Quelle réaction au meurtre de Méric?

(«le prolétaire»; N° 508; Juin - Juillet - Août 2013)

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Le 6 juin dernier, Clément Méric, militant du groupe «Action Antifasciste Paris-Banlieue» tombait sous les coups d’un membre du groupe néo-nazi «Troisième Voie», dans un affrontement lors d’une vente de vêtements.

La mort du jeune étudiant de 18 ans (il militait aussi à Sud Etudiant Sciences-Po) a suscité une grande émotion; elle a été condamnée par tous les partis de droite comme de gauche (même le Front National que Mélenchon et d’autres ont rendu responsable de ce crime), une minute de silence a été observée à la chambre des députés, début juillet le gouvernement dissolvait les groupuscules néo-nazis Troisième Voie et Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires, etc.

Les militants d’ AAPB ont crié à la récupération politique des partis de gauche, ils ont hué Hidalgo lors de la manif organisé par le Parti de Gauche le 6 juin, ils ont pris à partie l’UMP Nathalie Kosciusko-Morizet.

S’indigner de la récupération politique est une réaction très légitime, mais il serait beaucoup plus important de s’interroger sur ce qui rend la récupération possible.

Quelques jours plus tard, AAPB signait un appel à une manifestation de protestation contre le meurtre de leur militant avec ce même P.G. et d’autres partis et organisations réformistes (y compris des souverainistes ayant des rapports troubles avec Troisième Voie!) (1).

 Le 27 juin Sud Etudiant Sciences-Po publiait un communiqué «Clément, assassiné une deuxième fois» pour protester contre les affabulations de certains médias affirmant que celui-ci avait provoqué les fachos: «Non Clément n’est pas un agresseur» (...), il «défendait des idéaux qui vont à l’encontre de la haine». Un simple pacifiste, donc? Et le communiqué se lamentait que lors d’une élection dans le Lot, le «Front Républicain» (alliance entre partis de droite et de gauche contre le Front National) ait «disparu dans une quasi- indifférence générale», que n’aurait «peut-être pas» partagé Clément Méric (2).

Pourquoi donc crier à la récupération si on est partisan de l’union avec les partis bourgeois de droite et de gauche et si on envisage la «lutte antifasciste» comme une lutte contre la violence?

Les prolétaires ont face à eux un ennemi de classe implacable qui maintient sa domination par tous les moyens, violents ou non. Ils devront nécessairement avoir recours à la violence non seulement pour abattre le pouvoir bourgeois, mais pour résister à ses attaques menées par les forces légales ou «illégales» de la conservation sociale. Pour mener leur lutte, ils devront faire disparaître tous les «Fronts Républicains» avec les forces bourgeoises, mais aussi toutes les alliances avec les agents de la bourgeoisie que sont les organisations réformistes; animés par la haine de classe (qui selon Lénine est l’expression la plus haute de la conscience de classe), ils devront sans hésiter agresser les défenses et les défenseurs de l’ordre établi, qu’ils se présentent sous des dehors «démocratiques» ou «fascistes».

Nous publions ci-dessous la réponse que nous avons faite à un groupe proposant de réagir à l’assassinat de Clément Méric:

 

(...) Vous dites refuser «la récupération politique de cet assassinat» et vous écrivez que «le fascisme est un danger réel pour la classe ouvrière».

Si vous parlez de la situation actuelle en France, il faut  voir l’évidence: le fascisme ne constitue pas un danger réel pour la classe ouvrière ; il l’a été il y a 80 ans, il pourra le redevenir demain, mais il ne l’est certainement pas aujourd’hui!

Cependant depuis des décennies, une prétendue «menace fasciste» est à intervalles réguliers brandie par les partis de gauche ou d’extrême gauche. Il y a près de trente ans Mitterrand permettait au Front National d’accéder au parlement et de se constituer en parti important au niveau national, donnant ainsi corps  à l’épouvantail de la «menace fasciste». Le FN est sans aucun doute un parti d’extrême droite, raciste et anti-ouvrier, mais il est présenté comme radicalement différent des partis républicains» de droite et de gauche qui dirigent alternativement l’Etat bourgeois; et comme un péril pour la «démocratie» (c’est-à-dire l’ordre établi), bien commun à toutes les classes sociales, à défendre s’il le faut par le «front républicain».

Pendant les presque trois décennies qui ont suivi, nous avons eu droit à une propagande permanente sur cette menace que ferait peser le FN sur la «démocratie française». Cette manœuvre grossière, confortée par divers groupes et mouvements d’extrême gauche, a contribué non seulement à maintenir la popularité chancelante des partis réformistes, mais, pire encore, à maintenir la «légitimité» de l’Etat bourgeois et de son système de domination politique «démocratique».

La démonstration la plus grotesque a été l’appel à voter Chirac en 2002 par pratiquement tous les partis de gauche et d’extrême gauche (à l’exception de Lutte Ouvrière qui, hypocritement, laissait ses électeurs libres de faire ce qu’ils voulaient, à condition de ne pas s’abstenir et de ne pas voter Le Pen…) pour «faire barrage» à la menace du FN; tous apportaient ainsi leur soutien au représentant qualifié de la bourgeoisie impérialiste française avec le slogan «votez escroc, pas facho!»

Lorsque entre les deux guerres mondiales la menace fasciste devint une réalité tangible, les partis sociaux-démocrates et staliniens y répondirent par la formule de «l’antifascisme démocratique», c’est-à-dire l’union interclassiste des ouvriers avec les bourgeois démocrates, ayant comme objectif la défense de la forme démocratique de l’Etat bourgeois; les ouvriers renonçaient à défendre leurs propres intérêts de classe, ils renonçaient à la lutte pour leurs objectifs révolutionnaires, ils renonçaient à leur indépendance de classe et ils se mettaient à la remorque d’une fraction de la classe dominante. L’histoire a démontré que jamais ces fronts antifascistes n’ont empêché la victoire du fascisme, mais que par contre ils ont toujours empêché la classe ouvrière de se défendre contre les capitalistes, qu’ils soient «démocratiques» ou «fascistes»!

C’est la raison pour laquelle, après qu’il ait, de plus, permis l’embrigadement des prolétaires dans la deuxième boucherie impérialiste mondiale, l’antifascisme démocratique est devenu partie intégrante de l’idéologie bourgeoise dominante.

C’est pour cela que tous les partis, de droite ou de gauche, ont communié dans la condamnation du meurtre de Méric: ils ont voulu «récupérer» politiquement l’indignation face au meurtre, parce que derrière le drapeau de l’antifascisme démocratique elle était éminemment récupérable.

Depuis 68 ans, depuis la fin du régime fasciste sénile de Pétain, il n’y a plus eu de menace fasciste réelle en France (pour la bonne raison que la classe ouvrière n’ayant jamais été en situation de menacer réellement le pouvoir bourgeois , celui-ci n’a jamais eu besoin d’y recourir ), mais il y a eu presque en permanence utilisation de l’ antifascisme démocratique pour cimenter l’interclassisme et renforcer la soumission à l’Etat bourgeois, en effrayant périodiquement les prolétaires par des «menaces fascistes» montées en épingle ou inventées.

De ce point de vue, rien n’a changé aujourd’hui .

A l’occasion de la campagne réactionnaire contre le « mariage pour tous » organisée par l’Eglise catholique et l’UMP, les petits groupes d’extrême droite ont incontestablement trouvé une nouvelle vigueur et ils se sont livrés à de nombreuses exactions; mais il n’empêche que la menace à laquelle fait face aujourd’hui la classe ouvrière ne vient pas de l’extrême droite ou des groupuscules fascistes, elle vient du gouvernement du Parti Socialiste et des Verts.

Vous écrivez justement que ce gouvernement est à la solde du patronat ; avec l’aide ouverte ou cachée mais irremplaçable des directions syndicales, il réussit à faire passer toute une série de mesures anti-ouvrières beaucoup plus facilement que n’aurait pu le faire un gouvernement de droite, sans susciter jusqu’ici de réaction de lutte.

 Il menace aussi : son refus de l’amnistie sociale est un avertissement très clair vis-à-vis des travailleurs combatifs et des futurs manifestants, souligné encore par les déclarations de Valls selon lesquelles la police veille à tout risque de «radicalisation» dans les luttes.

Le gouvernement ne se contente pas de menacer; comme vous le soulignez, il arrête, emprisonne et déporte des prolétaires qui n’ont commis d’autre crime que de ne pas avoir leurs papiers en règle, il amplifie la chasse aux Roms initiée par le gouvernement précédent, provoquant et approuvant de véritables pogroms contre ces derniers, il couvre les forces de répression policière qui régulièrement tuent des jeunes des quartiers populaires et des travailleurs immigrés; de façon générale il attise le nationalisme et le chauvinisme qui divisent les travailleurs, tout en continuant à l’extérieur la politique impérialiste criminelle traditionnelle du capitalisme français.

Dans ces conditions, parler d’une menace fasciste ne peut aboutir qu’à minimiser ou faire oublier la «menace» actuellement incomparablement plus grande et plus meurtrière de l’Etat bourgeois et des forces politiques qui sont au gouvernement de cet Etat.

On peut en trouver la démonstration dans l’appel unitaire aux manifestations des 22 et 23 juin, signé y compris par les antifascistes «radicaux» du mouvement auquel appartenait Méric: réformiste et pacifiste, cet appel s’est concrètement traduit, dans certaines villes au moins, par le slogan contre-révolutionnaire «non à la violence»!

Si une union a pu ainsi se former autour d’organisations, dites «de gauche», pro-bourgeoises (y compris le PS et les Verts ) et sur leurs bases politiques, c’est bien parce que tous, des «antifascistes radicaux» aux réformistes ouvertement pro-capitalistes, ont au fond en commun une chose essentielle:

la défense d’une forme politique particulière de l’Etat bourgeois, «démocratique», au nom de l’antifascisme.

Non, la bourgeoisie ne se prépare pas aujourd’hui à «recourir au fascisme» comme votre texte semble le dire; non elle n’envisage pas aujourd’hui «la destruction des organisations de classe du prolétariat» , d’abord pour la simple raison que de telles organisations n’existent pas; non le problème n’est pas aujourd’hui de «faire barrage au fascisme».

La bourgeoisie n’envisage le recours au fascisme, c’est-à-dire à la guerre civile, que lorsque le prolétariat devient une menace réelle pour sa domination, lorsqu’il commence à échapper au contrôle des organisations réformistes, lorsqu’il perd ses illusions dans la démocratie, la légalité et les élections, lorsqu’il se lance dans des luttes de grande ampleur, non plus seulement défensives, mais offensives, lorsqu’il commence à se rassembler dans des organisations de classe.

Aujourd’hui , malheureusement, il n’y a rien de tel; la méthode démocratique de gestion de la situation  sociale et politique marche encore à merveille pour la bourgeoisie; les organisations syndicales collaborationnistes jouissent toujours de leur influence sur la classe ouvrière (celles que la presse bourgeoise appellent sans rire les «non-réformistes» se préparent à nous refaire le coup de la pseudo-lutte contre la réforme des retraites), les travailleurs continuent encore en grande partie à participer au cirque électoral et à soutenir, bon gré mal gré, les partis réformistes «contre la droite», demain peut-être «contre l’extrême droite et les fascistes»;  et de toute façon ils hésitent même à se lancer dans des luttes défensives dures – ce qui est compréhensible étant donné le sabotage des appareils syndicaux et l’absence de véritable organisation de classe pour ces luttes.

Cette situation ne durera pas éternellement, mais si on ne veut pas tomber dans de graves erreurs politiques il faut la voir en face.

Pour des militants révolutionnaires communistes, il est impérieux de refuser et de dénoncer la «récupération politique», comme vous l’écrivez, par des forces au service de la bourgeoisie; mais on ne peut refuser la récupération qu’en refusant les erreurs d’analyse de la situation qui la rendent possible et les fausses conceptions qui la rendent inévitable.

Aujourd’hui le problème n’est donc pas de faire barrage à une menace fasciste, mais, en quelque sorte, de faire barrage à l’antifascisme démocratique !

Dit d’une autre façon et de manière plus générale, le problème est d’œuvrer à la rupture de tous les liens, de toutes les alliances, de tous les fronts, implicites ou explicites, qui, pour une raison ou pour une autre, lient les prolétaires et les militants d’avant-garde aux forces qui se font les agents de la classe dominante, et aux orientations de collaboration de classe correspondantes; car cette rupture est indispensable afin que le prolétariat puisse se réorganiser sur des bases de classe et retrouver la voie de la lutte révolutionnaire contre le capitalisme.

Ses propres amis politiques ont utilisé le cadavre de Clément Méric pour promouvoir un front avec des adversaires de l’émancipation prolétarienne; le saluer en tant que militant révolutionnaire implique non seulement de s’opposer à de tels fronts mais de combattre les orientations politiques qui y mènent:

Pas de subordination de la lutte prolétarienne au respect d’impératifs prétendument au dessus des classes mais en fait bourgeois, pas de défense «tactique» de la démocratie bourgeoise, pas d’alliance «temporaire» avec des démocrates bourgeois ou des réformistes, aucune concession «momentanée» au légalisme et au pacifisme, aucun soutien à l’Etat bourgeois et à ses institutions politiques ou autres!

 


 

(1) Les souverainistes du M’PEP publient sur leur site des articles d’une organisation d’extrême droite, le «Cercle des Volontaires» qui est proche de «Troisième Voie».

(2) cf http:// sudsciencespo. -wordpress. com/2013/06/25/clement-assassine-une-deuxieme-fois/

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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