En défense du marxisme

 

Le CCI et le «gène égoïste», ou les fâcheuses conséquences d’une tare héréditaire

(«programme communiste»; N° 102; Février 2014)

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Le Courant Communiste International (CCI) prétend faire partie de la «Gauche communiste»; plus précisément, il déclare réaliser la synthèse entre différents courants qui ont été en opposition aux bolcheviks, et qui, au-delà de leurs divergences, partageraient un ensemble suffisamment grand de positions caractéristiques pour constituer une même Gauche communiste: la Gauche italienne, la Gauche germano-hollandaise, voire des courants qui lui sont apparentés comme le «conseillisme» (qui rejette le rôle du parti pour donner un rôle central aux Conseils ouvriers). Nous avons souvent expliqué que cette conception d’une telle «Gauche communiste» était une source de graves confusions.

Tout en reconnaissant qu’il regroupait des éléments prolétariens indéniablement révolutionnaires, notre courant a, en son temps, sévèrement critiqué le KAPD (Parti Communiste Ouvrier Allemand), le principal représentant historique de la gauche germano-hollandaise, comme étant frappé de graves déviations par rapport au marxisme. Les successeurs du KAPD n’ont fait qu’accentuer ces déviations de matrice libertaire en s’éloignant toujours plus du marxisme, alors que la défense des positions véritablement communistes exige une lutte sans trêve contre tous les déviationnismes et tous les révisionnismes, y compris quand ils se proclament «de gauche»; c’est même souvent dans ce cas qu’ils sont le plus dangereux, car il est alors plus difficile de faire comprendre qu’ils doivent être résolument combattus!

 Il était impossible hier de lutter contre les erreurs commises par l’Internationale des premières années en se lançant dans des erreurs bien plus grandes et plus catastrophiques comme le fit le KAPD; il est impossible aujourd’hui de contribuer à la constitution du parti de classe du prolétariat en tolérant ces erreurs ou en s’appuyant, ne serait-ce que partiellement, sur elles. La clarté et la netteté la plus grande des positions théoriques et programmatiques est indispensable pour qui aspire à fonder le parti qui aura à diriger le mouvement prolétarien dans les luttes les plus dures, dans la guerre civile, la révolution et l’exercice du pouvoir contre les bourgeoisies coalisées du monde entier.

Mais si, comme le CCI, on adopte une perspective idéaliste qui réduit le parti à un rôle d’éclaireur de la conscience des prolétaires, il est inévitable d’en arriver à diffuser des thèses en rupture avec le marxisme et le matérialisme.

Il y a quelques années cette organisation avait publié toute une série d’articles sur les grands principes de la morale qui, selon elle, s’appliqueraient à toutes les sociétés humaines – alors qu’Engels avait réfuté cette idée d’une morale éternelle.

Depuis quelque temps, le CCI a un nouveau dada, la Science, entendue là aussi comme une activité atemporelle, une pure quête de la connaissance, indépendante des modes de production et des structures de classe des sociétés où elle prend naissance et s’exerce. Il s’est en particulier entiché de Chris Knight, un anthropologue britannique «de gauche», au point de lui ouvrir les colonnes de sa presse. Dans le n° 434 (juillet-août 2012) de Révolution Internationale, il a ainsi publié un article de Knight «La solidarité humaine et le gène égoïste» et l’a également diffusé sur les sites internet Indymedia.

Dans ce texte, Knight défend la théorie dite du «gène égoïste», que le CCI affirme, en note, être soutenue par «la majorité» des «théoriciens de l’évolution». Et il est vrai que cette théorie, plus connue sous le nom de «sociobiologie» (1), a rencontré et rencontre encore un grand succès, principalement aux Etats-Unis et dans les pays anglo-saxons. En France, elle a un peu souffert d’avoir été introduite et popularisée dans les années soixante-dix par le courant d’extrême-droite du «Club de l’Horloge» et le Figaro-Magazine...

 

DARWINISME ET SOCIOBIOLOGIE

 

Knight commence par expliquer l’invention par Darwin de sa théorie de l’évolution des espèces: «L’idée plus sinistre et cruelle [que la théorie avancée par Lamarck aqui était fondée sur l’auto-amélioration des animaux] fut empruntée au Révérend Thomas Malthus, un économiste employé par la Compagnie des Indes Orientales. Malthus ne s’intéressait pas à l’origine des espèces; son idée était politique. Les populations humaines, affirmait-il, croiront toujours plus vite que l’offre de nourriture. Lutte et famine en résultent inévitablement (...). La meilleure politique est de laisser les pauvres mourir.

Le génie de Darwin fut de lier la botanique et la géologie à ce plaidoyer, politiquement motivé, en faveur de la libre compétition et de la “lutte pour la survie”. Darwin vit la moralité “laissez-faire” de Malthus à l’oeuvre partout dans la nature. La croissance de population dans le monde animal devançait toujours l’offre locale de nourriture; d’où l’inéluctabilité de la compétition se soldant par la famine et la mort pour les faibles.

Alors que moralistes et sentimentalistes auraient cherché à adoucir cette image d’une Nature cruelle et sans coeur, Darwin suivit Malthus en la célébrant. (...) Puisque les moins aptes de chaque génération ne cessaient de mourir, la progéniture des survivants était donc disproportionnellement plus nombreuse, transmettant à toutes les futures générations leurs bénéfiques caractères héréditaires. Famine et mort, par conséquent, étaient des facteurs positifs, dans une dynamique évolutive qui punissait inexorablement l’échec tout en récompensant le succès».

Pour bien comprendre, il faudrait indiquer ici qu’une caractéristique de la théorie de Darwin est de ne pas appliquer le principe de la «struggle for life» (la lutte pour la vie) uniquement aux différentes espèces qui sont en compétition sur un territoire donné, mais également aux individus d’une même espèce; ceux d’entre eux qui, par hasard, jouissent d’un patrimoine héréditaire ayant comme effet de leur procurer un avantage particulier par rapport aux autres dans certaines conditions, par exemple telle forme de bec qui permet de mieux se nourrir, auront plus de chance de survivre assez longtemps pour se reproduire si ces conditions se maintiennent, transmettant ainsi à leurs descendants ce patrimoine héréditaire.

En quelques générations les traits de ce patrimoine se généraliseront ainsi à toute l’espèce, sous l’effet de «la sélection naturelle», autre appellation de la lutte pour la vie. Et par petites modifications successives répétées pendant des périodes de temps suffisamment longues, une espèce se transformera graduellement en une autre.

Knight écrit que beaucoup de penseurs, choqués par le «raisonnement apparemment dur et amoral» de Darwin, avancèrent d’autres explications que ce dernier, en particulier la «sélection de groupe». Pour cette dernière théorie, la sélection naturelle agirait au niveau du groupe et non de l’individu: «Selon ce raisonnement, les individus étaient créés [sic!] pour favoriser les intérêts de l’espèce. Les membres de n’importe quelle espèce devaient coopérer les uns avec les autres, leur survie individuelle dépendant du sort du plus grand ensemble».

Knight affirme que cette théorie était «en accord avec des tendances de la philosophie morale, incluant la tendance “classe moyenne” du socialisme et du nationalisme au tournant du siècle». Alors qu’elle était influente jusque dans les années soixante, la réfutation de cette théorie de la «sélection de groupe» «inaugura, poursuit-il, une révolution scientifique - un des plus monumentaux bouleversement de l’histoire scientifique récente, avec un grand nombre d’implications pour les sciences humaines et sociales. Si Marx et Engels étaient vivants aujourd’hui, ils se placeraient eux-mêmes à la tête de tels développements». Vraiment?

La nouvelle théorie fut systématisée dans l’ouvrage d’Edward O. Wilson: «Sociobiologie: la nouvelle synthèse» paru en 1975. Mais Knight préfère passer le trop réactionnaire Wilson sous silence et se contente d’écrire: «Le livre de Richard Dawkins “Le gène égoïste” résumait nombre de ces nouvelles découvertes quand il fut publié sous les acclamations générales – et les dénonciations d’une véhémence équivalente de la “gauche classe moyenne” – en 1976».

La sociobiologie fut en effet très controversée dès son apparition; si elle reçut un appui enthousiaste dans les institutions officielles et les milieux conservateurs en général, elle fut aussi très critiquée, et pas seulement par les «marxistes» (vrais ou supposés) comme le prétendit Wilson. Selon cette théorie, la sélection darwinienne, la lutte pour la vie, ne s’exerce pas au niveau du groupe ni au niveau de l’individu, mais au niveau du gène (elle est donc parfois désignée comme théorie de la sélection par le gène). Le gène est un fragment du chromosome, ce porteur du patrimoine héréditaire qui se trouve dans le noyau des cellules sexuelles. Lors de la fécondation, les chromosomes se divisent et se mélangent, mais les gènes sont reproduits (sont copiés) à l’identique, ou presque, dans les cellules filles. Suivant que vous portez tel ou tel gène (et qu’il est «dominant» ou «récessif»), vous aurez les yeux de telle ou telle couleur, les cheveux de telle texture, vous serez un homme ou une femme; ou bien si tel autre gène est défectueux, vous risquez d’avoir une maladie dite génétique, etc.

Mais pour les partisans de la sociobiologie, les gènes déterminent non seulement les caractères physiques, mais aussi les comportements, y compris dans l’espèce humaine; la sociologie a selon eux une base biologique car «les comportements sociaux de l’homme, y compris le comportement altruiste, sont sous contrôle génétique» (2): citons aussi le conformisme, la malveillance, l’homosexualité, etc.

Revenant sur la vieille bataille philosophique livrée par les partisans de l’«acquis» contre ceux de l’ «inné», qui au dix-huitième siècle reflétait la montée révolutionnaire de la bourgeoisie contre la réaction féodale défendant un ordre social qu’elle voulait immuable, la sociobiologie se range donc résolument du côté de l’inné.

C’est pourquoi, en dépit du fait qu’elle ne peut s’appuyer sur aucune base scientifique sérieuse, cette théorie a connu un succès immédiat parmi les idéologues les plus réactionnaires; ceux-ci sont en effet toujours à l’affût d’une explication des problèmes sociaux par la «nature humaine», dans le but de dédouaner l’organisation sociale capitaliste qui doit rester intouchée. Le «criminel-né» d’autrefois est maintenant l’individu porteur d’un gène déviant, les pauvres le sont parce qu’ils ne disposent pas du gène de l’intelligence, les noirs réussissent moins bien que les blancs à cause de leurs gènes, il est possible de déceler dès l’école maternelle les futurs asociaux (nous n’exagérons pas: il serait instructif, mais fastidieux, de relever toutes les imbécillités réactionnaires proférées par les adeptes des thèses de la sociobiologie).

L’état politique et social actuel serait en dernière instance la conséquence du patrimoine génétique des individus qui composent la société: tel est le dernier avatar en date de la conception d’une «nature humaine» immuable, qui est avancée depuis toujours pour s’opposer à toute contestation de l’ordre établi qui serait déterminé par cette nature éternelle. La sociobiologie renoue ainsi avec le «darwinisme social» qui au dix-neuvième siècle justifiait l’exploitation capitaliste et l’inégalité sociale au nom des théories de Darwin (3). Spencer, le théoricien du darwinisme social, estimait que «la survie du plus apte» était le principe naturel qu’il fallait appliquer à la société, le plus apte étant bien entendu dans ce cas le bourgeois...

Nous avons vu que d’après la sociobiologie, les gènes déterminent les comportements animaux ou humains; mais ils sont aussi engagés entre eux dans une lutte darwinienne pour la vie; survivront les gènes qui auront déterminé les comportements les plus favorables non seulement à la survie de l’individu qui les porte, mais aussi à la reproduction de celui-ci: c’est en ce sens qu’ils sont «égoïstes». L’impitoyable sélection naturelle fera peu à peu disparaître tous les gènes qui engendrent chez ceux qui en sont porteurs des comportements dangereux pour leur vie, ou plus généralement un taux de reproduction plus faible – en faisant disparaître la descendance des individus porteurs des gènes responsables de ces comportements.

Voyons quelles sont les «implications pour les sciences humaines et sociales», comme dit Knight, de cette théorie.

«Les animaux, nous explique-t-il, ne pratiquent pas le sexe “pour perpétuer l’espèce”; ils le font pour une raison plus à terre-à-terre – pour perpétuer leurs propres gènes particuliers. (...). Selon la nouvelle théorie, les animaux cherchent à optimiser leur valeur sélective, oeuvrant consciemment ou inconsciemment à propager leurs gènes. En conséquence (...) les unités sociales n’affichent pas seulement la coopération mais aussi le conflit, opposant de façon récurrente les femelles et les mâles, les jeunes et les vieux, et même les enfants à leurs propres parents. Cette insistance sur la lutte et le conflit fit converger la darwinisme et le marxisme, qui n’admet pas l’harmonie ou la fraternité mais voit à la place un monde social humain déchiré par des conflits de classe, de sexe et d’autres formes. Là où l’harmonie existe ou est établie avec succès, ceci doit être expliqué, non admis».

Nous allons revenir sur cette prétendue convergence avec le marxisme; relevons que selon la sociobiologie, le monde, y compris le monde de la société humaine, est en permanence traversé par un conflit entre tous les individus, parce que chacun est poussé à propager ses gènes au détriment de ceux des autres; et ce conflit oriente l’ensemble des activités des individus. C’est la guerre de «tous contre tous» du philosophe anglais du dix-septième siècle, Thomas Hobbes, pour qui «l’homme est un loup pour l’homme»! A la différence près que, selon Hobbes, c’était là la caractéristique de l’ «état de nature» que l’ordre social, avec sa hiérarchie et son souverain, faisait disparaître.

Pour les sociobiologistes, ce «conflit d’intérêts» entre tous déterminerait par exemple les rapports entre les sexes, y compris dans l’espèce humaine: chacun des deux partenaires cherche à avoir le maximum de rejetons dans le but de propager le plus possible ses gènes; et chacun essaye, au détriment de son partenaire, de diminuer son «investissement parental» dans l’élevage et la protection d’un petit, afin de pouvoir consacrer son énergie à d’autres descendants. Le mâle, y compris l’homme, est «par nature» volage, polygame, parce qu’il produit quantité de spermatozoïdes pouvant féconder autant de femelles; tandis que la femelle, y compris la femme, est «par nature» vertueuse et monogame, parce qu’elle ne peut avoir à la fois qu’un nombre restreint de petits, même si elle a autant de rapports sexuels avec des partenaires différents que le mâle; elle cherchera donc, par la séduction et autres ruses, pourrait-on dire, de l’éternel féminin, à s’attacher un mâle en particulier, qui pourra l’aider à élever ses rejetons (4)....

La sociobiologie répète ce genre de raisonnement pour tous les rapports entre individus. Donnons un autre exemple, celui des parents et de leurs enfants et des enfants entre eux. Chaque enfant est, selon cette théorie, inexorablement poussé par ses gènes égoïstes qui veulent augmenter leurs chances de survie, à tirer le maximum de ses parents au détriment des ses frères et soeurs et au détriment des parents eux-mêmes; tandis que les parents cherchent à réduire leur investissement parental sur un enfant particulier au minimum nécessaire à la survie de celui-ci (car il s’agit de la survie des gènes qu’ils lui ont transmis), de façon à avoir suffisamment d’énergie et de ressources pour d’autres enfants (qui représentent une diffusion supplémentaire des gènes parentaux).

La description de la société (humaine ou animale) sur la base de cet individualisme forcené, de la lutte perpétuelle entre les individus, de l’âpre calcul économique coûts/bénéfices des actions individuelles, semble contredite par les exemples incontestables d’altruisme, chez les animaux comme chez les hommes. Nous allons voir quelle est la réponse de la sociobiologie à cette délicate question de l’altruisme:

«C’est un défi particulier, écrit Knight, dans le cas des humains, qui – peut-être plus que n’importe quel animal, peuvent se lancer dans des actes de courage et de sacrifice de soi pour les bénéfices des autres. Il existe des histoires, à l’authenticité bien établies, sur la façon dont des soldats durant la première guerre mondiale se jetaient sur une grenade en train d’exploser, sauvant par là-même leurs camarades. Un tel courage devait-il être laborieusement appris ou inculqué aux humains, ou était-il fait appel à de puissants instincts?».

Evoquer la boucherie de la guerre pour donner un exemple de l’altruisme chez les humains, peut sembler quelque peu paradoxal; mais cela s’explique parce que la question de la guerre joue un rôle important parmi les théoriciens de la sociobiologie: ils y voient la manifestation de l’agressivité innée chez les mâles en raison de la compétition avec leurs congénères pour diffuser leurs gènes. Wilson, l’inventeur, comme nous l’avons dit, du terme sociobiologie, parle de «l’authentique ivresse biologique de la guerre» (5)! L’altruisme consistant à se sacrifier pour le bien de son groupe ou de sa tribu est régulièrement cité par les théoriciens évolutionnistes, qu’ils soient partisans de la théorie du gène égoïste ou de l’évolution de groupe, comme une conséquence de cette agressivité naturelle de l’homme, agressivité qui se serait transmise héréditairement parce qu’elle représenterait un avantage du point de vue évolutif. Notons en passant que Spencer, le théoricien du réactionnaire darwinisme social, expliquait lui aussi l’existence nécessaire de l’altruisme, sur la base de la primauté de l’égoïsme: «L’égoïsme a sur l’altruisme, le pas du point de vue de la valeur obligatoire»; mais «Depuis le commencement de la vie, l’altruisme n’a pas été moins essentiel que l’égoïsme. Bien que primitivement il dépende de l’égoïsme, secondairement l’égoïsme dépend de lui» (6.

Knight continue: «La bravoure au combat repose sur des instincts non radicalement différents de ceux motivant une mère à prendre des risques en défendant ses enfants. En effet la mère (...) inclut ses enfants comme partie de son “moi” potentiellement immortel. En termes génétiques, ceci est réaliste, car ses enfants partagent ses gènes. Nous pouvons voir aisément pourquoi les “gènes égoïstes” d’une mère peuvent la pousser à se comporter de façon désintéressée – c’est clairement dans l’intérêt de ses gènes».

Dawkins écrit à propos des gènes qu’ils sont potentiellement immortels (dans la mesure où ils ne sont pas éliminés par les gènes concurrents), et il a une formule frappante: les corps des êtres vivants (hommes, animaux ou plantes) sont des «machines à survie» des gènes (il donne à ceux-ci le nom de «réplicateurs») que l’évolution a formées au cours de milliards d’années de lutte sans merci pour la vie: «Ils nous ont créé, corps et âme, et leur préservation, résume-t-il à propos des gènes, est l’ultime raison de notre existence» (7).

 Quand il parle des gènes et de leur supposée immortalité, Dawkins a en vue non pas seulement les gènes particuliers présents dans les cellules d’un individu et qui mourront avec ce dernier, mais également leurs copies à l’identique qui se retrouvent dans les descendants de cet individu – toute la lignée, pourrait-on dire, de chacun de ces gènes particuliers. La mère citée par Knight est donc une machine à survie au service de lignées génétiques immortelles qui constitueraient son «moi». Dans cette conception, le «moi» n’est pas comme dans les conceptions religieuses, une «âme» immatérielle et immortelle, ce n’est pas non plus la conscience de l’individu qui disparaît avec lui; c’est l’ensemble de milliers de molécules d’ADN qui dirigent l’individu sans qu’il en ait conscience, ainsi que leurs copies qui après s’être mélangées et dupliquées à chaque conception, se retrouveront partiellement dans les descendants de cet individu. Ce «moi potentiellement éternel» existe-t-il? On peut en douter...

Mais continuons le raisonnement (en priant le lecteur de nous pardonner de lui infliger les absurdités sociobiologiques). Les gènes que portent un enfant lui viennent pour moitié de chacun des deux parents; en se basant toujours sur le principe de la lutte pour la survie de la lignée génétique et sur le calcul coût/bénéfice, un sacrifice que fait un parent pour son enfant, ne serait plus contradictoire avec la théorie du gène égoïste, puisque cet enfant porte des copies de la moitié de ses gènes; l’altruisme s’explique alors par ce que Dawkins appelle la «sélection par la parenté» (Knight utilise dans l’article une autre dénomination plus obscure: la «valeur sélective inclusive», mais qui est moins contradictoire avec sa conclusion): les actes apparemment altruistes que les gènes poussent la mère à accomplir pour son enfant sont en réalité strictement égoïstes, car motivés exclusivement par la défense de leurs propres lignées...

Les théoriciens sociobiologistes se livrent à toute une série d’opérations arithmétiques pour calculer la propension à l’altruisme selon le degré de parenté; elle serait ainsi maximale entre de vrais jumeaux, qui partagent des gènes identiques, forte entre parents et enfants, et entre frères et soeurs (moitié des gènes en commun), plus faible entre oncles, tantes et neveux et nièces, ou entre grands parents et petits-enfants (un quart de gènes en commun), etc. Quand on arrive au niveau des cousins au troisième degré, la probabilité d’avoir des gènes en commun est très faible et l’altruisme envers eux serait alors aussi peu «naturel» qu’envers de purs étrangers. Où l’on voit que comme Monsieur Jourdain pour la prose, Le Pen faisait de la sociobiologie sans le savoir lorsqu’il disait: «je préfère mon prochain à mon lointain»!

Revenons à l’exemple des soldats, qui bien évidemment n’ont entre eux aucun lien de parenté, et voyons comment Knight fait cadrer ce fait avec la théorie qu’il défend:

«Loin dans le passé évolutif, les humains évoluaient en groupes de relativement petite taille. Toute personne avec qui tu travaillais, ou avec qui tu étais étroitement lié, avait une bonne chance statistique de partager tes gènes. De fait les gènes auraient dit: “Réplique nous en prenant des risques pour défendre tes frères et tes soeurs”. Nous, humains, sommes conçus [sic!] pour nous aider les uns les autres – et même mourir les uns pour les autres – à condition d’avoir d’abord eu des chances de former des liens. Aujourd’hui, même dans des conditions où nous avons beaucoup moins de chances d’être apparentés, ces instincts continuent à nous pousser aussi fortement qu’auparavant».

Donc, si nous comprenons bien, la théorie de la sélection par la parenté explique l’altruisme des parents envers leurs enfants parce qu’ils partagent des mêmes gènes, et l’altruisme des soldats entre eux bien qu’ils ne partagent pas les mêmes gènes! Y a-t-il une meilleure démonstration que cette théorie n’est qu’une pure fumisterie?

Si autrefois la sélection par parenté ne pouvait pas s’exercer parce que les groupes humains étaient de petite taille, il faudrait alors expliquer pourquoi elle est apparue à une époque plus récente dans un cas particulier (la mère), tout en continuant à ne pas exister dans un autre (les soldats). Ajoutons que l’étude des sociétés primitives de chasseurs-cueilleurs qui existent encore, a mis en évidence que les structures de parenté qui y existent sont en complète opposition avec cette théorie (8).

Knight est bien conscient de ces faiblesses, puisqu’il rajoute subrepticement la condition: «avoir formé des liens», absolument contradictoire avec toute la théorie du gène puisque cela revient à placer avant le fait biologique (la parenté génétique), le fait social («des liens») qu’elle voulait reléguer à une place secondaire et subordonnée. Puis il termine par une conclusion sur la nature humaine en complète contradiction avec ce qu’il écrivait plus haut sur l’harmonie et la fraternité qui ne sont pas «admises» dans le «monde social humain» par le darwinisme et le marxisme:

«La notion de “solidarité fraternelle” n’est pas totalement dépendante de facteurs externes et sociaux, tels que l’éducation ou la propagande. Elle n’a pas besoin d’être inculquée chez les gens à l’encontre de leur nature profonde. La solidarité fait partie d’une ancienne tradition – une stratégie évolutive – qui, il y a longtemps, devint centrale à la nature humaine elle-même. C’est une expression sans prix de l’“égoïsme” de nos gènes».

 

Marxisme et Darwinisme

 

Dawkins, dans son ouvrage sur le Gène égoïste, se définit comme un darwiniste orthodoxe; Knight, lui, parle de «nouveau darwinisme», en ajoutant: «qui pourrait presqu’être appelée “science de la solidarité”» (ce n’est pas l’avis de Dawkins: «Cet égoïsme du gène donnera habituellement lieu à un égoïsme dans le comportement individuel. Toutefois (...) il est des circonstances particulières qui font qu’un gène peut mieux réaliser ses buts égoïstes en suscitant une forme limitée d’altruisme au niveau des individus») (9).

Les partisans de Darwin ne partagent pas tous cet avis sur les sociobiologistes et la sociobiologie, mais peu importe; ce que nous voulons ici c’est rappeler brièvement quelques appréciations du marxisme sur le darwinisme parce qu’elles s’appliqueront à plus forte raison à la sociobiologie.

Lorsque parût l’ouvrage de Darwin  «l’Origine des espèces», Marx et Engels furent d’abord enthousiasmés: «Ce Darwin que je suis en train de lire, est tout à fait sensationnel, écrit Engels à son camarade. Il y avait encore un côté par lequel la téléologie [conception selon laquelle les choses se déroulent selon un but ou un dessein a priori] n’avait pas été démolie: c’est maintenant chose faite. En outre on n’avait jamais fait une tentative d’une telle envergure pour démontrer qu’il y a un développement historique dans la nature, du moins jamais avec pareil bonheur» (10). Marx estimait même que l’Origine des espèces, dans la mesure où il s’agissait d’une explication matérialiste de l’évolution biologique des organismes vivants, pouvait constituer comme une introduction à l’explication matérialiste de l’évolution économique, politique et sociale des sociétés humaines.

 Cependant la «rencontre» théorique entre marxisme et darwinisme ne se fit pas, et non pas à cause d’un malentendu ou d’un «fourvoiement» de Marx comme le prétendent certains (11). D’une part le «mouvement darwiniste» s’était rangé du côté des défenseurs de l’ordre bourgeois; d’autre part, Darwin lui-même, déjà bien conscient du fait que ses théories, en remettant en cause les dogmes religieux, l’exposaient à la vindicte des bien-pensants, n’avait du point de vue politique rien d’un révolutionnaire; comme le rappelle Knight, c’est dans les idées réactionnaires de Malthus qu’il avait trouvé un point de départ pour ses propres théorisations.

 Marx écrit précisément à ce sujet: «Ce qui m’amuse chez Darwin (...) c’est qu’il déclare appliquer aussi la théorie de “Malthus” aux plantes et animaux, comme si l’astuce de Monsieur Malthus ne consistait pas précisément en ceci que la théorie n’y est pas appliquée aux plantes et aux animaux, mais uniquement à l’homme – avec la progression géométrique – par opposition aux plantes et aux animaux. Il est remarquable de voir comment Darwin reconnaît chez les animaux et les plantes sa propre société anglaise, avec sa division du travail, sa concurrence, ses ouvertures de nouveaux marchés, ces “inventions” et sa malthusienne “lutte pour la vie”. C’est la guerre de tous contre tous de Hobbes» (12).

Engels de son côté précise à un correspondant: «De la doctrine darwiniste, j’accepte la théorie de l’évolution, mais je ne prends la méthode de démonstration (lutte pour la vie, sélection naturelle) que comme une première expression, une expression provisoire, imparfaite, du fait qu’on vient de découvrir (...).

Toute la doctrine darwiniste de la lutte pour la vie n’est que la transposition pure et simple, du domaine social dans la nature vivante, de la doctrine de Hobbes: la guerre de tous contre tous et de la thèse de la concurrence chère aux économistes bourgeois, associée à la théorie malthusienne de la population. Après avoir réalisé ce tour de passe-passe (...), on retranspose les mêmes théories cette fois dans l’histoire humaine, en prétendant alors que l’on a fait la preuve de leur validité en tant que lois éternelles de la société humaine. Le caractère puéril de cette façon de procéder saute aux yeux» (13).

C’est donc pour Marx et Engels une faute impardonnable que d’appliquer les théories de Darwin à la société humaine, comme le faisaient les darwinistes d’autrefois et comme le font les tenants de la sociobiologie aujourd’hui. Nous voyons ainsi ce qu’il faut penser des affirmations de Knight selon lesquelles, s’il était vivant, Marx serait du côté de la sociobiologie! S’ils ont remplacé les individus par les gènes qui détermineraient les actes de ceux-ci, les sociobiologistes en sont restés au niveau de la concurrence des individus entre eux et de la comptabilité «en partie double» caractéristiques de l’économie marchande, comme étant les principes régissant pour l’éternité l’activité humaine, exactement de la même façon que les idéologues conservateurs du dix-neuvième siècle. Leur conception pseudo-scientifique n’est que la transposition des lois économiques capitalistes, le décalque des théories «utilitaristes» selon lesquelles les acteurs économiques n’agissent que pour leurs intérêts individuels particuliers: «la seule force qui les mette en présence et en rapport est celle de leur égoïsme, de leur profit particulier, de leurs intérêts privés. Chacun ne pense qu’à lui, personne ne s’inquiète de l’autre» (14). Marx ne parle pas ici des gènes, mais du marché...

 

PRÉ-MARXISME DU CCI

 

Sur Révolution Internationale, l’article de Knight est précédé de la courte présentation suivante: «Ce texte scientifique s’appuie sur le théorie néo-darwinienne du gène égoïste, dont il résume les bases, pour battre en brèche les allégations selon lesquelles l’homme serait par essence “un loup pour l’Homme” [nous avons vu qu’en réalité c’est plutôt cette allégation qui est le postulat de cette théorie]; de ce fait, il constitue une précieuse contribution combattant l’idée que le communisme serait incompatible avec la nature humaine, et arrivant à la conclusion que la solidarité serait, au contraire, inhérente à notre nature».

Avec ces deux phrases, le CCI retombe au niveau pré-marxiste des socialistes utopiques qui ratiocinaient sur la «nature humaine»! «Les socialistes utopiques, écrivait le marxiste russe Plekhanov, défendaient l’idée abstraite de la nature humaine (...). La nature humaine étant supposée immuable, les socialistes étaient en droit d’espérer que parmi les nombreux systèmes sociaux possibles, il y en avait un qui lui correspondait mieux que les autres. De là cette recherche du système le meilleur, c’est-à-dire de celui qui correspondait le mieux à la nature humaine (...). Marx, en introduisant la méthode dialectique dans le socialisme, c’est-à-dire en le transformant en socialisme scientifique, porta un coup mortel à l’utopisme. Marx ne fait plus référence à la nature humaine; il ne connaît pas d’institutions sociales qui ou bien lui correspondent ou bien ne lui correspondent pas» (15).

Tout le marxisme, qu’on appelle aussi parfois matérialisme historique, est une réfutation des explications des faits sociaux et de leurs évolutions, par les caractéristiques supposées d’une éternelle nature humaine (étant entendu qu’il ne s’agit pas de la nature biologique ou physiologique de cette espèce particulière de primate qu’est l’homme, mais, pourrait-on dire, de sa nature comportementale). Proudhon ne connaissait pas la génétique et il ignorait la lutte des gènes pour leur survie, mais vivant dans une société capitaliste, il connaissait la concurrence; pour lui, elle était une «nécessité de l’âme humaine» qui ne pouvait pas disparaître car cela signifierait changer la nature humaine. Marx lui répondit de façon lapidaire dans «Misère de la Philosophie»: «Monsieur Proudhon ignore que l’histoire toute entière n’est qu’une transformation continue de la nature humaine» (16).

Cela ne signifie pas qu’il n’existe pas de nature humaine ou que l’homme puisse faire abstraction de celle-ci; cela signifie qu’«en même temps qu’il agit (...) sur la nature extérieure et la modifie, [l’homme] modifie sa propre nature» (17). Et dans ses «Thèses sur Feuerbach» Marx affirme: «l’essence humaine n’est pas une chose abstraite, inhérente à l’individu isolé. Elle, est dans sa réalité, l’ensemble des relations sociales» (18). Or ces relations sociales sont tout sauf immuables; les modifications de la production et de la distribution des produits (qui sont le fondement de tout régime social) sont la cause de leurs modifications, à travers les évolutions et révolutions politiques et sociales.

L’«erreur» fondamentale de la sociobiologie, théorie mise au point par des spécialistes des insectes, et de Knight, est de refuser de voir que l’évolution dans l’espèce humaine est, au moins pour ce qui est des derniers millénaires, fondamentalement de nature sociale et non pas biologique. Seul le matérialisme historique est à même de fournir les clés de cette évolution, les tenants d’une nature humaine éternelle, qu’ils soient ou non adeptes de la sociobiologie, étant bien incapables d’expliquer la succession des modes de production, le passage du communisme primitif aux différentes sociétés de classe, les révolutions qui permettent les changements dans l’organisation sociale, etc.

Le communisme n’est pas un bel idéal rêvé par de généreux utopistes et à propos duquel il est licite de chercher à savoir si la nature humaine est dotée de suffisamment de qualités (bonté, altruisme, solidarité, etc., etc.,) pour qu’il devienne un jour réalisable.

Selon le marxisme, l’ «impossible communisme» (pour reprendre la formule des bourgeois au dix-neuvième siècle) est la conséquence nécessaire des contradictions économiques et de l’antagonisme social engendré par le développement du capitalisme. «La classe ouvrière, écrit Marx, n’a pas d’utopies toutes faites à introduire par décret du peuple. Elle sait que pour réaliser sa propre émancipation et avec elle cette forme de vie plus élevée à laquelle tend irrésistiblement la société actuelle par son propre développement économique, elle aura à passer par de longues luttes, par toute une série de processus historiques qui transformeront complètement les circonstances et les hommes. Elle n’a pas à réaliser un idéal, mais seulement à libérer les éléments de la nouvelle société que porte dans ses flancs la vieille société bourgeoise qui s’effondre» (19). Il serait donc particulièrement absurde de se demander si cette nouvelle société est compatible avec la nature humaine...

En publiant la défense de la sociobiologie par Knight, le CCI assume la responsabilité de conférer une légitimité à ces thèses anti-marxistes auprès d’éléments qui sont à la recherche des positions communistes. Les besoins de la l’émancipation prolétarienne exigent tout l’inverse: la défense intransigeante du marxisme, autrement dit la lutte contre les attaques idéologiques bourgeoises envers les positions matérialistes marxistes, attaques d’autant plus dangereuses quand elles se parent du manteau éblouissant de la «Science» ou se camouflent derrière des références creuses à Marx et à Engels.

La conclusion de l’article de Knight peut sembler sympathique, avec son affirmation que la «solidarité» serait une particularité centrale de la nature humaine – causée par nos gènes égoïstes. Mais, indépendamment du fait qu’elles disent en fait l’inverse à propos de la solidarité, les théories de la sociobiologie sont des constructions idéologiques parfaitement réactionnaires.

Allégations sans bases sérieuses, qui ne constituent en rien une révolution scientifique ou seulement une solution aux faiblesses du darwinisme, elles ne doivent leur succès qu’aux services qu’elles rendent à l’idéologie bourgeoise. En allant chercher de ce côté un appui éventuel au «communisme», le CCI se fourvoie du tout au tout et fait la démonstration qu’il tourne le dos au matérialisme historique.

Ou plutôt il démontre, une nouvelle fois, que son hérédité éclectique est un obstacle insurmontable à l’assimilation du marxisme.

 

POST-SCRIPTUM: LE GÈNE DE LA BÊTISE

 

Au moment de boucler cet article, nous apprenons qu’un laboratoire américain vient d’identifier le gène de la bêtise; non chez les chercheurs de l’équipe, ni même chez les commanditaires de la recherche, mais chez de malheureuses souris de laboratoire intentionnellement soumises à des altérations génétiques (20).

Faut-il en penser que les responsables du CCI seraient porteurs de ce gène, et que les sociobiologistes auraient donc peut-être raison?

Non; ce qu’il faut penser de cette «découverte» comme plus généralement des succès de la sociobiologie, c’est que les causes de la bêtise sont sociales. Elles découlent de l’organisation capitaliste qui entrave les progrès de la connaissance en orientant les recherches scientifiques selon les intérêts économiques et sociaux de ce système, avec comme résultat que les scientifiques et la science bourgeoise – tant respectée par le CCI – se montrent capables d’atteindre les sommets de la bêtise!

Le salut ne peut venir que de la science prolétarienne, le marxisme, qui pourra liquider le capitalisme dès que les conditions matérielles (et non leurs gènes) auront poussé les prolétaires qui se lanceront dans la lutte révolutionnaire, à se l’approprier en s’organisant sur le plan de la défense immédiate comme sur celui du parti de classe, et en menant leurs combats selon ses enseignements!

 


 

(1) Le discrédit rencontré par la sociobiologie, surtout en Europe, la conduit à se déguiser parfois sous l’appellation de «psychologue évolutionniste».

(2) Wilson, cité par Stephen Jay Gould in «Darwin et les grandes énigmes de la vie», Ed du Seuil 1997.

(3) Darwin lui-même avait pris ses distances par rapport aux positions de Spencer.

(4) «Typiquement, les mâles sont agressifs, en particulier les uns avec les autres (...) Chez la plupart des espèces, la stratégie la plus profitable pour le mâle est la domination (....). Il est donc intéressant pour les mâles d’être agressifs, hargneux, volages et polygames. En théorie, il est plus profitables aux femelles d’être timides et d’attendre d’avoir pu trouver les mâles porteurs des meilleurs gènes. (...) Les êtres humains obéissent fidèlement à ce principe biologique» Dawson, «L’humaine nature, essai de sociobiologie», cité par Michel Veuille, «La sociobiologie», PUF 1986, p. 74. Et Wilson étend ce soi-disant «principe biologique» à l’organisation de toutes les sociétés humaines pour justifier la situation d’infériorité des femmes: «Dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs, les hommes chassent et les femmes restent à la maison [sic!]. Ce puissant biais persiste dans la plupart des sociétés agricoles et industrielles, et sur cette seule base, apparaît comme ayant une origine génétique. (...) Ma conjecture personnelle est que ce biais génétique est suffisamment intense pour causer une susbstantielle division du travail même dans les sociétés futures les plus libres et les plus égalitaires (...). Même avec une éducation identique et un accès égal à toutes les professions, il est probable que les hommes continueront à jouer un rôle disproportionné dans la vie politique, les affaires et la science», «Human Decency is Animal», New York Times Magazine, 12/10/75. Pour le marxisme au contraire, la position sociale relative des hommes et des femmes varie aux différentes époques historiques selon les structures politiques et sociales de classes, elles-mêmes déterminées par l’évolution de l’infrastructure économique.

(5) cf «La culture est-elle dans les gènes?», Pour la Science n°428, juin 2013 et l’émission radio: http://www.franceculture.fr/emission-la-marche-des-sciences-pomme-de-discorde-et-controverses-quand-la-sociobiologie-americaine-

(6) cf M. Veuille, «La sociobiologie», op. cit., pp 29-30. Spencer écrit aussi: «Chaque espèce se débarrasse continuellement des individus qui ne sont pas égoïstes comme il convient, tandis que les individus qui ne sont pas convenablement altruistes sont perdus pour elle», Ibidem.

(7) cf «Le gène égoïste», Odile Jacob 2003, p. 40.

(8) Voir à ce sujet l’analyse détaillée de Marshall Sahlins, «Critique de la sociobiologie», NRF 1976.

(9) cf Dawkins, «Le gène égoïste», op. cit., p.19.

(10) Lettre d’ Engels à Marx, décembre 1852. Correspondance, tome V, Ed. Sociales 1975, p. 445. Dans les écrits actuels des sociobiologistes, on bute à chaque pas sur une téléologie enfantine; véritables démiurges, les gènes «nous ont conçus» dans un but précis, nous parlent, nous guident, nous imposent nos comportements. Ces affirmations ne reposent sur rien de sérieux.

(11) Nous pensons au spécialiste de Darwin, Patrick Tort, qui regrette l’incompréhension des véritables idées de Darwin par Marx. Pour laver Darwin de tout pêché de «darwinisme social», Tort cite dans «Anton Pannekoek. Darwinisme et Marxisme» (Ed. arkhé 2011) le passage suivant: «Si importante que la lutte pour l’existence ait été, et soit encore, d’autres influences plus importantes sont intervenues en ce qui concerne la partie la plus élevée de la nature humaine. Les qualités morales progressent en effet directement ou indirectement, bien plus par les effets de l’habitude, par le raisonnement, par l’instruction, par la religion, etc., que par l’action de la sélection naturelle, bien qu’on puisse avec certitude attribuer à l’action de cette dernière les instincts sociaux, qui sont la base du développement du sens moral». Nous citons d’après l’édition de 1891: «La Descendance de l’homme et la sélection sexuelle», p. 751. cf http://classiques. uqac.ca/classiques/darwin_charles _robert/descendance_homme/descendance_ homme.html

Mais Tort «oublie» de rapporter les phrases qui précédent où Darwin, après avoir cité approbativement son cousin Francis Galton, le fondateur de l’eugénisme qui prônait l’amélioration de la race par l’application des lois darwiniennes à la société humaine (et donc la suppression des lois sociales), écrit:

 «Comme les autres animaux, l’homme est certainement arrivé à son haut degré de développement actuel par la lutte pour l’existence qui est la conséquence de sa multiplication rapide; et, pour arriver plus haut encore, il faut qu’il continue à être soumis à une lutte rigoureuse. Autrement il tomberait dans un état d’indolence, où les mieux doués ne réussiraient pas mieux dans le combat de la vie que les moins bien doués. Il ne faut donc employer aucun moyen pour diminuer de beaucoup la proportion naturelle dans laquelle s’augmente l’espèce humaine, bien que cette augmentation entraîne de nombreuses souffrances. Il devrait y avoir concurrence ouverte pour tous les hommes, et on devrait faire disparaître toutes les lois et toutes les coutumes qui empêchent les plus capables de réussir et d’élever le plus grand nombre d’enfants». Où l’on voit que le darwinisme social n’est pas loin...

 Si l’on ajoute à cela ses considérations sur les «races inférieures» (des Africains proches des gorilles aux Irlandais en passant par les Canadiens français), on voit que Darwin ne pouvait guère avoir de sympathies avec le marxisme et le mouvement prolétarien...

(12) Lettre de Marx à Engels, 18/6/1862, Correspondance, Tome VII, Ed. Sociales 1979, p. 51.

(13) Lettre d’Engels à Lavrov, 12/11/1875, Correspondance, Ed du Progrès 1971, p. 310.

(14) cf «Le Capital», Livre I, Ch. 6. Ed Sociales 1976, p.135.

(15) cf Plekhanov, «Préface à Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie allemande», Oeuvres Philosophiques, Tome III, Ed du Progrès 1981, p. 81.

(16) cf «Misère de la Philosophie», Ed. Sociales 1977, p. 153.

(17) cf «Le Capital», op. cit., Ch. 7, p. 136.

(18) cf K. Marx, «Thèses sur Feuerbach» VI, Oeuvres, Tome III, Ed La Pléiade 1982, p. 1032.

(19) cf Marx, «La guerre civile en France», Marx Engels, Oeuvres choisies, Tome I, Ed. du Progrès, p. 557 (en gras: en français dans le texte).

(20) cf http://www. futura-sciences. com/fr/ news/t/medecine/d/un-gene-de-la-betise-a-t-il-ete-identifie_25263/

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

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