relever pêle-mêle: Valeo, Sagem, Lacoste, Carrefour, Casino, Danone, Sanofi, Société Générale, Accor, BNP-Paribas, etc. 22 000 français sont installés en Tunisie; si on compte parmi eux bon nombre de retraités, souvent binationaux, il est particulièrement remarquable que 60% de ces français font partie de la catégorie des chefs d’entreprise et des cadres supérieurs! Il n’y a aucune «ignorance» ou aucun «aveuglement» dans l’amitié que se portent les bourgeois français et tunisiens, puisque cette amitié est scellée dans la sueur et le sang des prolétaires tunisiens et se traduit en profits juteux.

Les capitalistes français ne sont évidemment pas les seuls à être attirés par l’exploitation des prolétaires tunisiens; l’Italie, deuxième partenaire commercial du pays, y est aussi le deuxième investisseur étranger avec 880 entreprises employant environ 70 000 travailleurs dans la confection, les services, le BTP. L’Allemagne, troisième partenaire commercial est également le troisième investisseur, intéressé selon une déclaration datant de quelques mois du président de la Chambre de commerce germano-tunisienne, par la «stabilité du pays»... Les 265 entreprises allemandes implantées en Tunisie et qui y emploient 40 000 salariés sont essentiellement industrielles: composants automobiles, électriques et électroniques.

La chute du régime Ben Ali a encouragé les travailleurs tunisiens dans tous les secteurs à entrer en lutte pour leurs revendications immédiates: augmentation des salaires, mais aussi demande d’emplois, départ de chefs particulièrement haîs, etc. C’est ainsi qu’à Tunisie Telecom, les salariés demandaient le départ de 63 personnes embauchés par l’entreprise pour fliquer les travailleurs. A Gafsa la Compagnie des Phosphates est bloquée par des chômeurs, tandis qu’à Tunis les employés occupent l’hôtel Africa pour obtenir la titularisation de 60 travailleurs, etc.

 Dans son édition du 7 mars, le quotidien patronal «Les Echos» rapportait longuement les doléances et les craintes des capitalistes français qui étaient venus chercher en Tunisie une main d’oeuvre mal payée et soumise et qui se retrouvent devant des prolétaires en lutte. Deux exemples cités par le quotidien: la société Cablitec installée à Sousse, confrontée à la détermination de ses ouvriers en grève pour obtenir la réintégration de la déléguée du personnel licenciée en décembre, a lockouté le personnel et menace de fermer l’usine; dans le centre du pays, la société Bonna a du faire face à un blocage de son établissement par les ouvriers demandant une augmentation des salaires de 30%. Cette situation fait s’affoler un «consultant»: «Des soviets se mettent en place dans les usines»!

Evidemment il n’en est rien; mais la disparition temporaire de l’appareil répressif autrefois omniprésent et l’affaiblissement de l’UGTT, le syndicat officiel qui avait pourtant eu l’habileté de ne pas s’opposer frontalement à la vague de révolte du début d’année, ont permis que s’expriment les revendications contenues depuis trop longtemps. La vague de grèves qui est encore en cours n’est qu’une première escarmouche dans la lutte entre les classes. Si les patrons ont souvent répondu en lâchant du lest, les difficultés économiques de la Tunisie, aggravées par les événements de Libye, important partenaire économique du pays et destination de nombreux travailleurs émigrés tunisiens, vont contraindre rapidement les capitalistes, nationaux et étrangers, s’attaquer avec une force renouvelée aux ouvriers. Les prolétaires tunisiens auront de durs combats à mener pour se défendre. Pour y réussir, il leur faudra se défier de tous ceux qui célèbrent dans la chute de Ben Ali une révolution afin de mieux exorciser le spectre de la révolution prolétarienne: non seulement les partis et forces ouvertement bourgeoises et réactionnaires, mais plus pernicieux encore, les organisations et partis soi-disant «ouvriers» ou «communistes» qui appellent à une union interclassiste, et trouver la voie de l’organisation indépendante de classe. Mais c’est là un objectif qui se pose aux prolétaires de tous les pays...

 

 

Sources principales: Site de l’Ambassade de France en Tunisie (www. ambassadefrance-tn.org), Tunisie Soir (6/2/11), Le Monde (16-17/1/11), La Presse (6/5/09), www. senat. fr international / collotunisie2004/ collotunisie 20047 .html. Pour l’Italie, Il Programma Comunista donne un nombre différent d’entreprises de la Péninsule implantées en Tunisie: 680 entreprises, employant 55 000 personnes, mais il semble que les chiffres datent de 2008.. cf Il PC n°2, mars-avril 2011.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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