Histoire de la Gauche communiste

(«programme communiste»; N° 103; Janvier 2016)

Retour sommaires

 

Résumé du point de vue du Parti Communiste d’Italie sur la tactique de l’I.C. dans la période actuelle, pour servir de normes à la délégation lors de la réunion du C.E. International Elargi à Moscou

 

 

Le «résumé» que nous publions ci-dessous avait été élaboré lors de la réunion du Comité Exécutif du PC d’I préparant le départ pour Moscou de la délégation italienne au à l’Exécutif Elargi de février-mars; dans sa lettre au CEIC du 28 janvier 1922 (voir la présentation de la série d’articles sur la tactique de l’Internationale Communiste), Bordiga avait annoncé que la délégation défendrait les orientations qui s’y trouvent. Il semble cependant, à la lecture du compte-rendu de l’Exécutif, que Terracini et Roberto aient pris quelques libertés avec ces dernières.

 

 

1. Analyse de la situation mondiale actuelle.

 Elle confirme que nous sommes en présence d’une grande crise du régime capitaliste. Mais nous sommes aussi en présence d’une tentative des classes dominantes pour reconstituer l’économie bourgeoise et leur domination en prévenant la catastrophe révolutionnaire. Cette tentative de surmonter l’anarchie économique s’accomplit conformément à l’évolution dans un sens monopoliste et impérialiste du capitalisme dans sa phase la plus moderne. Elle s’appuie sur les grandes associations industrielles soutenues par les Etats capitalistes et elle avance fatalement sur la pente des rivalités croissantes pour la conquête des marchés, jetant les bases d’une nouvelle guerre. Mais le débouché des marchés disponibles est insuffisant pour permettre la reprise d’un rythme productif capitaliste suffisant pour réparer les énormes pertes de richesse causées par la guerre; l’effort bourgeois se tourne donc vers un autre objectif, qui est une condition de son succès: baisser le prix du travail humain, intensifier l’exploitation des travailleurs. Par conséquent la situation se caractérise par une offensive bourgeoise pour s’assurer le contrôle du prolétariat. Son objectif n’est pas de briser les organisations de combat révolutionnaire, elle vise le mécanisme même de résistance prolétarienne syndicale. Les manifestations de l’attaque sont économiques (dénonciation des contrats et des pactes de travail afin de réduire les salaires et d’augmenter le temps de travail, licenciements, lock-outs) et politiques (réaction étatique avec persécutions policières et judiciaires contre les travailleurs, action des organisations bourgeoises armées paramilitaires). Le résultat de cette attaque, si elle n’est pas arrêtée par les forces prolétariennes est évidemment non seulement l’abandon par le prolétariat de toute offensive révolutionnaire, mais la liquidation de toute forme d’organisation économique et la suppression du droit d’association et de grève.

 

2. La plate-forme de l’I.C. et la situation actuelle.

Le fait que dans les pays où n’a pas eu lieu la victoire du prolétariat avec la proclamation de sa dictature et le début de la réorganisation économique par le pouvoir prolétarien, la bourgeoisie se lance dans cette attaque, démontre l’exactitude de la conception de l’IC sur l’alternative ouverte par la fin de la guerre: dictature capitaliste ou dictature prolétarienne, monopole impérialiste de l’économie bourgeoise ou centralisation de l’économie mondiale entre les mains du prolétariat arrivé au pouvoir. Il confirme aussi que la seule voie qui conduise le prolétariat au pouvoir passe par la démolition de l’appareil politique du pouvoir bourgeois. Même la justesse de l’attitude de l’Internationale envers les sociaux-démocrates ainsi que de sa constitution du point de vue organisationnel, sont confirmées par la situation actuelle et son évolution. Les sociaux-démocrates et les opportunistes de toute espèce affirment que le prolétariat peut se libérer de son exploitation grâce à des conquêtes graduelles qui modifieraient peu à peu le régime bourgeois en utilisant le système de représentation politique démocratique, sans qu’il y ait besoin d’une lutte révolutionnaire contre l’appareil du pouvoir bourgeois. Face à la guerre qui brisait ces illusions de progrès pacifique, l’opportuniste a prêché au prolétariat la solidarité nationale. Face aux poussées offensives du prolétariat après la guerre, il a soutenu la renonciation à la violence et à la dictature comme forme du pouvoir prolétarien, allant jusqu’à s’allier avec la bourgeoisie pour défendre le régime démocratique. Dans la situation actuelle d’offensive bourgeoise, bien que l’on assiste à la faillite de la conception de conquêtes économiques graduelles, il prône la passivité et l’acceptation des exigences capitalistes, se faisant complice de la destruction des organisations syndicales prolétariennes. C’est la confirmation de la position fondamentale de l’IC selon laquelle il faut éliminer des partis politiques révolutionnaires, comme tendance et comme regroupement, les éléments qui renient l’emploi de la violence et la dictature révolutionnaire, puisque l’action de ces éléments est, dans toutes les situations, une complicité avec les plans d’exploitation et de domination de la bourgeoisie contre l’oeuvre idéologique et matérielle de préparation révolutionnaire du prolétariat.

 

3. Développement du processus révolutionnaire dans le programme et dans l’action de l’I.C.

 La scission avec laquelle le mouvement politique du prolétariat mondial s’est guéri de la dégénérescence poussée à son comble dans la période de guerre, constitue le point de départ d’un processus qui, dans la conception de l’I.C., conduit jusqu’à la victoire révolutionnaire du prolétariat mondial. Le parti de classe qui regroupe dans une organisation disciplinée et centralisée, consciente des conditions de lutte, la partie la plus avancée du prolétariat; qui a tiré des luttes pour les intérêts immédiats la conscience et la décision de l’action pour l’objectif révolutionnaire final, étend progressivement son influence sur les masses, accueillant dans son organisation les éléments les plus éprouvés, et autour de lui, des couches plus larges qui suivent ses directives et ses mots d’ordre, jusqu’à ce qu’il réussisse à vaincre les forces opposées de la résistance bourgeoise et du défaitisme opportuniste, conduisant le prolétariat à la prise du pouvoir. Les partis politiques du prolétariat se sont séparés de l’opportunisme non parce qu’ils croyaient qu’une minorité éclairée et héroïque était l’instrument insuffisant de la lutte révolutionnaire, mais parce que cette épuration était la condition indispensable pour préparer tout le prolétariat à la lutte révolutionnaire.

Du point de vue marxiste, l’existence du parti de classe, qui ne comprend qu’une partie du prolétariat, est un facteur indispensable de la révolution, parce que cette dernière a besoin d’une conscience théorique et d’un état-major; mais tout aussi indispensable est l’action des grandes masses, poussées à agir par l’aggravation de la situation économique et guidées par le parti révolutionnaire. L’existence du parti permet de donner une conscience à la réaction de la majorité du prolétariat contre les conditions économiques que lui inflige le capitalisme. Etant donné cette vérité élémentaire, l’influence du parti sur les masses ne s’obtient pas à travers une propagande abstraite des principes, mais par la participation effective à toutes les luttes des groupes ouvriers particuliers, pour fonder sur l’expérience de ces luttes le prosélytisme des éléments politiquement conscients mais aussi l’encadrement des mouvements des couches plus larges qui sont poussées instinctivement à agir par les besoins économiques.

Comme la crise capitaliste devient plus aiguë, et que la possibilité de satisfaire les exigences immédiates des masses par l’application dans la pratique du programme réformiste de concessions limitées et transitoires et par des actions qui ne conduisent pas les groupes ouvriers à s’affronter au régime capitaliste lui-même, devient toujours plus illusoire, il est possible dans une large mesure de réaliser le préparation révolutionnaire en regroupant autour d’un parti vraiment apte à la lutte, de larges couches des masses mises en mouvement par leurs conditions économiques. Par conséquent les mots d’ordre de l’IC: se séparer des opportunistes et aller vers les masses, ne sont pas contradictoires, mais au contraire se complètent logiquement.

 

4. Utilisation de la situation actuelle pour la conquête des masses.

Toute la question doit être basée sur la double condition révolutionnaire que nous avons le devoir de défendre et de réaliser toujours mieux: existence d’un puissant parti communiste centralisé; mouvement d’ensemble du plus grand nombre d’exploités. Ce mouvement doit être utilisé pour conduire les masses à se rassembler autour du parti communiste, ce qui arrive dans la mesure où le débouché de l’action ne se trouve que dans la voie indiquée par le parti et aux exigences de laquelle celui-ci est lui-même préparé: lutte pour renverser le pouvoir bourgeois par l’insurrection armée. Le mouvement d’ensemble des grandes masses tend à ce débouché, mais il commence comme un mouvement pour des objectifs plus immédiats et plus évidents; il faut sans aucun doute agir pour en faciliter son démarrage sans attendre vainement pour l’initier que les masses aient pris conscience de tout son développement. Mais durant tout ce processus il faut faire en sorte que cette conscience ne soit pas compromise dans le parti; et que l’organisation de ce dernier se perfectionne dans le sens des exigences spécifiques de la lutte finale à laquelle il sait que le reste du prolétariat n’est pas encore préparé. Il faut, durant toute l’action, non seulement garantir ces caractéristiques du parti, mais aussi celles des formes concrètes d’encadrement des masses qu’il doit réaliser. Non seulement les résultats acquis ne doivent pas être compromis, mais il doivent être étendus et consolidés dans tout le processus du mouvement. Dans l’examen de ce problème il faut avoir conscience que le parti et encore plus son encadrement, ne sont pas des entités subjectives étrangères aux influences de tous les reflets du processus, mais qu’ils en sont une partie inséparable et objectivement susceptible d’être modifié par lui.

Une première réalisation de cette double action dialectique du parti communiste nous est donnée par la tactique désormais indiscutable de l’unité syndicale. Autant le parti est strict dans la scission politique, autant doit être garantie l’existence d’un mouvement syndical unitaire. L’efficacité maximum de la préparation révolutionnaire est donnée par l’existence d’un parti politiquement indépendant, qui mène la lutte contre les opportunistes en participant au mouvement syndical où ceux-ci prédominent. L’unité syndicale, tout en assurant le contact avec les masses et la présence active du parti dans toutes les luttes qui l’intéressent, et donc l’oeuvre assidue de construction d’une influence du parti qui prend la forme concrète de «l’encadrement syndical communiste», permet de maintenir une distinction complète d’organisation interne et une opposition précise du parti communiste à toutes les autres méthodes politiques anti-révolutionnaires.

 

5. Le font unique sur le terrain syndical.

Le parti communiste se trouve face à des opportunistes qui affirment vouloir défendre les intérêts matériels des travailleurs tout en s’opposant au programme révolutionnaire. Etant donné que l’oeuvre de propagande et de persuasion théorique ne peut être efficace qu’auprès d’un cercle restreint, il est nécessaire de plonger dans le vif de l’action pour démontrer ce qu’il y a de mensonge, de fausseté et d’équivoque. Comme les travailleurs n’ont pas un degré de conscience collective et d’organisation suffisant pour se lancer à l’attaque révolutionnaire, la situation en arrive au point qui confirme les thèses communistes par le fait que la bourgeoisie est poussée à remettre en cause les acquis des travailleurs. Cette attaque est conduite par la bourgeoisie sur tous les fronts selon un critère unitaire et général dans la mesure où y prennent part son appareil d’Etat et les milices politico-militaire que lui fournissent ses partis de classe (fascisme). Il en découle les conclusions pratiques suivantes: le prolétariat se convainc immédiatement que les revendications immédiates ne se présentent pas sous un aspect corporatif et local, mais intéressent tous les travailleurs au-delà des divisions professionnelles et géographiques, et que les chefs opportunistes, pour éviter la seule défense possible, à savoir l’action coordonnée de tout le prolétariat, proposent de céder aux exigences bourgeoises, c’est-à-dire renoncent à défendre les intérêts prolétariens. Dans cette situation, la tactique communiste la meilleure est la proposition que tout le prolétariat se range en défense d’une série de postulats pratiques qui équivalent au maintien des positions actuelles. Les meilleures conditions d’application de cette tactique sont les suivantes: on propose de faire une question de principe de la défense d’une série de revendications intéressant directement tous les travailleurs, et qui consistent à la conservation du statu-quo économique, et à la résistance à la réaction politico-militaire du fait qu’elles comprennent le droit d’organisation et l’intégrité des institutions prolétariennes.

- La proposition est exclusivement adressée à des organisations syndicales nationales du prolétariat, et pas à des partis politiques.

- La proposition n’émane pas du parti communiste, mais de la centrale de son encadrement syndical (Comité Syndical Communiste).

- Il est proposé de confier le mouvement d’ensemble des masses à un organisme nommé par des réunions extraordinaires des grandes organisations syndicales et dont font partie des représentants de tous les courants politiques qui y militent, non désignés par leur parti, mais par les syndicats, à condition que tout le monde accepte la proposition et ait voté pour elle.

Le parti s’engage – et l’on attend tacitement un engagement analogue des autres partis – à mettre à disposition toutes ses forces pour accomplir les actions décidées par cet organisme.

- Comme nous ne demandons à personne des engagements d’une autre nature, l’indépendance de notre organisation, la liberté de propagande, de critique, de polémique, l’autonomie et l’élargissement de l’encadrement syndical communiste, restent assurés, et il en va de même pour l’encadrement militaire.

Pendant la durée de l’action, le parti reste libre d’en laisser la responsabilité à la majorité syndicale, ou d’en prendre la tête en cas de succès. Cela ne peut être un succès dans le sens de la lutte générale et révolutionnaire, pour laquelle le parti aura conservé et accru sa préparation: si cependant il y a un succès intermédiaire, il restera au parti le mérite de l’initiative. Si l’accord est repoussé par la majorité syndicale, on ne pourra accuser le parti d’avoir été trop exigeant, parce qu’il n’a avancé aucune condition que ne soit en parité avec tout autre parti participant à la lutte commune: en général ce seront ces derniers qui poseront comme condition préjudicielle à l’accord le respect de certaines de leurs positions préétablies, portant la responsabilité d’une rupture. Toute la tâche de la conquête des masses en sera facilitée.

 

6. Revendications prolétariennes et politique envers l’Etat.

Dans le cas considéré, la lutte pour les revendications immédiates qui intéressent les masses se déroule sur le terrain de l’action directe des organismes de classe. Sans vouloir établir de classifications absolues, ni oublier que dans la complexité des situations dans les divers pays et de leur évolution il peut se présenter des cas très variés et imprévus, prenons le cas où les revendications elles-mêmes sont ou semblent pouvoir être obtenues à travers la politique de l’Etat (questions fiscales, question des réparations en Allemagne, lois sur le travail et sur le contrôle dans les usines, etc). Nous pouvons avoir la proposition de constituer un front unique des partis ouvriers pour influer directement, par la participation au mécanisme démocratico-parlementaire, sur l’action de l’Etat de façon que celle-ci satisfasse les exigences des masses. La tactique du parti serait, dans ce cas, fondée sur la considération que même si un gouvernement ouvrier à base démocratique ne peut résoudre la question, étant donné que les masses n’ont pas la claire conscience de la nécessité de recourir à la lutte violente pour la dictature, il faudrait les aider à faire l’expérience de ce qui leur semble une solution évidente et pour laquelle ils sont prêts à se mobiliser.

Il existe une différence profonde entre ces deux applications tactiques qui ne sont apparentées que d’un point de vue formel. Dans la première, il n’y a aucun renoncement et aucun danger que soit affaibli le degré de préparation révolutionnaire atteint par le parti communiste. Sur le terrain des luttes pour les exigences économiques immédiates, il n’est pas nécessaire, pour que celles-ci aient un effet révolutionnaire, que la grande masses ait conscience du développement ultérieure de la lutte tendant à dépasser le régime économique bourgeois; dans le même temps le parti communiste et les travailleurs qui sont influencés par lui, en participant à cette lutte, n’abandonnent ni leur orientation idéologique, ni leur entraînement organisationnel nécessaire pour ne pas perdre de vue le but final révolutionnaire, parce qu’ils savent, et comprennent toujours mieux au cours de l’action, que la satisfaction des revendications économiques désirées par les masses est en contradiction avec l’existence du pouvoir bourgeois dont l’intervention dans la lutte pousse les organes de combat du parti et du prolétariat à se renforcer et à se perfectionner.

Complètement différent est au contraire le cas des revendications basées sur la plate-forme de la politique parlementaire et étatique. Il faut dans ce cas considérer comment la préparation idéologique spéciale du parti communiste et son organisation d’organes spéciaux de lutte illégale du prolétariat tendent à vaincre une arme défensive de la bourgeoisie strictement liée à son arsenal offensif: l’illusion démocratique. Le régime libéral s’efforce de faire pénétrer parmi les prolétaires l’idée que l’existence du parlement est suffisante pour faire prévaloir n’importe quelle revendication, y compris des classes dominées, étant donné que toutes les classes auraient le même rapport avec l’Etat et la même possibilité de le diriger: cela rendrait inutile le recours à la violence dans les luttes et absurde la conception et la préparation de la dictature de classe. L’influence de cette arme défensive de la bourgeoise, particulièrement dans les pays occidentaux, est telle qu’elle continue à jouer un rôle très important y compris quand la bourgeoisie, comme dans le cas de l’offensive fasciste soutenue par tous les moyens par l’Etat, recourt à grande échelle à des méthodes extralégales et dictatoriales; il est extrêmement difficile de convaincre les masses qu’il s’agit d’une simple division du travail bourgeois, et de les empêcher de tomber dans l’illusion qu’un gouvernement né sur une base parlementaire et composé de tels ou tels partis légaux, puisse éliminer ces formes illégales d’offensive anti-prolétarienne. C’est précisément parce que la propagande contraire du parti communiste n’est pas un simple processus d’éducation idéologique, mais se réalise dans l’action, qu’elle doit apparaître dans toute l’attitude pratique du parti. Il n’y a pas ici, comme dans les luttes syndicales, de rapport dialectique grâce auquel le dépassement d’une aspiration élémentaire des masses naît de l’obtention pratique de cette dernière, ou de la tentative de l’obtenir. Sur le terrain de l’attitude envers l’Etat, ce critère ne nous présente plus une voie logique et réelle de développement de la conscience et des organisations révolutionnaires, mais expose celles-ci à de graves dangers.

La garantie et le développement des facteurs révolutionnaires résident à l’inverse dans une attitude cohérente et continue du parti qui ne peut être que négative envers la fonction de l’Etat. S’il existe une conscience et une préparation technique révolutionnaires d’une minorité du prolétariat aux exigences spécifiques de l’action révolutionnaire décisive – violence, dictature –, c’est dans la mesure où elles se sont développées sur la base d’une opposition de principe et de fait au gouvernement bourgeois et à tous les autres partis politiques. Dans ce cas le critère pour déterminer l’attitude envers un parti n’est pas de savoir s’il recrute ses membres parmi la classe ouvrière, mais quelle est sa position sur la question du pouvoir. Dans la mesure où existent des partis et où le jeu de leurs rapports réciproques a une certaine efficacité, alors existe un certain degré de conscience des solutions du problème de l’Etat et de l’action à entreprendre envers lui. Le concept d’opposition politique devient pour l’action communiste aussi réel et concret que le concept fondamental selon lequel il ne peut y avoir de victoire révolutionnaire des masses sans l’apparition en leur sein d’une minorité organisée en parti ayant une vision claire du pouvoir et une attitude spécifique pour les formes de lutte que cette conscience lui fait prévoir comme inévitables.

Il faut donc repousser toute alliance avec d’autres partis politiques dont le contenu soit une politique effective de l’Etat démocratique, même s’il a une influence directe sur la situation économique des masses, ou si les masses espèrent que cette influence se manifeste.

Il est tout à fait légitime d’envisager que l’on puisse et que l’on doive utiliser l’expérience d’un gouvernement social-démocrate pour faire comprendre aux masses la fausseté de l’espoir que ce gouvernement puisse mener une politique anticapitaliste sans guerre civile et dictature de classe. Mais cette expérience et ses conséquences ne peuvent être utilisées qu’à la condition fondamentale de l’indépendance politique du parti communiste par rapport à tous les partis qui y participent. La participation du parti communiste à cette expérience, en raison de ses conséquences sur l’idéologie de ses propres membres et sur la préparation pratique des organismes et systèmes de lutte qu’il est seul à pouvoir mettre sur pied pour éclairer et diriger les masses dans la phase suivante, donnerait des résultats analogues à celle d’une politique social-démocrate de tout le prolétariat que l’I.C. a vigoureusement dénoncée: ou le prolétariat échouerait à arracher la nécessaire majorité électorale, ou, s’il l’obtenait et qu’il constitue le gouvernement, il serait incapable de le diriger parce qu’il se heurterait à la révolte de tout l’appareil d’Etat bourgeois alors même qu’il aurait concentré toute ses potentialités politiques sur le terrain pacifique et légal de la conquête démocratique.

Enfin la participation du parti communiste à un bloc de partis ouvriers affaiblirait numériquement ce bloc parce que les éléments incertains de la petite-bourgeoisie semi-prolétarienne s’en retireraient, et cela dans tous les domaines: que ce soit celui de l’opinion publique ou celui des situations électorales et parlementaires; l’expérience n’en serait pas significativement accélérée mais retardée par cette tactique. En outre une partie du prolétariat tomberait dans le négativisme politique anarchiste et semi-anarchiste, condamné par toutes les phases de la lutte.

Les effets d’une telle politique seraient d’autant plus graves que le parti et son appareil syndical et illégal sont moins solides, et que plus longue serait la campagne pour essayer d’obtenir une influence sur les organes de l’Etat. La propagande des sociaux-démocrates qui ferait retomber sur le parti la responsabilité de la défaite électorale du prolétariat, ne peut être un argument suffisant pour écarter ces raisons.

 

7. Actions indirectes et contingentes par rapport à la politique étatique.

Il ne faut pas exclure que le parti communiste formule et agite des revendications intéressant les masses qui apparaissent pouvoir être obtenues par des mesures étatiques, à condition cependant de chercher à les conquérir par une pression extérieure sur la classe bourgeoise à travers l’action directe des masses. Dans ce sens il est même possible de demander aux partis sociaux-démocrates qu’ils restent fidèles à leur promesses, en promettant de soutenir celles-ci par des moyens de ce type. On peut inviter les syndicats à formuler des revendications qui dépendent de l’Etat (par exemple l’imposition des capitalistes en Allemagne) en proposant qu’elles soient soutenues par une grève générale à la quelle le parti s’engage à prêter tout son concours. Dans ce cas il est possible d’utiliser la constatation de lu caractère fallacieux de telles attentes de réalisations favorables au prolétariat, puisque la somme des énergies prêtes à mener la lutte contre l’Etat ne serait pas dévoyée par le développement de son application matérielle et idéologique. S’ils arrivent au pouvoir, les sociaux-démocrates sauront que ces points seront soutenues parmi les masse par le parti communiste avec un appui plus efficace que celui qui peut être obtenu sur le terrain légal, en orientant sur ce terrain toute l’attention et toute l’action ouvrières, c’est-à-dire en diminuant leur influence effective sur l’appareil d’Etat.

 

8. Front unique dans la défense prolétarienne.

Devant des situations de type du fascisme italien, l’éventualité d’une alliance politique avec les partis se disant opposés à cette offensive réactionnaire doit être fondé sur les prémisse suivantes. Le retour de cette situation à celle de la normalité et de l’ordre n’est possible que par l’établissement d’un contrôle de fer de l’Etat sur toutes les formes d’activité prolétariennes et par l’immobilisation de la classe ouvrière, autrement dit le véritable programme auquel aspire le fascisme. La tendance instinctive des masses au retour à la «normale» doit être utilisée par la formation d’un encadrement capable de lutter contre les bandes fascistes. Un tel encadrement pratiquement ne servirait qu’à faire le jeu de la réaction légale s’il n’était pas complètement illégal, centralisé et contrôlé dans ses chefs et ses militants. Seule l’existence de cet encadrement peut préparer la victoire d’un «grand soir» spontané des masses contre les agresseurs et les oppresseurs. Un tel organisme ne peut avoir qu’un caractère de parti, et il serait absurde de penser qu’il puisse avoir comme base un comité composé des partis qui se prétendant prêts à l’action alors qu’ils sont habituellement inertes ou suspects. D’autre part, dès que commencerait à se dessiner la fin du désaccord formel entre le fascisme, action irrégulière de la bourgeoisie, et les actions légales de la police bourgeoise, les éléments non communistes s’opposeraient à toute préparation révolutionnaire et liquideraient l’organisation.

Ceci pourrait avoir lieu à la suite de changements parlementaires, comme à l’occasion d’un véritable accord entre gouvernement, fascisme et social-démocratie sur la base de le suppression de toute organisation pour la lutte quotidienne et le boycottage de tout mouvement dont le programme est opposé à l’ordre établi. Le parti communiste ne peut pas courir le risque d’être trahi et vendu et de perdre ainsi les acquis de son organisation militaire illégale, lente mais sûre, fondée sur l’armement et l’enrôlement de la partie la plus large possible du prolétariat. On comprend que les anarchistes soient prêts à ce genre d’accord, étant donné l’inconsistance et l’improvisation de leur préparation à la guerre révolutionnaire, qu’ils attendent de réactions spontanées et non coordonnées des masses (1).

 

9. L’I.C. devrait diffuser auprès de tous les partis adhérents, se référant aux données du IIIe Congrès, des normes strictes d’activité limitées à ce domaine:

- Développer une propagande et une agitation propres surtout sur le terrain économique et des intérêts réels des masses.

- Constituer et développer son propre encadrement syndical.

- Formuler comme base d’agitation les revendications immédiates des masses sur la question de leur niveau de vie de façon à s’opposer aux attaques patronales

Le développement tactique ultérieur doit être décidé, pays par pays, en accord entre la Centrale du parti communiste et le C.E. de l’I.C. qui a le droit d’établir une action inspirée des normes générales décidées par le Comité Exécutif Elargi et des conditions spéciales du pays.

 

10. Le Front Unique à l’échelle internationale.

Etant donné la situation internationale et le degré de formation de certains partis communistes et de l’émancipation des illusions démocratiques des travailleurs dans certains pays occidentaux, il faut repousser la tactique d’accords politiques y compris seulement formels, entre l’I.C. et les autres Internationales politiques.

L’I.C. devrait prendre, le moment venu, l’initiative d’un front unique syndical, à travers un appel de l’I.S.R. à toutes les centrales syndicales nationales sur la base des revendications suivantes:

- Défense des contrats de travail (salaires, temps de travail, etc.)

- Liberté d’organisation et de grève, etc.

Cette tâche pourrait, pour commencer, se limiter aux centrales syndicales d’un groupe donné de pays. Même si dans les manifestes et appels publics on se contente de développer les aspects banals et extérieurs de la tactique du front unique, la réunion du C.E. élargi doit aboutir à un éclaircissement théorique et tactique complet des termes du problème, si l’on veut surmonter efficacement les objections du pire simplisme présent chez beaucoup de camarades, ou même revenir au simplisme encore pire de la démagogie opportuniste habituelle qui encourage parmi les masses et les militants l’apathie et l’absence de combativité, en parlant vaguement d’unité ouvrière assimilée à un rassemblement incolore où sombreraient toute clarté et toute force d’orientation.

 


 

(1) Ce passage se réfère directement à l’épisode des «Arditi del popolo».

 

Parti communiste international

www.pcint.org

Retour sommaires

Top