Marc Laverne et le Courant Communiste International

(«programme communiste»; N° 97; Septembre 2000)

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Cet ouvrage en vente dans deux librairies parisiennes ( L’Herbe Rouge, 1, bis rue d’Alésia, dans le 14e et la Librairie Papaioannou, 77 rue Brancion, dans le 15e) est le deuxième volume de textes de Marc Chirik, le fondateur et le principal animateur de «Révolution Internationale» et du C.C.I. jusqu’à sa mort en 1990. Ces textes ont été rassemblés par Pierre Hempel, militant jusqu’à une date récente du CCI. Le premier volume, épuisé, n’avait été diffusé qu’à l’intérieur de cette organisation.

Hempel présente ces textes comme l’illustration d’une «conception classique de l’organisation», «dépouillée des interprétations “léninistes”, “trotskystes” ou “bordiguistes”». Cependant le lecteur qui voudrait y chercher des théorisations un tant soit peu complètes sur ce point (ou sur d’autres), comprendre quelle est cette conception, sera déçu: il s’agit essentiellement de textes de circonstance, relatifs à des polémiques internes dont la plupart du temps il est difficile de saisir la portée, voire même le thème. Cela ne signifie pas que toutes les tares théoriques du CCI n’apparaissent pas à chaque page. Par exemple on pourra trouver à propos du parti et de son rôle quelques perles de la plus belle eau anti-marxiste, comme ce qui suit, dans un texte sur les Soviets:

«Toute l’histoire du mouvement ouvrier est marquée par ce faux dilemme: parti ou classe. Nous trouvons ainsi des formules vagues et même ambiguës concernant ce problème capital dans l’oeuvre des grands penseurs et même chez Marx. Ainsi dans le “Manifeste communiste”: “le prolétariat organisé en classe, donc en parti politique” (formulation bien ambiguë et que les bordiguistes utilisent à fond pour démontrer que c’est le parti qui est la classe) et l’autre formule: “l’émancipation de la classe ouvrière sera l’oeuvre de la classe ouvrière elle-même”. Entre ces deux formulations, la deuxième ne parle pas du tout de la question du parti, la première ne parlant pas de la classe, parlant surtout de la formation du parti dans la classe» («Sur les conseils ouvriers en Russie», p. 279). Suivent trois pages pour réfuter le rôle du parti (qui aurait par nature un rôle conservateur, retardant sur les masses, etc.) en prétendant effrontément s’appuyer sur la révolution russe, sur Trotsky, sur Lénine, sur Luxemburg (qui auraient «déjà insisté sur le fait que le parti porte en lui des tares du monde d’où il vient, des tares du monde capitaliste»): il s’agit de limiter le rôle de cette organisation semi-bourgeoise à une tâche purement idéologique de «déblayer la conscience du prolétariat des entraves de l’idéologie bourgeoise».

La formule de Marx n’est ambiguë que pour ceux qui ne sont pas d’accord avec elle: elle a été répétée, expliquée, commentée d’innombrables fois par les marxistes. On la trouve sous cette forme dans un texte aussi fondamental (dans tous les sens du terme) que les Statuts de la Première Internationale (A.I.T.): «Dans sa lutte contre le pouvoir collectif des classes possédantes, le prolétariat ne peut agir comme classe qu’en se constituant lui-même en parti politique distinct, opposé à tous les anciens partis formés par les classes possédantes. Cette constitution du prolétariat en parti politique est indispensable pour assurer le triomphe de la révolution sociale et de son but suprême: l’abolition des classes». Dans une lettre du 18/12/1889, Engels expliquait à un correspondant: «Le prolétariat ne peut instaurer sa domination politique, qui est le seul accès à la nouvelle société, sans une révolution violente, nous sommes bien d’accord là-dessus. Et afin que le jour décisif, le prolétariat soit assez fort pour vaincre, il est nécessaire - comme Marx et moi-même n’avons cessé de l’affirmer depuis 1847 - qu’il se constitue en parti autonome, distinct de tous les autres, un parti de classe conscient de l’être».

Quant aux leçons de la révolution russe et à la substitution du parti à la classe dont les «bordiguistes» seraient coupables, laissons Trotsky répondre: «On nous a accusé plus d’une fois d’avoir substitué à la dictature des soviets celle du parti. Et cependant on peut affirmer sans risque de se tromper, que la dictature des soviets n’a été possible que grâce à la dictature du parti: grâce à la clarté de sa vision théorique, grâce à sa forte organisation révolutionnaire, le parti a assuré aux soviets la possibilité de se transformer, d’informes parlements ouvriers qu’ils étaient, en un appareil de domination du travail. Dans cette “substitution” du pouvoir du parti au pouvoir de la classe ouvrière, il n’y a rien de fortuit, et même, au fond, il n’y a là aucune de substitution. Les communistes expriment les intérêts fondamentaux de la classe ouvrière. Il est tout à fait naturel qu’à l’époque où l’histoire met à l’ordre du jour ces intérêts dans leur totalité, les communistes deviennent les représentants reconnus de la classe ouvrière dans sa totalité» («Terrorisme et communisme», Ed. Prométhée, p. 119).

Ambiguë, la formule de Marx? Sans blague! Elle a une position centrale, cruciale, dans la conception marxiste classique, comme nous le confirme Engels. Ceux qui ne sont pas d’accord avec elle n’ont aucun droit à se prétendre marxistes: s’ils ont une «conception classique de l’organisation révolutionnaire», ce ne peut être qu’au sens d’une conception classiquement non-marxiste, d’une conception classiquement libertaire, classiquement démocratique.

 L’ouvrage contient en outre quelques documents sur la scission des internationalistes en France en 1945, scission causée fondamentalement par l’attitude à avoir par rapport au Partito Comunista Internazionalista existant en Italie, qualifié d’«opportuniste» et comparé aux Menchéviks par Hempel qui met cette scission sur le compte de machinations bordiguistes. Laverne, opposé à la constitution du parti, mène campagne contre les positions sans aucun doute fausses de Vercesi (repli sur une action humanitaire) en l’accusant d’être devenu partisan de l’anti-fascisme démocratique, et accuse Bordiga, sur la foi des bobards de la propagande alliée, d’être devenu, à la façon des trotskystes, partisan du soutien à l’Armée rouge: il est exclu de la «Fraction italienne» pour «indignité politique» (quelques temps après cette scission, Laverne, craignant l’éclatement imminent de la troisième guerre mondiale, émigra au Vénézuela, d’où, croyant à l’éclatement proche de la révolution, il revint en 1970 pour fonder «Révolution Internationale»).

L’ouvrage contient aussi que quelques dizaines de pages consacrées à un règlement de compte vis-à-vis d’un autre ancien militant du CCI, coupable de crime de lèse-Marc Laverne.

 

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Pierre Hempel est aussi l’auteur d’un autre livre: «La réaction fasciste en Europe» où il exprime son point de vue sur la question, donne son avis sur différents textes (comme notre brochure «Auschwitz...», «mal fagotée» et qui mérite selon lui «une critique actualisée du point de vue du prolétariat»: chiche!), vitupère contre «les sectes fossilisées», affirme contre nous à propos des nazis que la «machine [capitaliste] rationnelle devient irrationnelle parce que la bourgeoisie est (...) prisonnière de la logique de mort qu’elle a mise en branle», etc. Dans l’intention sans doute de s’opposer aux campagnes démocratiques antifascistes, il affirme qu’une nouvelle phase fasciste n’est historiquement plus possible: «la bourgeoisie ne peut plus avoir recours au fascisme qui était une hérésie économique et un abîme de contradictions», écrit-il, oubliant que justement le fascisme était une tentative de la bourgeoisie de surmonter les violentes contradictions qui la tenaillaient, et au tout premier chef les contradictions sociales; «et puis, continue-t-il, c’est surtout le prolétariat qui n’en veut plus du fascisme»! Le prolétariat italien, le prolétariat allemand, le prolétariat espagnol en voulaient-ils? La superficialité de l’analyse laisse rêveur...

Si la méthode démocratique, douce, pacifique, consensuelle, est sans doute celle qui convient le mieux au fonctionnement sans heurt du capitalisme, encore faut-il que la bourgeoisie aient les moyens et la possibilité d’assumer les frais de ce consensus. La position marxiste est que la bourgeoisie, même dans les grandes métropoles impérialistes, ne pourra pas éternellement maintenir ce consensus démocratique et que, tôt ou tard, elle aura recours aux méthodes violentes, aux méthodes de la dictature et de la terreur (même si elle trouvera une autre appellation que celle, usée, de fascisme) pour maintenir sa domination de classe, de la même façon que la paix impérialiste débouche inévitablement sur la guerre impérialiste - si le prolétariat ne réussit pas, avant, à se lancer dans la lutte révolutionnaire acharnée pour abattre le capitalisme.

Voilà ce dont il faut avertir les prolétaires, au lieu d’accréditer l’absurde mensonge démocratique que leur simple volonté désincarnée, qui aujourd’hui ne peut se manifester autrement que dans les bulletins de vote ou les sondages d’opinion, suffit à imposer à la bourgeoisie la façon de diriger la société.

Les lecteurs intéressés trouveront cet ouvrage dans les librairies citées ci-dessus.

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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