Séisme électoral?

(«le prolétaire»; N° 511; Avril- Juin 2014)

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La défaite électorale de la gauche aux dernières élections (municipales et européennes), mais surtout la progression du Front National qui a remporté quelques municipalités et qui est passé en tête aux élections européennes, ont été décrites par les médias et les état-majors politiques comme un «séisme électoral».

Le FN s’est vanté d’être devenu le premier parti de France, tandis qu’en face n’ont pas manqué de retentir une nouvelle fois les déclarations apocalyptiques sur la montée de l’extrême-droite, voire sur la menace fasciste que représenterait le score du Front National. Si les groupes dits d’extrême-gauche ont comme à l’habitude été les plus bruyants, c’est en fait pratiquement tout l’establishment politique bourgeois qui a communié dans la dénonciation du FN. Il vaut la peine de dire quelques mots de cet épisode..

 

Le FN, premier parti ouvrier?

 

Les médias ont rapporté à l’envie que le FN était devenu le «premier parti ouvrier»; selon les sociologues, 43% des ouvriers ont voté pour les listes du Front National aux élections européennes (38% des employés, 37% des chômeurs), alors qu’ils ne sont que 12% à avoir voté pour le PS et 11% pour le Front de Gauche. Chiffres à l’évidence impressionnants, mais qui, pour être jugés à leur valeur doivent être mis en rapport avec le taux d’abstention. Or celui-ci, comme nous l’avons signalé lors de chaque élection, est particulièrement élevé parmi les catégories les plus prolétariennes: 69% d’abstention parmi les chômeurs, 68% parmi les employés, 65% pour les ouvriers, 70% pour les personnes vivant dans un foyer au revenu inférieur à 1600 euros par mois!

Sur la base de ces chiffres, le nombre d’électeurs potentiels de la catégorie «ouvriers» à avoir déposé un bulletin FN lors des européennes tombe à 15%. Mais en outre les études sociologiques ont établi depuis longtemps qu’un nombre significatif de prolétaires ne sont pas inscrits sur les listes électorales, soit parce qu’ils n’en voient pas l’utilité, soit tout simplement parce qu’ils sont de nationalité étrangère: selon certaines estimations ce nombre pourrait atteindre les 20%. Les votants pour le FN ne constitueraient plus alors que 6,5% des ouvriers...

Il reste cependant que la minorité de prolétaires qui sont allés aux urnes, l’ont fait en grande partie pour voter pour le FN. Et d’après les enquêtes à la sortie des urnes, les électeurs du FN, auraient été avant tout motivés par la question de l’immigration. Ce vote FN est donc non seulement un reflet de la domination politique bourgeoise en général sur le prolétariat (cette domination s’exerce aussi et surtout par le canal des autres partis et organisations, de droite ou de gauche, ouvertement pro-capitalistes ou collaborationnistes) - domination politique qui est inévitable tant que la domination économique capitaliste ne commence pas être ébranlée par les luttes; elle reflète aussi plus particulièrement le poids de la concurrence, loi suprême sous le capitalisme, qui dresse les prolétaires les uns contre les autres en leur faisant voir comme leur premier adversaire, non le patron, mais le prolétaire d’un autre statut, d’une autre usine ou d’une autre nationalité.

 Expulsons les travailleurs étrangers et le chômage disparaîtra, répète l’extrême-droite depuis des décennies. Dans une période de crise dont on ne voit pas la fin et en l’absence de toute lutte prolétarienne d’ampleur contre le capitalisme, ce genre de propagande, qui est en réalité reprise par tous les partis bourgeois, ne peut pas ne pas rencontrer un écho parmi les prolétaires de toute l’Europe, où pratiquement partout les partis xénophobes, nationalistes ou ouvertement racistes et d’extrême-droite ont remporté des succès retentissants.

 

Le FN, bouée de secours de la démocratie bourgeoise

 

Le FN est donc devenu de plus en plus une force irremplaçable pour redonner vigueur à la démocratie bourgeoise et à son mécanisme électoral. On peut déjà en trouver une preuve dans le fait que les électeurs du FN s’abstiennent moins que le reste des électeurs, qu’ils ont donc plus confiance dans les urnes pour «s’exprimer» (ils ne sont dépassés sur ce terrain que par les électeurs obstinés du PCF, de moins en moins nombreux il est vrai, et par ceux de l’UDI).

 Mais l’essentiel est ailleurs: depuis trente ans, le FN a servi à ramener dans le giron de la gauche, et en général dans le cirque électoral, les prolétaires désillusionnés par la politique pro-capitaliste des partis et organisations réformistes. Aujourd’hui où la politique anti-ouvrière du gouvernement de gauche est plus évidente qu’elle ne l’a jamais été, où le discrédit touche à un degré sans précédent depuis longtemps les divers partis qui se sont succédé au pouvoir, les succès électoraux du FN constituent, en dépit des apparences, non seulement une puissante bouffée d’oxygène pour les partis de gauche qui vont essayer de trouver là un nouveau motif pour rameuter leurs partisans, mais aussi une bouée de secours pour un mécanisme électoral démocratique menacé de désaffection..

Dans les mois et années qui viennent les électeurs, et surtout les prolétaires, seront appelés à se rendre en rangs serrés aux urnes pour «faire barrage» au FN, en mettant de côté les luttes et manifestations pour la défense de leurs intérêts de classe. De l’autre côté le FN les appellera également aux urnes, mais cette fois pour s’opposer à la collusion droite-gauche et soutenir une politique nationaliste et xénophobe présentée comme la seule à même de défendre leur situation.

 

La signification de l’abstention

 

Si l’importance régulièrement croissante de l’abstention parmi les prolétaires n’implique pas encore l’adhésion à une politique révolutionnaire, elle signifie néanmoins que le cirque électoral bourgeois, institué et entretenu expressément pour détourner de la lutte révolutionnaire de classe, perd irrésistiblement de son influence sur les prolétaires à mesure que se dégradent leurs conditions de vie et de travail et que pleuvent les attaques capitalistes. La croyance dans les vertus du bulletin de vote, la confiance dans les politiciens bourgeois de droite ou de gauche et dans les institutions démocratiques représentatives, s’affaiblissent inexorablement en même temps que s’accroît le fossé entre les classes.

Cet affaiblissement représente un danger potentiel pour l’ordre capitaliste. Il y a quelques années l’apparition de «nouveaux» acteurs du théâtre politique bourgeois, les groupes d’«extrême» gauche, a paru un temps constituer un remède à la désaffection prolétarienne envers ce jeu truqué: qu’on se rappelle un Besancenot se félicitant d’avoir ramené dans le chemin des urnes nombre de jeunes des turbulentes banlieues ouvrières qui l’avaient déserté. Mais en liant leur sort aux élections, ces groupes ont rapidement connu la même désaffection que les grands partis réformistes qu’ils faisaient mine de combattre. Il est donc bien naturel qu’ils s’inquiètent, eux aussi, de la poussée de l’abstention.

C’est Lutte Ouvrière, pour qui les élections sont l’alpha et l’oméga de la lutte politique, qui s’est le plus occupé dans sa presse de l’abstentionnisme; pour elle, l’abstention est un «geste de protestation, certes, mais signe aussi d’une profonde désorientation, d’une perte de boussole politique. Une expression politique, certes, mais passive».

Certes, le rédacteur de LO reconnaît bien que, du point de vue de la classe ouvrière, «la quasi-totalité des votes sont cependant passifs. Le seul choix que dans les institutions bourgeoises les élections laissent aux électeurs travailleurs, c’est de se prononcer entre différentes variantes d’une politique bourgeoisie». La quasi-totalité, mais pas tous! Nous avons compris qu’il existe un vote non passif, celui pour LO; hélas! «ce courant n’est pas assez crédible: l’électorat qui s’est détourné du jeu des partis de l’alternance s’est abstenu, plutôt que de voter pour lui. Face à l’électorat petit-bourgeois, réactionnaire ou réformiste, attirant des franges de l’électorat ouvrier, le gros de ce dernier, ne se sentant plus représenté, se détourne de la politique et s’abstient» (1). C’est dit on ne peut plus clairement: s’abstenir aux élections (et refuser de voter LO), c’est se détourner de la politique! En réalité si, comme nous l’avons dit, s’abstenir n’est pas nécessairement ni automatiquement adhérer à la politique révolutionnaire, c’est déjà se détourner, sans doute momentanément et partiellement, de la politique bourgeoise. Mais pour le crétinisme électoral à la LO, s’abstenir c’est même faire le jeu de la droite: «l’abstention, moyen trouvé par l’électorat populaire lors des municipales pour exprimer son écœurement de la politique du gouvernement socialiste, a pu être récupérée par la droite pour s’emparer de mairies» (2).

Perdre des mairies, voilà qui est intolérable pour des adeptes du socialisme municipal, cette serre chaude du réformisme! «en s’abstenant, l’électeur a certes désavoué la gauche au pouvoir mais ce sont les partis de droite qui en tirent profit»; or «il ne faut pas laisser la droite et l’extrême droite profiter du désaveu d’un gouvernement de gauche». Par conséquent, «la seule façon pour l’électorat ouvrier de rejeter ce chantage [à la victoire de la droite] est, non pas de s’abstenir, mais de voter pour une politique qui représente vraiment ses intérêts!» (3).

Le raisonnement est des plus boiteux, mais il montre à nouveau, si besoin était, que pour LO la politique se résume en définitive aux joutes électorales, à la conquête de mairies, et qu’elle se considère comme faisant partie de cette gauche qu’elle affecte de dénoncer (et avec laquelle elle avait passé des accords électoraux aux municipales précédentes) (4).

 

Préparer le séisme social

 

Le prolétariat ne peut ni ne pourra jamais se défendre sur le terrain électoral, il ne pourra jamais faire avancer ses intérêts de classe grâce aux urnes.

Pour résister à la pression toujours croissante du capitalisme, pour combattre les attaques incessantes des gouvernements successifs et de l’Etat au service des patrons, il faut tourner le dos au cirque électoral, refuser d’entrer dans ce jeu truqué pour se placer sur le terrain de la lutte ouverte. Ce sera encore plus vrai lorsque la bourgeoisie se tournera effectivement vers des alternatives de type fasciste, ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui où le système démocratique réussit toujours, même si c’est avec une efficacité qui tend à se réduire, à paralyser les prolétaires.

Sur le terrain de l’affrontement direct entre les classes, les forces potentielles du prolétariat, classe dont l’exploitation est indispensable au capitalisme, sont immenses car c’est son travail qui est la source de pratiquement toutes les richesses sociales. Quand, rompant non seulement avec les illusions électorales, mais aussi avec les forces du collaborationnisme de gauche ou d’extrême-gauche et s’organisant sur des strictes bases de classe, le prolétariat s’engagera sur le terrain de la lutte classe contre classe, alors sonnera l’heure non plus des sempiternels séismes électoraux, mais du séisme social: la révolution communiste.

Pour préparer dans la mesure des possibilités réelles cette perspective grandiose, il n’y a pas d’autre voie que de travailler à la reconstitution du parti de classe international sur la base de la lutte programmatique, politique et pratique contre tous les adversaires du prolétariat se présentant comme ses amis - du réformisme classique à l’extrême gauche petite-bourgeoise - et pour la solidarité et l’union internationale des prolétaires.

 


 

(1) cf Lutte de classe n° 159 (avril 2014)

(2) cf Lutte de classe n° 160 (mai-juin 2014)

(3) cf Lutte de classe n° 159.

(4) LO n’hésite ainsi pas à écrire que le PCF, héritier de la contre-révolution stalinienne, défenseur intraitable de l’impérialisme et de l’ordre bourgeois, contribue à «maintenir», «dans les milieux populaires», «des références, même imprécises, souvent lointaines et édulcorées, des idées communistes»! cf LO n°2383 (4:4/2014).

 

(Les chiffres électoraux sont tirés des études Ipsos et Ifop: http://www.ipsos.fr/ipsos-public-affairs/actualites/2014-05-25-europeennes-2014-comprendre-vote-francais et www.ifop.com/media/poll/2670-1-study_file.pdf)

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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