A propos du 8 mars, «la journée de la femme»

(«le prolétaire»; N° 512; Juillet- Septembre 2014)

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Sur le n° 510 du Prolétaire, nous avons publié un article intitulé: «Le 8 mars, journée prolétarienne et communiste». Nous voulions rappeler que le 8 mars, devenu aujourd’hui la banale «journée de la femme», était en réalité née comme une journée prolétarienne, anti-bourgeoise, avant d’être récupérée et célébrée rituellement par les bourgeois, les démocrates et les médias capitalistes du monde entier.

Un lecteur nous a signalé que l’origine de cette journée, telle que nous l’avions exposée en suivant les explications habituelles, ne correspond pas à la réalité: la journée internationale n’a en effet pas pu être décidée en 1910 à la mémoire des 129 ouvrières qui avaient péri en 1908 dans l’incendie de leur usine new-yorkaise, pour la bonne raison que cet épouvantable incendie où périrent probablement 146 personnes, pour l’essentiel des ouvrières immigrées italiennes, eut lieu le 25 mars 1911!

Les recherches sur l’origine du 8 mars montrent qu’une série d’affabulations à ce sujet ont été diffusées par les organisations staliniennes à partir des années cinquante: l’existence même d’une grève violemment réprimée d’ouvrières new-yorkaises de la confection le 8 mars 1857, qui aurait été citée par la presse du PCF en 1955 comme étant à l’origine de cette journée, est rejetée par la plupart des auteurs à cause de l’absence de tout document sur cet événement. De même la réalité d’une grève d’ouvrières (et non l’incendie d’une usine) en mars 1907 à New-York qui est parfois citée comme l’origine véritable du 8 mars, est également mise en doute.

En août 1910, lors de la deuxième Conférence internationale des femmes socialistes qui se tenait à Copenhague juste avant le Congrès de la Deuxième Internationale, la socialiste allemande Clara Zetkin fit la proposition de l’organisation d’une journée internationale des femmes, en prenant exemple sur ce que faisait le Parti Socialiste Américain. Ce dernier avait été encouragé dans cette voie (1) par la Première Conférence, organisée à l’initiative de Zetkin en 1907, en marge du Congrès de Stuttgart. Mais aucune date précise n’avait été fixée pour cette journée internationale. En 1912 des meetings de femmes social-démocrates se tinrent dans toute l’Allemagne le 12 mai (2). En 1913 des manifestations de femmes socialistes eurent lieu le 9 mars (date choisie en mémoire de la Commune de Paris) en Autriche, Hollande, Suisse et Allemagne, tandis que des meetings avaient déjà été organisés le 2 mars en Russie (Saint Petersburg) et en Allemagne (3). En 1914 une «grande manifestation internationale» fut organisée le 9 mars à Paris par le parti socialiste (4) alors que des manifestations et meetings avaient eu lieu le dimanche 8 mars en Allemagne et dans d’autres pays. La guerre mit fin provisoirement à ses manifestations; mais le 8 mars 1917 des ouvrières du textile de Saint Petersburg décidèrent de se mettre en grève le 8 mars, pour la Journée Internationale des Femmes, bien que l’organisations locale du parti bolchevik ait considéré l’initiative comme trop risquée, prévoyant seulement des distributions de tracts et des réunions. En fait cette grève spontanée et la manifestation des ouvrières (rejointes par des milliers de leurs camarades masculins) allait constituer le début de la révolution russe (5).

Après la guerre et l’établissement du pouvoir prolétarien en Russie, une résolution de la Deuxième Conférence Internationale des Femmes Communistes, réunie à Moscou en juin 1921 à la veille du Troisième Congrès de l’Internationale Communiste, décida d’adopter définitivement le 8 mars comme date de la «Journée internationale de l’ouvrière» en hommage à l’action des ouvrières de Saint Petersburg (6).

Si l’histoire réelle des origines du 8 mars n’est donc pas conforme à ce que nous avions écrit dans notre article, il reste que cette journée était bien initialement une «journée prolétarienne et communiste», une journée de lutte de classe avant qu’elle se transforme en ce qu’elle est devenue aujourd’hui, une journée purement démocratique, une mascarade inoffensive pour l’ordre bourgeois. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

 


 

(1) cf Meredith Tax, «The Rising of Women», Monthly Review Press, New-York - London 1980, p. 185.

(2) cf Bulletin périodique du Bureau Socialiste International, n° 10 (4e année), Minkoff Reprint, Genève 1979.

(3) cf Bulletin... n°11, ibidem.

(4) cf L’Humanité, 8/3/1914. Consultable en accès libre sur gallica.bnf.fr. Le meeting était présidé par Louise Saumoneau, dirigeante du Groupe des Femmes Socialistes – un poste dont elle démissionna à la fin de l’année à la suite de son opposition à l’orientation pro-guerre du Groupe. Bien qu’elle ait été après-guerre parmi les dirigeants du «Comité pour la troisième Internationale», Saumoneau fit partie au Congrès de Tours de la minorité de droite qui refusa l’adhésion au Parti Communiste.

(5) cf Trotsky, «Histoire de la révolution russe», Tome 1, p. 143, Ed. du Seuil 1967. Dans l’ancien calendrier tsariste en vigueur avant la révolution, cette date est le 23 février, et la révolution est dite «de février».

(6) Le compte-rendu des travaux de cette Conférence a été publié sur le journal quotidien (en français) édité à l’occasion du Congrès, Moscou, organe du 3e Congrès de l’Internationale Communiste, n°16, 17, 18, 19, 20 et 21 (12 au 19 juin 1921), reprint Feltrinelli 1967. Pour réfuter l’allégation très répandue selon laquelle la date du 8 mars aurait été fixée par un «décret de Lénine», il n’est peut-être pas inutile de préciser que ni Lénine, ni Zinoviev ne purent assister à la Conférence.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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