Sur la période historique actuelle et les tâches des révolutionnaires

(«programme communiste»; N° 103; Février 2016)

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Pour comprendre la situation historique actuelle et les tâches des révolutionnaires qui en découlent, il faut avoir une vision historique qui ne peut se limiter aux 10 dernières années, ni même aux trentes dernières. L’analyse  doit embrasser une perspective plus large dans le temps et qui géographiquement ne soit ni nationale ni continentale, mais mondiale. Naturellement, nous nous bornerons ici à tracer un tableau plutôt schématique du cours historique, mais qui permet cependant de mettre en relief les éléments les plus importants.

 

 

Le vingtième siècle, du point de vue prolétarien, a été marqué à l’origine par la vague révolutionnaire suscitée par la première guerre mondiale dont les bourgeois célèbrent aujourd’hui le centenaire; la victoire de la révolution en Russie en a été l’élément saillant, mais il a aussi vu de fortes poussées de luttes prolétariennes révolutionnaires en Allemagne, en Italie, en Europe centrale; et sur le plan politique il y a eu la constitution de nouveaux partis révolutionnaires et d’une nouvelle Internationale révolutionnaire: les partis communistes et l’Internationale communiste, en rupture avec le réformisme de la IIe Internationale et des partis socialistes qui avaient enchaîné les prolétaires à leurs propres bourgeoisies dans la guerre.

L’échec de cette vague révolutionnaire, en partie due à l’action des partis socialistes, en partie due à la reprise économique du capitalisme international, se traduisit par la dégénérescence du pouvoir prolétarien en Russie, la victoire du fascisme en Italie et l’abandon progressif par l’Internationale Communiste et ses partis des positions marxistes correctes. Outre la répression en Russie des militants restés fidèles aux positions communistes, au niveau international cet abandon fut sanctionné en 1926 par 2 défaites dont l’Internationale stalinisée portait une grande partie de responsabilité (sinon la totalité): la défaite de la grève générale en Grande-Bretagne et l’écrasement de la révolution chinoise.

 Lorsqu’au début des années trente éclata la crise économique générale du capitalisme, le prolétariat se trouvait à nouveau désarmé: obéissant aux directives de la contre-révolution stalinienne en Russie, les partis communistes s’étaient ralliés à la défense de l’ordre bourgeois. Les grands mouvements de lutte qui éclatèrent à la suite de cette crise (36 en France et en Espagne, grandes luttes ouvrières des années trente aux USA) ne purent trouver de répondant politique de classe, tandis qu’en Allemagne la politique du stalinisme conduisait à la paralysie prolétarienne face à la montée puis la victoire du nazisme. Les partis prétendument ouvriers poussèrent ensuite comme en 1914 les prolétaires dans l’adhésion à la deuxième guerre impérialiste, encore plus terrible et destructrice que la première.

 

Trente ans de croissance capitaliste continue

 

Mais à la différence du premier après-guerre, il n’y a pas eu dans le second de vague révolutionnaire prolétarienne. Cela s’explique non seulement par le fait que les vainqueurs (USA, URSS), très conscients de ce risque, décidèrent l’occupation militaire des pays vaincus; mais aussi par le fait qu’il n’y avait pas eu dès avant ou au cours de la guerre, de réaction prolétarienne de classe qui aurait pu servir d’exemple et de référence pour les travailleurs des autres pays, comme l’avait été la révolution en Russie en 1917. La période difficile pour le capitalisme de l’immédiat après-guerre put donc être assez facilement gérée, grâce à l’action des partis staliniens et social-démocrates, partout intégrant des gouvernements d’union nationale pour la «reconstruction», qui usaient d’un verbiage «socialisant»: en Allemagne, Italie, France, Japon, Grande-Bretagne, et aussi dans les pays de l’est-européen sous occupation militaire soviétique. Le puissant redémarrage économique permit d’accorder aux prolétaires des améliorations régulières de leurs conditions, ce qui fit disparaître les possibilités de l’apparition d’une situation révolutionnaire et constitua la base matérielle de l’emprise du réformisme sur la classe ouvrière. Pendant les trente ans de croissance économique qui suivirent, les luttes, y compris dures, n’ont pas été absentes dans les grands pays capitalistes; mais les appareils réformistes, qui livraient en outre une chasse constante aux très rares militants révolutionnaires dans les entreprises, réussirent à les contrôler et à empêcher qu’elles ne deviennent menaçantes pour l’ordre bourgeois.

 Au niveau international ces décennies furent une période tumultueuse de luttes nationales, prenant parfois la forme de véritables révolutions, parfois seulement d’arrangements plus ou moins négociés avec l’impérialisme, qui mirent fin au vieux système de domination coloniale. Ces mouvements, dont l’objectif ne dépassait pas l’horizon bourgeois de l’indépendance nationale et de la construction de nouveaux Etats bourgeois, débouchèrent sur des transformations, plus ou moins grandes, des structures socio-économiques de ces régions et en conséquence sur un essor, variable suivant les pays, de la croissance du capitalisme (donc aussi de la classe ouvrière). Le jeune et peu nombreux prolétariat autochtone avait participé à toutes ces luttes; mais en l’absence de forces prolétariennes classistes dans les métropoles qui auraient pu l’aider à se porter lui-même sur des positions de classe, il ne put le faire qu’en suivant les orientations bourgeoises dominantes dans ces mouvements; il fut mobilisé et utilisé par les organisations nationalistes qui étaient à la tête de ces luttes, organisations d’ailleurs d’autant plus anti-prolétariennes qu’elle se proclamaient «socialistes»! Les nouveaux Etats indépendants usèrent eux aussi d’une démagogie socialisante pour cimenter l’union nationale, mais c’étaient des Etats intégralement bourgeois, voués au développement capitaliste national: la Chine, le Viet Nam ou Cuba ne sont pas des exceptions à la règle.

Cette collaboration des classes dans la lutte d’émancipation nationale et l’absence de soutien de la part du prolétariat des métropoles, prisonnier du social-impérialisme de marque stalinienne ou social-démocrate, est un fait historique qui inévitablement pèse et pèsera négativement sur l’adoption de positions classistes et internationalistes par le prolétariat de ces pays.

Mais les décennies qui ont suivi la deuxième guerre mondiale ont vu le capitalisme s’installer et se développer sur la planète entière; condamnant inéluctablement à la ruine et à la prolétarisation des centaines et des centaines de millions de petits producteurs, ce développement capitaliste a accumulé ainsi les matières sociales explosives dans le monde entier. Dans les pays capitalistes développés eux-mêmes, la croissance capitaliste a éliminé une très grande partie des couches intermédiaires classiques (paysannerie…) dont le rôle conservateur ou réactionnaire a été un ferme appui de l’ordre bourgeois: en France ou en Italie près de la moitié de la population vivait encore à la campagne en 1945.

Pour la première fois dans l’histoire, l’arène de la lutte des classes modernes et surtout l’arène de la future révolution communiste internationale deviennent potentiellement mondiales, alors qu’en 1848 elles ne concernaient qu’un coin d’Europe occidentale, à peine élargi à la Russie et à l’Europe centrale en 1917; et les bases de la révolution deviennent beaucoup plus sûres, nombre de ces pays n’étant alors pas encore pleinement capitalistes. C’est là un résultat éminemment positif pour l’avenir

 

Trente ans d’un cycle de récessions et de reprises économiques

 

1975, date de la première grande crise internationale du capitalisme après la guerre, signa la fin de sa phase d’expansion en apparence illimitée et d’amélioration en apparence continue de la condition prolétarienne dans les grands pays capitalistes; les crises cycliques, quasiment imperceptibles auparavant, notamment grâce à l’action «anticyclique» des dépenses (sociales ou autres) de l’Etat allaient resurgir avec une force croissante.

Surtout après la crise suivante de 1981-82, les gouvernants bourgeois des grands pays capitalistes rompirent avec la politique sociale en vigueur auparavant, remettant en cause les modalités précédentes de la collaboration des classes. Initié en Grande Bretagne par Thatcher, relayé aux Etats-Unis par Reagan, ce tournant se généralisa aux autres pays, selon un rythme et des modalités variables. Les grandes luttes qui étaient une conséquence de la crise économique débouchèrent sur des défaites devant la détermination des pouvoirs bourgeois: les grèves en Pologne furent finalement brisées par la dictature militaire, la grande grève des mineurs britanniques échoua face à la détermination de Thatcher et le refus des syndicats à généraliser le conflit, les luttes des sidérurgistes français furent étouffées par le nouveau gouvernement socialiste, etc. En Iran la chute du régime du Shah déboucha sur la mise en place du régime islamiste anti-ouvrier de Khomeiny: l’ordre capitaliste mondial réussissait à contrôler la situation, tout en «serrant la vis» au prolétariat.

Marquées également par un regain des tensions inter-impérialistes (notamment à la suite de l’intervention militaire russe en Afghanistan), par des difficultés économiques persistantes en Amérique Latine («la décennie perdue») où la bourgeoisie eut recours à la «démocratisation» pour maintenir l’ordre, les années 80 débouchèrent sur une nouvelle crise capitaliste internationale. L’effet sans aucun doute le plus important de celle-ci fut l’effondrement de l’URSS et du bloc de l’Est, minés par des difficultés économiques croissantes depuis le début de la période (baisse continue du taux moyen de profit de l’économie, conjuguée à la chute brutale des rentrées en devise après l’effondrement des prix du pétrole et autres matières premières). L’implosion de l’URSS et de son prétendu «bloc socialiste» s’accompagna, comme il ne pouvait pas ne pas s’accompagner, de mouvements de masse et même de luttes ouvrières d’ampleur (voir les luttes des mineurs du Donbass); mais le mirage démocratique de l’Occident bourgeois, opulent et libéral, était trop puissant pour que, ne serait-ce que des minorités prolétariennes retrouvent la voie de l’organisation de classe. D’autre part l’impérialisme occidental, avide de nouveaux marchés et toujours soucieux d’éviter les désordres sociaux, put investir massivement dans la région pour assurer une «transition» avec un minimum de heurts; ceci est vrai non seulement de l’Allemagne de l’Est annexée par l’Allemagne de l’Ouest, mais aussi des autres pays. Bien entendu cette «transition» aboutissant à la naissance de nouveaux Etats ne pouvait pas se réaliser de manière complètement pacifique, comme en témoignent les sanglantes guerres qui déchirèrent la Yougoslavie et provoquèrent l’intervention militaire des pays occidentaux.

 Mais d’une manière générale cette grande réorganisation de la carte géographique capitaliste en Europe se réalisa sans que l’ordre bourgeois soit remis en cause par des luttes prolétariennes, et sans que ces conflits, qui dans une autre situation et à une autre époque avaient déclenché une guerre mondiale, aient des conséquences autres que «locales»: démonstration de la puissance encore quasiment intacte de la domination capitaliste.

Pour les idéologues bourgeois, l’écroulement de l’URSS était la «fin du communisme»; c’est-à-dire la victoire définitive du capitalisme, le début d’un «nouvel ordre mondial» de paix (après la «mise à la raison» de l’Irak de Saddam Hussein) et d’une nouvelle période de croissance économique dopée par les «nouvelles technologies», où les crises auraient disparu grâce à une gestion intelligente de l’économie; selon les objectifs euphoriques de l’ONU et de la Banque Mondiale la misère devait avoir disparu de la planète en l’an 2000!

Il est vrai que, notamment grâce à la bouffée d’oxygène de l’ouverture des marchés à l’Est, le capitalisme, à l’échelle mondiale, mais surtout aux Etats-Unis et en Europe occidentale, allait connaître une période d’expansion d’une dizaine d’années. Mais celle-ci se terminait par une nouvelle crise, complètement inattendue par les économistes, dite de l’éclatement de la «bulle informatique» sur les marchés financiers (éclatement dû en réalité aux premiers effets de la récession économique), et symboliquement marquée par les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis: la croissance capitaliste débouche toujours sur des crises et sur des conflits sanglants.

La reprise économique qui suivit cette crise fut tirée aux Etats-Unis, centre relativement affaibli mais toujours dominant du capitalisme mondial, par 2 moteurs: le redémarrage économique du «complexe militaro-industriel» (secteur de première importance aux Etats-Unis) engendré par la guerre en Afghanistan puis en Irak; et le recours à très grande échelle à l’économie de crédit.

La croissance repartit donc aux Etats-Unis puis, à leur suite, dans les autres pays; mais cette croissance droguée et par ailleurs anémique prit fin brutalement avec l’éclatement en 2007-2008 d’une nouvelle crise économique, d’une intensité sans précédent depuis celle des années trente du siècle dernier, et dont les conséquences ne peuvent pas ne pas être d’une grande portée.

Les trente ans écoulés ont vu sur le plan économique :

- une unification sans égale du marché mondial avec la disparition du «bloc socialiste» et l’ouverture de la Chine, ainsi qu’avec des mesures moins spectaculaires mais cependant importantes comme l’unification des marchés financiers, les efforts constants pour réduire les barrières commerciales entre pays et la «délocalisation» de parties significatives des appareils productifs des grands pays capitalistes dans d’autres pays; appelé «mondialisation», ce phénomène a suscité dans les divers pays l’opposition des secteurs économiques les plus fragiles, opposition qui a alimenté, sur le plan politique, tant les mouvements dits «altermondialistes» que les courants nationalistes, en particulier d’extrême droite;

- une tendance opposée, aujourd’hui plus faible, au maintien où à la reconstitution de zones économiques protégées: l’ «Europe» en est l’exemple la plus abouti, mais des tendances à la formation de blocs économiques se retrouvent sur tous les continents;

- l’affaiblissement, en cours depuis longtemps, de la toute puissance économique américaine, au profit maintenant des pays dits «émergents» (mais surtout de la Chine qui apparaît comme le nouveau rival potentiel des Etats-Unis sur ce plan, après le Japon hier) – cet affaiblissement ne pouvant pas ne pas saper sa prédominance politique qui semblait quasiment absolue après la disparition de l’URSS;

- et, de façon générale, une aggravation constante de la concurrence sur un marché mondial et des marchés nationaux de plus en plus engorgés par une surproduction chronique.

 

Sur le plan des rapports inter-impérialistes et inter-capitalistes,

la disparition de l’URSS et de son «camp» a signifié la fin du condominium russo-américain sur le monde qui, pendant la période dite de la «guerre froide», a en fait empêché que les incessantes guerres locales ne dégénèrent en conflit mondial.

Mais après un premier moment d’euphorie, les Etats-Unis, la seule superpuissance restante, semblent s’être convaincus qu’en dépit de leur supériorité écrasante en armements, ils n’ont pas la force d’assumer à eux seuls le rôle de gendarme du monde. Cela signifie non seulement que des puissances locales ou régionales ont davantage la possibilité de conquérir des zones d’influence à la mesure de leurs ambitions (s’ils ne heurtent pas de front des intérêts vitaux pour les Etats-Unis) et donc, que les conflits «locaux» ont davantage la possibilité d’éclater (y compris en Europe); mais aussi que ces conflits, plus difficiles à «contrôler», auront davantage la possibilité de dégénérer en guerres plus larges.

Une de ces zones de conflits potentiels est l’ancien «camp socialiste», en raison de la faiblesse des nouveaux Etats et des appétits rivaux des diverses puissances impérialistes; en particulier la Russie, ravalée au rang humiliant de «nation émergente» à la suite de l’implosion de l’URSS, cherchera inévitablement à reconquérir une place de premier plan correspondant à ses ambitions (pas seulement régionales), tandis que l’Allemagne, après sa digestion réussie de la RDA, ne pourra pas ne pas revendiquer elle aussi une place correspondant à une force économique qui ne cesse de s’affirmer par rapport à ses rivaux traditionnels (France et Grande-Bretagne), mais aussi par rapport aux Etats-Unis ou à la Russie. La Communauté Européenne et la zone euro, sous influence allemande, se sont consolidées au cours de cette période, au point d’être en quelque sorte victimes de leur succès, les candidats à l’intégration ne cessant de se multiplier. Cependant la crise de 2007-2008 a révélé au grand jour les contradictions internes et la précarité de cette «union» d’Etats bourgeois.

Une autre zone «nouvelle» de conflits se trouve – de nouveau! – en Asie: la puissance montante de la Chine s’y heurte aux Etats plus faibles (des Philippines au Viet Nam, etc.), mais aussi au Japon et aux Etats-Unis; et dans le sous-continent indien la rivalité entre l’Inde et le Pakistan ne cesse de s’envenimer après le retrait de l’Afghanistan des Etats-Unis et de leurs alliés. Dans cette immense région sont en train de se créer les foyers du déclenchement éventuel d’un troisième conflit mondial.

Enfin au cours de ces dernières décennies, le Moyen-Orient est resté en permanence une région de guerres et de conflits aux retentissements internationaux (même si la Russie, héritière de l’URSS, en a été pratiquement évincée), en raison des enjeux économiques et stratégiques qu’elle représente pour les puissances impérialistes: qui contrôle le pétrole du Moyen-Orient, contrôle la vie d’une bonne partie du capitalisme mondial !

 D’autre part le soutien sans failles des Etats-Unis et des impérialismes occidentaux à la politique coloniale israélienne a empêché la résolution de la question nationale palestinienne, sans pourtant réussir à briser la résistance farouche des masses palestiniennes (à la différence de la bourgeoisie de ce pays); celle-ci est toujours un facteur politique dont doivent tenir compte les bourgeoisies de la région et au-delà de la région.

 

Sur le plan de la politique prolétarienne et de la lutte de classe, les luttes prolétariennes, parfois de grande ampleur, n’ont pas non plus manqué dans cette période; mais, sauf exception, elles n’ont pas réussi à se hisser au niveau d’une lutte authentiquement de classe et encore moins d’une lutte révolutionnaire; l’ «encadrement» politique et syndical collaborationniste, bien qu’en affaiblissement constant par rapport à la période précédente, à réussi à contrôler ces luttes sans que les Etats bourgeois, dans les grands pays capitalistes, aient eu besoin de recourir à la répression ouverte. Ces luttes n’ont donc pas non plus permis la constitution et la stabilisation d’organisations de classe, et encore moins la renaissance, même à petite échelle, du parti de classe internationaliste et international.

Mais la fin des luttes anticoloniales (ou anti-apartheid, etc.) – à l’exception notable de la Palestine – a signifié aussi la disparition d’un objectif de lutte commun à plusieurs classes (la lutte contre l’oppression nationale ou raciale, etc.), et donc la disparition d’un fondement objectif de l’interclassisme dans ces pays. Les forces bourgeoises (y compris d’ «opposition») continuent et continueront à y entretenir cet interclassisme (par exemple en prétendant que la lutte pour l‘indépendance nationale ou l’égalité raciale n’est pas réellement terminée, ou en ayant recours à l’idéologie religieuse, etc.) afin de s’opposer à l’indépendance de classe du prolétariat; mais ce sont les faits qui montrent et montreront toujours mieux le caractère mensonger de la collaboration des classes, ouvrant objectivement la voie aux possibilités d’organisation classiste du prolétariat. L’exemple le plus clair en est donné aujourd’hui par l’Afrique du Sud.

Par ailleurs la chute du faux «camp socialiste» à l’Est et la quasi disparition des restes du mouvement stalinien, ce pilier de la contre-révolution, a retiré un obstacle de première grandeur à la reconstitution du mouvement de classe prolétarien et du parti de classe international: il est beaucoup plus difficile aujourd’hui qu’hier d’assimiler le communisme à la sinistre réalité de l’oppression qui existait sous ces régimes de capitalisme d’Etat. Mais dans les pays en question, le prolétariat n’a pas encore surmonté le choc de la brutale aggravation de ses conditions dans la période troublée du «passage à la démocratie», ni commencé à se libérer du jeu démocratique (voir le cas de la Pologne où il ne reste plus rien de l’élan prolétarien des années 70 – 80).

 

Conclusion : encore trente ans d’attente ?

 

Il est hasardeux de fixer à l’avance des dates précises pour la réalisation des grands événements historiques. Dans les années 50, notre parti avait estimé avec Bordiga que l’ouverture d’une période révolutionnaire prolétarienne était impossible avant l’éclatement d’une grande crise économique internationale à l’issue de la période de forte croissance capitaliste, la date approximative de cette crise étant 1975. La crise a bien eu lieu à cette date, mais au lieu qu’elle débouche sur une période révolutionnaire, il y a eu un renforcement de la domination capitaliste. A la fin des années 90 nous avons cité l’analyse d’économistes américains qui, sur la base d’un calcul des cycles économiques, donnaient 2020 comme la date possible d’un nouveau conflit mondial (l’impérialisme US finance en permanence genre d’études pour se tenir prêt à toutes les éventualités).

Les prévisions d’économistes bourgeois ont un caractère scientifique très douteux; mais l’analyse et la prévision marxistes permettent d’assurer que le capitalisme ne pourra encore attendre trente ans avant que ses contradictions internes ne prennent un tour explosif. Toutes les crises économiques qui se sont succédé n’ont pu être surmontées que par des mesures qui préparaient une crise suivante encore plus profonde. Il en va de même, et à un degré encore accru, de la crise actuelle: elle a vu une explosion des déficits des Etats et une avalanche de «liquidités» pour pouvoir faire repartir – dificilement – la machine économique, sans que les dirigeants capitalistes ne sachent comment les résorber avant qu’elles ne provoquent une nouvelle crise.

Le mode de production capitaliste, pas plus que les modes antérieurs, ne s’effondrera pas tout seul, sans insurrection des opprimés, sans révolution – et c’est lui-même qui crée les fondements matériels de la révolution. Mais si cette révolution internationale n’a pas lieu à temps ou si elle échoue, le capitalisme pourra prolonger son existence par le biais d’ une nouvelle guerre mondiale causant des destructions suffisamment gigantesques pour relancer un nouveau grand cycle de reconstruction, puis d’expansion pluri-décennale. L’échéance n’est pas immédiate; le capitalisme a eu la possibilité d’empêcher que la crise de 2007-2008 ne devienne une nouvelle crise des années trente débouchant au bout de peu d’années sur une guerre mondiale. Cet «allongement» du délai préserve la possibilité historique de la réapparition sur la scène du prolétariat avant l’éclatement d’une nouvelle guerre généralisée.

Quoi qu’il en soit, la génération actuelle de militants révolutionnaires communistes aura dans les années qui viennent à réaliser la tâche irremplaçable de lutter pour l’organisation de classe du prolétariat, tant sur le plan tant de la lutte défensive et immédiate que sur le plan de la lutte politique révolutionnaire (parti de classe), tant au niveau national qu’international, ce qui est la condition indispensable pour aborder l’ère des tempêtes qui s’approche avec des chances de victoire face au capitalisme.

 

Quelques traits saillants de la période actuelle

 

Ces considérations étaient sans doute longues, mais elles étaient à notre avis nécessaires pour pouvoir saisir, au moins de manière schématique, les traits saillants de la période récente ouverte par la crise internationale de 2007-2008.

Celle-ci a provoqué et provoque l’aggravation des contradictions et des heurts d’intérêts entre Etats bourgeois, en même temps qu’elle tend à ébranler l’équilibre politique et social interne, principalement des Etats les plus fragiles.

En ce qui concerne le premier aspect, on assiste à la multiplication des foyers de tensions (y compris au sein de blocs comme l’Union européenne), parfois de guerres dites «locales», mais en fait avec l’implication de différents impérialismes internationaux (le vieil impérialisme français, confirmant son agressivité traditionnelle tantôt avec un gouvernement «de droite» tantôt avec un gouvernement «de gauche», en donne un exemple éclairant par la multiplication de ses interventions militaires). Ce nouveau désordre mondial est condamné à durer et à s’exacerber jusqu’à ce qu’une guerre mondiale accouche d’un «repartage» stable du monde, ou que la révolution communiste internationale mette fin au capitalisme.

En ce qui concerne le deuxième aspect, à cause de l’aggravation des attaques contre les prolétaires mais aussi contre les masses travailleuses en général, pour sauver les profits capitalistes et restaurer les finances publiques, la crise actuelle, probablement plus que les précédentes, a engendré et engendre des mouvements sociaux dans de nombreux pays :

 

1.    Il y a d’abord eu, en 2007-2008, une vague d’agitations et d’émeutes dans les pays ouest-africains (mais ce n’est qu’en Guinée que cette agitation prit une coloration nettement ouvrière avec la grève générale qui provoqua la chute du régime dictatorial de Conté malgré l’action conciliatrice des bureaucrates syndicaux); puis en 2009 la révolte en Iran; enfin en 2011 la vague de révoltes connues sous le nom de «printemps arabe». Dans les grands pays capitalistes, en 2011 commença le mouvement des Indignés en Espagne qui connut des suites avec le mouvement «Occupy» aux Etats-Unis et dans d’autres pays. Puis il y eut le mouvement de la place Taksim en Turquie et plus récemment les mouvements au Brésil, le mouvement Maïdan en Ukraine, etc. De vagues de luttes ouvrières ont déferlé en Asie (Bangla-Desh, Cambodge et même Chine) et en Afrique (Afrique du Sud), etc.

2.    Ces mouvements ont évidemment des caractéristiques et des importances diverses. Les révoltes arabes n’ont pas débouché sur des révolutions véritables, au sens marxiste du mot, c’est-à-dire au renversement d’une classe dominante, au remplacement d’un mode de production par un autre; ce sont au mieux des régimes qui ont été renversés, voire des clans, pas le capitalisme ni la domination bourgeoise, et il ne pouvait en être autrement à ce stade. Mais on voit tout de suite la différence entre les pays où existaient déjà une tradition de luttes et d’organisation ouvrières (Tunisie, Egypte) et ceux où rien de tel n’existait. Dans ces derniers cas les révoltes non seulement sont tombées sous la direction de forces bourgeoises rivales (parfois inféodées à tel ou tel impérialisme), mais de manière générale elles ont fini par se mener au nom de la religion islamique, cette forme réactionnaire de l’idéologie bourgeoise particulière au Moyen-Orient actuel: voir les cas de la Syrie et de la Libye. Par contre dans le premier cas, les luttes ouvrières ont joué un rôle parfois central dans l’évolution de la situation, dissipant en partie l’influence islamiste et laissant ouverte, en dépit de la victoire actuelle des forces de la conservation bourgeoise, la possibilité d’un approfondissement futur de la lutte de classe.

3.    Ailleurs les mouvements n’ont pas revêtu cet aspect insurrectionnel, surtout quand existaient les mécanismes d’ «amortissement» propres à la démocratie bourgeoise (contre-exemple: l’Ukraine de Maïdan), car les tensions sociales et politiques étaient beaucoup moins fortes; Mais en outre les mouvements ont eu une nature beaucoup plus nettement petite-bourgeoise. Les prolétaires qui y ont participé l’ayant fait à titre individuel, ils ont été noyés dans les orientations typiquement petite-bourgeoises qui y régnaient et dont les traits essentiels étaient: refus de la lutte entre les classes, interclassisme «populaire» et démocratique, refus de tout ce qui pouvait évoquer la révolution prolétarienne – drapeaux rouges, sigles de partis révolutionnaires ou simplement «de gauche», comme en Espagne ou au Brésil –, nationalisme, tolérance envers les forces ouvertement bourgeoises ou d’extrême-droite (Turquie, Ukraine), etc.

Le fait que les couches petite-bourgeoises se mobilisent en période de crise parfois avant les prolétaires, n’est ni surprenant ni nouveau. L’instabilité de leur statut social rend beaucoup plus sensibles aux secousses provoquées par les crises; et la menace de la prolétarisation qui plane sur elles, les rend susceptibles de mobilisations parfois imposantes ou violentes. S’imaginant défendre l’ «intérêt général» du «peuple» et de la «nation», c’est-à-dire des intérêts et des buts qui seraient communs à «tous les citoyens» à l’exception d’une poignée de privilégiés (les 1%), ces mouvements sont, de ce fait, condamnés à être récupérés par la bourgeoisie, étant donné que c’est cette dernière qui incarne et défend l’intérêt national (du capital). Seule une force prolétarienne indépendante de classe pourrait être capable d’en attirer au moins une partie dans le cadre d’une lutte anticapitaliste résolue.

4.    Dans les pays capitalistes développés, l’affaiblissement de l’emprise des organisations politiques et des appareils syndicaux protagonistes de la collaboration des classes, ne pourra que s’accentuer, à mesure que les capitalistes exigeront de leurs valets réformistes traditionnels, leur collaboration pour imposer aux prolétaires la dégradation de leurs conditions de vie et de travail. Cela rend plus facile l’apparition de luttes dures (y compris sous la forme d’émeutes ou de véritables «explosions sociales») ainsi que les tentatives d’organisation indépendantes et cela ouvre un espace plus grand à l’intervention des révolutionnaires. Mais il faut être conscient que les forces de la conservation bourgeoise disposent toujours de multiples leviers pour contrôler ou stériliser les poussées de lutte prolétarienne (du recours à l’idéologie pacifiste, légaliste et démocratique, au rôle laissé aux «nouveaux réformistes» d’ «extrême-gauche», en passant par l’action des innombrables associations et institutions mises sur pied et financées pour créer du «lien social», c’est-à-dire pour lier le prolétariat à l’ordre établi, etc.), avant même d’avoir à recourir à la répression patronale ou policière.

5.    Une des armes traditionnelles les plus efficaces de la bourgeoisie pour contrôler le «front social» et paralyser la classe ouvrière, est la division entre les travailleurs – division qui est la conséquence «naturelle» du mode de production capitaliste où la concurrence généralisée, la lutte de tous contre tous, est la règle. Cette division est continuellement alimentée par la fragmentation du prolétariat en multiples couches et catégories (y compris ces couches «privilégiées» constituant l’ «aristocratie ouvrière» qui forment la base sociale du réformisme) suivant les corporations, catégories, âge ou sexe; elle prend une acuité particulière dans l’opposition entre travailleurs autochtones et immigrés et dans la relégation d’une partie de ces derniers dans une véritable situation d’exception: «sans-papiers», travailleurs «clandestins» taillables et corvéables à merci car sous la menace permanente de l’expulsion. Mais en période de crise et de guerre économique cette division est exacerbée par la propagande chauvine, le «patriotisme économique» et les campagnes de mobilisation des travailleurs pour la défense de l’économie nationale (ou régionale, locale, etc.) menées par les forces politiques de droite comme de gauche. Ces campagnes servent en temps de paix à faire accepter par les travailleurs des sacrifices sur leurs salaires et leurs conditions de travail, et en temps de guerre jusqu’au sacrifice de leur vie pour la «patrie».

 

La tâche fondamentale des révolutionnaires

 

De ce que nous venons de dire découlent les orientations à suivre par les militants et les prolétaires d’avant-garde déterminés à lutter contre le capitalisme, que l’on peut résumer ainsi: la tâche fondamentale est d’œuvrer en toute circonstance pour l’indépendance de classe du prolétariat.

Cela signifie que dans les mouvements voire les révoltes auxquels ils participent, ils doivent s’efforcer autant qu’il est possible de mettre l’accent sur les intérêts de classe prolétariens en cherchant à regrouper les prolétaires sur cette base. Cela implique une lutte politique contre les tendances petite-bourgeoises majoritaires et les courants dirigeants à la tête de ces mouvements, qui font tout leurs efforts pour empêcher l’affirmation et la constitution d’un regroupement de classe. Il leur faut dénoncer les appels à «l’union du peuple», la défense de l’économie nationale ou de la «souveraineté nationale», critiquer sans hésitation les organisations qui par opportunisme soutiennent les partis bourgeois ou petit-bourgeois d’opposition, reprennent les orientations interclassistes nationalistes et ne fixent que des objectifs strictement bourgeois (dans les Pays Arabes: «Socialistes Révolutionnaires» égyptiens, «Front Populaire» tunisien, etc .); il faut soutenir les luttes ouvrières qui de fait brisent cette union interclassiste; il faut en particulier s’opposer à toutes les divisions du prolétariat dont nous avons parlé, promouvoir l’union des prolétaires au-delà des barrières nationales, religieuses, de genre ou autres, s’opposer résolument au nationalisme; bref, il leur faut contribuer à la lutte et à l’organisation pour la défense exclusive des intérêts prolétariens.

L’indépendance de classe du prolétariat est farouchement combattue par les courants bourgeois et petit-bourgeois «démocrates» avec l’argument que cela briserait l’union nécessaire entre diverses classes pour obtenir des résultats concrets en matière de «démocratisation» de l’Etat, de conquêtes ou de défense des libertés publiques ou des droits sociaux; en réalité les bourgeois et petit-bourgeois veulent tout simplement que les prolétaires ne luttent que pour ce qui les intéressent eux, et s’abstiennent de lutter pour leurs propres intérêts!

Mais les prolétaires ne peuvent pas entrer en lutte simplement pour réformer le capitalisme et son Etat, comme le voudraient bourgeois et petit-bourgeois; ils luttent dans la perspective de renverser le capitalisme, seule façon d’en finir avec leur exploitation; et d’ailleurs cette lutte de classe permet au passage d’arracher des réformes et des concessions bien plus sûrement que les mouvements interclassistes qui chercheront toujours à brider les énergies révolutionnaires prolétariennes.

L’indépendance, l’organisation et la lutte de classe du prolétariat sont des objectifs compréhensibles par tout prolétaire soucieux de défendre ses intérêts vitaux contre les patrons et leur Etat, quelles que soient par ailleurs ses idées politiques, philosophiques ou religieuses. Mais la lutte pour ces objectifs nécessite d’avoir des positions politiques et programmatiques claires si l’on veut repousser toutes les fausses orientations présentées par les divers courants politiques, et éviter les pièges tendus par tous les adversaires, ouverts ou cachés, de la lutte prolétarienne.

Autrement dit, elle nécessite que les militants révolutionnaires décidés à travailler pour ces objectifs, prêts à assumer la responsabilité d’organiser et d’orienter leurs camarades de classe, soient eux-mêmes organisés sur des bases politiques et programmatiques bien précises, c’est-à-dire organisés en parti politique, même si c’est encore à un stade embryonnaire: le parti de classe est nécessaire non seulement pour centraliser et diriger la lutte prolétarienne dans la période de l’assaut révolutionnaire, mais aussi dans la période précédente où il ne s’agit encore que de travailler à l’organisation de classe du prolétariat. Si l’on attend l’ouverture de la période révolutionnaire pour constituer le parti, il est alors trop tard: le parti doit se préparer et se constituer au préalable (d’une manière non pas volontariste, mais en liaison avec le développement réel du mouvement prolétarien), au travers de luttes politiques, théoriques, programmatiques mais aussi pratiques, pour restaurer, assimiler, défendre, expliquer et diffuser le «marxisme non adultéré» (selon l’expression de Lénine) – donc pas seulement sur le terrain des idées, de la «lutte idéologique» (comme dirait l’idéalisme maoïste!), mais également sur le terrain «pratique», au feu des luttes sociales.

Ce n’est que dans la mesure où le parti a réussi préalablement à clarifier toutes les questions politiques importantes, qu’il n’est pas désorienté par les questions brûlantes que posent la période révolutionnaire et donc qu’il ne désoriente pas ceux qui le suivent (car alors se tromper, c’est trahir, comme disait Blanqui); c’est dans la mesure où il a pu au préalable conquérir une audience (inévitablement limitée) auprès au moins de quelques secteurs prolétariens, que le parti aborde la période révolutionnaire avec les meilleures possibilités d’arriver à diriger la lutte prolétarienne d’ensemble et à l’orienter vers la victoire.

En définitive donc, la tâche essentielle pour les militants révolutionnaires de tous les pays, celle qui synthétise au plus haut point la lutte pour l’indépendance de classe du prolétariat, c’est de contribuer au travail de constitution ou de reconstitution de l’organe suprême de la lutte révolutionnaire, le parti de classe international, sur les bases non «révisées», non «enrichies» du marxisme intégral.

Il n’y a rien de plus important ni de plus urgent!

 

 

Parti communiste international

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