Guerre russo-ukrainienne :

Par les armes, l’impérialisme exaspère le nationalisme de chaque pays (2)

(«le prolétaire»; N° 547; Déc. 2022 - janv.-Févr. 2023)

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(La première partie de cet article est parue dans le numéro précédent du journal)

 

 

En 2014 déjà, au moment de l’annexion de la Crimée, la Russie, qui cherchait à prendre pied en Europe occidentale, avait proposé à la Pologne, à la Roumanie et à la Hongrie la partition de l’Ukraine. La Russie voulait non seulement la Crimée pour elle-même, mais aussi les régions du sud et de l’est (Odessa, l’ensemble du Donbass et la région de Kharkiv), tandis que la Pologne devait obtenir cinq régions occidentales (Lviv, Volhynie, Ivano-Frankivsk, Ternopil et Rivne), la Roumanie la région de Èernivci et la Hongrie la région de Transcarpathie, réduisant ainsi le territoire de l’Ukraine à moins de la moitié de ce qu’il était après l’effondrement de l’URSS (3). Bien sûr, Cette loufoquerie n’a pas été suivie puisque les trois pays appartiennent à l’OTAN et que ce document, qui devait évidemment rester secret, a été révélé. Mais même à cette époque, la Russie avait déjà déplacé jusqu’à 100.000 soldats aux frontières de l’Ukraine, prêts à envahir le pays... En 2014, les bases de la guerre russo-ukrainienne d’aujourd’hui étaient déjà posées.

Plus d’un mois après son début, le déroulement de la guerre actuelle montre comment, des prévisions erronées ont été faites des deux côtés. La Russie de Poutine a cru, selon toute vraisemblance, pouvoir mettre en œuvre une guerre éclair, qui parviendrait en quelques semaines à forcer Kiev à capituler face aux exigences de Moscou (reconnaître l’annexion de la Crimée et des républiques autonomes du Donbass, s’éloigner de l’OTAN comme l’avait fait la Finlande, et procéder à la «démilitarisation», c’est-à-dire pas d’armes lourdes et nucléaires). La Russie, par contre, ne s’attendait pas à la formation d’un bloc aussi rapide des pays européens et des Etats-Unis, grâce auxquels ont été appliquées de fortes sanctions économiques et financières qui la mettent en sérieuse difficulté, et dont les conséquences retomberont inexorablement sur les conditions d’existence des prolétaires russes. L’Ukraine de Zelensky pensait très probablement qu’elle pouvait également impliquer les pays européens et les États-Unis sur le plan militaire, en tirant parti de leur intérêt à contenir la Russie à l’intérieur des nouvelles frontières créées par la chute de l’URSS, même par la force. Il est certain que l’Union européenne est intéressée par l’intégration dans son espace d’un pays comme l’Ukraine (48 millions d’habitants sans compter les quelque 3 millions de Crimée et de Sébastopol), pour diverses raisons : pour le marché qu’il représente, pour son développement industriel (sidérurgie, chimie, nucléaire, haute technologie, etc.), et pour son développement agricole (elle est fortement exportatrice de céréales). De toute évidence aussi, les États-Unis pour qui elle représenterait un nouvel avant-poste de l’OTAN à partir duquel ils pourraient contrôler de plus près la flotte russe de la mer Noire basée à Sébastopol. La résistance non seulement de l’armée ukrainienne, mais aussi de sa propre population qui, de semaine en semaine, s’est transformée en milice partisane, a en partie surpris les stratèges russes qui, d’après ce qui ressort des rapports de divers journalistes, ont envoyé à la guerre des soldats très jeunes et inexpérimentés. Donc, de la chair à canon des deux côtés, dans quel but ? Dans le but de maintenir un pouvoir bourgeois à Kiev entièrement plié aux exigences impérialistes euro-américaines ou, au contraire, aux exigences impérialistes de Moscou, de type gouvernement Ianoukovitch.

Au cours de ces huit années, la guerre russo-ukrainienne de «faible intensité» avec ses 20.000 morts, est passée à une guerre de «haute intensité» bien plus meurtrière encore. La destruction des villes, le massacre systématique de la population et la fuite de 8 à 10 millions de personnes des villes et villages dévastés, dont la moitié a déjà rejoint les pays voisins, la Pologne, la Slovaquie, la Moldavie, la Roumanie et la Hongrie, tandis que l’autre moitié erre à l’intérieur du pays, d’une région à l’autre, à la recherche d’un endroit pour se nourrir et survivre, sont l’évidence dramatique de cette transformation guerrière. Mais, comme ce fut le cas lors des précédentes guerres en Syrie, en Irak, en Libye, aux dévastations de la guerre suivra une situation d’incertitude permanente, de tensions jamais résolues, d’une «paix armée» qui sera le signe avant-coureur de nouveaux affrontements guerriers.

Les «négociations» n’apporteront pas de résultats définitifs, car les discordances inter-impérialistes ne se résorberont pas, sinon temporairement par des actes de force des deux côtés. Trop souvent dans l’histoire du développement capitaliste européen, un pays clé pour les équilibres (et les déséquilibres) entre les puissances européennes, comme il fut un temps la Pologne, et comme l’Ukraine ces dernières décennies, subit les conséquences de la guerre entre des puissances plus fortes : il est attaqué, démembré, recomposé, utilisé comme monnaie d’échange à des fins qui n’ont rien à voir avec les intérêts de la nation en question. D’autant plus que le nationalisme polonais, comme le nationalisme ukrainien, comme du reste tout nationalisme aujourd’hui, n’a de sens que pour tromper les masses prolétariennes, pour les faire plier aux seules exigences bourgeoises et capitalistes, pour détourner les prolétaires de tous pays de la lutte de classe vers la lutte pour la défense de la patrie, de l’économie nationale, pour la défense d’un système politique et économique qui repose exclusivement sur l’exploitation la plus effrénée de la force de travail prolétarienne, sur sa chair et son sang.

Du point de vue de leurs intérêts de classe, les prolétaires russes et ukrainiens, directement impliqués dans cette guerre, sont complètement désarmés. Continuellement trompés sur la capacité du système économique capitaliste à se remodeler pour répondre aux besoins des masses, et après avoir été trompés pendant des décennies sur un socialisme jamais réalisé et identique comme une goutte d’eau au capitalisme, ils sont entraînés dans la guerre comme des bêtes à l’abattoir, convaincus ou non, de part et d’autre du front, qu’ils doivent «défendre la patrie». Et les prolétaires européens et américains, bombardés par une propagande de guerre insistante contre Poutine, le méchant agresseur, le criminel, le terroriste du moment, sont également entraînés dans une opération d’unité nationale qui sert les pouvoirs bourgeois tant dans l’immédiat - pour la relance économique après la crise pandémique - que pour les guerres futures.

Les prolétaires de chaque pays, que l’on prépare à la guerre impérialiste, n’ont et n’auront qu’une seule issue : la voie de la révolution de classe, celle indiquée par le marxisme et empruntée par les prolétaires français avec la Commune de Paris en 1871, par les prolétaires russes en 1905 et à nouveau, de façon beaucoup plus claire, en 1917, par les prolétaires allemands, hongrois, italiens, serbes pendant et immédiatement après la première guerre impérialiste mondiale, par les prolétaires chinois lors des soulèvements de Shanghai et de Canton en 1927 : Pendant une soixantaine d’années, le prolétariat européen, russe et chinois a secoué les chancelleries du monde entier avec un mouvement révolutionnaire visant non pas à des changements de gouvernement, non pas à établir des régimes démocratiques bourgeois, encore moins de faux socialismes, mais à la révolution de toute la société mondiale de haut en bas. Le but de la révolution prolétarienne est gigantesque, tout comme est gigantesque l’oppression bourgeoise de toute l’humanité.

Contre la guerre bourgeoise, contre la guerre impérialiste, le pacifisme a montré son échec total : d’une part parce que la force armée de la classe bourgeoise ne peut être arrêtée et vaincue que par la force armée de la classe prolétarienne, et d’autre part parce que dans le rapport avec la «défense de la patrie», tout mouvement pacifiste s’est alors transformé en guerrier-justicier, participant activement aux opérations bellicistes.

Lénine, dans le document mentionné ci-dessus (4), déclare clairement : «Le pacifisme et la propagande abstraite de la paix sont une des formes de mystification de la classe ouvrière. En régime capitaliste, et surtout en phase impérialiste, les guerres sont inévitables». La propagande de paix, avant, pendant et après la guerre impérialiste, ne sème que des illusions, corrompt le prolétariat «en lui inculquant la confiance dans l’humanitarisme de la bourgeoisie et en faisant de lui un jouet entre les mains de la diplomatie secrète des nations belligérantes». En effet, que se passe-t-il dans les réunions de la diplomatie russe et ukrainienne pendant que les deux nations belligérantes se bombardent mutuellement ? Ils apportent à la table des négociations le poids de leurs prolétaires respectifs massacrés, de leurs villes perdues et reconquises, et appellent à témoigner de leur «volonté de paix» tout en se faisant la guerre, et que l’un ou l’autre des médiateurs sorte victorieux de la guerre, ce n’est qu’un représentant des intérêts bourgeois. Des médiateurs, soit dit en passant, qui sont des représentants d’États massacreurs de peuples coloniaux et de prolétaires et qui se sont armés et s’arment jusqu’aux dents, précisément en prévision de guerres dans lesquelles ils sont ou seront directement impliqués. Les cas d’Israël, massacreur de Palestiniens depuis 1948, de la Turquie, répresseur et massacreur de Kurdes depuis 1980, sont là pour prouver que les intérêts bourgeois et impérialistes ne font aucune différence entre les massacreurs d’hier et d’aujourd’hui : l’important est que les situations contingentes ne viennent pas contrarier les desseins des grandes puissances car, en fin de compte, ce sont elles qui définissent le nouvel ordre mondial. A moins que, avant, pendant ou immédiatement après la guerre impérialiste mondiale, ce soit la révolution prolétarienne qui brise les desseins des puissances impérialistes, comme ce fut le cas lors de la première guerre impérialiste mondiale. Pour les communistes révolutionnaires, c’est la seule perspective pour continuer à garder intacte la théorie marxiste et à lutter contre toutes les formes d’opportunisme et de collaborationnisme afin que le prolétariat reconquière le terrain de la lutte des classes, retrouve son parti de classe, sa direction révolutionnaire, donc la capacité de mener à bien la grande tâche historique d’écraser définitivement la société de la propriété privée, de l’appropriation privée de toutes les richesses produites par le travail humain, de la marchandisation de toute activité et de tout sentiment humain, de l’exploitation de l’homme par l’homme, pour engager la société dans un développement incessant des forces productives en harmonie avec les lois de la nature.

C’est pourquoi le mot d’ordre qui, à l’époque de Lénine, est devenu le mot d’ordre de tous les prolétaires du monde : transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, devra redevenir le mot d’ordre de demain. Prolétaires de tous les pays unissez-vous, ne doit plus être une phrase écrite sur des drapeaux pacifistes ou faussement communistes que l’on agite pour tromper les prolétaires, mais doit être l’appel aux armes, l’appel des prolétaires du monde entier à la lutte révolutionnaire, pour établir la dictature de la classe prolétarienne, seul moyen de vaincre définitivement la contre-révolution bourgeoise et de conduire la société mondiale au socialisme.

Aujourd’hui, cette perspective apparaît comme fantaisiste, déconnectée de la réalité, si ce n’est comme une défaite de l’histoire décrétée par l’effondrement de l’URSS et la fin du «communisme». C’est ce que prétend la propagande des sophistes bourgeois et des traîtres à la cause prolétarienne. Mais la bourgeoisie sait, parce qu’elle aussi a tiré les leçons des révolutions prolétariennes du passé, que son véritable ennemi historique, l’ennemi le plus dangereux de tous, est le prolétariat à condition qu’il renaisse en tant que classe pour soi, en dépassant complètement la condition de classe pour le capital. La classe prolétarienne n’est pas un ennemi mort et enterré, car le capitalisme ne vit qu’à condition d’exploiter la force du travail salarié, et le développement du capitalisme est en même temps le développement des masses prolétariennes. Aussi vaincue qu’elle soit, pliée aux exigences du capital, détournée de ses véritables intérêts de classe, aussi effacée que soit sa «mémoire récente», qui d’un point de vue historique peut avoir cent ou deux cents ans, ce sont les contradictions mêmes du capitalisme qui redonneront au prolétariat sa mémoire de classe, une mémoire passée qui dans la dialectique du développement social humain ne meurt jamais, la mémoire de son cours historique déterminé par les conditions matérielles qui l’ont fait naître, se développer en tant que classe salariale et lutter pour dépasser toute société divisée en classes, pour enfouir toute classe sociale dans ce qu’Engels appelait la préhistoire de la société humaine (formée précisément de sociétés divisées en classes), pour finalement ouvrir son histoire.

(«il comunista» ; n° 172 ; mars 2022)

 


 

(3) Cf. «La proposition de la Russie à la Pologne : «Partageons ensemble l’Ukraine» », l’Unità, 24 mars 2014 ; également dans «La Russie propose la partition de l’Ukraine à la Pologne, la Roumanie et la Hongrie», 24 mars 2014, Wikinotizie ; nouvelles données par la chaîne de télévision polonaise TVP, également le 24 mars, annonçant un document envoyé par le vice-président de la Douma russe Jirinovski complet avec une carte : Mapa uwzgl¹dniaj¡ca propozycje Žyrinowskiego (TVP), https:// pbs. twimg. com/ media/ BjeTDjf CUA AN RFX.jpg:large.

(4) Cf. «La conférence des sections à l’étranger du parti ouvrier social-démocrate russe», op. cit.

 

 

 

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