PCF: centième anniversaire de la naissance avortée du véritable parti communiste

(«le prolétaire»; N° 539; Nov.-Déc. 2020  / Janvier 2021)

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Le 29 décembre 1920 à son Congrès de Tours, le Parti Socialiste-SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière) scissionnait: la majorité l’abandonnait pour créer le Parti Socialiste-SFIC (Section Française de l’Internationale Communiste); cette dénomination « provisoire » était justifiée par une supposée nécessité de faire des exceptions aux conditions d’adhésion à l’Internationale au nom de traditions nationales particulières.

 110 000 membres du PS sur 180 000 suivirent les majoritaires: il s’en fallut de peu que presque tout le PS adhère au nouveau parti; un télégramme, lu au Congrès, de Zinoviev, au nom du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, l’empêcha in extremis en mettant les points sur les i :

«(...). Nous avons lu un projet de résolution portant les signatures des camarades Loriot, Monatte, Souvarine, Cachin, Frossard et autres. Sauf quelques points (la dénomination du Parti), nous pouvons nous solidariser avec cette résolution.

Nous avons lu ensuite un projet de résolution signé par Longuet, Paul Faure et autres. Cette résolution est pénétrée d’un esprit de réformisme et de diplomatie mesquine et chicanière. Les thèses approuvées par le 2e Congrès de l’Internationale Communiste admettent certaines exceptions en faveur de réformistes qui se soumettront maintenant aux décisions de l’Internationale communiste et renonceront à leur opportunisme d’autrefois. Le projet de résolution signé de Longuet et Paul Faure montre que Longuet et son groupe n’ont aucune envie de faire exception dans le camp des réformistes. Ils ont été et restent des agents déterminés de l’influence bourgeoise sur le prolétariat. Ce qui est le plus remarquable dans leur résolution, c’est moins ce qu’ils disent que ce qu’ils taisent. De la révolution mondiale, de la dictature du prolétariat, du système soviétiste, Longuet et ses amis préfèrent, ou bien ne rien dire du tout, ou bien dire les plus banales ambiguïtés. L’Internationale Communiste ne peut rien avoir de commun avec les auteurs de pareilles résolutions.

Le plus mauvais service qu’on puisse rendre dans les circonstances actuelles au prolétariat français est d’imaginer je ne sais quel compromis embrouillé qui sera ensuite un véritable boulet pour votre Parti. Nous sommes profondément convaincus, chers camarades, que la majorité des ouvriers conscients de France n’admettra pas un compromis aussi ruineux avec les réformistes et qu’elle créera enfin à Tours le vrai Parti communiste un et puissant, libéré des éléments réformistes et semi-réformistes. C’est en ce sens que nous saluons votre Congrès et que nous lui souhaitons le succès. Vive le Parti communiste de France ! Vive le prolétariat français !».

Malgré les appels pressants de Frossard l’ancien secrétaire général du parti socialiste et futur secrétaire général du nouveau parti, et d’autres orateurs du centre (comme le futur stalinien Renoult), en direction du courant de droite pour qu’il ne prenne pas au pied de la lettre ce langage «brutal» des militants russes et qu’il rejoigne les majoritaires, c’était devenu impossible.

L’épisode était significatif: ce qui naissait à Tours ce n’était pas un authentique parti révolutionnaire communiste, en rupture nette avec les traditions pourries de légalisme, d’électoralisme parlementariste et de réformisme national de la social-démocratie, mais une nouvelle incarnation de ce courant social-démocrate. Frossard déclara ainsi lors d’un discours du Congrès : « si j’avais le sentiment que notre politique de demain est en rupture avec la tradition socialiste nationale et internationale, je ne serais pas à cette tribune ».

Au nom de cette tradition il condamnait « l’antipatriotisme grossier, imbécile et meurtrier [sic !] d’avant-guerre », récusant la formule du Manifeste  les prolétaires n’ont pas de patrie (« ce que Marx voulait dire, c’est que la patrie des prolétaires leur a été volée par la bourgeoisie capitaliste et qu’il faut la leur rendre » ); et, rappelant que « le Parti avait toujours dans le passé affirmé qu’il était un parti de défense nationale », il ne reniait pas sa propre adhésion pendant la guerre à la défense nationale conformément à cette même tradition, tout en disant que les circonstances avaient changé, mais en restant flou sur ses positions actuelles : « le problème n’est pas simple » disait-il (1)... Pour les marxistes le refus de l’union sacrée et de l’adhésion à la défense nationale ne dépend pas des circonstances : c’est un principe simple et clair.

Les dirigeants de l’Internationale communiste ne se faisaient pas d’illusions sur les anciens dirigeants du PS passés au nouveau parti et sur la sincérité de leurs professions de foi révolutionnaires.

Venus à Moscou au second congrès de l’Internationale communistes en tant qu’émissaires du PS les «deux pèlerins» Frossard et Cachin durent essuyer de sévères critiques avant de se déclarer partisans de l’adhésion à l’I.C. (2). Si les dirigeants bolchéviks étaient prêts à consentir des exceptions envers certains réformistes, c’était pour toucher les prolétaires qui les suivaient dans l’espoir qu’à la chaleur incandescente de la lutte des classes dans cet après-guerre, de telles scories se fondraient sans dommages dans les nouveaux partis. Cela n’a pas eu lieu; la température sociale se refroidit à mesure que le capitalisme français, sorti blessé mais victorieux de la boucherie guerrière, retrouvait sa stabilité antérieure, devenant même le pilier de la contre-révolution mondiale.

L’échec des grèves de mai 1920 (1,5 million de grévistes à la suite de la grève générale des cheminots) et la répression qui suivit (révocation de 18 000 cheminots, arrestation des dirigeants du Comité pour la IIIe Internationale qui ne purent participer au Congrès de Tours, etc.) marquèrent le reflux des agitations ouvrières. Les scories devinrent des boulets et le nouveau parti alla de crises en crises en réaction eux efforts de l’IC pour le pousser sur la voie révolutionnaire.

Le facteur décisif était qu’il n’existait pas de véritable courant de gauche sur des bases marxistes solides qui aurait pu exprimer les tendances révolutionnaires existant parmi les prolétaires indépendamment des aléas des luttes, et sur lequel aurait pu s’appuyer l’IC pour travailler à la constitution d’un véritable parti communiste en combattant la persistance des traditions social démocrates; elles étaient représentées non seulement par le courant de droite mais aussi, plus insidieusement, par le courant majoritaire dit du «centre». La formule de l’union du centre et de la gauche contre la droite était condamnée à l’impuissance sans la pression constante de Moscou, étant donné la faiblesse théorique et r=programmatique du courant de gauche miné par des préjugés pacifistes, libertaires et démocratiques comme dans la Fédération de la Seine (Paris).

 

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La scission de 1920 était indispensable pour rompre avec les partisans de « l’union sacrée » avec la bourgeoisie qui avaient assuré à celle-ci que les prolétaires soient menés sans protester à la boucherie guerrière: ceux que les bolcheviks appelaient les agents de la bourgeoisie au sein de la classe ouvrière – et que les dirigeants du futur parti voulaient conserver avec eux !

 Notre courant avait bataillé pour le durcissement et le respect des conditions d‘adhésion à l’IC afin d’en écarter autant que possible les sociaux-démocrates avoués ou cachés, tous ces chefs opportunistes qui voulaient se refaire une virginité avec des phrases révolutionnaires. C’est pourquoi il se montra féroce devant l’excuse de prétendues conditions nationales particulières brandies pour demander des exemptions aux conditions.

Un article d’Il Soviet (3), organe de la Fraction de la Gauche communiste d’Italie, consacré à la préparation du Congrès de Tours, relevait ainsi ironiquement que dans tous les pays les courants opportunistes invoquaient les mêmes conditions particulières !

A propos de l’Internationale, l’article écrivait : « Pour l’instant elle n’a tracé que des directives de caractère général sur les différentes questions, en commençant par établir de quelle manière doivent s’organiser et se forger ses différents éléments qui doivent guider l’action révolutionnaire du prolétariat, c’est-à-dire les différents partis communistes. Nous espérons que ce premier pas sera bientôt suivi d’un second: celui de l’unification au prochain Congrès des différents partis en un seul parti ayant un seul programme, une seule carte, de façon à donner à chaque membre, même par ses formes extérieures, la sensation matérielle qu’il fait partie d’un seul organisme, auquel il est lié par les exigences programmatiques et disciplinaires les plus étroites et les plus rigoureuses [souligné par nous-NdlR] ».

Cette perspective d’un véritable parti communiste international unitaire n’était évidemment pas partagée par ceux qui invoquaient des circonstances nationales particulières pour ne pas respecter les conditions d’admission – précurseurs des « voies nationales au socialisme» théorisées par le stalinisme pour enterrer la perspective révolutionnaire de classe :

« Ces camarades français, si semblables à certains de nos camarades italiens, candidats opportunistes à la IIIe Internationale, c’est-à-dire les opportunistes de la pire espèce, habitués aux partis-auberges espagnoles, où il y a de la place pour toutes sortes de gens, voudraient continuer le même jeu avec la IIIe Internationale(..). Qu’ils s’en aillent donc ailleurs. La IIIe Internationale n’a pas besoin d’eux».

Si beaucoup de ces éléments retournèrent comme Frossard à la « vieille maison » (comme disait Léon Blum en appelant à ce retour) social-démocrate, d’autres restèrent comme Cachin dans le nouveau parti et l’Internationale en voie de dégénérescence où ils se firent les champions du stalinisme. Mais tous à leur façon trahirent les espoirs des milliers de prolétaires qui avaient vu dans la scission de Tours, avec la fondation du véritable parti de classe, l’aube d’un jour nouveau pour leur lutte d’émancipation ; ils avaient participé avec enthousiasme aux actions contre l’impérialisme (luttes contre l’occupation de la Ruhr par l’armée française ou contre la guerre du Rif) ou contre les patrons, seulement pour constater la passivité ou l’insuffisance de la direction du parti, avant que ce dernier, renouant avec la social-démocratie au nom du front populaire et de la lutte antifasciste ne retombe dans la collaboration des classes au niveau le plus élevé et ne les conduise vers une nouvelle boucherie impérialiste.

Poussée par l’urgence, l’IC avait cru en la possibilité de créer rapidement de grands partis communistes de masse. Elle courut le risque de les constituer sur des bases politiques incertaines sinon pourries. Elle joua le tout pour le tout en misant sur l’amplification d’une vague de révoltes sociales déjà en reflux. Elle perdit tout : les batailles engagées, la masse, le programme du parti. Elle se perdit elle-même dans un opportunisme croissant qui devait la conduire à son auto-liquidation formelle au cours de la seconde guerre mondiale.

Les leçons à tirer de cette désastreuse expérience sont parfaitement claires à la lumière de l’exemple typique de manoeuvre opportuniste que constitue le Congrès de Tours : on ne force pas les situations historiques, on ne construit pas un parti révolutionnaire sous l’égide de politiciens opportunistes, on n’affaiblit pas le programme prolétarien payé par de longues décennies d’épreuves sanglantes pour des raisons contingentes, on n’instaure pas les principes communistes d’organisation à l’aide de pures formules statutaires, à plus forte raison lorsqu’on en confie la réalisation aux renégats avérés du socialisme.

Le parti de classe avorté il y a un siècle devra renaître dans toute sa puissance en faisant siennes ses amères leçons.

C’est dans cette perspective que nous appelons les militants et les prolétaires d’avant-garde à travailler, encore à contre-courant sans aucun doute, pour éviter que le prolétariat n’arrive désarmé au rendez-vous historique, avec la certitude que les contradictions explosives du capitalisme rapprochent inexorablement l’heure des grands affrontements de classes.

 


 

(1) On peut lire in extenso le discours de Frossard sur le site de la Bibliothèque Nationale, gallica.fr

(2) Amadeo Bordiga a rapporté le bon mot qui courait alors au Congrès de Moscou: «Frossard a été froissé !» : il l’avait été par un discours de Lénine. Démissionnaire de la direction du PCF et du parti en janvier 1923, Frossard retourna au PS quelques années plus tard, avant de le quitter pour devenir ministre du travail dans un gouvernement réactionnaire de Daladier en 1935, et dans divers autres gouvernements par la suite. Il termina sa carrière politique au service de Pétain.

Quant à Cachin il versa à Moscou des larmes à la tribune pour se faire pardonner son social-chauvinisme. Outre son action en France en faveur de l’union sacrée, il avait pris part à des initiatives internationales de l’impérialisme tricolore : remise à Mussolini des subsides de l’Etat français pour financer ses activités après son exclusion du PS italien, participation à une délégation officielle venue en Russie après la révolution de février 1917 pour soutenir les partisans de la guerre et combattre l’influence bolchevique, etc. Figure emblématique du stalinisme français chauvin et anticommuniste, il resta directeur de l‘Humanité, le quotidien central du PCF, jusqu’à sa mort en 1958.

(3) cf. Ludovico Tarsia, « Les socialistes français et la Troisième Internationale », Il Soviet n°32, 23/12/1920. S’inquiétant des «exceptions» aux conditions d’admission consenties par Zinoviev à la demande de certains dirigeants socialistes français, l’article disait: «Le camarade Lénine nous a appris que le camarade Zinoviev avait quelque peu hésité en une heure historique très grave. Nous ne voudrions pas que celui-ci retombe à nouveau aujourd’hui dans quelque faiblesse, et pour la corriger nous faisons appel à l’inexorable intransigeance du camarade Lénine, qui a été l’admirable force du parti dans les moments suprêmes».

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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