De quelques réactions politiques à la prise du pouvoir par l’armée en Egypte

(«le prolétaire»; N° 509; Sept. - Oct. - Nov. 2013)

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Le premier août, John Kerry, le ministre des Affaires Etrangères des Etats-Unis, déclarait qu’en renversant début juillet le président Morsi, les militaires égyptiens «restauraient la démocratie», et qu’ils avaient agi «à la demande de millions et millions de personnes» (après l’échec des négociations avec les Frères Musulmans et la répression sanglante de leurs partisans, les Etats-Unis commencèrent à émettre des critiques envers le nouveau pouvoir). Mais ce ne sont pas seulement les Etats-Unis ou  les médias internationaux ni les habituels intellectuels qui bavardent sentencieusement sur ce qu’ils connaissent le moins (la situation des masses prolétariennes et leurs luttes), qui ont vu ans l’action des militaires une victoire des masses contre un gouvernement anti-démocratique, mais aussi des courants ou des partis politiques qui se disent marxistes  ou communistes!

A titre d’exemple, nous pouvons citer les trotskystes du Socialist Workers Party britannique qui, dans leur presse, écrivaient «une seconde révolution balaye un président» (1); «C’est une situation contradictoire; l’armée a effectivement arrêté le président et 77 dirigeants des Frères Musulmans. Ils sont intervenus pour se sauver d’une nouvelle révolution. Mais en même temps c’est une révolte populaire de masse. Le peuple a forcé l’armée à agir et l’armée n’a agit ainsi que parce qu’ils étaient inquiets au sujet de leur propre futur» (2).

 

L’opportunisme du Parti Communiste-Ouvrier d’Iran

 

Mais peut-être l’enthousiasme le plus grand a-t-il été manifesté par le Parti Communiste-Ouvrier d’Iran. Dans un communiqué il écrivait après le renversement de Morsi: «la révolution égyptienne a dépassé une importante étape pour la population d’Egypte, du Moyen-Orient et du monde entier. L’immense mouvement de Tamarrod qui a organisé “la plus grande manifestation de l’histoire” a poussé le gouvernement de Morsi et des Frères Musulmans à sa perte et a conduit à sa chute par l’armée. C’est le troisième gouvernement, après ceux de Moubarak et de Tantawi, qui a été renversé par la force de la Place Tahrir et de la révolution égyptienne.

Ce n’est pas seulement une importante étape dans l’affaiblissement des forces islamistes en Egypte et de pays comme l’Iran, mais, plus fondamentalement, une expression pour aller au-delà des limites de la démocratie et un coup fatal au mythe du pouvoir des urnes, c’est-à-dire du pouvoir de la bourgeoisie. Le monde entier a été témoin des dizaines de millions d’hommes et de femmes sont sortis dans les rues d’Egypte et ont directement exercé leur volonté et renversé un gouvernement (…). C’est un tournant historique qui porte le nom de révolution égyptienne» (3).

Pour le SWP comme pour le PCOI, l’armée bourgeoise (qui est la «colonne vertébrale de l’Etat égyptien» comme le rappelle pourtant le communiqué du PCOI), serait donc devenue l’expression de la «volonté directe» des masses, elle aurait été «forcée» par les masses à renverser un gouvernement, se faisant le protagoniste d’une «seconde révolution».

Le PCOI s’affirme marxiste, mais, au moment où le slogan le plus populaire était «l’armée et le peuple, une même main!», ils contribuaient à répandre le fatal mensonge réformiste selon lequel il est possible pour les opprimés d’utiliser l’Etat bourgeois (en exerçant sur lui une pression par des manifestations pacifiques) en leur faveur.

A l’inverse le rôle des marxistes est d’avertir les prolétaires que l’armée est un ennemi encore plus implacable que les Frères Musulmans, parce qu’elle est le défenseur ultime du capitalisme qui les exploite et les condamne à la misère; ils doivent combattre l’absurde illusion qu’un coup fatal puisse être porté au pouvoir de la bourgeoisie parce que son bras armé a renversé un gouvernement en violation du pouvoir des urnes!

Si le communiqué du PCOI poursuit en disant que la «révolution» doit «se confronter directement et briser la colonne vertébrale de l’Etat égyptien, c’est -à-dire l’armée», on soupçonne aussitôt que ce ne sont que des mots vides quand la phrase est suivie d’un hommage au «magnifique mouvement Tamarrod» qui aurait «renforcé les positions de la révolution égyptienne». Or, ce mouvement, dont les dirigeants ont publiquement affirmé qu’ils travaillaient à la réconciliation des révolutionnaires et des folouls (partisans de l’ancien régime), a été financé par des secteurs de la bourgeoisie égyptienne et il a été soutenu par la plupart des partis bourgeois, comme le parti de El Baradeï ou le Front de Salut National dont le président est aujourd’hui premier ministre; il a toujours été en contact avec les cercles dirigeants de l’armée et après avoir soutenu la destitution de Morsi par les militaires, il a appelé à la création de milices pour aider l’armée et la police!

L’inconsistance des positions du PCOI éclate à propos des perspectives qu’il avance: «le plus grand danger (…) est de savoir si cette révolution restera une force d’opposition [ce n’est donc pas vraiment une révolution ?] ou si le gigantesque mouvement de la Place Tahrir se transformera lui-même en pouvoir d’Etat basé sur la volonté directe de la population organisée dans ses organisations de base de masse» .

 Un pouvoir d’Etat basé sur la volonté directe de la population, c’est peut-être un idéal anarchiste, mais pour le marxisme c’est une utopie absurde: un pouvoir d’Etat est nécessairement basé sur des organisations et des structures de divers types et fondé sur une force armée. Il ne peut naître par une   transformation  indéterminée d’un mouvement d’opinion et de manifestations, mais par le démantèlement préalable du pouvoir d’Etat antérieur, par l’insurrection et la prise révolutionnaire du pouvoir. En outre, le marxisme ne connaît pas le  peuple, mais les classes sociales, qui au sein de ce peuple ont des intérêts divergents: parler de peuple, c’est vouloir cacher l’existence de ces intérêts divergents et s’opposer à la lutte des classes.

Quant aux organisations de base de masse, les seules qui existent aujourd’hui sont liées à la bourgeoisie et à l’Etat, comme Tamarrod ou les organisations syndicales!

«La Place Tharir et l’immense mouvement du peuple égyptien doit passer de l’exercice de sa volonté [le PCOI nous a dit plus haut que l’instrument de cette volonté a été l’armée bourgeoise!] pour changer les gouvernements et renverser différents représentants de la bourgeoisie, à la prise du pouvoir politique et à l’élaboration d’un nouveau système basé sur la liberté inviolable de la population, le bien-être et la dignité».

Le PCOI se garde bien de rappeler l’enseignement fondamental du marxisme selon lequel la seule voie pour renverser le capitalisme et réaliser l’émancipation du prolétariat et des masses opprimées est la lutte de classe menée jusqu’au bout, ce qui implique la création d’organisations classistes pour la lutte quotidienne (syndicats de classe, etc.), la constitution du parti de classe révolutionnaire, la prise violente du pouvoir et l’institution de la dictature prolétarienne. Au lieu de combattre grâce aux enseignements du marxisme la confusion régnant inévitablement parmi les masses mais également parmi les éléments poussés à l’avant-garde, le PCOI s’aligne par opportunisme sur cette confusion; cachant les positions marxistes, il débite les écoeurants poncifs sur la liberté, la dignité, le peuple, dénoncés par Marx et Engels il y a plus d’un siècle et demi!

 

L’orientation petite-bourgeoise des Socialistes Révolutionnaires égyptiens

 

Les Socialistes révolutionnaires sont le seul groupe égyptien connu d’extrême-gauche, et à ce titre il jouit au plan international d’une réputation de défenseur des positions marxistes dans la tempête sociale et politique qui secoue l’Egypte depuis le début du «printemps arabe».

 Malheureusement cette réputation est usurpée et les SR, liés au SWP que nous avons cité au début de cet article, ont démontré leur incapacité totale à avoir une orientation politique de classe, marxiste, et leur suivisme congénital par rapport aux courants politiques dominants.

Dans leur «letter to supporters»(4) de la mi-août, les SR affirmaient ne pas vouloir «dissimuler ou mettre de côté certains de nos principes politiques pour bénéficier temporairement d’une soutien populaire à notre discours et nos slogans. Au contraire dissimuler certains de nos slogans ou de nos positions politiques pour obtenir des résultats politiques à court terme ne serait qu’une sorte d’opportunisme  étranger aux Socialistes Révolutionnaires, qu’ils doivent absolument éviter».

Mais dans les faits, c’est l’opportunisme le plus débridé qui a caractérisé et caractérise leur politique . Ils ont soutenu des forces politiques diverses, mais toujours bourgeoises : leur seule constance est leur refus obstiné d’adopter des positions de classe! Nous allons le voir en passant rapidement en revue leurs prise de position au cours de ces dernières années.

Dans leur communiqué de condamnation du massacre du 14 août de centaines de manifestants islamistes, ils écrivaient: «les SR n’ont pas soutenu un seul jour le régime de Mohammed Morsi ni les Frères Musulmans. Nous avons toujours été à l’avant-garde de l’opposition à ce régime criminel». La réalité est un peu différente.

Selon un câble confidentiel de l’Ambassade américaine au Caire (révélé par wikileaks), dès 2008, après la vague des grèves dans les industries textiles, les SR auraient fait partie d’un front regroupant les Frères Musulmans, les Nassériens, les partis Karama et Tagammu (partis bourgeois d’oppostion parlementaire tolérés par le régime) pour une «transition vers une démocratie parlementaire» avant les élections présidentielles prévues en 2011, ce front espérant avoir le soutien de l’Armée et de la police (5).

Quoi qu’il en soit, les SR ont défendu publiquement l’orientation tracée par les dirigeants du SWP, selon laquelle des alliances avec les partis islamistes sont possibles, avec le slogan: «avec les Islamistes, parfois, avec l’Etat, jamais» (6). Et en pratique ils se sont alliés tantôt avec les uns tantôt avec l’autre...

Le 25 février 2011, une dizaine de jours après la chute de Moubarak, les SR signaient la déclaration ultra-réformiste d’une «coalition ouvrière de la révolution du 25 janvier» regroupant des «dirigeants, des figures emblématiques et d’autres personnalités liées au mouvement ouvrier» avec des représentants des Frères Musulmans, du Parti Communiste, de syndicalistes et d’ONG démocratiques. Ses deux premiers points étaient:  «1. Formation immédiate d’un Conseil présidentiel civil. 2 Départ du gouvernement provisoire et constitution d’un gouvernement composé d’organismes nationaux qualifiés et complètement indépendants de l’ancien régime jusqu’à la tenue de nouvelles élections».

Alors que la situation était soi-disant révolutionnaire, aucune revendication même vaguement de classe, ne pouvait bien évidemment être émise par un tel rassemblement comprenant des adversaires déclarés ou camouflés de la lutte ouvrière! (7). Seul les septième et huitième et dernier points faisaient une timide allusion aux intérêts prolétariens en demandant la dissolution de la centrale syndicale officielle et la réinstallation des ouvriers licenciés ainsi que la «mise en œuvre des accords internationaux relatifs aux droits économiques et sociaux de façon à pouvoir jouir des libertés syndicales et de salaires corrects (…)»

Pendant toute cette période tumultueuse, on chercherait en vain des prises de positions classistes rappelant un minimum les orientations marxistes de la part des SR., uniquement intéressés par la recherche de «résultats à court terme».

En juillet 2011 ils participèrent ainsi à l’organisation d’un vendredi d’ «union nationale» place Tharir contre le gouvernement provisoire, dans le cadre d’un «front uni» regroupant pratiquement tous les partis jusqu’à l’extrême-droite Salafiste: il s’agissait d’envoyer au «Conseil militaire le message que les forces politiques en Egypte ne peuvent être divisées», les différentes organisations ayant accepté de mettre de côté leurs divergences. Il était bien sûr impossible de prôner la lutte indépendante de classe tout en participant à un front qui comprenait des partis bourgeois, laïques ou religieux! Les manifestants Salafistes ayant profité de la manifestation pour demander l’application de la Sharia et la création d’un Etat islamiste, les partis laïques déclarèrent, dans un communiqué signé également par les SR, se retirer «au nom de leur principes pacifistes» et en signe de protestation que les «divergences» entre les participants aient été publiquement exprimées (8)!

Lors des élections présidentielles de juin 2012, les premières depuis la chute de Moubarak, les SR appelèrent à voter au second tour pour le candidat des Frères Musulmans (Mohammed Morsi); ils écrivaient dans leur déclaration, que ce serait une grave erreur de ne pas faire de différence entre le «réformisme des Frères Musulmans et le “fascisme” de Shafiq. Les Frères ont été soutenus par des millions aux élections qui aspirent (…) à une véritable démocratie». Appelant à « l’unité des révolutionnaires et des réformistes [c’est-à-dire les Frères Musulmans]», ils préconisaient la formation d’un «front national contre le candidat de la contre-révolution» et demandaient aux Frères Musulmans de former un gouvernement de coalition comprenant «tout l’éventail politique»!!! (9).

Face à l’argument qu’il n’y a pas de différence entre les généraux et les Frères Musulmans, les SR admettaient: «D’un point de vue de classe, si nous regardons leurs programmes, il n’y a pas de différences. Mais il existe une différence très importante. Les Frères Musulmans ont une base de masse – une capacité à mobiliser. (…) La base des Frères, et les masses qui les soutiennent, sont une audience pour la Gauche en Egypte. Ils sont une audience pour la révolution. Les SR ne “soutiennent” pas les Frères Musulmans. Mais dans la bataille entre les Frères Musulmans et les militaires, nous sommes sur les barricades avec les Islamistes» (10).

Donc, ce sont des réformistes qu’il faut appuyer parce qu’ils ont des millions de personnes avec eux: opportunisme, quand tu nous tiens…

Selon le marxisme, les  «réformistes» sont des adversaires de la révolution, des partisans de l’ordre établi ( les bolcheviks les qualifiaient d’agents de la bourgeoisie); mais ils réussissent à tromper les masses prolétariennes en affirmant défendre leurs revendications et en prétendant qu’elles peuvent être satisfaites par les moyens légaux et pacifiques, par de simples réformes. Il n’est pas possible d’arracher les prolétaires à leur influence par des alliances politiques avec eux (la funeste tactique du front unique politique), mais seulement par la mobilisation unitaire, à la base, pour la lutte pour ces revendications.

 Comment peut-on écrire que Morsi est réformiste et que le «fasciste» Shafiq est le candidat de la «contre-révolution», si les deux candidats ont le même programme? Et si les masses qui soutiennent les Frères Musulmans, le font sur la base d’un programme aussi réactionnaire que celui des généraux, comment peut-on prétendre que ces masses sont une audience pour la révolution?

 Mais la question la plus importante est celle-ci: est-il possible de combattre le fascisme ou la «contre-révolution», au moyen de bulletins de vote et en soutenant un parti réactionnaire? Les prolétaires n’ont-ils pas d’autre alternative que l’utilisation du mécanisme électoral bourgeois – institué pour les détourner de la lutte réelle –, et que le choix entre la peste et le choléra ? S’allier avec des partis bourgeois, religieux ou laïcs, avec comme objectif des réformes démocratiques, est une trahison complète des intérêts prolétariens et de la lutte de classe, dès que nous ne sommes plus à l’époque des révolutions anti-féodales ou anti-coloniales  (et même alors ou des alliances ponctuelles dans la lutte révolutionnaire étaient possibles, la condition était l’indépendance de classe du prolétariat).

Des millions d’Egyptiens comprirent, eux, que les élections ne pouvaient rien changer et, refusant de soutenir tant le candidat des généraux que celui des Frères Musulmans, ils s’abstinrent, donnant une leçon aux prétendus Socialistes Révolutionnaires…

Quelques mois plus tard, en novembre 2012, alors que l’impopularité des Frères Musulmans était à son comble au moment de changements constitutionnels décidés par Morsi, les SR abandonnaient leur croyance en la nature réformiste des Frères Musulmans: «Les masques de Morsi et des Frères Musulmans sont tombés (…). Ils ne sont, avec les restes de l’ancien régime, que les deux faces de la même médaille qui est la tyrannie et l’ennemie du peuple» (11) s’indignaient-ils.

Cela ne les décidait cependant pas à suivre une politique prolétarienne d’indépendance de classe; irrésistiblement attirés par la perspective d’un rassemblement interclassiste, ils appelaient à la «formation d’une nouvelle Assemblée Constituante représentant tous les secteurs de la société» et à la formation d’un «gouvernement révolutionnaire de coalition jusqu’à l’adoption d’une nouvelle constitution et l’élection d’un nouveau gouvernement»! Le mot révolutionnaire servait ici à faire passer cette proposition, monstrueuse pour qui se dit marxiste, d’un gouvernement de tous les partis, concrétisant l’union nationale que les SR ont envers et contre tout préconisée…

Au printemps 2013 les SR s’engagèrent dans la campagne Tamarrod, bien qu’ils disent aujourd’hui qu’ils savaient que participaient à cette campagne non seulement diverses forces bourgeoises et capitalistes, y compris du régime Moubarak, mais même les Mukabarat, la police secrète (12)! La campagne Tamarrod n’avait rien de révolutionnaire ni de prolétarien; c’était une collecte massive de pétitions, financée par de grands capitalistes et relayée par les médias opposés aux Frères Musulmans pour demander la démission du gouvernement Morsi; son but était de contenir dans le cadre du régime bourgeois le mécontentement généralisé causé par la politique gouvernement et la crise sociale persistante. Lors de ces manifestations les dirigeants de Tamarrod avaient demandé et obtenu qu’il n’y ait pas de drapeaux et de banderoles ouvrières. Les SR expliquent aujourd’hui que c’était une condition de l’armée: «L’armée ne voulait pas un rôle clairement visible de la classe ouvrière, elle voulait que cela soit un moment d’unité nationale, avec des drapeaux égyptiens et c’est tout. Tout le monde ensemble – les restes de l’ancien régime, les révolutionnaires, la gauche, la droite, les grands capitalistes, tous ensemble» (13).

Il est facile de comprendre que ces manifestations ouvraient inévitablement la voie au coup d’Etat militaire pour renverser Morsi. Les SR approuvèrent cette action de l’armée en la présentant comme une seconde révolution imposée aux militaires par la révolte des masses (les prises de position du SWP citées au début de cet article ont été écrites par les SR): «Al Sissi a fait le 3 juillet 2013 ce que fit avant lui Hussein Tantawi le 11 février 2011 – il acquiesça à la volonté de la foule en révolte, non par patriotisme ( !) ou par ferveur révolutionnaire, mais par peur de la révolution» (14). Selon leur analyse, les militaires allaient maintenant jouer la carte des forces de l’opposition libérale pour tenter de «faire avorter la révolution».

 En réalité les militaires avaient si peu acquiescé à la volonté révolutionnaire des masses, que, s’appuyant sur la confiance de celles-ci, ils s’employèrent aussitôt à consolider le pouvoir répressif de l’Etat, se lançant dans des massacres répétés des partisans de Morsi, nommant des représentants de l’ancien régime aux postes de gouverneurs, envoyant les soldats briser les grèves et organisant une grande campagne de propagande nationaliste, dont les réfugiés syriens et palestiniens ont été les premières victimes.

Face à cette nouvelle situation, les SR ont déclaré en août qu’il était «de la plus grande importance de relancer le projet d’un Front Révolutionnaire avec des partis qui défendent les principes, qui ne vont pas dans les bras de l’Etat et du nouveau gouvernement, ni ne sont alliés avec les Islamistes contre l’Etat, et qui adoptent le programme des revendications de la révolution et des ses buts» (14).

Ce «Front Révolutionnaire» vit le jour fin septembre. Une fois encore, on peut constater qu’il s’agit d’une initiative n’a absolument rien de prolétarien: redistribution des richesses, pleine égalité entre les individus, opposition à un régime autoritaire, jugement des crimes, politique extérieure garantissant l’indépendance nationale, tels sont ses points programmatiques. Le Front prévoit de lancer des campagnes pour une «déclaration du droit des Egyptiens» (apparemment les classiques – et bourgeois – «droits de l’homme» ne s’appliquent pas aux Egyptiens), pour la reconnaissance des droits sociaux et économiques dans la future Constitution, et pour un  «audit» sur la dette extérieure de l’Egypte afin de ne payer que celle qui a été «utilisée dans l’intérêt de l’ensemble des Egyptiens» (15).

Ce programme typiquement petit-bourgeois ne peut pas être une surprise, si on considère quels sont les groupes ou partis qui composent ce Front; outre les SR et diverses personnalités, on y trouve en effet le Parti de l’Egypte Forte, parti islamique scissionniste des Frères Musulmans, «modéré» mais cent pour cent bourgeois (qui avait obtenu 17% des voix aux élections présidentielles), le Mouvement du 6 Avril (organisation petite-bourgeoise, patriotique et pacifiste, née sur la lancée des luttes ouvrières de 2007; une partie a soutenu le coup d’Etat des militaires après avoir soutenu Morsi aux élections présidentielles), etc. D’authentiques révolutionnaires marxistes n’auraient rien à faire dans un tel front dont l’activité, si elle se concrétise, ne peut être que contraire à la lutte pour l’indépendance de classe du prolétariat.

Pour montrer ce qu’est la position marxiste, citons des extraits d’un texte de Lénine, écrit pour définir l’attitude des «social-démocrates» (lire : des communistes ou des marxistes) vis-à-vis des autres forces d’opposition. Précisons qu’alors en Russie la révolution bourgeoise contre l’ancien régime pré-capitaliste n’avait pas eu lieu ; plusieurs classes sociales étaient donc intéressées au renversement du régime semi-féodal tsariste – alors que dans l’Egypte actuelle le capitalisme est le mode de production dominant et qu’il n’y a plus de révolution bourgeoise possible ; donc des alliances partielles et limitées avec d’autres forces d’opposition représentant ces classes étaient possibles dans le cadre de la lutte contre le tsarisme – ce qui n’est plus le cas en Egypte. Précisons aussi qu’il n’existait pas encore de véritable parti et que Lénine fixait comme but au travail des révolutionnaires la formation de ce parti.

 Lénine écrit: «Tout en montrant la solidarité qui unit tels ou tels groupes d’opposition aux ouvriers, les social-démocrates mettront toujours les ouvriers au premier plan ; ils s’attacheront toujours à expliquer le caractère temporaire et conditionnel de cette solidarité ; ils souligneront toujours que le prolétariat est une classe à part qui, demain, peut se trouver opposé à ses alliés d’aujourd‘hui. On nous dira: “cette mise au point affaiblira tous ceux qui combattent à l’heure actuelle pour la liberté politique”.

Une telle mise au point, répondrons-nous, fortifiera tous ceux qui combattent pour la liberté politique. Seuls sont forts les combattants qui s’appuient sur les intérêts réels, bien compris de classe déterminées; et tout escamotage de ces intérêts de classe (…) ne fera qu’affaiblir les combattants» (17).

La politique des SR ne pourrait pas être plus éloignée des préceptes de Lénine!

 

*   *   *

 

Il n’existe historiquement pas de possibilité en Egypte d’ autre révolution que la révolution prolétarienne; et cette révolution ne pourra se limiter aux frontières du pays, elle sera partie intégrante de la révolution communiste mondiale. La crise de régime dans lequel se débat aujourd’hui le pouvoir bourgeois n’est pas encore le prologue de la révolution communiste prolétarienne; mais elle peut et doit être mise à profit par le prolétariat égyptien pour se préparer à la future lutte finale et donner un exemple aux prolétaires du monde.

Les convulsions politiques qui secouent l’Egypte depuis deux ans ont leurs racines dans la crise économique et sociale dans laquelle ce pays, plus que d’autres, est plongé. Pour sortir de sa crise le capitalisme égyptien n’a pas d’autre choix  que de s’attaquer beaucoup plus fortement aux prolétaires et aux masses déshéritées. C’est la voie qu’indiquait le FMI et que les Frères Musulmans hésitaient à suivre jusqu’au bout, non à cause de leur prétendu «réformisme», mais par crainte de déchaîner la lutte des masses prolétariennes. Incapables de fournir aux capitalistes ce qu’ils leur demandaient, les Frères Musulmans ont été balayés avec sauvagerie par les «hommes en armes» qui sont l’essence de tout Etat bourgeois. L’aide financière accordée par les pétro-monarchies aux nouvelles autorités ne peut être qu’un remède temporaire : les attaques contre le prolétariat sont plus que jamais à l’ordre du jour en Egypte, d’autant plus que les recettes du tourisme, secteur économique particulièrement important, ont dramatiquement fondu à cause des troubles récents. La lutte entre les classes ne peut par conséquent que s’intensifier et le prolétariat égyptien devra mener de dures batailles pour résister aux capitalistes. Il a déjà montré sa capacité à lutter, dès l’époque du régime de Moubarak, et la destitution de Morsi et la constitution d’un nouveau gouvernement par les militaires ne semble avoir entraîné qu’une trêve temporaire dans les grèves.

Cependant pour lutter avec succès contre un ennemi de classe implacable et ses multiples partis, pour non seulement lui résister et lui arracher quelques concessions, mais pour le renverser, il lui faudra bâtir ses propres organisations de classe, et constituer son propre parti révolutionnaire de classe.

C’est un objectif qui ne peut être immédiatement réalisé, ne serait-ce que parce qu’il implique la lutte politique préalable d’éléments d’avant-garde, à l’exemple des social-démocrates de l’époque de Lénine, contre toutes les fausses perspectives, contre les adversaires ouverts et contre les adversaires masqués, contre les militaires et les démocrates, contre les islamistes et contre les courants petits-bourgeois qui essayent de se faire passer pour des révolutionnaires, comme les SR.

Mais pour les prolétaires d’Egypte comme pour ceux du monde entier, il n’y a pas d’autre voie.

15/10/2013

 


 

(1) http://socialistworker.co.uk/ art/33814 / Second+ revolution+ brings+ down+ Egypts+ president

(2) Ibidem

(3) http://communisme-ouvrier.info/?L-avancee-historique-de-la.

A notre connaissance, le PCOI n’a pas publié d’autres communiqués sur les événements en Egypte.

(4) http://socialistworker.co.uk/art / 34144 / Egyptian+ Revolutionary+ Socialists+ letter+ to+ supporters

(5) http://wikileaks.ch/cable/2008/12/08CAIRO2572.html

C’était le compte-rendu de discussions avec un dirigeant du «Mouvement du 6 avril » de retour des USA. L’ambassade ajoutait qu’elle ne pouvait confirmer la réalité du plan exposé par ce dernier, plan qu’elle jugeait «irréaliste».

(6) http://www.sa.org.au/ index.php? option= com_k2&view= item&id= 7333: egypt-sometimes-with-the-islamists-never-with-the-state&Itemid=386

(7) http:// www.internationalviewpoint. org/spip.php?article2102.

Le PC qui, sous Moubarak, faisait partie du parti Tagammu, est implanté dans la bureaucratie syndicale; comme le Tagammu il a été hostile au mouvement de masse, aux grèves et aux manifestations qui ont fait tomber Moubarak. Les différentes ONG dépendent de financement de sources américaines. Quant aux Frères Musulmans, ils ont bien sûr toujours été opposés à la lutte de classe.

(8) http://english.ahram.org.eg/News/17654.aspx

(9) http://socialistworker.co.uk / art / 28103/Revolutionary+  Socialists+ statement+ on+ Egypts+ presidential+ elections

(10) http://www.sa. org.au/index. php?option=com_k2&view=item& id=7372:the-road-to-morsis-victory & Itemid=386

(11) http://www.socialistworker.co.uk/art/29537/No+t o+ dictatorship%2C+ no+ to+ trading+ on+ the+ revolution+ and+ the+ martyrs

(12) http://socialistworker.org/2013/09/03/the-main-enemy-is-the-state

(13) opendemocracy.net/sameh-naguib-rosemary-bechler/egypt%E2%80%99s-long-revolution-knowing-your-enemy

(14) http://socialistworker.co.uk/art/33815/ Egypt%3A+ Four+ days+ that+ shook+ the+ world

(15) http://socialistworker.co.uk / art/34144 / Egyptian+ Revolutionary+  Socialists+ letter+ to+ supporters

(16) http://www.lcr-lagauche.be / cm / index.php? view= article&id= 3023: egypte-declaration-constitutive-du-front-l-chemin-de-la-revolution-thuwar-r-&option= com_ content&Itemid=53

(17) Lénine, «Les tâches des social-démocrates russes» (1898), Œuvres, tome 2

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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