Le CCI et le «populisme». Les élections américaines sont-elles «un échec cuisant pour la bourgeoisie américaine»?
(«le prolétaire»; N° 557; Avril-Mai-Juin 2025 )
C’est le jugement du CCI dans un article dédié au «populisme» (1). Jusqu’ici le CCI soutenait que «c’est toujours la bourgeoisie qui gagne les élections» (2), voulant dire par là que quel que soit les résultats électoraux, la classe bourgeoise était en définitive toujours victorieuse. Aujourd’hui nous apprenons que les élections américaines ont infligé à cette classe une «cuisante défaite». Cependant si la bourgeoisie a été battue, le CCI ne nous dit pas quelle est la classe qui a gagné... Il semblerait selon le CCI que la bourgeoisie étasunienne soit représentée quasi exclusivement par le parti Démocrate; depuis 2020 la bourgeoisie aurait, en effet, multiplié les efforts «pour isoler Trump et son camp», «le capitalisme américain et sa bourgeoisie» auraient été incapables de juguler l’emprise du populisme, etc. Comme si Trump et son camp ne faisaient pas partie intégrante de la bourgeoisie!
Cette idée absurde est démentie par le fait que pour sa campagne électorale, Trump a pu dépenser près de 6,7 milliards de dollars (record battu seulement par Biden en 2020 avec 10 milliards). Outre des milliardaires d’extrême droite comme Elon Musk (patron de Tesla, Space X etc.) et Peter Thiel (Palantir, Paypal, Facebook...) qui jouent un rôle politique important, le courant Trumpien du Parti Républicain comptait parmi ses financiers des entreprises de la sidérurgie, du pétrole et de la banque; ils ont été rejoints après les élections par des gros capitalistes qui soutenaient jusque-là plutôt les Démocrates, comme Jeff Bezos (Amazon), le troisième plus riche milliardaire du monde ou Mark Zuckerberg (Facebook, Instagram...) qui n’ont pas considéré l’élection de Trump comme une défaite de leur classe: c’est donc tout un secteur du capitalisme américain et de sa bourgeoisie qui sont les forces à l’œuvre pour propulser Trump aux manettes.
Laissant éclater son indignation, l’article juge que le programme du nouveau titulaire de la Maison Blanche est «une abomination et une aberration sociale et économique», ses valeurs «immondes», ses actions «aberrantes», «irrationnelles», il place des gens «incompétents» à la tête d’administrations stratégiques, etc. Tout ceci sonne comme un écho des descriptions de la plupart des journalistes et autres porte-paroles des intérêts des bourgeoisies du continent menacées par les décisions américaines. Nous ne discuterons pas de la compétence ou non des nominations de Trump, ni de ce que serait une bonne politique rationnelle de gestion du capitalisme; mais nous noterons que l’utilisation par l’article de termes à connotations plutôt morales est le signe que nous sommes en présence d’un jugement impressionniste, pas d’une analyse marxiste. Le CCI a fait sien le concept flou du «populisme», cette véritable tarte à la crème des médias; dans leur langage courant le populisme désigne les politiciens ou les courants politiques qui reprennent démagogiquement des revendications des couches populaires par opposition aux politiques «raisonnables» (lire: antisociales) des «partis de gouvernement».
Le «populisme» est le plus souvent décrit comme un phénomène en opposition à la «démocratie» dont le fonctionnement normal devrait permettre d’écarter toutes les revendications un peu périlleuses pour l’ordre établi. C’est l’inverse qui est vrai. Le système démocratique a pour fonction de permettre l’expression, sous une forme plus ou moins mystifiée et dans un cadre inoffensif, des mécontentements et des aspirations des classes exploitées afin d’éviter les affrontements sociaux. Ce qu’on appelle le populisme n’est pas un phénomène autonome et doté d’une dynamique propre; il est la traduction dans le système politique ou parlementaire démocratique bourgeois des tensions qui se développent dans la société.
Revenons à Trump. Il est qualifié de populiste à cause de sa démagogique dénonciation des «élites» et de sa prétendue défense des intérêts de l’Américain moyen. Sa propagande, avec les «fake news» qui l’accompagnent, sert à faire passer un agenda réactionnaire auprès des petits bourgeois et de l’aristocratie ouvrière: depuis les tarifs douaniers présentés comme le moyen de créer de bons emplois en préservant l’industrie nationale, la baisse du nombre de fonctionnaires censé diminuer le poids des impôts, le renvoi des travailleurs étrangers prétendument pour défendre les travailleurs américains, les mesures contre les milieux de l’intelligentsia «libérale», et contre les politiques mises en place pour faciliter la promotion des minorités raciales ressenties comme anti-blancs, etc. La cohérence de ces mesures prises à l’emporte-pièce est sans aucun doute discutable, leur efficacité est douteuse et leurs conséquences dommageables pour certains intérêts bourgeois; la taille dans les effectifs de l’Etat (les secteurs de la Défense et de la Sécurité Sociale étant épargnés) n’a pas atteint, loin s’en faut, les résultats recherchés, la proclamation de droits de douane records du jour au lendemain a provoqué un début de panique financière qui a obligé le gouvernement à faire largement machine arrière.
Mais au-delà de sa traduction concrète hasardeuse, la politique de Trump n’est pas le fruit de la lubie d’un personnage ou des fantasmes d’un cercle d’illuminés en rupture avec les intérêts fondamentaux de la bourgeoisie américaine. Elle correspond à une tendance de fond qui était déjà à l’œuvre dans les années précédentes. Face à des concurrents au dynamisme économique croissant et à des puissances ambitieuses, les Etats-Unis n’ont plus la capacité de maintenir avec autant de facilité qu’autrefois leur domination mondiale: il leur faut faire la part du feu, abandonner les combats inutiles (que ce soit avant-hier en Syrie, hier en Afghanistan, aujourd’hui en Ukraine) pour se concentrer sur la préparation de l’affrontement avec la Chine, faire payer leurs vassaux –pardon! leurs «alliés»– en menaçant de les abandonner et, last but not least, accroître la pression sur le prolétariat en relançant des campagnes contre les «fous marxistes» et le «wokisme» des politiques contre les discriminations raciales ou sexuelles.
La défaite –sans aucun doute cuisante!– de la candidate démocrate à l’élection présidentielle n’est pas une défaite de la bourgeoisie, même si certains secteurs bourgeois sont ou seront touchés: ce sont les prolétaires américains – d’abord immigrés mais pas seulement – qui sont et seront les victimes de l’aggravation des attaques et de l’oppression capitalistes et, par ricochet, les prolétaires des autres nations sur qui les bourgeois feront retomber les conséquences de la guerre commerciale, du réarmement généralisé, avant celles de la guerre ouverte.
L’accession au pouvoir de Trump est en définitive une déclaration de guerre contre les prolétaires; ils devront y répondre non par des unions nationales ou en cherchant un soutien auprès des bourgeois démocrates, mais en reprenant la voie de la lutte indépendante de classe, internationale et anticapitaliste!
(1) «Ni populisme, ni démocratie bourgeoise... La seule véritable alternative, c’est le développement mondial de la lutte de classe contre toutes les fractions de la bourgeoisie», 10/1/2025. https://fr.internationalism.org/content/11506/ni-populisme-ni-democratie-bourgeoise-seule-veritable-alternative-cest-developpement
(2) cf. Révolution Internationale n°358 (juin 2005)
Parti Communiste International
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