Histoire de la Gauche communiste

(«programme communiste»; N° 102; Février 2014)

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La question du Front Unique (1)

L’intervention d’Amadeo Bordiga au premier Congrès du Parti Communiste Français

(Marseille, décembre 1921)

 

 

A l’été 1921, le IIIe Congrès de l’Internationale Communiste avait fait la critique de la Marzaktion, «l’action de mars», en Allemagne (1), et surtout de la théorie de «l’offensive à tout prix» qui l’avaient accompagnée. Pour Lénine et les dirigeants de l’Internationale il existait un danger «gauchiste», aventuriste, qui menaçait les jeunes partis communistes et contre lequel il fallait rappeler la nécessité de ne pas se couper des masses: ce ne sont pas des minorités élitistes qui peuvent «faire» la révolution, par des actions volontaires et héroïques, voire des coups de main à la Blanqui, mais les grandes masses exploitées lorsqu’elles sont poussées par les déterminations matérielles à entrer en lutte pour leurs besoins vitaux, et lorsqu’elles peuvent alors rencontrer le guide juste du parti de classe.

Si la formule émise alors de la «conquête de la majorité» du prolétariat pouvait être grosse de dangereuses équivoques, comme la suite l’a malheureusement amplement montré, le Congrès avait rappelé deux principes fondamentaux de la tactique révolutionnaire que la Gauche communiste en Italie était la première à partager:

- la nécessité, pour la victoire de la révolution, d’avoir non seulement des partis véritablement communistes, mais que ces partis jouissent d’une influence déterminante sur la classe ouvrière, conquise contre toutes les autres forces politiques ;

- la nécessité de mener ce combat pour la conquête des larges masses prolétariennes aux principes du communisme, non seulement sur le plan de la lutte théorique et politique générale – toujours indispensable – mais aussi sur celui de la participation active du parti communiste à toutes les luttes partielles et économiques de la classe ouvrière, pour la défense de ses intérêts les plus humbles mais aussi les plus vitaux.

Dans la situation d’offensive capitaliste qui faisait rage en Europe, mettant le prolétariat sur la défensive, ces principes permanents se traduisirent à l’automne 1921 par la formulation du mot d’ordre du Front Unique de tous les prolétaires, qui sera codifié ensuite à l’Exécutif Elargi de décembre 1921. Nous verrons plus loin les dérives successives de ce mot d’ordre tactique et comment c’est en Allemagne, au sein du principal parti communiste en dehors du parti russe, que naquirent toutes les déviations, qui furent ensuite entérinées par l’exécutif international, démonstration que c’est la faiblesse et l’immaturité révolutionnaire du prolétariat européen qui fut la première cause de la dégénérescence de l’Internationale Communiste.

Mais il faut tout d’abord souligner que le parti communiste d’Italie nouveau-né (il n’avait que quelques mois d’existence) fut le premier au niveau international à agir pour la réalisation d’un front unique prolétarien, non pas sur le terrain d’accords politiques avec les partis réformistes, qui se soldent invariablement par des échecs, mais dans le vif de la lutte prolétarienne contre les patrons, les fascistes et l’Etat bourgeois. D’ailleurs les Thèses sur le Front Unique qui furent adoptées par l’Exécutif le 18 décembre reconnaissaient : «En Italie, le jeune Parti Communiste a commencé à mener une agitation sous le mot d’ordre de l’unité de front prolétarien contre l’offensive capitaliste, bien qu’il soit l’opposant le plus intransigeant au Parti Socialiste Italien réformiste et à la Confédération du Travail social-traître qui viennent de mettre le point final à leur trahison ouverte de la révolution prolétarienne.

Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste considère que cette agitation est entièrement juste et elle insiste seulement pour qu’elle soit intensifiée. Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste est convaincue qu’avec suffisamment de prévoyance, le Parti Communiste d’Italie saura donner à toute l’Internationale un exemple de marxisme militant qui à chaque pas dévoile impitoyablement les hésitations et les trahisons des réformistes et des centristes drapés dans le manteau du communisme, et mène en même temps une campagne infatigable et toujours plus vaste parmi les masses de plus en plus larges pour le front uni des travailleurs contre la bourgeoisie» (2).

A la mi-août 1921 le «Comité Syndical Communiste» (organisme créé en février pour centraliser et diriger l’action des militants du parti adhérant au différents syndicats) adressait aux dirigeants de la CGL (Confédération Générale du Travail) le principal syndicat, dont les chefs réformistes étaient membres du Parti Socialiste Italien, de l’USI (l’Union Syndicale Italienne) et du SFI (Syndicat des Cheminots Italiens), deux organisations anarco-syndicalistes, une proposition d’action commune pour des revendications élémentaires fondamentales du prolétariat, y compris agricole, à défendre sans aucune concession (défense du salaire, des 8 heures de travail, maintien des contrats de travail existants, allocations de chômage tendant à atteindre le niveau du salaire moyen et proportionnel à la taille de la famille, défense du droit d’organisation syndicale, etc.); elle demandait l’organisation d’une grève générale nationale de toutes les catégories dès qu’un secteur ouvrier quelconque était attaqué par les capitalistes.

Cette proposition était appuyée par la publication le 28 août sur la presse du parti des «Normes pour la campagne en faveur du front unique syndical»; elle était accompagnée par un appel direct aux travailleurs du rang et soutenue une intense propagande en sa faveur. Si cet appel rencontra un écho notable parmi les prolétaires, il fut, on s’en doute, rejeté par les directions syndicales. Tout en se disant d’accord avec un Front Uni syndical de ce type, l’USI et le SFI ne prirent pas au sérieux la proposition communiste ; quant aux dirigeants de la CGL, ils déclarèrent qu’il était « démagogique » et «illusoire» de se donner comme objectif le maintien du niveau des salaires, le salaire étant par nature variable!

Les 6-7 septembre le Conseil Directeur de la CGL montrait une fois de plus son opposition à la lutte de classe en adoptant une motion en faveur d’une « action énergique » de ses organisations pour... contraindre le gouvernement à « tourner son attention et son action vers les impérieuses nécessités de la classe laborieuse » et une autre préconisant une politique réformiste à base de grands travaux, d’un emprunt national, etc., afin de relancer l’activité économique.

Le 29 octobre 1921 la CGL et le PSI publiaient une déclaration commune où, en bons démocrates partisans de la collaboration entre les classes, ils réaffirmaient «le principe qu’à d’éventuelles réductions du revenu du travail [sic!] doivent correspondre des réductions du revenu du capital»; et ils proposaient de suspendre les luttes ouvrières en cours, le temps qu’une commission mixte «entre représentants des patrons, des travailleurs et de l’Etat» prenne en charge «la tâche d’examiner immédiatement la situation des entreprises, de façon que l’opinion publique prenne connaissance des véritables causes de la hausse des prix et de l’éventuelle nécessité de baisser les salaires»! (3).

Mais dans cette même déclaration, les larbins réformistes se voulaient menaçants : « si [les classes dirigeantes] ne veulent pas écouter et suivre nos avertissements, nous ne désarmerons pas et nous mènerons notre action par d’autres moyens jusqu’au bout, pour la sauvegardes des intérêts des travailleurs et des consommateurs [!], contre toutes les forces de la réaction et de l’exploitation ».

Les bourgeois savaient pertinemment que ce n’était là qu’une phrase creuse à destination des prolétaires, et que les réformistes politiques et syndicaux allaient en réalité continuer de toutes leurs forces leur sale besogne de désarmement de la classe ouvrière.

Outre sa campagne en faveur d’une action commune contre l’offensive patronale, le parti, par l’intermédiaire du Comité Syndical Communiste, adressa début septembre aux directions des trois syndicats un appel en faveur de leur unification. L’USI qui, à la réunion des Syndicats Rouges à Moscou avait signé avec la délégation italienne du PCd’I une déclaration pour œuvrer à cette unification, et le SFI acceptèrent des discussions préliminaires en vue de la préparation d’un congrès d’unification (tout en émettant les traditionnelles réserves libertaires contre l’action des partis politiques); mais la réponse de la CGL fut que la condition de sa participation à un tel congrès était la reconnaissance du pacte d’alliance avec le PSI. Il n’en fallait pas plus pour que les autres syndicats abandonnent toute idée d’unification et le Congrès prévu n’eut jamais lieu...

Le conseil national de la CGL, qui se tint début novembre à la veille d’une poussée importante de grèves, fut marqué par l’affrontement entre les communistes et les dirigeants réformistes.

La motion réformiste reprenait les motions du Conseil Directeur de septembre qui « repoussant les propositions des éléments irresponsables, offrent la possibilité du succès ».

La motion communiste, elle, dénonçait comme « un désarmement devant l’offensive bourgeoise » et « une renonciation non seulement à toutes les méthodes de la lutte de classe, mais à la raison d’être elle-même de l’organisation prolétarienne » le remplacement des luttes syndicales par le recours à des commissions mixtes, ainsi que toute justification des baisses de salaire. Elle préconisait « la réalisation du front unique prolétarien de toutes les catégories et de toutes les organisations syndicales pour la préparation d’une action d’ensemble opposant à l’attaque capitaliste (...) la grève générale de tout le prolétariat » (4).

Le fait que la motion de la direction restait largement majoritaire (612.653 voix contre 246.653 à la motion communiste dans les Bourses du Travail, où il y avait un vote direct), n’empêche pas qu’une indéniable poussée communiste se manifestait dans le syndicat (plus de 70.000 voix gagnées en 6 mois dans les Bourses du Travail) et dans le prolétariat tout entier.

Un article du quotidien central du PCd’I, intitulé «Le Front Unique» résumait ainsi la signification de cette orientation tactique:

« Le Parti communiste soutient en ce moment, dans la difficile situation où se trouve le prolétariat italien, la nécessité de l’“unité prolétarienne” et la proposition du “front unique” prolétarien pour l’action contre l’offensive économique et politique de la classe patronale. (...) Le communisme révolutionnaire se base sur l’unité de la lutte d’émancipation de tous les exploités, et en même temps il se base sur l’organisation bien définie en Parti politique de cette “partie” des travailleurs qui ont la plus grande conscience des conditions de la lutte et la plus grande volonté de lutter pour son but révolutionnaire ultime, constituant donc l’avant-garde de la classe ouvrière. (...)

Tandis que, sur le même plan que l’Internationale Syndicale Rouge, les communistes italiens travaillent pour l’unification des organismes syndicaux du prolétariat italien, avant même d’arriver à cette unité organisationnelle, à laquelle s’opposent de nombreuses difficultés, ils soutiennent tout aussi énergiquement la nécessité de l’action de l’ensemble du prolétariat, aujourd’hui où ses problèmes économiques partiels devant l’offensive des patrons se fondent en un problème unique: celui de la défense commune.

(...) Du “front unique” du prolétariat syndicalement organisé contre l’offensive bourgeoise, surgira le front unique du prolétariat sur le programme politique du Parti Communiste, démontrant dans l’action et dans la critique incessante l’insuffisance de tout autre programme.

(...) Une grossière erreur serait de prendre la formule de l’unification syndicale et du front unique avec celle d’un bloc de partis prolétariens, ou de la direction de l’action des masses, dans des épisodes contingents ou dans des mouvements généraux, par des comités nés sur la base d’un compromis entre divers partis ou courants politiques (...). Les communistes ne “cachent” jamais leur parti, leur militantisme politique, leur discipline inviolable. Ce sont des choses dont ils n’ont en aucun cas à rougir (...) parce qu’elles ne sont pas une concession à d’inavouables exigences de “division” du prolétariat, mais représentent à l’inverse le contenu même de l’oeuvre d’unification du prolétariat dans son effort d’émancipation. Unité syndicale et front unique sont le développement logique, et non la forme cachée d’un repentir, du travail des communistes italiens pour constituer et renforcer l’arme de la lutte révolutionnaire, leur parti sévèrement défini et délimité du point de vue de la doctrine, des méthodes, de la discipline organisationnelle, et mené dans l’intérêt de l’unification révolutionnaire de la lutte du prolétariat contre toutes les déviations et toutes les erreurs » (5).

Comme on le voit, la tactique du front unique telle qu’elle était préconisée et suivie en pratique par le parti communiste d’Italie, excluait les accords politiques au sommet avec les partis réformistes : ce n’était pas le front unique « politique », mais le front unique « syndical » ou « à la base ».

Il y a en effet une différence de nature entre un parti politique où n’adhèrent que ceux qui sont d’accord avec son programme et son action politiques, et une organisation syndicale par principe ouverte à tous les prolétaires, quelles que soient leurs positions politiques, philosophiques ou religieuses, qui ressentent le besoin de la défense collective de leurs intérêts; et c’est cette différence de nature entre ces deux types d’organisations qui non seulement autorise, mais en réalité oblige le parti de classe à avoir une attitude différente envers elles: envers les partis, lutte politique externe pour combattre leur influence sur les masses prolétariennes; envers les syndicats – pourvu qu’il s’agisse de syndicats de classe comme c’était le cas à l’époque et non de syndicats patronaux, pro-bourgeois comme les syndicats catholiques alors ou collaborationnistes aujourd’hui – lutte interne pour tenter d’en prendre la direction ou au moins pour en conquérir une partie significative.

La distinction entre front unique syndical et front unique politique qui sera souvent reprochée plus tard au PCd’I et à la Gauche communiste, n’était donc ni abstraite ni artificielle; elle répondait à la nécessité de lier la lutte pour la nécessaire unité prolétarienne à la lutte contre les courants et partis réformistes qui, tout en se disant «ouvriers» ou «socialistes», tout en parlant, eux aussi, volontiers d’unité, paralysent le prolétariat et sabotent ses combats de classe parce qu’ils sont des partisans de l’unité entre les classes, autrement dit des défenseurs de l’ordre établi.

C’est en Allemagne, le pays le plus important pour la lutte prolétarienne et les perspectives révolutionnaires en Europe, qu’a contrario allaient apparaître les dérives sur la tactique du front unique qui allaient contaminer les organes dirigeants de l’Internationale.

Au cours de l’été 1921 la situation politique et sociale avait recommencé à devenir de plus en plus tendue; si le chômage avait diminué, l’inflation atteignait des sommets, l’augmentation de la pression fiscale pour payer les réparations aux vainqueurs de la guerre entraînait la détérioration des conditions de vie des grandes masses, y compris petites-bourgeoises, alors que la classe ouvrière commençait à surmonter les conséquences de l’échec de l’ «action de mars» en renouant avec les grèves et les manifestations.

Le parti allemand, dirigé par les éléments de gauche, qui avaient abandonné la funeste théorie de l’offensive, répondit par des appels aux organisations syndicales pour des actions communes en défense «du pain et du travail». Rien à redire à ces initiatives, si ce n’est que le parti, craignant que les succès électoraux des sociaux-démocrates du SPD et de l’USPD ne débouchent sur un gouvernement de coalition avec les partis du centre, les fit suivre de tentatives de rapprochement avec ces partis réformistes sur le plan électoral puis parlementaire.

Au début d’octobre le groupe communiste au parlement de Thuringe (bientôt suivi par celui de Saxe) se déclara prêt à donner son appui à un gouvernement régional SPD-USPD s’il démontrait sa capacité à «défendre les intérêts de la population laborieuse». A propos du Reich dans son ensemble, il affirmait sans doute ne pas «renoncer à sa position de principe par rapport à la République démocratique actuelle», mais il ajoutait qu’il était «prêt à défendre cette même République, par tous les moyens, contre toute attaque de la droite» et à en promouvoir la démocratisation tant sur le plan des droits généraux des citoyens que sur celui de la législation sociale.

C’était là se placer complètement sur le terrain du réformisme: après avoir juré fidélité aux principes marxistes qui stipulent que la plus démocratique des républiques bourgeoises n’est pas autre chose que l’instrument de la domination de classe de la bourgeoisie contre l’Etat bourgeois et qu’elle doit donc être abattue par le prolétariat, on affirme vouloir dans la pratique la défendre (contre les partis bourgeois!) et la démocratiser! Dans la vieille social-démocratie il était devenu de règle que les principes devaient rester inviolés, mais que la pratique ne devait en tenir aucun compte: cette coupure entre les principes et le programme général, et l’activité pratique caractérisait ce que l’on appelait l’opportunisme, courant politique qui reflétait la pression des influences bourgeoises dans le mouvement socialiste.

Le 7 octobre le même groupe, tout en s’affirmant bien conscient que «les partis sociaux-démocrates, sur la base de l’activité qu’ils ont menée jusqu’ici et de leurs positions politiques, ne sont pas capables de répondre aux attentes des travailleurs», s’engageait pourtant à rendre possible un gouvernement de ces partis et à l’appuyer au parlement et en dehors (sans pour autant en faire partie) dans la mesure où il mènerait une «politique favorable aux ouvriers»! Au plan national le parti publiait le 27 octobre un appel «au prolétariat allemand pour empêcher par une lutte commune la formation d’un gouvernement de Grande Coalition» (c’est-à-dire entre les partis du centre et les partis sociaux-démocrates). Cette orientation entraîna bien des protestations de l’extrême gauche, mais ces protestation furent impuissantes à renverser le courant et le 8 décembre une circulaire du centre du parti (la Zentrale) allait plus loin que le soutien éventuel à un gouvernement SPD-USPD: le parti devait être prêt à participer à un tel gouvernement «s’il avait la garantie que, dans la lutte contre la bourgeoisie, il défendrait les intérêts et les revendications des travailleurs» en s’engageant dans de cas à «diffuser parmi les masses le mot d’ordre de gouvernement ouvrier et à en faire l’une de leurs revendications». Préparant dans cette optique le lancement de mots d’ordre comme «Ouvriers, la bourgeoisie veut gouverner contre vous; constituez dans la lutte votre [!] gouvernement contre la bourgeoisie!», la circulaire prétendait que ce n’est qu’ainsi, en dépassant les limites étroites des revendications purement économiques, que le parti pourrait poser concrètement devant les masses le problème du pouvoir...

Mais cette prétendue habile manœuvre tactique ne pouvait que semer la confusion parmi ces masses sur la possibilité que les partis sociaux-démocrates qui avaient mené le prolétariat à la boucherie mondiale et sauvé le système bourgeois à la fin de la guerre, puissent quand même défendre les intérêts du prolétariat, et sur la possibilité de la constitution d’un gouvernement ouvrier sans révolution, par la voix parlementaire et en alliance avec ces mêmes partis!

Mais ce n’était pas tout; le 21 décembre 1921 la Zentrale adressait une lettre au Comité Exécutif de l’Internationale Communiste (CEIC) pour qu’il prenne l’initiative d’un appel «à toutes les organisations internationales de la classe ouvrière», c’est-à-dire à la IIe Internationale, à l’Internationale deux et demi de Vienne (qui regroupait les partis sociaux-démocrates dits «centristes» qui avaient rompu avec le réformisme trop affiché de la IIe Internationale), à l’Internationale Syndicale d’Amsterdam (syndicats liés à la social-démocratie) afin, que «en considération des dangers pour la classe ouvrière découlant des rivalités impérialistes, de la crise de la question des réparations, du chômage croissant, de la famine en Union Soviétique et du blocus économique de cette dernière» des pas soient fait le plus rapidement possibles pour une action commune sur des objectifs allant de l’annulation des dommages de guerre à l’arrêt de la course aux armements, de l’arrêt des agressions de l’impérialisme français à la reconnaissance de l’Union soviétique et à l’attribution à celle-ci de crédits pour lutter contre la famine et pour la reconstruction économique, et l’introduction à l’échelle internationale de lois pour instituer la journée de 8 heures...

Publiée par la Rote Fahne (quotidien du parti allemand) le 23 décembre et les jours suivants par la presse des autres partis communistes, cette lettre prit ces derniers par surprise. En France, où allait s’ouvrir le premier congrès du PCF (après la scission de Tours l’année précédente), elle ne pouvait qu’accroître l’incompréhension envers la tactique du front unique et donner des armes à ceux qui la refusaient, en général pour de très mauvaises raisons. Au point que les deux délégués de l’Internationale au congrès, Bordiga et le polonais Walecki envoyèrent le 28 de Marseille un télégramme «à Zinoviev, Lénine, Radeck, Trotsky, Rakozi» ainsi formulé:

«Ayant appris à Marseille de dépêche Humanité proposition KPD relative initiative Exécutif envers toutes les Internationales, pensons notre devoir attirer attention sur le fait que cet acte absolument non préparé pour France provoquera confusion lutte interne violente - Situation analogue autres pays - Sans se prononcer sur le fond de la question proposons étude approfondie prudence préparation. Insistons danger grave précipitation».

Le 31 décembre, après le retour de Bordiga en Italie, l’Exécutif du PCd’I envoyait à Zinoviev le télégramme suivant:

«Vous soumettons point de vue notre parti sur proposition Parti Allemand pour action commune avec autres Internationales - le moment n’est pas encore venu pour donner base internationale à une telle action, étant donné situation divers pays par rapport forces réciproques organes politiques et syndicaux - Contenu revendications devrait comprendre point ordre économique syndical complété politiquement de défense prolétarienne contre réaction légale et illégale sans revendications politiques positives - Sommes pour initiative ISR (Internationale Syndicats Rouges) envers centrales syndicales nationales toutes tendances, au maximum envers Amsterdam, contre initiative Komintern envers autres Internationales politiques, que nous considérons compromettante pour situation Italie et autres Pays».

Mais à la date où était envoyé ce télégramme, l’Exécutif de l’Internationale avait déjà pris sa décision.

 

Le Congrès de Marseille

 

Un an après le Congrès de Tours (25-30 décembre 1920) qui avait vu la scission d’avec le Parti Socialiste, le premier Congrès de la Section Française de l’Internationale Communiste (le nom de «parti communistes» n’avait pas encore été officiellement adopté) se tint à Marseille du 25 au 31 décembre 1921 dans une situation de tension entre le parti et l’Internationale. Pénétrée de la funeste tradition social-démocrate qui ne concevait au fond l’activité politique que sous la forme de l’action parlementaire et électorale, la SFIC avait fait montre de sa «passivité» en pratique au cours de l’année écoulée depuis la scission de Tours.

L’épreuve du feu avait été l’occupation par les troupes françaises de plusieurs villes de la rive droite du Rhin en mars 1921 pour obliger l’Allemagne à payer les «réparations» de guerre; le gouvernement s’était préparé à mobiliser la «classe 19» (les jeunes ayant atteint en 1919 l’âge du service militaire) pour le cas où l’occupation de toute la Ruhr aurait été décidée.

Le Parti ne répondit en pratique à cette «menace d’une nouvelle guerre» que par des articles dans sa presse; seules les Jeunesses Communistes se lancèrent dans une campagne d’agitation, en collant des affiches appelant la classe 19 à ne pas répondre à l’avis de mobilisation, en faisant de l’agitation parmi les recrues, etc (de nombreux militants furent arrêtés pour propagande antimilitariste).

En protestation contre l’inaction du parti, des délégations furent envoyées à diverses réunions de la direction pour demander une action effective de toute l’organisation, voire un appel à la désertion des jeunes de la classe 19. Frossard, leader du parti et représentant de la fraction du «centre», répliqua par un article appelant au «sang-froid et à la discipline», article plutôt mal reçu par les Jeunesses (6).

Le Troisième Congrès de l’Internationale Communiste en juillet 1921 ne s’occupa pas de la situation en France, mais durant l’ «Exécutif Elargi» qui l’avait précédé, l’attitude du Parti français fut l’objet, les 16 et 17 juin, de violentes critiques de la part de nombreux orateurs.

Le représentant des Jeunesses Communistes françaises Laporte, y déclara que le parti n’était pas révolutionnaire, en donnant l’exemple qu’il n’avait pas réagi par des appels à la révolte lors de l’appel sous les drapeaux de la classe 19; le représentant des communistes luxembourgeois, après avoir condamné la politique équivoque et «anticommuniste» du Parti qui n’avait réalisé aucune action contre l’occupation du Luxembourg par l’armée française, demanda l’exclusion de Frossard; Lozovsky (dirigeant bolchevik qui suivait de près les affaires françaises qu’il connaissait pour avoir milité en France) affirma que les responsables français manquaient «de conscience de classe, de cette haine que tout vrai communiste doit nourrir contre la bourgeoisie»; et il reprochait au parti de ne pas avoir répondu à l’occupation de la rive droite du Rhin par les troupes françaises par une action de masse.

Le Hongrois Bela Kun dénonça «l’inertie et la conception anticommuniste de la Direction du Parti Français», comparant son organe central, l’Humanité, à la Freeheit, l’organe des «Socialistes Indépendants» Allemands; et il demanda l’envoi d’une Commission en France pour étudier à fond l’activité du parti et lui poser certaines conditions avant de confirmer définitivement son adhésion à l’Internationale, etc. (7).

Dans son intervention, Trotsky fut contraint de critiquer les positions aventuristes ou gauchistes infantiles de certains de ces orateurs, comme celui des Jeunesses et il termina:

«Sur la tactique du Parti Français nous devons dire que ses péchés sont très grands, que sa volonté révolutionnaire n’est pas nette, que ses conceptions sont confuses et qu’il a laissé inemployées des occasions favorables à l’action. (...) Le principal chef d’accusation qu’on puisse imputer au Parti Français, c’est son attitude à l’égard des syndicalistes [révolutionnaires - NdlR]. Le parti a le devoir d’attirer à lui les syndicalistes par son attitude révolutionnaire et par la précision de ses idées et de ses conceptions. Nous n’exigerons pas du Parti qu’il nous promette de faire une révolution ou même une rébellion à l’occasion de la mobilisation de la classe 19. Mais le Congrès devra exiger du Parti Français qu’il fasse des préparatifs en vue de la révolution et qu’il se fasse des idées précises de ce que c’est que la révolution prolétarienne» (8).

Un des aspects les plus criants des tares du parti français était en effet son attitude par rapport aux luttes ouvrières immédiates en général et à l’action syndicale en particulier. Il continuait la tradition bien ancrée dans le parti socialiste (appelé SFIO, Section Française de l’Internationale Ouvrière, depuis l’unification du PS de France guesdiste avec le PS Français jauressien en 1905) et conforme à la Charte d’Amiens de la CGT qui avait théorisé l’autonomie du syndicat par rapport aux partis: tout ce domaine relevait de la seule compétence des syndicats, le parti en tant que tel n’avait rien à dire et rien à y faire (son domaine étant celui de la «politique», entendue comme action... électorale et parlementaire); la SFIC laissait s’exprimer dans sa presse les positions les plus diverses, des anarco-syndicalistes ou des partisans de l’Internationale syndicale jaune d’Amsterdam.

La lettre de salut au Congrès de Marseille du CEIC ne pouvait manquer de constater: «Le vote de Tours marquait la volonté du parti de devenir un parti communiste. Cette première année devait donc marquer un effort constant, un labeur de tous les instants, pour donner au parti son caractère communiste. L’effort du parti (...) n’a pas été suffisant» (9).

Dans son rapport à l’Internationale après le Congrès, Bordiga écrira qu’on se trouvait en présence d’un parti qui n’était communiste «ni du point de vue de ses principes, ni du point de vue de son action pratique». La scission de Tours avait donné naissance à un grand parti du point de vue numérique, seuls une petite minorité d’éléments les plus à droite n’étant pas entrée dans le parti communiste – et encore grâce à un télégramme in extremis de Zinoviev attaquant nommément Longuet, le chef de file de cette tendance!

Mais l’inévitable conséquence était que le parti ne s’était pas purgé des tares de la SFIO; il lui manquait même une véritable gauche défendant les positions communistes qui aurait pu à ce titre légitimement aspirer à diriger et à réorganiser le parti sur une base politique solide, les positions de la gauche existante, étant selon le mot de Bordiga, «souvent déconcertantes»!

Cette faiblesse alimentait dans le parti un flou politique propice à une situation de luttes entre clans, d’initiatives individuelles et de polémiques personnelles dont le cas Souvarine (représentant du parti auprès de l’Exécutif de l’Internationale à Moscou) était emblématique puisque la surprise de sa non-réélection comme délégué du parti auprès du CEIC fut à l’origine de la crise de la fin du Congrès. Mais il y avait aussi les cas Fabre et Brizon: deux membres du parti qui publiaient en pleine autonomie des organes de presse dans lesquels la droite du parti menait campagne contre les positions de l’Internationale Communiste, et à qui des responsables de la direction comme Rappoport et Frossard donnaient des articles. Le parti français faisait obstinément la sourde oreille aux demandes pressants et répétées du CEIC pour mettre fin à cette situation et pour expulser des gens qu’on laissait mener leur oeuvre désagrégatrice.

La décision du CEIC de confier à Bordiga, dirigeant de la délégation d’un parti connu non seulement pour sa rigueur théorique mais aussi pour la fermeté de son activité pratique, notamment mais pas uniquement sur le plan syndical (10), le statut de délégué officiel de l’Internationale Communiste, s’explique naturellement par l’état du parti français qui était absolument dépourvu de ces caractéristiques. Mais elle témoigne aussi que les divergences qui s’étaient exprimées à diverses reprises avec la direction de l’Internationale étaient alors vues comme secondaires par cette dernière: elle ne considérait pas du tout que le PCd’I était aux mains d’un «ultragauchisme» à combattre, comme l’écrivent les historiens actuels (11).

L’intervention d’Amadeo Bordiga à Marseille n’est pas seulement intéressante pour démontrer que la Gauche communiste d’Italie n’avait rien à voir avec les dites «gauche allemande» ou «hollandaise» avec lesquelles il est malheureusement trop courant qu’on la confonde aujourd’hui; elle montre aussi que le souci de rigueur qui caractérisait notre courant dans l’action n’était pas dicté par des soucis de «purisme» théorique ou par refus moral de se «salir les mains» au contact des réformistes.

Il ne signifiait absolument pas le retrait dans une quelconque tour d’ivoire en attendant que les masses «prennent conscience» et deviennent dignes de recevoir son message, mais il était au contraire le gage de l’efficacité de cette action au sein des masses prolétariennes et de leurs organisations «économiques» – si l’on n’entend pas par efficacité des résultats immédiats à obtenir par n’importe quels moyens et qui sont condamnés à rester sans lendemain tout en affaiblissant le parti.

Les deux délégués officiels de l’Internationale s’efforcèrent de clarifier des points politiques et de principe importants (question de la centralisation du parti, du Front Unique, de l’activité syndicale, etc.), dans des discussions privées avec divers responsables et lors d’une réunion confidentielle avec les membres de la «sous-commission de politique générale». Le projet de motion de politique générale rédigé par Frossard et validé par cette commission était à l’opposé des recommandations du CEIC, tant sur le plan du front unique, y compris seulement syndical, que de la centralisation de l’organisation ou des polémiques personnelles. Il fallut toute la persuasion de Bordiga et de Walecki pour aboutir à un texte plus acceptable. Nous renvoyons le lecteur au compte-rendu de Bordiga au CEIC ainsi qu’au procès-verbal de cette réunion. A la suite de ces contacts avec les responsables du parti français, les délégués de l’Internationale estimèrent indispensable que Bordiga s’adresse directement par un discours aux congressistes.

Sans vouloir résumer ce discours que nous reproduisons plus loin, il ne nous semble pas inutile d’en souligner quelques traits essentiels. Conformément avec ce qui avait été décidé avec Walecki, Bordiga commence par les questions internationales et surtout la question de la NEP: avec leur «Nouvelle Politique Economique», les dirigeants russes venaient de prendre un tournant qui était l’objet de diverses interprétations: au nom d’un purisme révolutionnaire, certains condamnaient ce «recul», le dénonçant comme étant une capitulation devant le capitalisme, tandis que d’autres le saluaient comme étant le premier pas vers l’abandon des utopies communiste et le retour au réalisme réformiste.

Pour expliquer le sens véritable de la NEP et réaffirmer qu’elle n’était pas synonyme de renonciation aux perspectives communistes, l’orateur développe une argumentation en quatre points:

1. Nature internationale de la révolution communiste: Jamais un marxiste ne peut s’attendre à voir une économie communiste s’établir dans un pays où le prolétariat s’est emparé du pouvoir alors que dans les autres le capitalisme continue à exister, dit Bordiga. La condamnation par avance de la future théorie stalinienne de la construction du socialisme dans un seul pays, vaut non seulement pour les pays dont l’économie est peu développée, comme la Russie, mais pour tous: la réorganisation des forces productives dans un sens communiste nécessite que le prolétariat ait conquis le pouvoir au moins dans les grands pays où le capitalisme s’est développé.

2. Rôle central de l’Etat prolétarien. Le «recul» confirme la thèse selon laquelle l’Etat prolétarien est le «centre dirigeant de la réorganisation économique»; en effet dès que «l’État prolétarien a été contraint de désarmer une partie de son appareil d’activité économique, les formes bourgeoises ont commencé à renaître, ce qui démontre que c’est seulement la force du pouvoir politique prolétarien qui peut maîtriser les tendances à l’entreprise individualiste et à l’anarchie de la production, propres au régime bourgeois».

3. L’apport gigantesque de la révolution en Russie doit être cherché sur le plan politique (le renversement violent du régime bourgeois et l’instauration de la dictature du prolétariat) et pas sur le plan économique. Et si après des années de guerre civile et de blocus, le régime soviétique est contraint de renouer des rapports commerciaux avec le monde bourgeois, la «faute» se trouve ailleurs qu’en Russie, dans l’absence de révolution prolétarienne dans les pays capitalistes: c’est la faute des dirigeants du prolétariat qui ont dévié de leur devoir révolutionnaire, et qui, sans avoir pris le pouvoir, passent pourtant «chaque jour des compromis avec la bourgeoisie et les gouvernements de leurs pays».

4. Si les dirigeants de certains pays capitalistes acceptent de traiter avec la révolution russe, c’est aussi la démonstration qu’après des années de luttes, ils sont contraints de reconnaître l’existence et la force «de ces bandits, de ces criminels, de ces champions de la subversion sociale, que malgré tous leurs efforts ils n’ont pas pu chasser de l’Histoire». Et pour le mouvement communiste internationale, cela n’est pas une défaite, mais une victoire.

En conclusion, la NEP n’est qu’une tentative pour la révolution russe de «reprendre son souffle», elle n’est pas une remise en cause de la méthode et des principes communistes, et il appartient aux militants communiste d’Occident de comprendre et d’utiliser les «enseignements d’Octobre».

Le discours continue ensuite par un examen de la situation internationale mettant en relief que le capitalisme est obligé de déchaîner une attaque non seulement contre la fraction du prolétariat qui mène une lutte révolutionnaire, mais contre toute la classe: baisse des salaires, augmentation de la durée du travail, attaques contre les organisations syndicales, recours à des organisations armées para légales pour attaquer les travailleurs.

Dans cette situation les organisations ouvrières traditionnelles aux mains des réformistes, font preuve de la plus grande passivité. Il revient donc aux communistes de prendre l’initiative de la résistance et de la contre-attaque partant des revendications y compris les plus modestes et les plus limitées pour en faire le tremplin vers des combats plus larges, non seulement économiques mais politiques. Répondant aux réticences ou aux incompréhensions manifestées par les responsables du parti français qui n’hésitent pas à poser à l’intransigeance, Bordiga déclare malicieusement que le parti italien est «le plus sectaire», mais qu’il consacre cependant 95% de son travail à la réalisation du front unique prolétarien!

 

*     *     *

 

Après son discours, Bordiga repartit pour l’Italie tandis que continuait les travaux du Congrès. Les diverses résolutions furent approuvées et Frossard pouvait déclarer dans une intervention qu’il n’existait pas divergences ni de courants politique divers au sein du parti, seulement des conflits de personnes, réitérant son appel habituel à ce que le parti devienne une «grande amitié». Mais le vote final sur les représentants au «Comité Directeur» et le délégué à Moscou allait faire éclater cette unité factice. La démission de Loriot et d’autres membres de la gauche (Treint, Dunois, Vaillant-Couturier) après que Souvarine ait été écarté, laissait la direction du parti aux mains du centre.

Dans un compte-rendu du Congrès de Marseille à la Fédération de la Seine (publié par la suite en brochure) (12), Loriot expliqua en détail que les affirmations du centre selon lesquelles il n’y avait jamais eu ni divergences, ni courants distincts dans le parti, ne correspondait pas à la réalité: la tendance du centre (connue à l’époque du PS comme la tendance des «Reconstructeurs») qui tenait l’appareil du parti, oeuvrait sourdement mais tenacement contre les positions communistes; et au sein du Comité directeur les heurts avec la tendance de gauche avaient été nombreux au cours de l’année écoulée depuis Tours, même si la gauche n’avait pas voulu exprimer publiquement ses désaccords.

Mais c’était poser là implicitement la question de l’impuissance et de l’immaturité du courant de gauche. Trotsky expliquera un peu plus tard que dès 1921 le «groupe Frossard donnait de bonnes raisons pour que l’on rompit avec lui»; mais, ajoute-t-il, la gauche qui aurait accédé à la direction du parti après une telle scission était alors «un groupe assez disparate ayant lui-même besoin d’une épuration ultérieure» (12). L’absence d’un authentique courant de gauche marxiste en France ne laissait guère d’autres choix aux bolcheviks que de s’appuyer sur des forces douteuses en essayant de les pousser à une activité communiste – ce qui provoquait crise sur crise dans un parti dont ils s’étaient félicité un peu vite de la taille et de sa supposée influence dans le prolétariat.

(A suivre)

 


 

 

(1) Sur l’ «Action de mars» en Allemagne, voir le n° 101 de Programme Communiste.

(2) Les Thèses furent publiées en français sur le n°2 du Bulletin Communiste (12/1/1922). Nous avons retraduit le passage d’après Jane Degas, «The Communist International. Documents», vol.1 (Oxford University Press 1956), p. 313.

(3) Publié sur Battaglie Sindacali (organe de la CGL), 20/9/21. cf «Storia della Sinistra Comunista», vol. IV, Milan 1997, p.68.

(4) La motion est reproduite sur «Storia della Sinistra», op. cit., p. 104-105.

(5) cf Amadeo Bordiga, «Il Fronte unico», Il Comunista, 28/10/1921

(6) Cet épisode est relaté par Robert Wohl, «French Communism in the Making», Stanford University Press 1966, p. 221-222.

(7) cf Moscou. Organe du IIIe Congrès de l’Internationale Communiste, n°25 (25/6/21) (reprint Feltrinelli 1967) (il s’agit du quotidien publié à Moscou, en français, lors de ce Congrès; c’est la seule source dont nous disposons pour les travaux de cet Exécutif Elargi ).

Pour montrer le caractère peu révolutionnaire du parti français, Bela Kun raconta qu’au moment des événements de mars en Allemagne, à la demande de faire le cas échéant de l’agitation dans les rangs de l’armée française, un responsable du PCF, alarmé, avait répliqué que ce serait de «la haute trahison»! Ce responsable était Victor Méric, qui avait été envoyé pour représenter le parti français au près du parti allemand. Rédacteur de L’Humanité, membre du Comité Directeur du PC, ancien membre de la tendance Hervéiste dans la SFIO, Méric faisait partie de la droite du parti. Dans ses mémoires, («Coulisses et tréteaux», Paris 1931, pp 69-76), il évoque, mais à sa façon de journaliste dilettante, le même épisode.

En réponse au discours de Trotsky, Bela Kun rétorqua que si les Jeunesses disaient des bêtises, cela n’était qu’une conséquence des bêtises opportunistes bien plus grandes du parti. Pour preuve, dans la situation actuelle, le parti n’avait rien trouvé de mieux que de faire écrire à Frossard l’article «Sang-froid et discipline».

(8) cf Moscou, op. cit. Trotsky reviendra dans sa brochure «Nouvelle Etape» publiée après le Congrès, sur la discussion avec le bouillant représentant des Jeunesses Communistes.

A la question de savoir si le parti aurait dû appeler les appelés à refuser leur mobilisation, y compris par les armes, Laporte avait répondu positivement. Trotsky lui expliqua que le seul résultat aurait été la liquidation des éléments les plus décidés, étant donné que la majorité des recrues déjà sous les armes comme la majorité des prolétaires n’était pas prêts à la lutte armée: la révolution ne pouvait être faite seulement par la classe 19! cf le recueil L. Trotsky, «Le Mouvement Communiste en France», Les Editions de Minuit 1967, p. 106-107. Quelques années plus tard le «gauchiste» Laporte devint un farouche anticommuniste.

Lénine et Zinoviev prirent aussi la parole pour répondre aux critiques de Bela Kun et cie. Lénine affirma qu’il n’y avait pas à se moquer d’un appel au sang-froid et à la discipline: si l’on suivait les recommandations de Bela Kun, cela risquerait d’arrêter l’évolution du Parti français; il fallait sans aucun doute lutter contre les erreurs opportunistes, mais sans tomber dans les erreurs gauchistes.

Dans son intervention, Zinoviev, justifia l’attitude plus «conciliante et circonspecte» de l’Exécutif par rapport au Parti Français que celle adoptée par rapport au Parti Socialiste Italien quand il faisait encore partie de l’Internationale Communiste (avant donc la constitution du PC d’Italie). Parue sur le n° 39 du Bulletin Communiste (15/9/21), sous le titre «La situation du Parti Communiste Français», cette réponse peut être lue sur le site marxists.org: http://marxists.org/francais/zinoviev/works/1921/06/pcf.htm.

(9) Les lettres du CEIC, rédigées par Trotsky, se trouvent dans «Le Mouvement Communiste en France» op. cit., pp 135 et 141.

(10) C’est ainsi que Lénine donna comme exemple aux communistes allemands déboussolés par la Marzaktion et son échec, l’action du PC d’Italie qui, en juillet 21, avait entraîné derrière lui «le prolétariat tout entier» pour repousser l’invasion de Rome par les fascistes; c’était, dit-il, dans une circonstance donnée et à un moment donné, une «conquête de la majorité» telle qu’elle était préconisée par le Troisième Congrès. cf «Lettre aux communistes allemands», Oeuvres, Tome 32, p. 555.

(11) C’est le cas par exemple du trotskyste Broué quand, dans son ouvrage sur la révolution en Allemagne, il tente par là de justifier l’attitude de Lévi et cie vis-à-vis de la formation du PCd’I. Il nous suffira de citer le discours de Zinoviev à la séance de l’Exécutif du 4/12/21: il y déclara que si le PCd’I souffrait, selon lui, un peu de doctrinarisme, cela ne l’avait pas empêché «dans la lutte au sein des syndicats, contre le fascisme, etc. de mettre au centre de toute son agitation le mot d’ordre du front unique». cf «Storia...», op. cit., p. 244.

(12) cf Fernand Loriot, «Un an après Tours». Discours prononcé le 5 février 1922, publié par les Cahiers Communistes (éphémère titre utilisé par le courant de gauche qui venait de perdre la direction du Bulletin Communiste).

(13) cf «Bilan d’une période», introduction de Trotsky à son recueil d’articles «Le Mouvement communiste en France», 1923. Reproduit dans le recueil «Le Mouvement...», op. cit., p. 273

 

 

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