Overdose de capitalisme

(«le prolétaire»; N° 522; Novembre-Décembre 2016 / Janvier 2017)

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L’élection de Trump a permis aux analystes et experts en tous genres d’étaler leur « science » et surtout leur mépris de classe contre les prolétaires américains, accusés – à tort – d’avoir voté pour le milliardaire démagogue ultra-réactionnaire.

Bien entendu, les médias ont passé sous silence la profonde détresse sociale qui touche le prolétariat américain. Cette détresse se traduit par l’explosion de la toxicomanie et de l’alcoolisme davantage que par la participation au cirque électoral.

 

L’épidémie d’héroïne : des morts par dizaines de milliers...

 

Selon un récent rapport officiel, Facing Addiction in America: The Surgeon General’s Report on Alcohol, Drugs, and Health, 27 millions d’étasuniens se droguent et un septième des habitants de la première puissance capitaliste ont été toxicomanes au cours de leur existence. Selon le Center for Disease Control and Prevention (CDC), dans son rapport du 7 juillet, les Etats-Unis comptent plus d’un demi-million d’héroïnomanes. C’est une des causes de la baisse de l’espérance de vie constatée pour les prolétaires étasuniens.

En 2014, 47 055 personnes sont morts d’une overdose dont 61 % à cause de l’usage d’opioïdes. Des milliers d’enfants connaissent des problèmes de santé ou des retards de développement intellectuel à cause de la prise de drogues par leur mère au cours de la grossesse.

Cette «épidémie», pour reprendre l’expression médiatique en vogue, touche particulièrement les régions dévastées par le capitalisme américain: la Rust Belt (ancienne Manufacturing Belt – la «ceinture d’usines» – qui longe les Grands Lacs de Chicago au littoral atlantique), victime des délocalisations et de la désindustrialisation, et les Appalaches, dramatiquement sinistrés par la fermeture des mines de charbon.

Par exemple, à Huntington, en Virginie occidentale, 520 overdoses d’héroïne ont été constatées cette année dans cette ville de moins de 50 000 habitants, dont 26 en moins de quatre heures le 15 août dernier. A Akron, ville de 200 000 habitants et ancienne capitale du caoutchouc, dans l’Ohio, 24 personnes sont mortes d’overdose lors du deuxième week-end de septembre. A Baltimore, 10 % des 620 000 habitants sont héroïnomanes selon une enquête de la chaîne ABC (1). Dans le Vermont, le nombre de personnes traitées pour dépendance aux opiacés a grimpé de 770 % entre 2000 et 2014 (2). Dans un rapport du mois d’août, le CDC estime qu’environ 24000 bébés sont nés en état de dépendance à la drogue en 2013, la dernière année pour laquelle existent des statistiques. Cela représente la naissance d’un bébé toxicomane toutes les 20 minutes aux Etats-Unis (3).

Le développement galopant de la toxicomanie a forcé les pouvoirs publics à réagir. Mais cette réaction a été très limitée: en septembre, l’administration Obama a décidé de rendre plus facile pour les médecins la prescription de médicaments anti-toxicomanie. 30 000 médecins (nombre plutôt limité à l’échelle des Etats-Unis) seront autorisés à prescrire du buprénorphine à 200 patients par médecin au lieu de 100 actuellement. Obama souhaitait également développer les programmes d’échange de seringues, assurer la prise en charge par le Medicaid de la toxicomanie et favoriser la distribution d’un médicament anti-overdose (4).

 

… des centaines de milliers d’enfants sacrifiés

 

Au-delà des consommateurs d’opiacés victimes de dépendance et d’overdose, l’épidémie frappe également un nombre considérable d’enfants.

Le nombre de bébés nés avec un syndrome de sevrage a notablement augmenté au cours de la dernière décennie, en frappant de manière disproportionnée les territoires ruraux. En une douzaine d’années, le nombre de cas a été multiplié par plus de cinq, en passant de 1,2 pour mille naissances à 7,5 dans les zones rurales et de 1,4 à 4,8 dans les zones urbaines. Ces nouveaux-nés souffrent et pleurent donc beaucoup, peuvent être victimes de convulsions, de problèmes cardiaques, digestifs et respiratoires...

Dans beaucoup de cas, la dépendance maternelle vient de la prescription d’opiacés pendant la grossesse pour des maux de dos, des douleurs articulaires… Une fois devenues dépendantes, les futures mères se tournent vers des drogues illicites, en particulier l’héroïne. Pour éviter d’être victimes des lois répressives contre les utilisateurs de drogue, elles ne peuvent plus faire suivre leur grossesse.

En plus des problèmes liés au syndrome de sevrage, les enfants de consommateurs d’opioïdes subissent une vie misérable liée à la toxicomanie. Ils peuvent être victimes de violences et de malnutrition en vivant avec des drogués. Ils peuvent l’être également suite au décès d’un parent ou de son incarcération. Dans les Etats les plus touchés par le fléau – Virginie occidentale, Kentucky, Ohio… – les services sociaux et d’aide à l’enfance voient affluer en grand nombre des orphelins ou des enfants retirés à leur famille. En Virginie, le nombre d’enfants en famille d’accueil a augmenté de 25 % depuis 2012, les opioïdes étant à l’origine de 80 % des placements. En Ohio, la hausse est de près de 20 % depuis 2010.

Beaucoup de ces enfants sont laissés sans soins alors qu’ils ont vu leurs parents consommer de la drogue, ou même mourir d’overdose. Beaucoup vivent dans la misère, sont victimes de malnutrition, d’abus et de négligence. Beaucoup risquent de sombrer dans la délinquance ou la toxicomanie, et de finir en prison.

La société capitaliste ne les considère que comme une population excédentaire à contrôler et à punir… alors qu’elle est à l’origine de leur situation.

 

Du business des anti-douleurs au business de l’overdose

 

Ces dernières années, non seulement le nombre d’overdoses a quadruplé mais c’est aussi le cas des prescriptions médicales d’opiacés (Vicodin, OxyContin…) qui concerne plus de trois millions de personnes et qui en tuent en moyenne 44 par jour. La consommation de ce type de médicaments a explosé ces dernières décennies aux Etats-Unis pour la plus grande joie des laboratoires pharmaceutiques: 1,9 million d’Américains sont aujourd’hui dépendants aux traitements antidouleur, délivrés en toute légalité par des médecins et dentistes auteurs de 259 millions d’ordonnances en 2012.

Ces médicaments servent de tremplin à la consommation d’héroïne moins chère, plus facile d’accès et pratique à injecter. Des études ont montré que quatre consommateurs d’héroïne sur cinq sont devenus dépendants, après avoir d’abord pris des traitements antidouleur: «Les gens deviennent accros aux médocs, et quand ils ne peuvent plus s’en procurer, ils se tournent vers autre chose, témoigne Brad Lamm, ancien usager et directeur d’un centre de désintoxication à Los Angeles, interrogé par la chaîne Pix 11. L’héroïne est devenue la manière la plus économique de planer. Tellement de jeunes démarrent avec les pilules, celles de leurs parents, ou celles achetées au marché noir. Aux Etats-Unis, en dix ans, la consommation de médicaments à base d’opiacés a augmenté de 430 %» (5).

Les toxicomanes sont victimes de l’avidité des capitalistes du médicament. Au début des années 1990, les groupes pharmaceutiques ont trouvé une nouvelle source de profit après avoir constaté que le mal de dos frappait 35 millions d’Américains. Ils ont alors ciblé – en cachant les risques d’accoutumance – tous ceux qui souffraient de douleur, du mal de dents à la migraine, en passant par les maladies professionnelles et les accidents du travail. Les médecins se sont mis à prescrire des opioïdes à tour de bras.

Sévère et inhumaine lorsqu’il s’agissait de réprimer des Noirs consommateurs de crack, la Californie – suivie par d’autres Etats – a même adopté une loi protégeant les médecins en cas de prescription abusive. Trouvant également une nouvelle source de profits, les compagnies d’assurances ont mieux remboursé les opioïdes (6). Des firmes pharmaceutiques se sont enrichies. C’est par exemple le cas de Purdue Pharma, fabricant l’OxyContin. Cela a fait entrer ses propriétaires dans la liste de Forbes des 20 familles les plus riches des Etats-Unis.

Si certains industriels du médicaments ont engrangé les profits tout en contribuant à l’épidémie d’opioïdes, d’autres sociétés pharmaceutiques veulent profiter du désastre sanitaire en augmentant le prix du médicament utilisé pour traiter les overdoses: la Naloxone.

Ces dernières années, le prix de ce médicament, commercialisé sous cinq formes différentes par des sociétés concurrentes, a explosé. Une firme a fait passé le prix des dix seringues pré-remplies de 120 $ à 330 $. Une autre a augmenté le prix des deux injecteurs doseurs uniques de 575 $ à 3 750 $. Une troisième a augmenté le prix des flacons de sa version générique de 1,84 $ à 31,66 $. La concurrence féroce entre ces bandits capitalistes fait grimper les prix, au mépris de la vie des victimes d’overdose!

L’épidémie d’overdoses aux Etats-Unis est un crime capitaliste: des milliers de prolétaires (mais pas seulement des prolétaires) ont été sacrifiés sur l’autel du profit.

 

 Un symptôme de la déchéance de la société bourgeoise

 

Si des individus d’autres classes sont eux aussi sujets aux addictions, pour les prolétaires cela constitue le prolongement de leur propre exploitation et oppression.

L’explosion de la consommation de drogue est un révélateur du caractère néfaste du capitalisme. Le pourrissement du capital pousse une frange toujours plus large de prolétaires à se détruire. Cette gangrène engendre la passivité, l’individualisme et non la révolte collective. Elle découle directement du mode de vie bourgeois actuel et ne met nullement en cause la prévision marxiste.

La déchéance actuelle de la société bourgeoise confirme le fait qu’elle est d’ores et déjà vaincue. Le prolétariat est aujourd’hui la seule classe capable de mettre fin à l’enfer du capital, de détruire tous les opiums spirituels ou matériels de cette société. Dans la société comme dans la nature, la vie naîtra de la pourriture. Dans les phénomènes de dissolution qui apparaissent aujourd’hui, saluons la confirmation des perspectives de la révolution.

La société bourgeoise est condamnée, vive le communisme!

 


 

(1) «Baltimore is the U.S. Heroin Capital», mars 2015.

(2) «In Annual Speech, Vermont Governor Shifts Focus to Drug Abuse», The New York Times, 8 janvier 2014.

(3) http://www.cdc.gov/mmwr/volumes/65/wr/mm6531a2.htm?s_cid=mm6531a2_w

(4) «Obama announces new moves to fight opioid and heroin abuse epidemic», The New York Times, 2 juin 2016

(5) «Retour fracassant de la consommation d’héroïne», Les Inrocks, 24 février 2014.

(6) «Overdoses sur ordonnance», Les Echos, 27 octobre 2015.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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