Au Cameroun, un meurtre capitaliste sur les rails

(«le prolétaire»; N° 523; Février-Mars-Avril 2017)

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400 morts et des centaines de blessés le 21 octobre à Esaka au Cameroun: Non, ce n’est pas le bilan d’un massacre revendiqué par Daesh ou par Boko Haram dont les médias et les politiciens aiment s’abreuver pour alimenter un climat de peur et justifier l’»union nationale» derrière les exploiteurs.

C’est en fait l’effroyable bilan, avancé par des journalistes camerounais, du déraillement du train 152 de la compagnie Cameroon Railways (Camrail) gérée par Bolloré sur la ligne reliant Yaoundé, la capitale politique, à Douala, la capitale économique du Cameroun. Pour sa part, le bilan officiel se limite à 79 morts.

Cette catastrophe est en réalité un pur crime capitaliste; les principaux coupables sont la bourgeoisie camerounaise et l’impérialisme français qui vampirise l’Afrique depuis des décennies à l’aide de ses multinationales dont le groupe Bolloré est un des fleurons. La commission d’enquête officielle qui aurait dû rendre ses conclusions dans les 30 jours n’avait toujours pas publié son rapport début janvier; mais selon des fuites dans la presse, ce rapport chercherait surtout à dédouaner les autorités gouvernementales et ferroviaires et à trouver des bouc-émissaires: Bolloré est trop puissant au Cameroun pour qu’il soit mis en cause. Entre-temps le groupe a accordé une indemnité royale de… 2300 euros à 45 familles de victimes pour «frais d’obsèques»!

Depuis l’indépendance, la bourgeoisie camerounaise a été incapable de satisfaire aux besoins élémentaires des habitants du pays.

Dans les années qui ont suivi l’indépendance le Cameroun a connu une croissance économique importante (15% par an en moyenne de 1965 à 1985), essentiellement basée sur les exportations de matière première. Mais cette croissance a surtout profité à la bourgeoisie locale et à l’ancien colonisateur – l’impérialisme français (dont la présence reste encore aujourd’hui massive) –, et très peu à la population, qui s’est révoltée à plusieurs reprises (opérations «villes mortes» en 1991, émeutes de 2008, sans oublier la révolte anticoloniale de 1956-57 de l’UPC, sauvagement réprimée par les troupes françaises).

Le réseau ferroviaire n’a pas été modernisé. Les voies camerounaises sont restées très étroites, très loin des standards internationaux de la convention de Berne de 1886. L’écartement est seulement d’un mètre au lieu de 1,435 m. Cela oblige les trains à circuler à des vitesses très lentes: 5 heures pour relier Douala à Yaoundé distants de 265 km, soit une moyenne d’une petite cinquantaine de kilomètres/heure! La ligne n’a pas été entretenue alors que le trafic de pétrole, de minerais et de bois est allé croissant.

Le réseau routier a également été laissé à l’abandon. Depuis des décennies, les routes n’ont été ni modernisées ni même entretenues: l’étroitesse et la vétusté de la route Douala-Yaoundé est la source de nombreux accidents qui causent des centaines de morts par an. L’effondrement d’un pont routier entre les capitales économique et politique explique le nombre très important de passagers: des centaines de personnes supplémentaires ont dû prendre le train 152, faisant passer le convoi de neuf à dix-sept rames.

Enfin, l’État camerounais ne dispose également que d’un système de santé profondément défaillant. Faute d’équipements et de personnel de santé en qualité et en quantité suffisantes, il a été indispensable de transporter beaucoup de blessés vers Yaoundé et Douala, à plus de 150 kilomètres, ce qui a entraîné la mort de certains.

Si la bourgeoisie camerounaise est coupable, l’impérialisme français l’est au moins tout autant, en particulier sa multinationale Bolloré.

Ce groupe est aujourd’hui un acteur incontournable dans le tissu économique comme dans la vie politique du Cameroun. Il a obtenu la concession de la société de chemin de fer Camrail depuis 1999 (pour 35 ans) mais aussi celle du terminal à conteneurs du port de Douala en 2005 (pour 15 ans). Il contrôle par ailleurs d’immenses plantations de palmiers à huile et d’hévéas.

La gestion de Camrail est seulement motivée par la course au profit. Bolloré dépense le minimum dans la maintenance et l’entretien des infrastructures. Certaines sources évoquent à propos de l’accident que «les freins du train qui auraient lâché». Des passagers survivants témoignent avoir été surpris de voir le train rouler subitement à vive allure y compris dans les virages, suite à de fortes odeurs de brûlé et des bruits bizarres. Des cheminots ont indiqué que les voitures rajoutées au dernier moment au train étaient connues pour avoir des freins défectueux.

De plus, pour des questions de rentabilité, la multinationale a privilégié le transport des marchandises et délaissé les trains passagers. Le fret est plus rentable car peu exigeant en termes de qualité du transport ou de retards. Cela s’est traduit par la fermeture des lignes de passagers jugées ‘’non rentables» et par des licenciements massifs (un tiers de l’effectif, en commençant par les militants syndicaux , qui ont été emprisonnés de longs mois).

Le groupe sait que sa course au profit est une grave menace pour la sécurité. En août, au Burkina-Faso, un train de marchandises de Sitarail (société appartenant à Bolloré) est tombé dans un ravin, et en septembre un autre a provoqué l’effondrement d’un pont en Côte d’Ivoire.

La catastrophe n’est donc absolument pas due au hasard, à la fatalité: c’est un crime commis par la multinationale Bolloré, par le capitalisme, par la course au profit, par l’impérialisme français et son allié et client, l’État camerounais.

Contre une telle catastrophe, il est stupide de rêver à la mise en place d’un capitalisme «réglementé»: le capitalisme est un système criminel qu’il faut combattre et mettre à mort pour pouvoir vivre en sécurité! Il a toujours méprisé et méprisera toujours la sécurité et la vie des travailleurs et de la population.

Les masses pauvres d’Afrique – paysannes et prolétaires – subissent de plein fouet une exploitation brutale, dans les champs, dans les usines ou dans les mines. Mais le prolétariat africain n’est pas une masse organisée du point de vue de classe. Comme ailleurs, il a besoin de constituer des organisations classistes qui défendent véritablement ses intérêts et un parti de classe unifiant et dirigeant son combat vers le renversement du capitalisme.

En outre les prolétaires africains ne font pas face seulement à «leurs» bourgeoisies et «leurs» Etats mais aussi à la pieuvre impérialiste, notamment française.

Pour que leurs luttes soient victorieuses, ils doivent rencontrer la solidarité active des prolétaires des métropoles impérialistes, parce qu’ils combattent le même ennemi et parce que la convergence des luttes des uns et des autres contre le capitalisme est indispensable pour la révolution communiste mondiale!

 

19/1/2017

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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