Explosion sociale à Madagascar

(«le prolétaire»; N° 558; juillet-Octobre 2025 )

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Depuis le jeudi 25 septembre Madagascar est le théâtre de grandes manifestations contre les coupures toujours plus fréquentes et  insupportables d’eau et d’électricité, et plus généralement  contre les insuffisances criantes des services publics qui souffrent du manque d’investissements de la part du gouvernement, peu intéressé par le sort des masses qui vivent dans des conditions déplorables; contre la corruption, les abus de pouvoir, etc. (1). Les autorités ont répondu aux manifestations par la répression: couvre-feu, interdiction des manifester, etc. ; les tirs à balles réelles de la police ont fait «au moins» 20 morts et des centaines de blessés. Cela n’a pas empêché les manifestations au départ circonscrites à la capitale Antananarivo, de continuer et de s’étendre aux autres villes du pays, contraignant le président Rajoelina à limoger le 29/9 le gouvernement (tout en accusant les manifestants d’être payés par l’étranger pour réaliser un coup d’Etat!). Mais la dissolution du gouvernement n’a pas suffi à calmer la colère ; les manifestations se sont poursuivies en demandant la démission du président et la tentative de mobiliser les partisans de celui-ci samedi 4 octobre a été un échec. Le groupe informel à l’origine des protestations sur les réseaux sociaux et qui a appelé aux manifestations – Génération z (2) – et d’autres organisations ont lancé dans un communiqué du lundi 6 des appels à une grève générale pour obtenir la chute de Rajoelina et la nomination d’un «président de transition».

Le président Andry Rajoelina –  homme d’affaires franco-malgache –  avait été élu en 2019 pour un premier mandat avec des promesses de lutte contre les inégalités et la corruption, l’amélioration du sort de la population,l a défense des intérêts du pays contre l’emprise des multinationales étrangères (3). Mais les années qui ont suivi ont montré que ces promesses n’étaient que de la poudre aux yeux. Les scandales de corruption ont éclaboussé les proches du président, les inégalités sociales ont continué à se creuser, quelques grands capitalistes  comme Mamy Ravatomanga ont accumulé une fortune immense et sont devenus les dirigeants occultes du pays  – alors que 75% de la population vit sous le seuil de pauvreté (rapport de la Banque Mondiale de 2024).

Les promesses de Rajoelina avaient rencontré un certain écho en raison du fait qu’il avait été, en tant que maire de la capitale, le dirigeant en 2009 d’un mouvement populaire comprenant manifestations et grève générale (en affirmant : «le peuple reprend le pouvoir!») contre le président Ravalomanana, patron d’un groupe agroalimentaire tentaculaire (Tiko) qui avait mis l’Etat en coupe réglée. La répression sanglante des manifestants anti-gouvernementaux fit plus de 80 morts. En mars 2009 les militaires chassèrent Ravalomana et nommèrent Rajoelina président de transition, fonction qu’il occupera jusqu’aux élections de 2013. Rajoelina bénéficiait du soutien appuyé de l’impérialisme français pour qui Ravalomanana était trop proche des Etats-Unis et de l’Afrique du Sud (4). Si la France n’a plus une position hégémonique dans son ancienne colonie, elle est le premier client du pays devant les Etats-Unis et le Japon, et, selon l’OMC, le premier investisseur devant les Etats-Unis avec près de 300 entreprises. Cependant, elle n’est plus que son quatrième fournisseur derrière la Chine, Oman et l’Inde. Son influence est toujours réelle; elle s’exerce en particulier par la biais militaire et sécuritaire. Un quotidien malgache écrivait ainsi à propos d’une récente manœuvre militaire franco-malgache («Tulipe 2025») « la France (...) qui possède déjà une forte présence militaire à La Réunion et à Mayotte, consolide son influence en entretenant des partenariats de sécurité avec Madagascar. En tout cas, cette collaboration militaire s’inscrit dans une compétition d’influences plus large entre différentes puissances, notamment la Chine (...) » (5)

Les jeunes qui sont le fer de lance du mouvement se sont inspirés de la révolte au Népal : début septembre , malgré une sanglante répression (plus de 80 morts), les manifestants népalais  ont provoqué la fuite du gouvernement et la nomination d’un gouvernement intérimaire, après la reprise en mains de la situation par l’armée. Mais le problème à Madagascar comme au Népal ou ailleurs ne se limite pas à quelques politiciens ou groupes corrompus s’enrichissant au détriment de la population dans son ensemble, mais à la structure économico-sociale du capitalisme dans laquelle une classe sociale – la bourgeoisie – accapare les richesses produites par les travailleurs salariés – les prolétaires – et les masses laborieuses – petits paysans, etc. Le remplacement du président à lui seul ne changerait rien à cette situation: c’est à la structure capitaliste et à l’Etat bourgeois qu’il faut s’attaquer, sinon l’explosion sociale la plus puissante ne débouchera que sur le maintien du système : c’est ce qu’a démontré Rajoelina lui-même qui une fois au pouvoir s’est comporté comme l’ancien président contre lequel il avait mené le combat.

Il faudra pour cela une organisation et un parti révolutionnaires qui dirigent la lutte sur des orientations de classe, en union avec les prolétaires des autres pays ; la solidarité des prolétaires dans les pays impérialistes – la France au premier chef – sera nécessaire pour s’opposer à leurs interventions en défense de l’ordre bourgeois.

Ce ne peut être une perspective immédiate , tant sont fortes les inévitables croyances démocratiques dans l’union interclassiste du peuple, et même les illusions sur un soutien de la « communauté internationale » (c’est-à-dire les grands Etats impérialistes et leurs organisations internationales). Mais c’est la seule qui peut offrir une issue réelle aux prolétaires et aux masses pauvres malgaches, la seule qui permette que leurs luttes ne soient à nouveau détournées vers un simple ravalement de façade de l’ordre capitaliste.

 

 

PS: Les militaires du CAPSAT (qui avaient été les auteurs du coup d’Etat de 2009), se sont mutinés dimanche 12; ils ont contraint à la démission le premier ministre, un militaire nommé la semaine dernière par le président, et ont désigné un nouveau chef d’état-major de l’armée. Le président Rajoelina, toujours protégé par l’impérialisme français, a été «exfiltré» par les militaires français tandis que son parrain, le grand capitaliste Mamy Ravatomanga se serait enfui à l’île Maurice. Les militaires ont déclaré mardi qu’ils allaient assurer le maintien de l’ordre dans le pays. Les masses qui les acclament aujourd’hui auront tôt fait de réaliser que ces derniers ont agi non pour «protéger le peuple» comme ils disent, mais pour protéger l’ordre bourgeois.

(13 octobre 2025)

 


 

(1) L’absence d’investissements dans l’entreprise publique d’eau et d’électricité, la Jirama, est à l’origine des coupures qui affectent la population pauvre tandis que les bourgeois ont les moyens de se payer des groupes électrogènes.

(2) Voir la page facebook, «generation z Madagascar» : https://www. face book.com/profile.php?id=6158 117571 2529l

(3) Une des revendications agitées avec insistance pour démontrer son opposition à l’impérialisme est la restitution des « Iles Eparses », un ensemble d’îles et d’îlots coralliens inhabités autour de Madagascar que le pouvoir gaulliste avait conservé pour des raisons stratégiques. Des négociations s’étaient ouvertes avec la France en 2019, mais elles n’ont pas abouti : l’impérialisme français, en la personne de Macron, a bien voulu rendre quelques reliques pillées par les colonisateurs, mais pas question de rendre les îles : « Ici c’est la France, c’est notre fierté, notre richesse » déclara le président français lors d’une visite sur une de ces îles, le 23/10/2019...

(4) Les Français auraient payé les militaires qui ont porté Rajoelina au pouvoir. Cf Le Monde Diplomatique, mars 2012.

(5) cf midimagasikara, 4/3/ 25

 

7 octobre 2025

 

 

Parti Communiste International

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