Elections, abstentionnisme et lutte de classe

(«le prolétaire»; N° 523; Février-Mars-Avril 2017)

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Dans la deuxième partie du dix-neuvième siècle, Marx et Engels conseillèrent aux socialistes la participation aux élections: il s’agissait pour eux de combattre l’apolitisme professé par les anarchistes et en même temps de lutter contre l’influence des partis bourgeois de gauche sur les ouvriers. Cette participation aux élections s’inscrivait dans la lutte pour constituer dans chaque pays un parti de classe regroupant les éléments avancés du prolétariat.

A l’époque, après la Commune, cette participation électorale avait bien peu de chances d’engendrer des illusions sur la possibilité d’une «transformation» sociale par la voie pacifique et électorale. Cela n’empêchait pourtant pas Marx et Engels de critiquer rudement ce qu’ils appelaient le crétinisme parlementaire, à savoir la croyance que le parlement était le lieu où se décidait le sort de l’affrontement entre les classes.

Les décennies suivantes furent marquées par la croissance régulière et relativement pacifique du capitalisme dans les pays européens. Dans ces conditions, une amélioration des conditions de certaines catégories ouvrières et l’introduction des premières mesures sociales, assurèrent une relative paix sociale. Cela alimenta la croyance, répandue par les partisans de la bourgeoisie, en une transformation progressive du capitalisme en un système bénéficiant à tous. L’activité des partis socialistes et des syndicats se cantonna de plus en plus à la lutte pour des réformes; mais si cette lutte est indispensable, elle ne doit pas faire perdre de vue que la lutte pour les réformes n’est, comme le disait Marx qu’une guerre d’escarmouches, parce que ces réformes sont toujours susceptibles d’être remises en cause, et surtout parce qu’elles ne s’attaquent pas au fond du problème: l’existence du capitalisme.

Les tendances réformistes, dites opportunistes parce qu’elles s’adaptaient de façon opportuniste aux pressions bourgeoises, et dont la base sociale était les couches de l’aristocratie ouvrière, prirent peu à peu de l’ampleur au sein des partis socialistes, jusqu’à les transformer, de partis révolutionnaires, en simples partis de réformes.

La participation électorale et l’action parlementaire devinrent alors l’activité politique par excellence de ces partis de plus en plus noyés dans la corruption parlementaire et l’adhésion aux valeurs et aux principes interclassistes de la démocratie bourgeoise. La trahison ouverte fut manifeste avec l’éclatement de la première guerre mondiale, lorsque, reniant leurs déclarations, pratiquement tous les partis socialistes poussèrent le prolétariat dans la boucherie impérialiste et adhérèrent à l’«union sacrée» avec la bourgeoisie.

Quand, après la guerre, la nouvelle Internationale Communiste fut constituée pour remettre le mouvement ouvrier sur la voie de la lutte révolutionnaire, il y eut une discussion sur la tactique à suivre vis-à-vis des élections.

Pour les bolcheviks, il fallait y participer, il fallait les utiliser comme tribune, le but étant de «détruire les parlements de l’intérieur»: c’était la tactique du parlementarisme révolutionnaire. Notre courant, la Gauche communiste italienne, répondit que les funestes traditions électoralistes et parlementaristes étaient si profondément enracinées en Occident, elles s’étaient montrées si puissantes pour paralyser ou détourner la lutte prolétarienne, qu’une tactique beaucoup plus tranchée et directe était nécessaire, la tactique de l’abstentionnisme révolutionnaire, pour arracher les prolétaires à ces illusions paralysantes (1).

 L’Internationale suivit la tactique préconisée par les bolcheviks; mais il ne fallut que très peu d’années pour que le parlementarisme révolutionnaire ne dégénère en parlementarisme tout court – donnant raison aux critiques de notre courant. Les décennies qui se sont écoulées depuis ce débat historique ont renforcé les traditions électoralistes, les illusions réformistes et les préjugés démocratiques. De nos jours le crétinisme parlementaire domine partout, y compris parmi les groupes et partis qui se proclament «marxistes» et d’ «extrême-gauche»!

Cela rend la lutte contre l’électoralisme encore plus nécessaire qu’autrefois. Encore plus qu’hier il faut rappeler que le jeu électoral est un jeu truqué qui ne sert que l’ordre établi. Jamais les bourgeois n’accepteront le verdict des urnes s’il les gêne, mais cent exemples montrent combien ils utilisent le recours aux élections pour calmer ou dévier le mécontentement des prolétaires. Ces derniers n’ont rien à gagner sur le terrain électoral; leur force se trouve ailleurs, sur le terrain de la lutte directe contre les patrons et leur Etat, où ils peuvent opposer leur puissance collective de classe à la bourgeoisie pour lui arracher des concessions avant de pouvoir la renverser.

Mais l’abstentionnisme et le rejet des mensonges démocratiques bourgeois ne prennent tout leur sens que s’ils s’inscrivent dans la perspective du retour du prolétariat à la lutte ouverte, à la lutte révolutionnaire de classe – ce que tous les figurants du cirque électoral veulent éviter.

L’abstentionnisme révolutionnaire des marxistes n’a rien à voir, ni avec l’abstentionnisme apolitique des pêcheurs à la ligne, ni avec l’abstentionnisme dépité des petit-bourgeois démocrates déçus. Incapables par nature de comprendre les positions prolétariennes de classe, refusant par principe la lutte anticapitaliste, ces derniers ne peuvent que soupirer après une démocratie «meilleure», «véritable», voire «de base».

Mais le problème n’est pas, comme le croient les petit-bourgeois, de trouver un système démocratique qui serait meilleur que les autres parce qu’il permettrait de mieux exprimer les volontés du «peuple» ou d’éviter que la démocratie soit «confisquée» par des «puissants» ou des privilégiés.

En réalité tout système démocratique, qui affirme se baser sur l’égalité entre le citoyens, sert à masquer que sous le capitalisme cette égalité est une pure fiction: les «citoyens» sont divisés en classes sociales aux intérêts distincts et opposés, en classe dominante et classes dominées; et la classe dominante, qui possède toutes les richesses, qui a sa disposition tous les moyens de façonner l’opinion, qui s’appuie sur toute la puissances des institutions étatiques ou non, a donc entre les mains tous les moyens pour en faire sorte que son système politique réponde exclusivement à ses intérêts. La démocratie n’est pas «confisquée par les puissants»: elle a été élaborée et peu à peu mise au pont précisément pour la satisfaction de ces puissants, c’est-à-dire des bourgeois!

Au mensonge démocratique, à la fiction de l’égalité entre tous les citoyens, qu’ils soient milliardaires ou chômeurs en fin de droit, le marxisme oppose la réalité de l’antagonisme entre les classes: c’est cet affrontement, tantôt ouvert, tantôt potentiel, qui détermine en dernière analyse l’évolution de la société, et non les quantités plus ou moins grandes de bulletins de vote déposés en faveur de tel ou tel.

C’est cet affrontement, lorsqu’il sera mené comme une véritable lutte de classe, et non comme de simples escarmouches, qui seul permettra au prolétariat de sortir de son impuissance, et rejetant les illusions démocratiques interclassistes et pacifistes, de se donner la possibilité de battre son ennemi de classe, de renverser le capitalisme et d’ouvrir la voie à une société sans classes.

La dénonciation de l’électoralisme, la propagande pour l’abstentionnisme révolutionnaire et le retour aux positions de classe constituent un pas dans cette direction.

 


 

(1) Nous republions ci-contre les Thèses sur le parlementarisme présentées à l’Internationale par notre courant

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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