Poursuite de l'offensive gouvernementale anti-ouvrière et démobilisation syndicale

(«le prolétaire»; N° 526; Oct. - Nov. - Déc. 2017)

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Le 28 novembre, après que la chambre des députés ait voté le texte des ordonnances gouvernementales, le secrétaire-général de la CGT a fièrement déclaré à la télévision (BFM) que même après ce vote, le combat continuait.

Mais quel combat? Le combat pour améliorer la loi, a-t-il déclaré. ..

Voilà comment est enterrée la fameuse mobilisation syndicale commencée contre la loi El Khomri au début de l’année dernière, qui aurait dû continuer à la rentrée 2016 malgré le vote de la loi au parlement, et qui aurait dû reprendre et s’amplifier à la rentre 2017 contre les ordonnances Macron: la seule perspective qui est proposée maintenant est de «lutter» pour «améliorer» la fameuse «loi Travail XXL», autrement dit d’améliorer l’attaque anti-ouvrière... Les médias parlent de la «défaite» de la CGT, mais en réalité la CGT et les autres appareils syndicaux ont remporté la victoire recherchée, victoire non sur le gouvernement et le patronat, mais sur le prolétariat.

Ce que les syndicats comme les bourgeois redoutent en effet c’est que les attaques anti-prolétariennes provoquent des réactions de lutte classistes, qui sortent du cadre de la paix sociale pour s’attaquer vraiment aux intérêts capitalistes. Le contrôle du «front social» est donc une nécessité première quand les besoins du capitalisme exigent d’accroître l’exploitation de la force de travail ouvrière, que ce soit directement par l’intensification et l’allongement de l’effort de travail, la baisse des salaires réels, ou «indirectement» par la baisse des «charges sociales», la réduction des dépenses sociales, l’augmentation des impôts et taxes, etc. – ce qui revient en fait à diminuer le salaire réel en s’attaquant à la part dite «différée» qui se retrouve dans les pensions de retraite et les mesures sociales.

 Ce que les patrons appellent le «coût du travail», c’est ce qu’ils payent en définitive aux prolétaires qu’ils exploitent, même si seule une partie se retrouve sur la fiche de paye (du point de vue marxiste c’est la «valeur» de la force de travail, qui comprend les frais de nourriture, logement, habillement, transport, soins médicaux, etc., indispensables pour que cette force de travail soit en état de se faire exploiter c’est-à-dire de produire la plus-value dont se nourrit le capital).

 La baisse des «charges sociales» est un moyen relativement indolore (parce que ses conséquences ne se font pas sentir immédiatement au prolétaire individuel, s’il n’est pas malade, au chômage, à la retraite), c’est la raison pour laquelle elle est le plus souvent employée; mais elle n’est pas toujours suffisante pour la rapacité capitaliste qui s’attaque aux salaires nets par exemple en faisant un chantage aux licenciements, etc.

Quand augmentent les attaques, quand s’accroît le «despotisme d’entreprise», quand les limites à l’exploitation autrefois mises en place par les bourgeois eux-mêmes (jamais de leur plein gré!) pour maintenir la paix sociale (et qui étaient inscrites dans le code du travail) sont remises en cause, c’est alors que le rôle et l’action des syndicats dits «combatifs» ou «contestataires» devient indispensable. C’est ce rôle de paratonnerre que les appareils syndicaux ont joué par rapport aux ordonnances Macron: les journées d’action organisées n’avaient pas d’autre but que d’être des soupapes de sureté pour faire retomber la pression sociale.

La «journée d’action» du 16 novembre l’a montré encore une fois. Les médias ont souligné que FO participait pour la première fois à une journéee d’action depuis la rentrée et ils ont prétendu y voir une «radicalisation» qui aurait été imposée par la base de ce syndicat. Mais en fait FO n’a participé à la journée d’action qu’à la condition qu’il n’y ait pas de revendication globale contre les ordonnances!

La journée avait été précédée pour la préparer d’une réunion intersyndicale le 24 octobre au siège de la CFDT; cette dernière, ultra-collaborationniste comme chacun sait, mais qui avait émis des critiques sur la méthode Macron, allait-elle se joindre à un front syndical de lutte contre les ordonnances? Bien entendu il n’en fut rien, et la CGC (syndicat des cadres qui n’a pas une réputation contestataire) quitta même la réunion en disant qu’il était pour elle inacceptable que certains syndicats trouvent des aspects positifs aux ordonnances (mais elle n’alla pas jusqu’à appeler à une lutte contre celles-ci: il faut rester raisonnable!).

Finalement la CFDT refusa de s’associer à la journée d’action prévue bien que celle-ci ne parlait pas des ordonnances, mais appelait seulement à s’opposer à «la politique libérale» du gouvernement, sans plus de précisions. «Ce n’est pas l’abrogation de la loi ou rien», justifiera en commentaire le délégué CGT à cette réunion (1): ce sera donc rien...

Nous nous sommes attardés sur cette mascarade parce qu’elle est significative du rôle joué par les appareils syndicaux collaborationnistes pour faire avorter, chacun à leur façon et à leur place, tout mouvement de lutte véritable contre les attaques que constituent les ordonnances Macron; d’ailleurs les travailleurs ne se sont pas trompés sur la volonté de combat des syndicats, et la participation à l’ultime «journée d’inaction» a été des plus limitées.

 

Les mouches du coche du collaborationnisme syndical

 

 Comme nous l’avons déjà signalé les groupes dits d’ «extrême gauche» (Lutte Ouvrière, NPA, les frères ennemis du lambertisme: POI et POID,...) se sont bien gardés d’opposer une autre orientation, une orientation de classe, à la politique défaitiste des directions syndicales – comme cela avait déjà été le cas lors des mobilisations contre la loi El Khomri ou des luttes antérieures. Ils sont bien trop installés depuis des années dans les hiérarchies syndicales pour même songer à y mener une opposition, quant aux orientations classistes ils les ont oubliées dans la pratique depuis bien longtemps, s’ils ne les ont jamais connues!

On ne trouvera ainsi pas un mot de critique à l’encontre des directions syndicales sur les colonnes de Lutte Ouvrière, la plus suiviste de toutes ces organisations.

 Le NPA, lui, sentant plutôt le besoin de répondre au «désarroi» des «équipes militantes les plus déterminées», se risque à appeler à un «changement de tactique» des syndicats et à «en finir avec la mascarade du dialogue social» (2). Pas question, bien entendu d’expliquer à ses lecteurs que le «dialogue social», c’est-à-dire la collaboration de classes, est la pratique constante et obligatoire des appareils syndicaux intégrés depuis des décennies dans le réseau des institutions édifié par la bourgeoisie pour maintenir la paix sociale; pas question de montrer qu’on ne peut attendre autre chose de ces appareils, qu’ils s’appellent CGT, CFDT ou autre, et que l’indispensable reprise de la lutte de classe se fera nécessairement contre eux (comme elle se fera contre les partis réformistes).

 Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas militer dans les syndicats, mais que ce militantisme, dont le but est l’organisation classiste des prolétaires, n’est possible qu’à la base, au contact des travailleurs du rang, et pas dans la hiérarchie; et il faut savoir (et s’y préparer) que si ce travail militant trouve un écho positif auprès des travailleurs, il suscitera les attaques de l’appareil toujours soucieux de maintenir de bonnes relations avec le patronat.

 

Le «Front social»

 

Un peu différent de ces organisations semble être le «Front social»: il s’agit d’une coordination constituée par quelques sections syndicales, essentiellement CGT (comme la CGT Goodyear); il avait appelé à une «marche nationale sur l’Elysée» le 18 novembre dans la foulée de la journée d’action du 16, qui a rassemblé 2 à 3000 personnes selon les organisateurs. Cette initiative résume à elle seule ce qu’est ce front. Ses déclarations paraissent sympathiques: il critique l’éparpillement des luttes et appelle à les étendre: «Le Front Social est le fruit de la rencontre de militant.es et d’organisations au cœur du mouvement contre la loi Travail. Ils ont mis en commun leur détermination à gagner son abrogation et leur désir de convergence des luttes. Ils ont décidé de poursuivre ensemble pour que le mouvement de grèves, de luttes et de résistances opère son unification», affirme en préambule son Manifeste. C’est une réaction à la défaite de ce mouvement; mais si les auteurs de cette initiative ont tiré comme leçon de l’échec, la nécessité d’une lutte d’ensemble, ils ne veulent pas comprendre pourquoi les grandes organisations syndicales refusent cette lutte d’ensemble et émiettent au contraire systématiquement les luttes; ils les appellent donc à organiser la lutte générale et affirment vouloir les «aider» à le faire (3).

Partageant leurs convictions réformistes sur la possibilité d’un capitalisme social, ils ne remettent pas en question la nature collaborationniste de ces appareils: ils ne peuvent donc envisager de rompre avec leurs orientations fondamentalement anti-prolétariennes, et se placer sur des positions de classe. Ils en sont réduits par conséquent à jouer les mouches du coche du collaborationnisme politique et syndical (4), en se lançant dans une surenchère creuse...

L’union avec les saboteurs ne pourra jamais conduire les prolétaires à la victoire. Seul le retour aux moyens et aux méthodes de la lutte de classe le pourra. Mais pour ce faire il faut rejeter les illusions réformistes, légalistes véhiculées par les tenants politiques ou syndicaux du pacifisme social, et s’organiser indépendamment de leurs orientations; c’est la condition pour pouvoir arracher la masse des travailleurs à leur influence paralysante et leur permettre de prendre en mains leurs luttes.

Ce n’est peut-être pas une voie facile mais il n’y en a pas d’autre.

 


 

(1) Cf. Le Monde.fr, 24/10/2017. Etaient présents à cette réunion, outre la CFDT, CGT, CGE, CFTC, FSU, FO, Solidaires, UNSA et les syndicats étudiants et lycéens FAGE, UNEF, FIDL et UNL. Appelèrent à la «journée d’action», la CGT, FO, Solidaires, l’UNEF, la FIDL et l’UNL (la FSU s’y associera une semaine plus tard), tandis que la CFDT, l’UNSA, la CFTC et la FAGE déclaraient dans un communiqué commun qu’il y avait des aspects positifs dans les ordonnances et qu’ils espéraient que «les futures réformes [les futures attaques en fait] de l’assurance chômage et de la formation professionnelle» permettraient de «rééquilibrer» ce qui avait été accordé aux entreprises. Plus conciliant, tu meurs!

(2) L’Anticapitaliste n°402 (26/10/2017).

(3) voir la «Lettre ouverte» du Front social «aux syndicats, formations politiques, associations, fronts de lutte», 14/9/17. Martinez, évidemment opposé à tout ce qui ressemble à une généralisation des luttes, a déclaré que pour le FS il est un «traître» (Europe1.fr, 9/5/17). Pour nous ce n’est pas un traître, mais un larbin loyal à son maître bourgeois.

(4) Ils ont essayé aussi de convaincre «La France insoumise» de Mélenchon.

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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