Petit dictionnaire des clous révisionnistes

Activisme (2)

Battaglia Comunista  n°7 (13e année, 4-17 avril 1952)

(«le prolétaire»; N° 513; Octobre- Novembre 2014)

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Il faut insister sur ce thème (1). Tout comme certaines infections sanguines qui provoquent toute une série de maladies, y compris menant à l’asile d’aliénés, l’activisme est une maladie du mouvement ouvrier qui requiert un traitement permanent.

L’activiste prétend toujours avoir une connaissance parfaite des circonstances de la lutte politique et être «à la hauteur de la situation»; mais, exagérant énormément les potentialités des facteurs subjectifs de la lutte de classe, il est en réalité incapable de faire une analyse réaliste des rapports de forces. Il est donc naturel que les malades de l’activisme réagissent aux critiques en accusant leurs adversaires de sous-évaluer les facteurs subjectifs et de réduire le déterminisme historique à un mécanisme automatique, ce qui est l’argument classique de la critique bourgeoise du marxisme.

C’est pourquoi nous avons dit au point 2 de la partie IV des «Bases pour l’organisation»: «Selon la juste acception du déterminisme historique, il faut considérer que, alors que le développement du mode de production capitaliste dans chaque pays et sa diffusion sur toute la terre se poursuit sans trêve ou presque sur les plans techniques, économiques et sociaux, les forces respectives des classes en conflit dépendent au contraire des vicissitudes de la lutte historique générale, des batailles perdues ou gagnées et des erreurs de méthode stratégique» (2).

Cela revient à dire que selon nous la reprise du mouvement ouvrier révolutionnaire ne coïncide pas uniquement avec les poussées engendrées par les contradictions du développement économique et matériel de la société bourgeoise; cette dernière peut connaître des crises très graves, des contrastes violents, des effondrements politiques, sans que pour autant le mouvement ouvrier se radicalise sur des positions extrêmes, révolutionnaires. Autrement dit, il n’existe pas d’automatisme dans les rapports entre économie capitaliste et parti prolétarien révolutionnaire.

Il peut arriver, comme c’est le cas aujourd’hui, que le monde économique et social bourgeois subisse des secousses formidables, donnant lieu à de violents affrontements, sans que le parti ait la possibilité d’élargir son activité, sans que les masses plongées dans l’exploitation la plus atroce et dans des tueries fratricides, réussissent à démasquer les agents opportunistes qui lient leur sort aux querelles impérialistes, sans que la contre-révolution relâche son étreinte de fer sur la classe dominée, sur la masse des non-possédants.

Dire: «Il existe une situation objectivement révolutionnaire, mais il manque le facteur subjectif de la lutte de classe, le parti révolutionnaire», c’est faire erreur sur toutes les étapes du processus historique, c’est proférer un pur non sens, une absurdité grossière. C’est le contraire qui est vrai: dans n’importe quelles circonstances, même les plus périlleuses pour la domination bourgeoise, même quand l’appareil d’Etat, la hiérarchie sociale, l’ordre politique bourgeois, les syndicats, les moyens de propagande, bref quand tout semble sur le point de s’effondrer, la situation ne peut devenir révolutionnaire, mais elle deviendra même à tous les effets contre-révolutionnaire, si le parti révolutionnaire de classe fait défaut, s’il est mal formé, s’il est hésitant sur le plan théorique.

Une situation de crise profonde de la société bourgeoise est susceptible de déboucher sur un mouvement de renversement révolutionnaire quand «les classes supérieures ne peuvent plus, et les classes inférieures ne veulent plus vivre comme par le passé» (Lénine, La Maladie infantile...), c’est-à-dire quand la classe dirigeante n’arrive plus à faire fonctionner son appareil d’oppression et de répression, et que la majorité des travailleurs a «parfaitement compris la nécessité de la révolution» (Lénine, ibidem). Mais cette conscience des travailleurs ne peut s’exprimer que dans le parti de classe, qui est en définitive le facteur déterminant de la transformation de la crise bourgeoise en bouleversement révolutionnaire de toute la société. Il est nécessaire qu’existe un organe de pensée et d’action révolutionnaire collective qui entraîne et éclaire la volonté subversive des masses pour que la société sorte du marasme dans lequel elle est plongée, ce que la classe dominante est incapable de faire parce qu’elle est incapable de découvrir les formes nouvelles aptes à libérer les forces productives et à les diriger vers de nouveaux développements. Le «ne plus vouloir vivre comme par le passé» des masses, c’est-à-dire leur volonté de lutte, leur désir d’agir contre l’ennemi de classe, présupposent la cristallisation, parmi l’avant-garde prolétarienne appelée à jouer le rôle de guide des masses révolutionnaires, d’une solide théorie révolutionnaire. Dans le parti, la conscience précède l’action, à la différence ce qui se passe dans les masses et chez les individus.

Mais si nous affirmons ces positions ni nouvelles, ni rénovées, serait-ce parce que nous voudrions remplacer le parti révolutionnaire par un cénacle de penseurs, de théoriciens observateurs de la réalité sociale? Absolument pas. Au point 7 de la partie IV des Bases pour l’organisation de 1952, il est écrit: «bien que peu nombreux et n’ayant que peu de liens avec la masse du prolétariat, et bien que toujours jalousement attaché à sa tâche théorique comme une tâche de premier plan, le parti refuse absolument d’être considéré comme un cercle de penseurs ou de simples chercheurs en quête de vérités nouvelles, ou qui auraient perdu la vérité d’hier en la considérant comme insuffisante...». Difficile d’être plus clair!

La transformation de la crise bourgeoise en guerre de classe et en révolution présuppose la désagrégation matérielle de l’assise sociale et politique du capitalisme; mais ceci n’est possible, même potentiellement, que si la majorité des travailleurs est gagnée ou influencée par la théorie révolutionnaire incarnée dans le parti, théorie qui ne s’improvise pas sur les barricades. Cette théorie se formerait-elle alors dans le silence des cabinets de travail de chercheurs coupés des masses? Il est facile de répondre à cette stupide accusation lancée par les enragés de l’activisme. Le travail infatigable et assidu de défense du patrimoine théorique et critique du mouvement, l’effort quotidien pour immuniser le mouvement ouvrier contre les poisons du révisionnisme, l’explication systématique à la lumière du marxisme des formes les plus récentes d’organisation de la production capitaliste, la réfutation des tentatives de l’opportunisme pour faire passer ces «innovations» pour des mesures anticapitalistes, etc., tout cela c’est une lutte, une lutte contre l’ennemi de classe, une lutte pour éduquer l’avant-garde révolutionnaire et, si on veut, une lutte active quoique non activiste.

Alors que tout le gigantesque appareil de propagande bourgeois est occupé du matin au soir, non pas tant – notons-le – à réfuter les thèses révolutionnaires, qu’à démontrer qu’il est possible d’arriver aux revendications socialistes en suivant une voie opposée à celle de Marx et de Lénine, et que non seulement des partis politiques, mais des gouvernements constitués, jurent de gouverner, c’est-à-dire d’opprimer les masses, au nom du communisme, croit-on vraiment que le difficile et pénible travail de restauration critique de la théorie révolutionnaire ne soit qu’un travail purement théorique? Qui oserait dire que ce n’est pas aussi un travail politique, une lutte contre l’ennemi de classe? Seuls ceux qui sont possédés du démon de l’action activiste peuvent le prétendre. En oeuvrant dans sa presse, dans ses réunions, dans les discussions d’usine, à libérer la théorie révolutionnaire des déformations inouïes provoquées par les contaminations opportunistes, notre mouvement, si réduit en nombre qu’il soit, accomplit ainsi une tâche révolutionnaire, il travaille pour la révolution prolétarienne.

Il est absolument faux de dire que nous concevons la tâche du parti comme étant une «lutte d’idées». Le totalitarisme, le capitalisme d’Etat, la défaite de la révolution socialiste en Russie, ne sont pas des «idées» auxquelles nous opposerions les nôtres: ce sont des phénomènes historiques réels qui ont brisé les reins du mouvement ouvrier en le conduisant sur le terrain miné de la lutte de partisans antifascistes ou profascistes, de l’union nationale, du pacifisme, etc.

Ceux, même peu nombreux et se tenant à l’écart des clameurs de la «grande politique», qui mènent un travail d’interprétation marxiste de ces phénomènes réels et de la confirmation qu’ils apportent, malgré eux, aux prévisions marxistes (et il ne nous semble pas qu’une étude sérieuse de ces problèmes existe en dehors des exposés fondamentaux de notre revue Prometeo, comme en particulier l’étude sur Propriété et Capital) (3), ceux-là font assurément un travail révolutionnaire, parce qu’ils fixent dès aujourd’hui l’itinéraire et le pont d’arrivée de la Révolution prolétarienne.

Pour devenir effective, la reprise du mouvement révolutionnaire n’a pas besoin de la crise du système capitaliste, en tant qu’éventualité potentielle: la crise du mode de production capitaliste est en acte; la bourgeoisie a déjà parcouru toutes les phases possibles de son cycle historique, le capitalisme d’Etat et l’impérialisme étant la limite extrême de son évolution. Mais les contradictions fondamentales de son système n’ont pas disparu, elles s’aggravent au contraire. Si la crise du capitalisme ne se transforme pas en crise révolutionnaire de la société, en guerre de classe révolutionnaire, si la contre-révolution reste triomphante bien que le chaos capitaliste augmente, c’est parce que le mouvement ouvrier est encore écrasé sous le poids des défaites subies depuis trente ans à cause des erreurs stratégiques commises par les partis communistes de la Troisième Internationale, erreurs qui ont conduit le prolétariat à faire siennes les armes de la contre-révolution. La reprise du mouvement révolutionnaire n’a pas encore eu lieu parce que la bourgeoisie, procédant à des réformes audacieuses dans l’organisation de la production et de l’Etat (capitalisme d’Etat, totalitarisme, etc...) et semant le doute et la confusion, a réduit en miettes, non pas les bases théoriques et critiques du marxisme qui restent intactes et inattaquables, mais la capacité des avant-gardes prolétariennes à les appliquer correctement à l’analyse de la phase bourgeoise actuelle.

Dans de telles circonstances de confusion théorique, le travail de restauration du marxisme contre les déformations opportunistes est-il un simple travail intellectuel? Non, c’est une lutte active, effective et conséquente contre l’ennemi de classe.

L’activisme fanfaron prétend faire tourner la roue de l’histoire avec des tours de valse réglés au son de la symphonie électorale. C’est une maladie infantile du communisme, mais qui prolifère aussi à foison dans les asiles de vieillards où végètent les... retraités du mouvement ouvrier. Qu’ils reposent en paix...

 


 

(1) La première partie de cet article d’Amadeo Bordiga a été publié sur le n° précédent du Prolétaire.

(2) Les «Bases pour l’organisation (1952)» ont servi de document de séparation avec le courant Daméniste. Elles ont été publiées ensuite, avec quelques modifications mineures de rédaction, comme «Thèses caractéristiques du parti». cf «Défense de la continuité du programme communiste», Textes du Parti Communiste International n°7.

(3) «Propriété et Capital» a été republié in extenso sur les n° 97 à 101 de Programme Communiste

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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