«L’Initiative Communiste Ouvrière», ou les derniers Mohicans de l’Union de la Gauche

(«le prolétaire»; N° 525; Juillet-Août-Septembre 2017)

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Les élections présidentielles ont signé le naufrage de la vieille formule, bien défraîchie il est vrai, de l’«union de la gauche». Au cours des années qui suivirent la grève générale de mai-juin 1968, les grandes organisations contre-révolutionnaires, dites «de gauche», qui contrôlaient la classe ouvrière, lui firent voir le jour pour détourner les prolétaires de toute tentation révolutionnaire: pourquoi risquer une aventure hasardeuse et périlleuse, s’il suffit de glisser dans l’urne un bout de papier pour espérer «changer la vie» ou au moins faire reculer l’oppression et l’exploitation? La force du réformisme tient à sa capacité de défendre l’ordre établi bourgeois non par la force (ce n’est pas son rôle, mais s’il le faut il n’hésite pas à y recourir), mais en canalisant le mécontentement des prolétaires vers des alternatives censées satisfaire leurs aspirations sans entrer en lutte contre le capitalisme.

 Les 35 ans qui se sont écoulés depuis la victoire électorale de la gauche en 1981 ont cependant grandement émoussé la crédibilité de l’union de la gauche, chacun ayant pu constater qu’elle menait une politique fondamentalement bourgeoise. Mais du moins cette politique était «moins pire» que celle de la droite et il était possible d’attendre quelques menues réformes sociales – concessions accordées pour maintenir ou rétablir la paix sociale. Mais le quinquennat de Hollande s’est au contraire achevé sur une série d’attaques anti-ouvrières et de répression; il ne faut pas chercher ailleurs l’impopularité qui l’a frappé et le discrédit du PS auprès de larges couches de travailleurs, discrédit qui s’est manifesté avec éclat par la déroute électorale de son candidat, Benoît Hamon.

 Sans se faire aucune illusion sur la profondeur ni la durée du discrédit de ce parti, sans s’imaginer que ce discrédit s’étend aux autres forces qui composent la «gauche» réformiste (c’est-à-dire anti-prolétarienne et pro-capitaliste), les communistes le saluent comme un pas dans la voie de la reprise de la lutte de classe prolétarienne; en effet tant que le «réformisme», dont la puissance repose en dernière analyse sur la base matérielle des amortisseurs sociaux institués par la bourgeoisie, jouit d’une influence incontestée sur la classe ouvrière, cela signifie que celle-ci reste prisonnière des liens interclassistes qui la paralysent. Tout affaiblissement de cette influence est donc positif, même si le chemin est encore long pour qu’il débouche sur la reconquête de l’indépendance de classe du prolétariat.

Après sa victoire à la primaire du PS, Hamon avait appelé à une sorte de réédition de l’union de la gauche sous la forme d’une entente électorale avec Mélenchon et les écologistes; et bien que son caractère de manoeuvre politique était évident, cet appel a trouvé un certain écho parmi les plus indécrottables partisans des partis de gauche.

Mais il s’est trouvé aussi un groupe se proclamant révolutionnaire et communiste pour mordre à l’hameçon: il s’agit de «L’Initiative Communiste-Ouvrière» (ICO) groupe représentant en France le courant «communiste-ouvrier» dit «Hekmatiste»; ce courant affirme défendre une conception authentiquement prolétarienne du communisme contre les déviations tant staliniennes que maoïstes ou trotskystes.

Début février, ICO lançait son propre appel intitulé: «une candidature unique de la gauche, la seule réponse possible dans la contexte actuel» (1). Cet appel affirmait que «la victoire de Benoît Hamon à la primaire du PS redistribue les cartes. (...) Le vote Hamon illustre, malgré tout, une volonté de tourner la page du quinquennat Hollande-Valls et un désir d’une alternative à gauche de la part des votant-e-s, et c’est comme ça qu’il faut le prendre». Mettant le peu d’enthousiasme de «La France Insoumise» pour une union de la gauche sur le compte d’un «combat d’egos», le texte saluait le PCF et les écologistes qui appelaient «à un dialogue constructif» montrant ainsi qu’ils avaient «compris dans une certaine mesure» qu’il fallait dépasser ce combat des egos.

On constate déjà que l’analyse de l’attitude des partis par les «communistes ouvriers» ne dépasse pas le niveau des discussions de comptoir où tout s’explique par la psychologie des dirigeants...

Comme nous l’avons déjà expliqué, la campagne électorale des divers partis de gauche n’avait pas pour objectif de remporter les élections, contrairement à ce que s’imagine ICO; ils étaient candidats à l’organisation d’une force d’opposition crédible au futur gouvernement: la stabilité du système politique bourgeois exige l’existence d’une opposition suffisamment forte pour canaliser les réactions prolétariennes dans les impasses électorales et institutionnelles. Mélenchon l’a dit sans fard: «je ne veux pas affaiblir le PS, je veux le remplacer» et s’allier à Hamon aurait été s’allier à un «corbillard».

«Pour nous, aujourd’hui, se terminait l’appel, la seule position acceptable est celle qui est aussi la plus acceptable pour le monde du travail, pour les femmes, pour les salarié-e-s, pour les ami-e-s, camarades et collègues immigré-e-s avec ou sans papiers. C’est aussi celle qui devrait nous permettre à nous structurer et nous développer dans des meilleures conditions pour préparer les luttes et échéances à venir. (...) Une candidature unique est possible autour d’un programme resserré centré sur l’abrogation de la Loi Travail, l’égalité réelle femmes/hommes, sur l’urgence climatique et environnementale, sur les droits des réfugié-e-s et un tournant démocratique et social de l’Union Européenne. Sans illusions particulières sur ce que la gauche “classique” ferait au pouvoir, c’est la raison pour laquelle, nous considérons qu’une candidature unique de la gauche, quel que soit le candidat, est notre espoir le moins brun dans les conditions actuelles»...

Pour ces gens, il n’y a donc pas d’espoir en dehors des élections, et la victoire électorale d’un candidat de la «gauche classique» (lire: pro-capitaliste) leur permettrait de se structurer et se développer pour préparer les luttes. Apparemment la notion de l’action et de l’organisation indépendantes de classe du prolétariat leur est totalement étrangère, ils ne voient pas d’autre solution que la politique du moindre mal (ou du moins brun) selon laquelle il faut soutenir le politicien ou le parti le moins pire dans les conditions du moment...

 

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Ce soutien opportuniste de l’ICO aux partis de gauche ne tombe pas du ciel; son absence de principes programmatiques marxistes, son dilettantisme théorique le laissent désarmé face à la pression de la politique et de l’idéologie bourgeoises. La démonstration a été faite à l’occasion de son premier congrès, l’hiver dernier.

Le «noyau dur» du programme alors adopté, «c’est la démocratie dans l’entreprise et dans la société»; pas question de parler de destruction de l’Etat bourgeois, de suppression des rapports capitalistes de production et de disparition de la structure par entreprises de l’économie! ICO se définit maintenant par la devise suivante: «Le parti du monde du travail qui propose de démocratiser les entreprises en les confiant aux salarié-es plutôt qu’aux actionnaires». A côté de la «démocratisation des institutions», de l’Union Européenne, etc., sa proposition-choc, c’est l’élection des cadres par les employés!

Ce programme parle de révolution, mais c’est pour dire que «toute conception militaire de la prise du pouvoir relève du romantisme»; reste donc «le scénario de prise de pouvoir par les voies démocratiques» et le recours aux élections. Même si elle «n’a jamais appelé à l’abstention» (horreur!), l’ICO, nous est-il dit, avait jusqu’ici «une conception anarchisante des élections», conception qu’il lui faut changer. L’organisation doit maintenant s’intéresser aux élections et même se muer en «parti électoral» (le projet était de présenter un candidat aux élections présidentielles). En effet Marx lui-même «considérait que la classe ouvrière pouvait, dans les pays où existait le suffrage universel, s’emparer du pouvoir politique par ce moyen»; quant à l’extrême-gauche actuelle elle a le tort de participer aux élections tout en expliquant que ce n’est pas par les élections qu’on peut changer les choses: «Faire campagne en expliquant que cela ne sert à rien, comme continue de le faire Lutte ouvrière de nos jours, n’est pas de nature à rallier des voix!» (2). Bref, pour ICO, l’extrême gauche n’est pas assez électoraliste!

Rappelons quelques points élémentaires. Marx a effectivement envisagé la possibilité que les prolétaires arrivent pacifiquement au pouvoir en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, et cette opinion a été utilisée par tous les réformistes, notamment le social-démocrate Kautsky, pour combattre les positions anti-démocratiques des bolcheviks.

Dans «La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky», Lénine répliqua en expliquant que la remarque de Marx sur cette éventualité se fondait sur le fait que n’existaient pas alors dans ces pays d’armée permanente ni d’une forte bureaucratie d’Etat. Engels lui-même avait déjà signalé que lorsqu’on évoquait cette hypothèse, Marx ajoutait toujours qu’il faudrait s’attendre dans ce cas à une «pro-slavery rebellion» (une révolte esclavagiste) de la part de la bourgeoisie (3).

Dans son ouvrage fondamental «L’Etat et la révolution», écrit pour réfuter les positions démocratiques et pacifistes, Lénine affirme de façon lapidaire: «La nécessité d’inculquer systématiquement aux masses cette idée – et précisément celle-là – de la révolution violente est à la base de toute la doctrine de Marx et d’Engels. La trahison de leur doctrine par les tendances social-chauvines et kautskistes, aujourd’hui prédominantes, s’exprime avec un relief singulier dans l’oubli par les partisans des unes comme des autres de cette propagande, de cette agitation. Sans révolution violente, il est impossible de substituer l’Etat prolétarien à l’Etat bourgeois». Ce qu’on peut dire en faveur de l’ICO, c’est qu’elle, elle n’a pas trahi sa doctrine, étant donné qu’elle n’a jamais trop insisté sur son marxisme...

Pour ce qui est des élections, les contorsions relevées par ICO dans l’attitude de l’ «extrême gauche» à ce sujet, tiennent au fait qu’elle est encore plus ou moins obligée de faire semblant d’être fidèle aux enseignements du marxisme; mais ce qui la caractérise en pratique, c’est son opportunisme qui a fait d’elle depuis des décennies un petit acteur du théâtre politique bourgeois. Les Thèses sur le parlementarisme adoptées au IIe Congrès de l’Internationale Communiste (août 1920) préconisaient certes la participation aux élections, mais selon la tactique du «parlementarisme révolutionnaire». Le but de cette participation n’était pas de recueillir le maximum de voies et encore moins d’obtenir, grâce aux succès électoraux, la fin du capitalisme ou au moins des améliorations substantielles de la condition ouvrière; le centre de l’action et de la politique prolétariennes devait se situer en dehors des parlements. Il s’agissait d’utiliser la «tribune parlementaire» à des fins de propagande révolutionnaire pour dénoncer la politique bourgeoise et «détruire les parlements de l’intérieur». A cette tactique qui avait l’inconvénient de ne pas trancher avec les vieilles habitudes électoralistes dominant en Europe occidentale (ce qui explique qu’en peu de temps elle retomba dans les ornières parlementaristes), notre courant préférait celle de l’abstentionnisme révolutionnaire, plus directe et plus efficace pour combattre les illusions électoralistes et démocratiques; mais il était cependant parfaitement d’accord avec ses présupposés programmatiques, définis de la façon suivante:

 

1. Le gouvernement parlementaire est devenu la forme «démocratique» de la domination de la bourgeoisie qui, à un certain degré de son développement, a besoin de la fiction d’une représentation de la fiction d’une représentation populaire. Apparaissant extérieurement comme l’organisation de la «volonté du peuple» au-dessus des classes, elle n’est en fait qu’un instrument de coercition aux mains du Capital. (...)

4. Les parlements bourgeois, qui constituent un des principaux engrenages de la machine d’Etat de la bourgeoisie, ne peuvent pas plus être conquis par le prolétariat que l’Etat bourgeois en général. La tâche du prolétariat est de faire sauter la machine d’Etat de la bourgeoisie, de la détruire, y compris les institutions parlementaires, que ce soit celles des républiques ou celles des monarchies constitutionnelles. (...)

6. Le communisme se refuse donc à voir dans le parlementarisme une des formes de la société future; il se refuse à y voir celle de la dictature de classe du prolétariat; il nie la possibilité de la conquête durable des parlements; il ne peut dès lors être question de l’utilisation des institutions de l’Etat bourgeois qu’en vue de leur destruction. C’est dans ce sens et uniquement dans ce sens que la question peut être posée (4).

 

Inutile d’expliquer au lecteur que ce n’est pas du tout dans cet esprit que les divers groupes trotskystes participent aux élections!

Mais inutile aussi de souligner que les orientations de l’ICO sont complètement étrangères à ces positions communistes.

En se fixant comme objectif non la destruction du capitalisme et le renversement de la société bourgeoise mais leur démocratisation, en considérant la participation électorale comme la méthode de construction de leur parti avec entre autres l’argument que toute «révolution» déboucherait sur des élections (5), ICO fait la preuve de son ralliement ouvert au camp réformiste. Nous avions intitulé un article récent de Programme Communiste sur ce courant: «Communisme ouvrier ou démocratisme petit-bourgeois?» (6). Il nous fournit lui-même une nouvelle fois la réponse...

 


 

(1) Cf. Solidaritéouvrière.info, 10/2/2017. Pour les orientations du Congrès de l’ICO voir: http://archives. communisme-ouvrier. info/ spip.php? page= article& id_ article= 2151

(2) http://solidariteouvriere.info/notre-classe/les-angoisses-electorales-de-lextreme-gauche-sont-elles-justifiees/

(3) La déclaration «nous ne nions pas qu’il y a des pays, comme les Etats-Unis et l’Angleterre où les ouvriers peuvent espérer arriver à leurs fins par des moyens pacifiques» a été faite par Marx à Amsterdam lors d’une réunion publique qui suivit le Congrès de la Première Internationale à La Haye (septembre 1872); mais il insistait surtout dans ce discours sur le fait que dans la plupart des pays l’utilisation de la violence était nécessaire (c’est la raison pour laquelle son discours ne put être publié verbatim en Allemagne) cf. Marx Engels, Collected Works, tome 23, p.255.

D’ailleurs Solidarité Ouvrière, le bulletin de l’ICO, rappelle lui-même qu’il avait répondu en 1871 à un journaliste américain qui envisageait une victoire électorale du parti ouvrier en Grande-Bretagne: «Je ne suis pas aussi optimiste que vous. La bourgeoisie anglaise a toujours accepté de bonne grâce le verdict de la majorité, tant qu’elle se réservait le monopole du droit de vote. Mais, croyez-moi, aussitôt qu’elle se verra mise en minorité sur des questions qu’elle considère comme vitales, nous verrons ici une nouvelle guerre esclavagiste». Cf. https://www.marxists.org/francais/marx/works/00/parti/kmpc067.htm

.(4) Thèses rédigées par Lénine et Boukharine. Cf. «La question parlementaire dans l’Internationale Communiste», brochure Le Prolétaire n°9.

(5) L’ICO considère que la dissolution de l’Assemblée constituante en Russie «où les différents partis socialistes détenaient la majorité» par les insurgés bolcheviks a été le «crime fondateur» du nouveau régime. Exactement l’argument de Kautsky! Lénine avait répliqué que cet argument signifiait mettre le respect des institutions de la démocratie bourgeoise au-dessus des intérêts de la révolution prolétarienne: cela aurait abouti à rendre le pouvoir à la bourgeoisie comme le voulaient en fait les socialistes mencheviks!

(6) Cf. Programme Communiste n°103

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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