La signification anti-prolétarienne de lunion nationale

(«le prolétaire»; N° 514; Décembre 2014 - Février 2015)

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Les attaques contre «Charlie Hebdo» et contre une supérette kasher, et l’émotion qu’elles ont suscitées ont servi à une incroyable orgie d’union nationale; ainsi l’ont voulu et organisé non seulement le gouvernement (transports gratuits à Paris pour aller à la manif du dimanche, mobilisation des services de l’Etat, etc.), mais tous les grands partis politiques et syndicats (1), les associations les plus diverses, y compris patronales, etc.

Le thème officiel de cette mobilisation d’une envergure sans précédent depuis bien longtemps, était la défense de la liberté de la presse et de la liberté d’expression, qui auraient été l’objectif des 3 Islamistes.

Que la défense de la liberté d’expression n’ait été qu’un prétexte est illustré par le fait que des poursuites ont par la suite été engagées tous azimuts pour apologie de terrorisme, le ministre de la justice Taubira, oubliant ses déclarations en faveur de l’indépendance de la justice, donnant aux tribunaux des consignes de «fermeté»: des peines de prison ont été ainsi distribuées à des ivrognes, des enfants emmenés au poste de police (sur dénonciation de professeurs ou de parents), comme cet enfant – arabe! – de 8 ans à Nice avec l’approbation de la ministre de l’Education Nationale, pour des propos tenus en classe, un syndicaliste mis à pied (2), etc. Le gouvernement a annoncé des mesures pour mieux contrôler l’internet (en réalité pour officialiser un contrôle qui existe déjà, comme l’affaire Snowden l’avait montré): la «liberté d’expression» n’est tolérée sous le capitalisme que dans la mesure où elle ne gêne pas les intérêts ou la politique des bourgeois, mille exemple sont là pour le démontrer s’il le fallait.

Nous nous sommes trouvés en fait devant une véritable campagne de mobilisation guerrière, de même nature que celle qui a eu lieu en août 14, l’ennemi étant cette fois non un autre Etat menaçant la «patrie», mais le «terrorisme islamique» (beaucoup comprenant: l’Islam) s’attaquant à «nos» valeurs et «notre» mode de vie. Partant d’une attaque criminelle qui suscitait spontanément l’indignation, elle s’est appuyée sur les toujours puissants réflexes d’union nationale et de patriotisme diffusés en permanence par tous les médias et toutes les institutions bourgeoises, à commencer par l’Ecole (ce n’est pas un hasard si les dirigeants politiques insistent sur le rôle de l’Ecole pour «combattre le terrorisme» et inculquer les dites «valeurs républicaines» aux enfants!). En font foi non seulement le fait que dans de nombreuses villes les manifestations se sont achevées ou ont commencé devant des monuments aux morts des guerres passées, que les politiciens aient répété sur tous les tons que «nous» sommes en guerre et que «le peuple français» (!) avait été «la cible d’une agression» (Hollande) ou que les forces de l’ordre bourgeois aient fait partie des héros de la mobilisation «citoyenne»; mais aussi l’appel à mettre de côté les divisions politiques et sociales pour réaliser une véritable union sacrée comme il y a cent ans; pour ne donner qu’un exemple, Hollande a ainsi appelé les syndicats à prendre exemple sur cette union nationale (comme s’ils ne la pratiquaient pas depuis bien longtemps dans les faits en s’opposant à toute action classiste!).

Et le gouvernement n’a pas perdu de temps pour utiliser ce climat en soutien des guerres que mène en ce moment l’impérialisme français, ou auxquelles il participe, de l’Afrique au Moyen-Orient. Lors de l’appareillage à la mi-janvier du porte-avions nucléaire français et de son groupe aéronaval vers l’Océan Indien pour une «mission contre le terrorisme», Hollande a annoncé, dans son discours de salut aux militaires, une réduction des économies sur le budget de la Défense; la multiplication des «opérations extérieures» coûte en effet cher, ainsi que la mobilisation massive de soldats en France après les attaques: plus de dix mille soldats engagés aux côtés des 5000 gendarmes et policiers, soit le tiers des effectifs de l’armée, une mobilisation jamais vue depuis la guerre d’Algérie! Des économies devront être trouvées ailleurs pour financer ces dépenses, et comme on peut s’en douter, ce seront les budgets sociaux, ceux relatifs aux prolétaires, qui seront au final réduits.

Mais ce n’est pas la seule ni la principale façon dont les prolétaires payeront la note de l’orgie d’unité nationale.

Cette formidable campagne d’union nationale est fondamentalement anti-prolétarienne: les prolétaires ne peuvent se défendre contre l’exploitation et l’oppression bourgeoises, s’ils font alliance avec cette dernière; ils ne peuvent combattre l’ordre capitaliste s’ils acceptent de reconnaître sa défense comme l’objectif suprême.

Que sont en effet les appels à dépasser les «divisions entre français», sinon des appels à mettre de côté les oppositions de classe pour défendre cet ordre établi capitaliste?

Quelles sont leurs conséquences immédiates, sinon de creuser encore davantage le fossé existant entre prolétaires français de souche et prolétaires d’origine étrangère – et surtout arabe –, qui est l’un des moyens les plus utilisés par la bourgeoisie française pour paralyser le prolétariat?

Les prolétaires immigrés ou d’origine immigrés ont tout de suite compris que ces événements allaient accroître la méfiance, les attaques et le harcèlement policier à leur égard; c’est la raison pour laquelle ils ont été peu nombreux à répondre à la mobilisation collective (et non pas parce qu’ils nourrissaient des sympathies envers les assaillants de Charlie-Hebdo, même s’ils savent que les attaques contre l’Islam dont ce journal s’était fait une spécialité, font partie intégrante de l’oppression particulière à laquelle ils sont soumis). Dans les faits plus d’une centaine d’actes «anti-musulmans» (selon la terminologie officielle pour qui musulman et arabe sont des termes synonymes) ont été recensés dans les 15 jours qui ont suivi les attaques, soit autant que pour toute l’année 2014, sans que cela suscite de grandes réactions de la part des autorités.

Tout cela va rendre sans aucun doute un peu plus difficile encore la reprise de la lutte de classe, de la lutte prolétarienne contre le capitalisme et son Etat. Mais ce sont les contradictions du capitalisme qui pousseront inexorablement les masses prolétariennes à la lutte. Les bourgeois en sont bien conscients; c’est pourquoi, non seulement ils ont et ils auront recours à l’antidote des campagnes d’union nationale, du dressage scolaire, de l’embrigadement des jeunes dans un nouveau service national ou du bourrage de crâne d’un «islam modéré à la française», mais aussi à la répression ouverte quand c’est nécessaire.

 Les prolétaires ne doivent en effet pas s’y tromper: les milliers de militaires mobilisés, les plans vigipirate perpétuellement renforcés, les mesures judiciaires et policières aggravées, la guerre au terrorisme en un mot, ne visent pas une poignée de tueurs islamistes; ils ne cherchent pas à «rassurer» la population. En dernière analyse ce sont les prolétaires, les éternelles «classes dangereuses» (comme on les appelait au dix-neuvième siècle), qu’on veut intimider, c’est à leur intention que l’on fait ces démonstrations de force.

Pour les bourgeois, le danger suprême à conjurer n’est pas constitué par des attaques meurtrières mais individuelles de «djihadistes»; le danger qu’ils redoutent, c’est la révolte des prolétaires qu’ils exploitent journellement dans leurs bagnes capitalistes, révolte non dévoyée dans des impasses religieuses réactionnaires, mais s’exprimant sur le terrain social et politique de la lutte collective et de l’affrontement ouvert entre les classes; seuls les prolétaires détiennent en effet la force potentielle de mettre définitivement fin à la domination de la classe bourgeoise parce que c’est sur leur exploitation que cette dernière se nourrit et qu’elle édifie sa société. Lorsque cette révolte deviendra menaçante, djihadistes et bourgeois démocrates, chrétiens ou athées, plus anti-ouvriers les uns que les autres, s’uniront pour l’empêcher.

Mais les prolétaires pourront triompher de tous leurs ennemis dès qu’ils auront retrouvé la force de rompre toutes les unions nationales pour s’unir, s’organiser et entrer en lutte, sur des bases exclusives de classe.

Alors, comme disait le Manifeste du Parti Communiste, les bourgeois trembleront à l’idée de la révolution communiste!

 

 


 

(1) L’appel aux manifestations du 11 janvier pour la défense des «valeurs de la République» a été signé par le PS, l’UMP, l’UDI (centristes), le MODEM, le PCF, les Verts, PG de Mélenchon, ainsi que les grands syndicats CFDT, CGT, FSU, etc. Par ailleurs un communiqué uniquement syndical affirmant se joindre «au mouvement citoyen et républicain» (c’est-à-dire interclassiste et bourgeois), et appelant «le monde du travail» à participer aux manifestations au nom de la défense de «la Démocratie, la République, la Paix les Libertés de pensée et d’expression» était signé par la CGT, la CFDT, la FSU, CFTC, la CGC, l’UNSA et Solidaires (SUD). Solidaires se glorifie de ne pas avoir signé le premier communiqué et de dénoncer l’unité nationale entre exploiteurs et exploités; mais dans les faits il a bel et bien appelé à cette union nationale pour des objectifs bourgeois!

(2) La direction de l’usine Bombardier de Crespin (Valenciennes) a entamé une procédure de licenciement contre un délégué SUD pour «apologie de terrorisme», en fait parce que son activité la gênait. http:// www.solidaires.org/ article50164.html

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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