L’«Internationale Communiste Révolutionnaire»: ni communiste, ni révolutionnaire !

(«le prolétaire»; N° 557; Avril-Mai-Juin 2025 )

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Il y a un an était fondée en Italie l’« Internationale Communiste Révolutionnaire » qui se présente comme le « parti mondial du communisme révolutionnaire ». Cette fondation avait été précédée, dans les différents pays où elle est implantée d’une campagne de type publicitaire « Es-tu communiste ? ». Un dirigeant affirma lors du discours de clôture de la conférence de fondation de l’ICR: « nous sommes une organisation révolutionnaire, nous l’avons toujours été et nous le resterons ! » (1).

Nous allons voir que derrière ces déclarations ronflantes, se cache une marchandise des plus frelatées…

 

Entrisme

 

L’ICR est un avatar de la « Tendance Marxiste Internationale » (TMI) qui avait elle-même succédé à la « Militant Tendency » (MT), une organisation trotskyste centrée en Grande-Bretagne qui pratiquait l’« entrisme » dans le Labour Party britannique. L’entrisme est une tactique préconisée par Trotsky dans les années trente pour accroître rapidement le nombre des militants révolutionnaires: il s’agissait d’adhérer aux partis socialistes pour y mener un travail de recrutement d’éléments parmi leurs ailes gauches en profitant des méthodes de fonctionnement qui permettaient l’existence de tendances. Après la guerre l’« entrisme » devint une pratique caractéristique chez les trotskystes qui n’hésitaient pas à se déguiser en réformistes social-démocrates ou staliniens pour réussir cette manœuvre.

En fait cette pratique est le signe de la dégénérescence opportuniste du mouvement trotskyste: en se déguisant en réformiste, en agissant comme un réformiste, on devient un réformiste, quelles que soient les réserves mentales ou les idées qu’on peut nourrir en son for intérieur. La politique prolétarienne ne se mène pas à coups de manœuvres sans principes, de faux semblants et de déguisements: les prolétaires, qui doivent lutter contre un monde de mensonges et de confusions, ont besoin avant tout de clarté. Trotsky lui-même expliqua de façon impeccable la question des manœuvres: « La règle la plus importante, inébranlable et invariable, qui doit être appliquée dans toute manœuvre, est celle-ci : ne te permets jamais de fondre, de confondre ou d’entrelacer ton organisation de parti avec celle d’un autre parti, si «amical» qu’il soit aujourd’hui. Ne te permets jamais des démarches qui, directement ou indirectement, ouvertement ou secrètement, subordonnent ton parti à d’autres partis ou aux organisations d’autres classes, qui limitent la liberté de ton action ou qui te rendent responsable, même partiellement, de la ligne de conduite politique des autres partis. Ne te permets jamais de confondre ton drapeau avec les leurs, et à plus forte raison, cela va sans dire, de t’agenouiller devant la bannière des autres. (...)

Ce n’est pas la souplesse qui fut la caractéristique fondamentale du bolchevisme (à présent non plus elle ne doit pas l’être), c’est sa fermeté d’airain. C’est précisément cette qualité – dont il fut légitimement fier – que ses ennemis et adversaires lui reprochaient. Non pas « optimisme » béat, mais intransigeance, vigilance, défiance révolutionnaire, lutte pour chaque pouce de son indépendance : voilà les traits essentiels du bolchevisme » (2). C’est là une condamnation des manœuvres « élastiques » que l’Internationale imposa aux partis communistes et, par avance et à plus forte raison, de l’entrisme ...(même si Trotsky lui-même l’oublia quelques années plus tard).

La TMI et la MT furent des championnes toutes catégories de l’entrisme dans le Labour Party britannique et dans d’autres partis réformistes au niveau international (Podemos en Espagne, Syryza en Grèce, La France Insoumise en France, Rifundazione comunista en Italie etc.), y compris dans des partis strictement bourgeois, comme le PPP (Parti du Peuple Pakistanais) du clan Buttho au Pakistan. Des décennies d’incrustation dans le Labour Party – l’un des deux partis dirigeants de l’impérialisme britannique avec les conservateurs du Tory Party – ne pouvaient pas ne pas avoir des conséquences sur les orientations politiques de ce groupe ; par exemple lors de la guerre des Malouines menée à l’été 1982 par la Grande Bretagne contre l’Argentine, avec l’appui du Labour Party, il soutint l’impérialisme britannique, en critiquant l’incurie supposée du gouvernement Thatcher: « En utilisant des méthodes socialistes, un gouvernement travailliste pourrait vaincre rapidement la dictature [argentine-ndlr] » (3) !

Sur le plan théorico-programmatique, il affirmait ainsi sa profession de foi démocratique: « (...) le Tory Party aurait plus de droits dans une Grande Bretagne socialiste que n’en a aujourd’hui le Labour Party (...). Le Tory Party aurait tous les droits d’exister dans une Grande Bretagne socialiste » ; et après avoir dit que « ce sont les capitalistes et non la classe ouvrière où les marxistes qui ont toujours essayé de renverser par la violence le résultat d’élections qui menaceraient leurs positions », il concluait: « Cependant toutes les intrigues et les conspirations des capitalistes ne peuvent arriver à rien sur la base d’une politique socialiste audacieuse appuyée sur la mobilisation de masse du mouvement ouvrier. Une transformation socialiste complètement pacifique de la société est possible en Grande Bretagne » (4) !

Parmi cent autres citations marxistes possibles nous pouvons nous en contenter d’une seule, de Lénine, dans « L’Etat et la révolution » : « La nécessité d’inculquer systématiquement aux masses cette idée – et précisément celle-là – de la révolution violente est à la base de toute la doctrine de Marx et Engels. La trahison de leur doctrine par les tendances social-chauvines et kautskistes, aujourd’hui prédominantes, s’exprime avec un relief singulier dans l’oubli par les partisans des unes comme des autres, de cette propagande, de cette agitation. Sans révolution violente, il est impossible de substituer l’Etat prolétarien à l’Etat bourgeois » (5). En propageant l’idée d’une « transformation » (sic ! Ce mot passe mieux que révolution) pacifique de la société, la MT démontrait sa trahison de toute la doctrine marxiste, sa nature opportuniste, réformiste, non révolutionnaire.

En 1994, alors que la majorité de la TM décidait de quitter le Labour Party (et de constituer le Socialist Party), les restants formèrent la TMI et ils continuèrent leur vie au sein du Labour ; bien entendu ils ne changèrent pas leurs orientations politiques. Alan Woods, le leader de la TMI (et maintenant de l’ICR) écrivait ainsi: « Une transformation pacifique de la société serait tout à fait possible si les chefs réformistes et syndicaux étaient prêts à utiliser le pouvoir colossal qu’ils ont entre leurs mains pour changer la société (...). Contre les bourgeois et les réformistes qui cherchent toujours à effrayer les travailleurs par le spectre de la violence et de la guerre civile, et les sectes qui ne perdent aucune occasion de faire étalage de leur enthousiasme pour une “révolution sanglante”, rendant ainsi un grand service aux bourgeois et aux réformistes, nous insistons que nous défendons une transformation pacifique de la société (...). Nous affirmons de façon absolument claire que nous sommes en faveur d’une transformation pacifique de la société, que nous sommes prêts à lutter pour une telle transformation » (6).

Bien sûr, reconnaît-il, ce n’est pas ce qu’écrit Lénine dans « L’Etat et la révolution » ; il avait raison alors, mais sa position était « concrète et dialectique, et non formaliste et abstraite » ; d’ailleurs en réalité Lénine et Trotsky voulaient une révolution pacifique en Russie ! Il n’y a pas de règles fixes ; les formes concrètes et les étapes de la révolution et encore moins la tactique spécifique à suivre ne peuvent être apprises par cœur comme dans un livre de cuisine révolutionnaire: « un tel manuel n’existe pas, et s’il existait il ferait plus de mal que de bien à ceux qui voudraient l’utiliser. Les conditions de la révolution diffèrent d’un pays à un autre, d’une période à une autre » (7). A se demander pourquoi l’Internationale Communiste édictait des règles tactiques et des conditions impératives pour ses partis – en stipulant entre autres que la « lutte des classes (...) tend à se transformer inévitablement en guerre civile » (8) !

En fait le leader de l’IMT reprend l’argumentation classique non seulement des staliniens avec leurs « voies nationales au socialisme » qui permettaient de s’affranchir des leçons de la révolution russe, mais de tout le courant réformiste, appelé « opportuniste » parce qu’il abandonnait les principes marxistes pour s’adapter à la pression bourgeoise, à commencer par le socialiste allemand Bernstein qui, à la fin du dix-neuvième siècle, jugeait dépassées les positions de Marx et Engels: il fallait abandonner selon lui leurs positions anti-démocratiques sur la dictature du prolétariat et la prise du pouvoir par la violence, correspondant à une époque révolue.

De même Woods explique que le terme « dictature du prolétariat » utilisé par Marx pour définir l’Etat transitoire entre le capitalisme et le socialisme « a provoqué une sérieuse incompréhension (...). Pour Marx le mot dictature venait de la République Romaine où il signifiait une situation où en temps de guerre les règles habituelles étaient mises de côté pour une période temporaire (...). En réalité la «dictature du prolétariat» de Marx est simplement un autre terme pour le pouvoir politique de la classe ouvrière ou une démocratie ouvrière » (9).

Woods ne peut se revendiquer du « révisionniste » Bernstein dont les thèses ont été réfutées par tous les marxistes, ni du stalinisme (il s’affirme trotskyste), mais son organisation s’inscrit totalement dans cette lignée. On comprend donc qu’elle n’ait eu aucun problème pour devenir un soutien enthousiaste de la prétendue « révolution bolivarienne » au Venezuela et qu’Alan Woods ait essayé de jouer au conseiller de Chavez (10).

 

L’« Internationale Communiste Révolutionnaire »

 

Pendant des décennies la MT puis l’IMT répétèrent leur critique des « sectaires », incapables « de comprendre que la masse de la classe ouvrière entre en mouvement à travers ses organisations de masse traditionnelles. (...) En dépit de la faillite de la direction du Labour Party, la classe ouvrière britannique ne jette pas ses organisations comme on change de chemise. Ces organisations ont été péniblement construites pendant des générations et elles ne seront pas abandonnées du jour au lendemain. La classe ouvrière n’est pas stupide et elle comprend qu’il est beaucoup plus facile de changer une organisation de masse existante, aussi bureaucratisée soit-elle, que d’en créer une nouvelle. Telles sont les leçons de l’histoire des 100 dernières années (...). Fondamentalement Le Labour Party a été créé par les syndicats pour représenter les intérêts des travailleurs organisés au Parlement. En fait, en dépit de sa direction et de son programme réformistes, c’était l’expression politique des syndicats britanniques » (11). Notons au passage que Lénine fait partie de ces sectaires ; tout en défendant une affiliation temporaire au Labour Party, il affirmait qu’il était faux de prétendre que celui-ci est « l’expression politique du mouvement syndical »: c’est « un parti foncièrement bourgeois, car, bien que composé d’ouvriers, il est dirigé par des réactionnaires, par les pires réactionnaires, qui agissent tout à fait dans l’esprit de la bourgeoisie ; c’est une organisation de la bourgeoisie, organisation qui n’existe que pour duper systématiquement les ouvriers » (12). Pour la MT et l’IMT, au contraire la classe ouvrière peut transformer ses organisations de masse, les pousser à gauche quand les luttes s’intensifient: « Quand la classe ouvrière entrera en mouvement, elle se tournera inévitablement vers ses organisations traditionnelles. Cela a été l’expérience historique des 200 dernières années en Grande-Bretagne, et aussi ailleurs » (13): c’est cela qui imposait de militer dans ces organisations.

La TMI a cependant peu à peu décidé de tourner le dos à cette soi-disant expérience historique et de mettre fin à son entrisme, puis de se transformer en Internationale Communiste Révolutionnaire. Il y a eu un « changement dans la conscience des masses » selon le « Manifeste de l’Internationale Communiste Révolutionnaire » (14) qui cite comme preuve un sondage d’opinion en Grande Bretagne (!) ; « Ce changement s’exprime le plus clairement dans l’orientation d’une fraction de la jeunesse vers les idées communistes. Ces jeunes se considèrent comme des communistes, même si nombre d’entre eux n’ont pas lu le Manifeste du Parti communiste et ne connaissent pas les fondements théoriques du socialisme scientifique. (...) Les meilleurs éléments de la jeunesse (...) disent : «on veut le communisme – et rien de moins que cela» ».

Certains ont parlé de « tournant à gauche ». Le langage a effectivement changé ; alors qu’autrefois le mot « communiste » était banni dans leur presse, il s’étale maintenant partout (on apprend même que les communistes sont spontanément de plus en plus nombreux). Mais qu’est-ce qu’il signifie ? On lit dans leur « Manifeste... »: « Nous sommes d’authentiques communistes – les héritiers des bolcheviks-léninistes, qui ont été bureaucratiquement exclus du mouvement communiste par Staline. Nous avons toujours lutté pour défendre la bannière d’Octobre 1917 et du léninisme authentique, et nous devons retrouver toute notre place au sein du mouvement communiste mondial. L’heure est venue d’une discussion honnête sur le passé, au sein du mouvement communiste (...) ».

Pour l’ICR, les descendants du stalinisme, ces défenseurs de l’ordre capitaliste qui ont fait leurs preuves contre-révolutionnaires, seraient d’authentiques communistes !!! Se situer dans le même « mouvement » que ces partis est en fait l’aveu d’être aussi étranger qu’eux au communisme véritable.

Le changement de vocabulaire et l’abandon (provisoire ?) de l’entrisme ne s’accompagnent pas d’un changement des orientations politiques qui ont caractérisé cette tendance depuis qu’elle existe ; nulle part on ne constate une remise en cause quelconque de celles-ci. Le « Manifeste... », « document fondateur » de l’ICR ne dit rien à ce sujet. Ce qui frappe d’ailleurs à la lecture de ce texte, c’est qu’il ne dit rien sur leur conception de la révolution – le mot lui-même n’apparaît qu’une seule fois, en passant !

Ce silence n’est pas innocent pour une organisation qui défendait l’idée d’une révolution pacifique. Le Manifeste met en avant « l’expropriation des banquiers et des capitalistes », mais il n’explique pas si cette expropriation est le facteur décisif pour changer la société comme le disaient la MT et la TMI et si cette expropriation peut être le résultat d’une victoire électorale comme elles le disaient aussi. Ne pas clarifier ce point décisif est une façon hypocrite de confirmer la perspective intégralement réformiste qui a été toujours la leur, malgré leur nouveau verbiage « communiste ». L’ICR prétend « revenir à Lénine », mais c’est pour mieux bafouer tous ses enseignements !

En réalité, comme nous l’avons démontré à travers quelques exemples, ces gens ne sont pas communistes ni révolutionnaires, ils ne l’ont jamais été, ils ne le seront jamais !

 


 

(1) https://communism.ie/the-revolutionary-communist-international-has-arrived/

(2) cf. Trotsky, « L’Internationale Communiste après Lénine » (1928), PUF 1969, tome1, p. 252-254. https://www.mar xists.org/ francais/ trotsky/ livres/ ical/ ica l2210.html

(3) cf. Militant International Review, juin 1982. http://www. socialismtoday.org/108/falklands.html

(4) cf. « What we stand for », brochure Militant 1981, p. 25.

(5) cf. Lénine, « l’Etat et la révolution », Ch. 1., 4. https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/08/er1.htm#c1.4

(6) cf. Alan Woods, « Marxism and the State » (2008) Souligné dans le texte. Il explique en long et en large qu’une telle révolution pacifique avait commencé en France en 1968, mais qu’elle a été trahie par les staliniens qui ont refusé de prendre le pouvoir... https://marxist. com/marxism-and-the-state-part-one. htm

(7) Ibidem

(8) cf. « Deuxième Congrès de l’Internationale Communiste. Résolution sur le rôle du parti communiste dans le révolution prolétarienne. Point 5 ». https://www.marxists.org/francais/inter_com/1920/IC2.pdf. En fait toutes les résolutions des premiers Congrès de l’Internationale s’opposent aux positions de l’IMT.

(9) cf. Alan Woods, « The Role of the State and Social Democracy » (Juillet 2017) Souligné dans le texte. https://marxist.com/role-state-and-social-democracy.htm ; Marx lui-même a écrit: « Ce que j’ai apporté de nouveau, c’est de démontrer : 1) que l’existence des classes n’est liée qu’à des phases historiques déterminées du développement de la production ; 2) que la lutte des classes mène nécessairement à la dictature du prolétariat ; 3) que cette dictature elle-même ne représente qu’une transition vers l’abolition de toutes les classes et vers une société sans classes » cf. « Lettre à J. Weydemeyer », 5/03/1852.

(10) cf. Alan Woods, « Where is the Venezuelian Revolution going ? A contribution to the discussion on property and the tasks of the revolution » (Octobre 2010). https://marxist. com/where-is-the-venezuelan-revolution-going.htm

(11) cf. « Sectarianism is no way forward for the British Left », mai 2007. https://com munist.red/sectarianism-british-left-socialism-local-elections-campaign-new-wor kers-party-workers-movement

(12) cf. Lénine, « discours sur l’affiliation au Labour Party », 6/8/1920. https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1920/08/vil19200806.htm

(13) cf. « Sectarianism... », op. cit.

(14) cf. https://communisme.ch/fr/international-fr/manifeste-de-linternationale-communiste-revolutionnaire/

 

 

Parti Communiste International

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