Scoop: Selon Lutte Ouvrière la Russie de Poutine n’est pas capitaliste!

(«le prolétaire»; N° 533; Juin - Juillet - Août 2019)

Retour sommaires

 

 

A la poursuite de l’«Etat ouvrier dégénéré»

 

Depuis la chute de l’URSS, la théorie de «l’État ouvrier dégénéré» cette théorie trotskyste classique (1) selon laquelle l’Etat soviétique était, malgré toutes ses «déformations», de nature ouvrière, est une épine dans le pied des différentes obédiences trotskistes: comment expliquer que, sans contre-révolution, la Russie d’aujourd’hui qui a laissé tomber le masque du socialisme, soit un État capitaliste ?

Lutte Ouvrière a répondu à sa façon à cette question (2), en niant tout bonnement que la Russie de Poutine soit capitaliste!

 

Lutte ouvrière, avocat du stalinisme

 

LO trouve beaucoup d’aspects positifs au développement capitaliste de la Russie sous Staline. Elle nous explique que «c’est uniquement grâce à l’héritage de l’époque soviétique que l’économie russe n’est pas encore tombée au niveau des pays du tiers-monde» et que «les outils de production et les infrastructures datant de l’époque soviétique sont encore utilisés». Elle vante aussi les mérites des... chauffages collectifs ou ce qu’il reste des réseaux de transport.

Si c’est bien le régime stalinien qui a assuré un large développement du jeune capitalisme russe, il n’y a pas de quoi se féliciter pour les communistes. Comme tout développement capitaliste, il s’est fait sur le dos des prolétaires et des masses paysannes, au prix de leur sueur et de leur sang.

De plus, n’en déplaise à LO, d’autres bourgeoisies ont développé au vingtième siècle leur économie à vive allure et ainsi amélioré – en partie – les conditions de vie des prolétaires. Il suffirait de citer le cas emblématique du Japon, ou plus récemment des «dragons» asiatiques, comme la Corée du Sud et Taïwan, dirigés par de fervents anticommunistes.

 

Où est passée la bourgeoisie ?

 

Pour LO, la réponse est simple: il n’y en a pas en Russie !

LO décrit donc une «société russe actuelle, avec ses particularités uniques en leur genre .

Dans son exposé, l’orateur trotskyste affirme: «Le prolétariat n’a toujours pas en face de lui une bourgeoisie puissante, mais une bureaucratie et une oligarchie qui n’ont ni l’assise ni l’assurance sociales propres aux capitalistes américains, français, allemands et autres ni d’ailleurs une petite bourgeoisie nombreuse sur laquelle ils pourraient s’appuyer, car elle aurait fait sien l’ordre social des classes possédantes».

On ne sait pas trop qui compose «l’oligarchie» hormis ceux qui ont racheté des entreprises d’État, mais les auditeurs du Cercle Léon Trotsky ont eu des précisions sur la supposée «bureaucratie» : «Combien sont-ils à présent en Russie? C’est difficile à dire, mais ils sont très nombreux et Poutine a sauvé leur gagne-pain. Car au-delà des ministres affairistes au sommet de l’État, il y a la myriade de tous ceux qui ont le pouvoir de délivrer un papier officiel, d’accorder une autorisation, une exemption du service militaire, un permis de construire, un permis de conduire, ceux qui peuvent donner accès à une école réputée ou à un lit d’hôpital sans devoir attendre, ceux qui rendent un jugement favorable au tribunal, qui font passer un camion à la douane... bref tous ceux qui peuvent exiger des pots-de-vin».

Mais c’est bien sûr! Il n’y a pas de bourgeois mais que des «bureaucrates» affairistes et corrompus, et quand il y a de la corruption, ce n’est pas du capitalisme.

Avec des nullités théoriques de ce style, nos «marxistes» pourraient transformer en «Etat ouvrier dégénéré» une large partie des pays dominés qui sont minés par la corruption.

 

LO confond socialisme et étatisation

 

Une des raisons des «particularités uniques» de la Russie et de l’absence de la bourgeoisie: «l’étatisme [qui] reste prédominant par rapport aux secteurs capitalistes fonctionnant sur la base de la propriété privée des moyens de production» !

Comme le disait Engels: «C’est purement et simplement une falsification intéressée des bourgeois de Manchester (libéraux) que d’appeler “socialisme” toute intervention de l’État dans le jeu de la libre concurrence : tarifs protectionnistes, règlements professionnels (...), nationalisations de certaines branches d’industrie […]. Nous devons critiquer ce point de vue et non pas lui ajouter foi.! Si l’étatisation du tabac était socialiste, Napoléon et Metternich compteraient parmi les fondateurs du socialisme. Si l’État belge […] a construit lui-même ses chemins de fer principaux, si Bismarck […] a étatisé les principales lignes de chemin de fer de la Prusse (…) ce n’étaient nullement là des mesures socialistes directes ou indirectes, conscientes ou inconscientes. Autrement ce seraient des institutions socialistes que la Société royale de commerce maritime, la Manufacture royale de porcelaine et même, dans la troupe, le tailleur de compagnie, voire l’étatisation proposée avec le plus grand sérieux, vers les années 1830, sous Frédéric-Guillaume III, par un gros malin, celle des bordels!» (3). Cette confusion est un grand classique du trotskysme.

A défaut d’être fidèle au marxisme, LO entend se poser comme la meilleure héritière d’une erreur fatale de Trotsky: oublier d’abord que le mode de production capitaliste n’avait jamais été et ne pouvait être supprimer en Russie.

Sans la victoire de la révolution dans les pays pleinement capitalistes qui auraient pu fournir suffisamment de forces productives pour accélérer les changements sociaux, il ne pouvait matériellement pas l’être dans un pays au développement économique retardataire et où la paysannerie, qui constituait la grande majorité de la population, vivait sous le règne de la petite production marchande; seuls les capitalistes privés avaient été expropriés et leurs entreprises mises sous contrôle d’Etat.

Trotsky oubliait ensuite que cette industrie d’Etat, basée sur le salariat, ne représentait pas une quelconque forme post-capitaliste, mais une forme de capitalisme d’Etat, en lutte contre «l’océan de la petite production marchande» paysanne, comme disait Lénine, et aussi, insidieusement mais puissamment, contre le contrôle politique prolétarien.

LO ne veut surtout pas remettre en cause ce dogme qui a servi aux trotskystes pendant des années à justifier toutes les politiques pourries de suivisme par rapport aux partis staliniens – PCF en tête – et à l’URSS.

 

Ne demandez pas le programme… il n’y en a pas

 

LO peut affirmer fièrement que «seuls les trotskystes qui ne se sont pas empressés de lui tourner le dos alors [à la théorie de l’État ouvrier dégénéré], continuent à défendre la perspective d’une révolution prolétarienne semblable à celle d’Octobre 1917».

Mais quelques phrases plus tôt son orateur expliquait que cela… ne concernait pas la Russie: «Quel serait le programme d’un véritable parti communiste révolutionnaire en Russie aujourd’hui ? Il serait absurde de prétendre l’élaborer d’ici. Seuls des révolutionnaires militant sur place, capables de vérifier pas à pas leur politique en la mettant en œuvre, en faisant progresser la conscience politique du prolétariat, dans leur propagande et à travers leurs luttes quotidiennes, seront en mesure d’élaborer précisément un tel programme».

La particularité russe empêcherait donc LO de savoir quelles sont les tâches du prolétariat: s’agirait-il d’une nouvelle version des voies nationales au socialisme du stalinisme d’après-guerre? On sait que pour Trotsky la révolution en Russie, contrairement aux pays capitalistes, devait être une «révolution politique» et non une révolution sociale, puisque le pays avait selon lui, dépassé le stade capitaliste: il s’agissait simplement de renverser la bureaucratie qui avait usurpé le pouvoir, en laissant telle quelle la structure économique. En toute logique LO devrait penser de même.

Mais elle a le moyen d’éviter ce problème trop épineux: en ligne avec les éternelles traditions de l’opportunisme, elle attend que le programme censé diriger l’action, naisse de cette action elle-même! Le vieux socialiste de droite allemand Bersntein, celui qui entendait «réviser» le marxisme, l’avait déjà dit: le mouvement est tout, la théorie n’est rien…

 


 

(1) Trotsky a défini ainsi l’Etat soviétique en 1936 dans son ouvrage «La révolution trahie».

(2) cf. «Un siècle après la révolution d’Octobre, la Russie à l’heure du capitalisme décadent», «Cercle Léon Trotsky» du 20 octobre 2018.

(3) cf Engels, «L’Anti-Dühring», Socialisme, ch. II, Notions théoriques, note 6.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

Retour sommaires

Top