La IVe Internationale victime du réchauffement climatique

(«le prolétaire»; N° 534; Septembre - Octobre 2019)

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Les prolétaires sont assaillis au quotidien par toutes les annonces catastrophistes (voire apocalyptiques) des médias, des politiciens et des idéologues bourgeois sur le réchauffement climatique. Beaucoup d’organisations d’extrême gauche rejoignent les lamentations bourgeoises pour «Sauver le climat».

La IVe Internationale est une caricature du tournant «écosocialiste» de ces organisations. Cette internationale, héritière de celle fondée par Trotsky en 1938, regroupe des partis dans le monde entier. Sa section en Algérie est le Parti Socialiste des Travailleurs, en Belgique c’est la «Gauche anticapitaliste» En France, comme dans d’autres pays, la QI n’a plus de section, ses membres militants dans un parti plus large – le NPA.

Dans le numéro de mars 2019 d’Inprecor, sa revue en langue française, se trouve un très (et trop) gros dossier sur l’écosocialisme, qui reprend la résolution adoptée par son dernier congrès mondial.

Il suffit de lire la conclusion de ce dossier pour comprendre l’opportunisme total de la QI qui s’enthousiasme aujourd’hui pour l’écologisme comme elle s’enthousiasmait hier pour les mouvement nationalistes bourgeois du Tiers-Monde ou le Parti des Travailleurs de Lula au Brésil.

L’Internationale trotskyste reprend le catastrophisme médiatique et affirme que «l’humanité se trouve aujourd’hui au bord de l’abîme: destruction écologique, basculement climatique».

Cet abîme ce n’est pas les guerres qui ensanglantent de nombreux pays (comme la Syrie), la misère qui pousse de millions de personnes à émigrer, la brutalité répressive dans de nombreux Etats bourgeois, la vie insupportable sous le capitalisme, le chômage, la menace d’une nouvelle crise économique et la perspective encore lointaine, mais bien réelle du déchaînement d’un nouveau conflit mondial; non c’est le réchauffement climatique!

A ce constat dicté par la toute-puissance des médias bourgeois, suit une réponse soufflée en réalité par les mêmes: «tenter de gagner du temps et d’imposer aux pouvoirs en place des mesures concrètes». Ce ne sont même plus les revendications transitoires dans la perspective d’aller vers le renversement du capitalisme, mais tout simplement des aménagements du capitalisme pour le verdir! Plus le temps de songer à la révolution (ne parlons pas de la préparer et de s’y préparer), il faut être concret et tenter (!) de le réformer...

A constat bourgeois, stratégie bourgeoise: «l’auto-émancipation des opprimé.es et des exploité.es: les ouvrier.es et paysan.nes, les femmes, les communautés indigènes, ainsi que les personnes persécutées pour leur race, leur religion ou leur nationalité». Ce n’est plus le front unique mais un vaste front interclassiste! On notera au passage qu’apparemment les femmes ne font pas partie des ouvrier.es et des paysan.nes

La contradiction fondamentale de la société actuelle n’est donc plus celle qui oppose le prolétariat au capitalisme, donnant naissance à la lutte des classes entre exploiteurs et exploités, entre bourgeois et prolétaires, qui seule permettra de déboucher sur le renversement du capitalisme, mais «la pression que l’humanité exerce sur le Système Terre»: plus précisément la contradiction entre la croissance quantitative et les limites naturelles.

En effet si la résolution explique que c’est le mode de production capitaliste qui est responsable du problème, c’est pour la raison qu’il est animé d’une «tendance aveugle à la croissance quantitative sans limites, incompatible avec les flux et cycles limités de matière et d’énergie dans le système terre» (...). «En ce début du XXI° siècle, l’humanité est confrontée à l’obligation sans précédent de maîtriser son développement dans tous les domaines (sic!) afin de le rendre compatible avec les limites et la bonne santé de l’environnement au sein duquel elle a pu se développer. Aucun projet politique ne peut plus faire l’impasse sur cette conclusion des études scientifiques sur le “changement global”».

 

Néo-Malthusianisme

 

Remarquons d’abord que, contrairement à ce qu’affirme le texte, ce n’est pas la première fois que nous entendons un tel discours. Il y a 47 ans, en 1972, un aréopage de scientifiques d’économistes, de politiciens et de capitalistes, réunis dans le «club de Rome», préconisait la «croissance zéro»; selon leur rapport, il fallait maîtriser la croissance économique et démographique pour éviter les catastrophes (aussi bien sociales qu’économiques) qui seraient, sinon, provoquées par l’épuisement inévitable des ressources.

Et il y a encore plus longtemps, au début du dix-neuvième siècle, un économiste britannique du nom de Malthus, affirmait qu’on ne pourrait nourrir tous les êtres humains parce qu’ils se reproduisaient plus vite que ne permettaient les ressources limitées de la terre; il fallait donc réduire la croissance de la population et non l’encourager par des mesures sociales envers les pauvres.

Le développement formidable de la productivité du travail humain a ridiculisé les théories du vieux Malthus (1) et donné raison aux socialistes qui contre ce dernier disaient avec Engels: «Les forces de production qui sont à la disposition de l’humanité n’ont pas de limites. (...) Qui plus est, cette immense capacité de production, maniée en toute conscience et dans l’intérêt de tous, réduirait bientôt à un minimum la part de travail incombant aux hommes» (2).

La justification historique du capitalisme a été qu’il a développé les forces productives; et ce développement a connu une extension et une intensité sans précédents dans l’histoire de l’humanité. Mais si le capitalisme a développé de façon gigantesque les forces productives, il l’a fait à sa manière contradictoire et destructrice, «épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse: la terre et le travailleur» (3).

La contradiction entre ce développement et les formes capitalistes dans lesquelles il se produit, non seulement provoque des crises périodiques, mais débouche à un certain point sur une crise révolutionnaire.

C’est cette crise révolutionnaire provoquée par la croissance incontrôlée du capitalisme redoutée par les malthusiens qui en dernière analyse explique leurs tentatives, inévitablement vouées à l’échec, de le contrôler, de le réguler. Le capitalisme a «le diable au corps», il ne peut pas s’arrêter; seule la révolution pourra le faire en détruisant au préalable le pouvoir bourgeois et en instaurant la dictature du prolétariat. Celle-ci interviendra despotiquement dans la structure économique et sociale, supprimant les productions néfastes ou inutiles, réduisant drastiquement le temps de travail comme le disait Engels, tout en mettant tous les individus valides au travail, supprimant peu à peu la différence entre villes et campagnes, etc., bref réorganisant de fond en comble toute l’économie selon un plan unique mondial.

Malthus et les malthusiens ne parlaient pas encore de pression exercée par l’humanité sur le système terre, mais ce sont bien leurs idées réactionnaires, réchauffées et mises au goût du jour, qui se retrouvent dans la résolution trotskyste (paradoxalement parce qu’il n’y a pas si longtemps les trotskystes, à la suite des staliniens, étaient les chantres de la croissance économique la plus échevelée).

Si la résolution parle d’ «éradiquer le capitalisme», de la «constitution d’un gouvernement écosocialiste qui rompt avec le capitalisme», etc., ce ne sont que des mots en l’air parce qu’elle se refuse à dire comment y arriver, quelle est la nature de ce gouvernement: bref elle se refuse à parler de révolution – ou de lutte des classes. Se plaçant au contraire sur le terrain de la réforme, préconisant «une gestion rationnelle, économe et prudente des échanges de matières [?] entre l’humanité et le reste de la nature», mettant l’accent sur la nécessité d’ «un changement majeur dans la conscience» et «l’éducation permanente sur la gravité de la destruction environnementale et ses causes» sur la stimulation des processus démocratiques de contrôle actif, de prise en charge de la transition, d’intervention dans la décision publique, voire (sic! n’allons pas trop loin!) d’appropriation commune de la production et reproduction sociale», la résolution énumère toute une ribambelle de revendications les plus diverses (de la réforme de l’agriculture à la taxation des transactions financières) dont nous dirons seulement qu’aucune ne concerne les intérêts du prolétariat.

D’ailleurs selon ce texte, l’avant-garde de la lutte contre les ravages du capitalisme, ce n’est pas le prolétariat des grandes concentrations industrielles, pourtant la seule force capable de renverser le mode de production en même temps que la première victime de ses méfaits; c’est «les peuples indigènes, les paysans et la jeunesse» (et particulièrement les femmes parmi ces groupes), donc des forces sociales périphériques et non prolétariennes! Si le texte traite des prolétaires, en utilisant le mot plus neutre de «salariés», c’est seulement comme une force d’appoint qu’il faut essayer d’attirer dans la lutte; mais, expliquent-ils, ce n’est pas facile car, à la différence des paysans ou des «peuples premiers», ils sont «incorporés au capital»!

La IVe Internationale admet que des affrontements se produisent avec les prolétaires; et elle écrit: «La nécessaire convergence des luttes sociales et environnementales (...) est un processus [qui] implique de multiples conflits entre secteurs sociaux, en particulier des conflits avec des secteurs du mouvement ouvrier qui pratiquent la collaboration de classe avec le productivisme [?]. (...) Il faut tenir tête au mouvement ouvrier sous influence protectionniste et productiviste. Dans un conflit entre les secteurs sociaux engagés pour l’environnement et des secteurs du mouvement ouvrier alignés sur le productivisme et le protectionnisme, nous défendons les premiers».

Ce que nous avons là ce n’est pas une dénonciation de la collaboration avec la bourgeoisie (et non avec le productivisme) pour défendre le capitalisme, collaboration pratiquée par les organisations réformistes s’appuyant sur des secteurs de l’aristocratie ouvrière – sinon pourquoi accuser d’« interclassisme» des prolétaires tout en soutenant l’action de classes non prolétariennes?

Ce que nous avons en fait c’est une prise de position sans équivoque en faveur de secteurs petits bourgeois contre les prolétaires. Nos trotskystes reprennent en effet tels quels les discours des petits bourgeois écolos qui reprochent aux prolétaires de défendre leurs intérêts de classe au lieu de se mobiliser, derrière eux, pour l’environnement.

En réalité ce sont les prolétaires qui sont les seuls capables de lutter efficacement contre les méfaits du capitalisme sur tous les plans, justement parce qu’ils sont au coeur du capitalisme; c’est de l’exploitation de leur travail que se nourrit ce dernier, leur conférant ainsi une force potentielle immense: celle de mettre fin à ce système de production, ce dont serait bien incapable les paysans et les peuples indigènes.

Pour terminer, la QI, tournant le dos même au langage marxiste qui rebuterait sans aucun doute l’audience qu’elle cherche à gagner parmi les petits bourgeois, tombe dans le mysticisme mieux adapté à ce milieu. Elle appelle ainsi à «rêver et lutter pour un socialisme vert ou pour un communisme solaire» (sic) pour «une nouvelle société basée sur les valeurs de la dignité humaine, de la solidarité, de la liberté et du respect de ‘Mère Nature’, de la Terre-Mère». Amen! Nos trotskystes ultra-dégénérés voudraient-ils transformer leur organisation en Temple Solaire? Quoi qu’il en soit, ils se sont bel et bien suicidés en tant que marxistes et révolutionnaires.

Cela ne date pas d’hier; ayant abandonné les positions de classe et le programme communiste, la Quatrième Internationale inévitablement ne peut que se mettre à la remorque de tout mouvement qui semble prendre de l’importance, qu’il soit petit bourgeois ou carrément bourgeois, quitte à lui offrir ses offres de service ou ses conseils pour adopter la meilleure marche à suivre pour tromper les masses. C’est ce que démontrent leurs positions éco-socialistes et leur réformisme vert – traduction de leur opposition à la lutte révolutionnaire prolétarienne.

Pour combattre et vaincre le capitalisme, sauvant ainsi toute l’humanité des conséquences toujours plus désastreuses de la survie de ce dernier, le prolétariat, rompant avec la collaboration de classes et les alliances interclassistes, devra s’organiser et mener sa lutte révolutionnaire sur des bases indépendantes de classe, sous la direction de son indispensable organe suprême de combat – le parti de classe international. La Quatrième Internationale ne pourra jamais devenir ce futur parti communiste mondial. Pour aller vers sa constitution, les prolétaires et les militants d’avant-garde devront rompre avec elle, comme avec tous ses faux amis de gauche et d’«extrême» gauche.

 


 

(1) Selon Marx, Malthus était le porte-parole du point de vue théorique de la classe des rentiers.

(2) Engels, in Annales Franco allemandes; cf. «K. Marx, F. Engels. Critique de Malthus», Maspero 1978, p. 58.

(3) Marx, Le Capital, Livre I, ch. XV, 10. cf. Ed. Sociales 1976, p. 361.

 

 

Parti communiste international

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