Propriété et capital (2)

Encadrement dans la doctrine marxiste des phénomènes du monde social contemporain

(«programme communiste»; N° 98; Mars 2003)

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V. La légalité bourgeoise
L’économie capitaliste dans le cadre juridique du droit romain

 

 La révolution bourgeoise a systématisé la possession de la terre en rétablissant le concept juridique de liberté de la terre qui était le fondement du droit civil à Rome.

«Au bas Moyen Age, pratiquement toute l’Europe, occupée par les conquérants germaniques, avait vu se réduire à presque rien le concept de la liberté de la terre qui avait fait la prospérité économique de l’empire romain. Il avait été remplacé par le féodalisme, imposé par le besoin de défense des faibles contre les invasions des Normands, des Hongrois et des Sarrasins: les faibles se liaient à un puissant, en lui reconnaissant la possession avec l’obligation de redevances ainsi que de services personnels pour que celui-ci les protège contre des malheurs plus grands; c’est de là qu’était venue de bonne heure la maxime: nulle terre sans Seigneur. Au contraire, dans le droit romain l’origine de la possession résidait dans le titre, c’est-à-dire dans le contrat librement stipulé entre les ayant droit» (1).

Au dicton français «l’argent n’a pas de maître» que nous avons déjà trouvé dans Marx cité en opposition à la devise de l’économie mobilière , s’oppose, dans les pays où le féodalisme ne s’est pas implanté, la devise romaine: «pas de propriété sans titre». Il n’est pas inutile de signaler que le pays où la parenthèse séculaire des droits personnels propres au féodalisme a été la moins profonde est justement l’Italie.

 L’italien n’a jamais eu en effet de mot qui corresponde au terme français Suzeraineté, qui signifie la propriété du seigneur féodal sur la terre. En Italie «toutes les formes du droit romain ne périrent pas; au contraire, elles persistèrent sans interruption dans certaines régions du Mezzogiorno non envahies par les barbares et restées sous la domination de l’empire byzantin gardien de la tradition romaine, ou qui y retournèrent après le démembrement du duché de Bénévent».

(...) «La jouissance de la terre en liberté absolue de la part de ses possesseurs ne date pas ailleurs d’une époque aussi ancienne que chez nous. En France par exemple elle n’eut une complète application que par l’abolition des privilèges féodaux lors de la fameuse nuit du 4 août 1789. L’Assemblée Nationale abolit simplement alors et avec les lois qui suivirent, les servitudes personnelles (corvées), mais elle rendit les droits réels (cens, champarts, lods, ventes, rentes foncières, etc.) rachetables de droit. Mais les insurrections des paysans et les divers incendies de châteaux seigneuriaux contraignirent à les abolir sans compensation même si beaucoup n’étaient pas d’origine féodale. Les petites et moyennes propriétés déjà existantes furent ainsi libérées d’une infinité de liens et de coparticipations qui étaient autant d’entraves».

Laissons maintenant l’auteur que nous venons de citer, un économiste agraire d’orientation non socialiste, pour lire les paroles avec lesquelles Marx évoque cette révolution agraire française dans «Les Luttes de classes en France»:

«La population rurale - plus des deux tiers de la population française - se compose en majeure partie de propriétaires fonciers dits libres. La première génération, affranchie gratuitement des charges féodales par la Révolution de 1789, n’avait rien payé pour la terre. Mais les générations suivantes payèrent sous forme de prix du sol ce que leurs aïeux demi-serfs avaient payé sous forme de rente, de dîme, de corvées, etc. Plus, d’une part, la population s’accroissait, plus, d’autre part, augmentait le partage des terres, et plus le prix de la parcelle montait, car la demande croissait avec son exiguïté».

Le texte continue par un examen détaillé de l’appauvrissement du paysan dans le système parcellaire: celui-ci diminue la technique agricole et le produit brut, augmente le prix de la terre et tous les coûts d’hypothèques, intérêts bancaires et usuraires, impôts, etc.; il condamne le propriétaire en titre à perdre au bénéfice des capitalistes jusqu’à la part du salaire qui aurait payé son travail s’il avait été juridiquement un sans réserve. Marx conclut :

«Seule la chute du capital peut élever les paysans; seul un gouvernement anticapitaliste, prolétarien, peut briser sa misère économique, sa déchéance sociale. La République constitutionnelle, c’est la dictature de ses exploiteurs coalisés; la République social-démocrate, la République rouge, c’est la dictature de ses alliés».

Telle est la position politique que Marx, écrivant en 1850, attribue aux socialistes révolutionnaires français de 1848. Et c’est dans ce passage que se trouve la sentence classique: les révolutions sont les locomotives de l’histoire.

Pour démontrer que dans l’analyse marxiste correcte, la parcellisation extrême de la propriété paysanne est vue comme l’un des multiples agents de l’accumulation expropriatrice capitaliste et non comme la mise en oeuvre de prétendus principes de justice sociale, nous pouvons donner la citation suivante d’un texte d’Engels de 1850 relatif à l’Angleterre:

«La tendance de toute révolution bourgeoise à démanteler la grande propriété foncière pouvait donner un certain temps l’impression aux ouvriers anglais que ce morcellement de la terre avait quelque chose de révolutionnaire, bien que son corollaire régulier soit la tendance inévitable de la petite propriété à se concentrer et à succomber devant la grande agriculture. La fraction révolutionnaire des chartistes oppose à cette revendication du morcellement la revendication de la confiscation de la totalité de la propriété terrienne, et elle exige que celle-ci, loin d’être partagée, reste propriété nationale» (2).

A l’inverse la révolution bourgeoise en France avait déversé sur le marché une immense quantité de biens nationaux provenant des confiscations et appropriations des propriétés de l’Eglise.

Sur le processus différent qui, bien après la défaite du féodalisme et la suppression du servage, conduisit en Angleterre à la formation de la grande propriété agraire bourgeoise des landlords actuels, voir le chapitre XXIV du Capital et l’étude sur les éléments d’économie marxiste que cette revue est en train de publier.

Au lieu de reprendre les apologies démocratiques des Grandes Révolutions, et tout en acceptant dialectiquement les nouvelles conditions créées par celles-ci, le marxisme dévoile les infamies de la naissance du régime capitaliste, aussi bien là où il se lance dans le morcellement de la terre que là où il fonde au contraire la grande propriété bourgeoise, propriétés «libres» l’une et l’autre.

«La spoliation des biens d’Eglise, l’aliénation frauduleuse des domaines de l’Etat, le pillage des terrains communaux, la transformation usurpatrice et terroriste de la propriété féodale ou même patriarcale en propriété privée moderne, la guerre aux chaumières, voilà les procédés idylliques de l’accumulation primitive» (3).

Cette citation est fondamentale et elle a été très souvent répétée; mais cela n’empêche pas que le socialisme actuel, disons à la Scelba (4), ne voit la réaction, l’usurpation et la terreur, et donc n’appelle à la lutte pour sauver la liberté capitaliste, que lorsque, drogué par les fumées de la démagogie électorale, il fantasme sur un retour freudien du féodalisme venu de l’histoire intra-utérine de notre société moderne - et bien plus obscène que celui-ci.

 

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La fameuse conquête bourgeoise de la liberté de la terre et de la libération des serfs de la glèbe, équivalente en fait à la conquête par le capital monétaire de la possibilité d’acquisition illimitée des sources de profits immobiliers, trouva dans le droit civil son expression avec le retour au mécanisme romain classique du code Napoléon. Décrit comme un monument de sagesse, ce code a servi de modèle à la législation de tous les États modernes. Il repose sur le principe de la propriété découlant d’un titre et accessible à tout citoyen, au fameux «quiconque» avec lequel commencent tous les articles des codes bourgeois. Le maître de la terre n’appartient plus nécessairement à une caste ou à un ordre privilégié oligarchique. Pour acquérir ce titre il suffit à «quiconque» d’apporter la somme adéquate d’argent liquide. Lorsque la locomotive rugissante de la révolution bourgeoise se mit en branle, l’occupation physique du lopin de terre par qui depuis des années et des générations l’avait durement travaillé, pouvait encore suffire comme titre de propriété. Mais dès que la révolution eut codifié sa victoire dans un nouveau système de règles fixes, il devint nécessaire pour acquérir la propriété et son titre, d’en hériter ou de le payer au prix du marché. La terre devint donc libre puisque quiconque pouvait l’acheter, ce qui signifie bien sûr quiconque possédait l’argent suffisant.

Ce retour à l’échafaudage juridique propre au droit romain qui suivit l’abolition des systèmes de droit féodal et germanique, ne signifiait évidemment pas du tout un retour aux rapports de production et à l’économie sociale de l’époque antique. Il suffit de rappeler qu’en Grèce, à Rome et dans les pays dominés par ces deux villes, à côté de la démocratie qui rendait égaux devant le droit les citoyens libres, l’esclavagisme était en vigueur; il existait donc toute une classe contrainte au travail de la terre dont les membres, non seulement ne pouvaient pas aspirer à la posséder, mais étaient eux-mêmes considérés comme la propriété d’un maître, échangeables contre argent et transmis avec l’héritage familial de leurs maîtres. Bien qu’il existait différentes classes parmi les citoyens libres devant la loi - celle des grands propriétaires patriciens, celle des paysans propriétaires de leurs petits lopins, dans leur majorité sans esclaves et donc travailleurs eux-mêmes, celle des artisans et même celle des marchands et des premiers capitalistes possesseurs d’argent -, il est évident que la présence d’une classe exploitée à la base de l’échelle sociale créait des rapports complètement différents de ceux qui existent dans la société moderne; elle provoquait jusqu’à de grandes tentatives révolutionnaires de la part des esclaves.

Par conséquent le droit écrit classique qui réglait la propriété en titre de la terre et en général des biens immeubles, et la transmission par héritage, par achat-vente, etc., ainsi que tous les autres rapports fonciers complexes, doit être compris avec la réserve suivante: le sujet que désigne le fameux pronom quiconque n’était pas, même virtuellement, un membre quelconque de l’ensemble social; il faisait partie de la classe supérieure restreinte et privilégiée des citoyens libres, des non esclaves.

Cela signifie que c’est seulement dans l’abstrait que le droit réel, expression théorique d’un rapport physique entre homme et chose, et dans notre cas entre homme et terre, a semblé céder le pas au système de droits personnels de l’époque médiévale et féodale, expression d’un rapport de force entre homme et homme (comme l’interdiction de quitter la terre ou de changer de métier). En effet dans le monde romain le droit personnel régnait dans le vaste champ social constitué par la production esclavagiste, le rapport de patron à esclave allant jusqu’au droit de vie et de mort. Cependant le patron avait directement intérêt à la vie, à la force et à la santé de l’esclave, et Marx souligne que dans l’antique Rome, le villicus, le fermier à la tête des esclaves agricoles, recevait une ration inférieure à la leur, car son travail était moins pénible (citation de Théodor Mommsen) (5).

La révolution qui se place entre les deux ères sociales, représentée du point de vue économique par la disparition de la rentabilité du travail des esclaves par rapport à leur coût, du point de vue politique par des révoltes formidables, dont celle classique de Spartacus tombé après deux années de guerres civiles dans la bataille près du Vésuve où six mille des ses partisans furent tués, du point de vue idéologique par l’égalité morale des hommes prêchée par les chrétiens - cette révolution élimina vraiment dans une large mesure le jeu des droits personnels en interdisant que la personne humaine puisse être traitée comme une marchandise.

 La révolution bourgeoise reprit le droit romain théorétique pour réguler les rapports entre l’homme et les biens immobiliers, avec une innovation importante: le nouveau droit réel concerne tous les citoyens membres de la société et pas seulement une partie privilégiée comme dans l’antiquité. Ce droit moderne se vante d’avoir complété l’abolition de l’esclavage par l’abolition de la servitude de la glèbe et des entraves corporatistes; il se vante d’avoir rendu tous les membres de la société égaux et libres des liens personnels devant la loi. Dans le domaine de la propriété du sol et des biens immobiliers qui nous occupe, les nouveaux codes élaborés par les juristes napoléoniens, ou copiés, selon la dialectique de l’histoire, par les juristes des puissances battues par Napoléon, règlent les rapports des citoyens devant la terre libre.

Mais en réalité les formes juridiques garanties par le pouvoir d’État et ses forces matérielles sanctionnent et protègent toujours des rapports de force et de dépendance entre les hommes et le droit réel de l’homme sur les choses reste une forme abstraite. Le citoyen X a pu devenir propriétaire du terrain Y parce qu’il disposait de la somme d’argent nécessaire pour en obtenir le titre de propriété qu’il a payé au citoyen Z puisque, la liberté de la terre étant en vigueur, le terrain pouvait être cédé selon le libre vouloir du précédent propriétaire. Que signifie le titre de droit réel de X, libre citoyen d’une libre république bourgeoise, sur le libre terrain qu’il a acheté? Il signifie qu’il peut le clôturer, que sans avoir même à payer les frais d’une clôture matérielle, il peut interdire à tous les libres citoyens, y compris à Z, d’y pénétrer. Et si certains transgressent cette interdiction, son titre de propriété lui permet d’en appeler aux forces de l’État, voire même, dans certaines conditions, de tuer ceux qui la transgressent. La liberté de X et son libre droit de propriété, une fois laissés de côté la philosophie et le droit théorique, s’expriment dans la possibilité personnelle de limiter, y compris par des moyens violents, les initiatives d’autrui.

Le nouveau régime de liberté bourgeoise est un régime de propriété consacré dans les tables du droit, même si cette propriété n’est plus interdite à des castes d’esclaves, de serfs ou de villageois. Il est donc toujours un régime de rapports de force entre les hommes; socialement parlant, tous les «quiconque» du code se divisent en deux classes, celle des possédants et celle des non possédants du sol, dépourvus de titre juridique et dépourvus des moyens économiques nécessaire à se le procurer.

 

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Le christianisme a aboli les castes, la révolution libérale a aboli les ordres; restent les classes, non dans le droit écrit, mais dans la réalité économique. Marx n’a pas découvert leur existence ou leur lutte, qui étaient connues et constatées avant lui; mais il a découvert qu’entre ces classes il y a, à un degré bien plus élevé qu’entre les castes de l’antiquité et les ordres médiévaux, un fossé économique, un antagonisme et une guerre sociale.

Dans le chapitre II, paragraphe 3, de «L’État et la Révolution», Lénine met en évidence de manière magistrale comment Marx lui-même a précisé, dans une lettre du 5 mars 1852, le contenu original de sa théorie:

«Ce que je fis de nouveau, ce fut de démontrer: 1) que l’existence des classes n’est liée qu’à des phases déterminées du développement historique de la production 2) que la lutte de classe conduit nécessairement à la dictature du prolétariat; 3) que cette dictature elle-même ne constitue que la transition à la suppression de toutes les classes et à une société sans classes».

Lénine conclut alors, et c’est le fondement de son écrasement historique des opportunistes, que l’essentiel dans la doctrine de Marx n’est pas la lutte des classes mais la dictature du prolétariat:

«C’est avec cette pierre de touche qu’il faut vérifier la compréhension et la reconnaissance effectives du marxisme» (6).

Le troisième point, en relation avec le premier, est également essentiel: en effet la dialectique de Marx y établit que les grands faits historiques que sont la lutte des classes et la dictature de classe n’existent pas dans toutes les sociétés et à toutes les périodes historiques; ils ne peuvent pas être déduits de raisonnements vides sur la «nature de l’homme» ou sur la «nature de la société». L’homme n’est par nature ni bon ni mauvais, ni propriétaire ni serf, ni autoritaire ni libertaire; l’espèce humaine n’est pas classiste ou égalitaire, étatique ou anarchique, en vertu d’une implacable prédestination! Loin de toutes ces stupidités philosophiques, l’école marxiste établit par l’étude des développements successifs des phases productives, qu’étant donné les rapports sociaux dans lesquels elle se trouve, la classe prolétarienne moderne est conduite à se servir de la lutte de classe, de la violence révolutionnaire, de l’État dictatorial, pour pouvoir aller vers un système de production et de vie collective toujours plus exempt de servitude, de violence et de structure étatique autoritaire.

Pour revenir à la constitution initiale de la société capitaliste, tout ce que nous avons dit sur le changement révolutionnaire dans les rapports entre le capital monétaire et la propriété foncière démontre que négliger ce domaine fondamental et ne considérer que la diffusion victorieuse de la manufacture et de l’industrie capitaliste et la constitution de la classe des entrepreneurs en classe dominante dans la société et dans l’Etat, reviendrait à avoir une vision partielle du processus historique.

De même qu’ils évitaient de parler d’abolition de la propriété en général, les anciens socialistes - et nous rappellerons entre tous le bon Constantin Lazzari bien qu’il n’ait jamais été un théoricien - ne se limitaient pas à la seule opposition entre les ouvriers salariés des entreprises et leurs patrons. Ils utilisaient la formule (les formules ont une grande importance, et il suffit pour le prouver de songer à la clarification déjà citée de Lénine): lutte contre l’ordre constitué de la propriété et du capital.

Dans la lettre à Brake où il critique férocement le programme de Gotha de la social-démocratie allemande, Marx condamne l’expression: «dans la société actuelle les moyens de travail sont un monopole de la classe des capitalistes». Il y fait cette objection décisive:

«Dans la société actuelle, les moyens de travail sont le monopole des propriétaires fonciers (le monopole de la propriété foncière est même la base du monopole capitaliste) et des capitalistes. Les statuts de l’Internationale, dans le passage en question, ne nomment ni l’une ni l’autre classe des monopolisateurs. Ils parlent du “monopole des moyens de travail, c’est-à-dire des sources de la vie”. L’addition des mots “sources de la vie” montre clairement que la terre est comprise parmi les moyens de travail» (7).

Il y aussi dans ce texte une phrase de Marx d’une très grande importance pour l’analyse que nous voulons faire: «En Angleterre, dans la plupart des cas, le capitaliste n’est même pas le propriétaire du terrain sur lequel est bâtie sa fabrique». Ce rappel est dirigé contre Lassalle qui négligeait en Allemagne la lutte contre les propriétaires fonciers, et qui pensait même que l’État de Bismarck pouvait ne pas s’opposer à la lutte des ouvriers d’usine contre les industriels des fabriques. Toute la lettre est dictée par la préoccupation de la confusion théorique qui découle de l’unification du parti avec les lassalliens: «on sait à quel point le seul fait de l’unification donne satisfaction aux ouvriers, mais on se trompe si l’on pense que ce résultat du moment n’est pas payé trop cher». Le bilan de la prévision faite par Marx le 5 mai 1875 peut être tiré de la condamnation de l’opportunisme social-démocrate signée par Lénine le 30 novembre 1917, quand il interrompit son texte sur L’État et la Révolution pour cause d’empêchement constitué par la révolution russe.

 

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Le régime bourgeois représente donc la domination de la classe des entrepreneurs d’usine, des capitalistes du commerce et de la banque, et des propriétaires de biens immobiliers. Ces derniers sont tout aussi bourgeois que les autres; ils n’ont rien à voir avec l’aristocratie féodale, déjà dispersée socialement et politiquement. Ils descendent des anciens possesseurs d’argent, marchands, financiers et usuriers qui ont finalement pu acheter la terre devenue juridiquement accessible au capital et concentrer ensuite leurs acquisitions de lopins de dimensions différentes.

Comme le dit «Le Manifeste», le prolétariat ne peut se soulever sans briser toute la masse des couches supérieures qui constituent la société officielle.

Nous avons déjà rappelé que la société bourgeoise distingue qualitativement les trois revenus: la rente foncière, l’intérêt du capital monétaire, le profit de l’entreprise. Pour nous marxistes, leur ensemble constitue le produit de l’exploitation du travail prolétarien. A la fin de ce chapitre sur la régulation juridique bourgeoise du privilège foncier, nous poserons une distinction qualitative essentielle sur l’importance des trois éléments du revenu patronal qui permet de démontrer que la troisième forme, la plus moderne, le profit d’entreprise, est la plus efficace et la plus virulente, et tend toujours plus à constituer quantitativement la masse centrale de l’oppression capitaliste.

Le produit de la rente foncière a une limite assez basse relativement à la grandeur du patrimoine (montant de l’argent converti dans l’achat, valeur vénale en libre commerce); cette limite découle de la nature saisonnière de la production agricole. Le produit brut ne peut être augmenté dans le temps que jusqu’à une certaine limite, qui est réduite même pour les rares terrains très fertiles et les cultures les plus intensives. L’économie doit donc parler toujours de la rente brute et de la rente nette annuelles, cette-dernière ne dépassant pas en général les 5-6% de la valeur capital, patrimoniale, du terrain.

En reflet de la convertibilité effective entre possessions foncières et argent, même l’intérêt que retire le possesseur d’un capital liquide ne peut dépasser cette limitation temporelle et ces taux annuels de 5-6% quand il se borne à le prêter à des spéculateurs, à des propriétaires, à l’État lui-même, sauf cas exceptionnels et aléas particuliers causant la perte du patrimoine.

Les deux formes traditionnelles qui caractérisent le propriétaire bourgeois ou rentier ont donc une possibilité d’exploitation et d’extorsion de la plus-value limitée, car elles sont liées à l’obstacle insurmontable du cycle annuel.

Bien différente est au contraire la puissance de reproduction du capital et la grandeur du bénéfice dans l’entreprise moderne - que nous devons envisager dans un sens plus large encore que la simple organisation productive en grands établissements et usines. Aucune limite saisonnière ou temporelle n’est ici mise au cycle créateur du produit brut et donc du profit net. Le rapport entre ce dernier et la valeur patrimoniale de l’entreprise peut dépasser toutes les limites, et la régénération de tous les facteurs du cycle reproductif peut avoir lieu à de nombreuses reprises au cours de la période annuelle classique.

Marx a donc bouleversé radicalement l’algèbre économique bourgeoise lorsque dans sa formidable analyse il a mis le profit en rapport non avec la commode fiction bourgeoise de la valeur patrimoniale de l’usine, mais avec la valeur du produit brut lui-même, et ensuite avec la seule partie de cette valeur constituée par les paiements des salaires aux travailleurs.

Une quantité déterminée de produits (nous avons déjà souligné que la caractéristique véritable du privilège capitaliste est bien plus la propriété du produit que celle du terrain, du bâtiment et des machines, qui peut prendre les formes les plus variées), d’une valeur par exemple d’un million de lires sur le marché, pourra contenir, mettons, neuf cent mille lires de coûts (loyers, intérêts, usure, dépenses générales, traitements et salaires): le profit de l’entreprise sera alors de cent mille lires, soit de 10 % du produit; selon Marx, si les salaires représentent deux cent milles lires, le taux de plus-value sera de 50%.

Mais le cycle qui a conduit à cette masse de produits peut se répéter d’innombrables fois au cours d’un exercice annuel; le bénéfice de l’entreprise s’accroîtra de façon vertigineuse, alors que la dépense annuelle pour les locations d’immeubles et pour les intérêts bancaires restera la même. La valeur patrimoniale de cette entreprise est une grandeur difficile à évaluer dans le dédale des innombrables trucs et astuces comptables de la spéculation affairiste moderne; elle disparaît même puisque la valeur des installations et celle de l’encaisse apparaissent déjà rémunérées par les loyers et les intérêts portés au passif.

Si le bourgeois entrepreneur-spéculateur peut donc tirer un million du néant (de son habileté!), le bourgeois propriétaire foncier ou d’argent liquide doit pour obtenir le même bénéfice avoir réuni près de vingt millions; en outre il lui faut attendre un an, alors que le premier peut parfois boucler son cycle dans les délais les plus brefs, et même parfois anticiper la réalisation de la production.

Il faut déchiffrer avec ces critères de distinction entre le bilan patrimonial et les bilans de gestion - ce qui n’est pas facile! - la tendance historique de l’entreprise mobilière capitaliste dans toute la complexité de ses formes modernes; ainsi que les rapports de cette entreprise avec les formes de propriété titulaire foncière et les sources de financement. Ces formes étaient déjà connues par des économies à la fois plus anciennes et moins férocement exploiteuses des classes pauvres, moins porteuses de désordres, de contrastes, et d’incessantes destructions de moyens socialement utiles dans le mécanisme productif, et qui étaient aussi les bases de sociétés moins voleuses, moins sanguinaires et moins féroces que la très moderne société capitaliste.

 

(A suivre)

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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Note :

Le mirage de la réforme agraire en Italie

 

 

Il y a une équivoque fondamentale dans tout ce qui s’écrit ou se dit pour des objectifs politiques à propos de la transformation agraire, que ce soit quand elle est présentée comme une révolution parallèle à la révolution bourgeoise ou à la révolution ouvrière, ou quand elle est présentée comme une réforme dans le cadre de l’ordre établi.

Les révolutions brisent les anciens rapports de propriété et de droit qui empêchent les forces productives déjà existantes avec leurs prémisses techniques déjà développées, de se développer en leur sein. Du point de vue historique général, nous pouvons appeler réformes les mesures radicales ultérieures que prend le nouveau pouvoir révolutionnaire pour rendre possible en pratique cette transformation technique; mais dans l’acception commune actuelle, les réformes ce sont les replâtrages perpétuellement promis pour camoufler ou émousser les contradictions, les conflits et les inerties d’un système entré depuis longtemps dans sa phase conformiste.

Dans l’agriculture comme dans tous les autres secteurs de l’économie, quand on cherche à élaborer un programme innovateur, de quelque façon et de quelque point de vue que ce soit, il est nécessaire de distinguer entre propriété et entreprise. La propriété est un fait de droit, protégé par l’État, système d’obligations surmontant les faits sociaux. L’entreprise et son fonctionnement sont un fait d’organisation productive, déterminé à la base par les conditions et les possibilités techniques.

Le féodalisme balayé par les grandes révolutions agraires n’était pas un réseau d’organisations d’entreprises; il ne disposait pas ni ne gérait techniquement la production agricole. Il l’exploitait seulement, en prélevant les tributs dus par les paysans qui pourvoyaient à tous les facteurs de la production: travail, instruments, matières premières, et ainsi de suite. Les domaines étaient grands et même immenses; mais les entreprises étaient très petites quand elles étaient tenues par des familles rurales, moyennes quand il s’agissait des premiers paysans propriétaires, les premiers bourgeois de la terre, qui étaient eux aussi alors une classe opprimée.

La révolution - qui dans certains pays ne fut qu’une grande réforme - traita le problème juridique à la racine en supprimant le droit du seigneur à prélever ces tributs. Elle ne changea rien dans l’organisation technique de l’entreprise dans la mesure où n’y jouait aucun rôle le seigneur, qui ne connaissait ni ne pratiquait en aucune façon l’agriculture ou le commerce: sa fonction personnelle était militaire, de cour ou de magistrature.

Commença alors une évolution, et dans certains pays une série de réformes de la technique de l’exploitation agricole; non pas dans le sens où la petite propriété se serait beaucoup éloignée des méthodes séculaires de culture, mais dans le sens où le capital investi dans la terre permit la formation de la nouvelle propriété bourgeoise; sur les superficies les plus étendues se constituèrent des entreprises moyennes et grandes gérées par des fermiers capitalistes, possédant cheptel et machines, et dans certains cas par des propriétaires entrepreneurs disposant à la fois de la terre et du capital mobilier.

En tant que grand événement révolutionnaire, l’émancipation des paysans du joug féodal se produisit d’un coup dans la France de 1789 et dans la Russie de 1917, accompagnant dans le premier cas la révolution des capitalistes et dans le second cas celle des ouvriers. A partir de là, l’évolution de l’organisation agricole s’est déroulée selon des formes différentes et sous l’influence de forces différentes; l’analyse du cas russe avec ses avancées et ses reculs est particulièrement intéressante. Il nous suffit ici de rappeler qu’en France la formule juridique révolutionnaire fut la liberté de commerce de la terre et en Russie la propriété nationale de la terre et la concession en gestion aux paysans. Mais même dans ce second cas, cela n’empêcha pas l’apparition d’une classe de bourgeois paysans moyens et riches, et la lutte contre ceux-ci connut des hauts et des bas parce qu’il fallait tolérer dans une très large mesure le libre commerce des denrées.

Un trait distingue les deux grands événements historiques: pour la France, production intensive et forte densité de la population pour la Russie production extensive et faible densité. Un autre les rapproche peut-être: diffusion harmonieuse de la population rurale sur la surface cultivée.

Nous avons déjà dit que l’Italie n’a pas connu une grande et générale émancipation du servage de la glèbe, celui-ci n’ayant jamais été socialement dominant. D’après les données techniques des différentes régions, tous les types d’entreprises rurales ont vécu dans une relative liberté, des petites aux moyennes et grandes, de celles fondées sur la culture intensive à celles fondées sur les cultures extensives; toutes les formes de propriétés privées: petite, moyenne et grande, collective, dans des domaines publics et dans des communautés rurales, s’y sont entremêlées. Il n’y eut pas de grande bataille pour libérer les entreprises et les classes agricoles du poids du système des droits seigneuriaux parce que cela n’était pas nécessaire; là où apparurent des formes féodales, elles furent à chaque fois combattues par des Communes, des Seigneuries, des Monarchies et par les administrations étrangères elles-mêmes.

La succession des événements est assez compliquée et nous nous contenterons de citer encore une fois le même auteur certes pas marxiste et dont le nom importe peu, car il n’a pas travaillé toute sa vie sur les problèmes de l’agriculture italienne - en montrant que ces problèmes sont ceux des agriculteurs - dans le but d’acquérir des places politiques pour lui ou pour les siens.

Il y a de nombreuses preuves historiques de la continuité en Italie, dans le domaine du régime foncier, de l’application du droit romain: «Il est indubitable qu’à côté des possessions régies par le droit romain il devait exister une vaste extension de terres sujettes aux liens féodaux et dont les possesseurs n’étaient pas motivés pour l’améliorer, parce qu’ils auraient dû faire participer aux bénéfices des tiers qui n’y donnaient aucune contribution, et à vrai dire les résidus de ces servitudes furent liquidés par les législations des XVIIIème et XIXème siècles. Mais la plus grande partie des terres fût libérée des liens en question, comme [le furent] les serfs de la glèbe, lors de la période communale, pendant laquelle ont été possibles les grandes transformations agraires de bonification et d’irrigation dans la Vallée du Pô et les plantations en Toscane qui connurent justement un si grand développement du XIIème au XVème siècle. Dans cette période se développa et se fortifia l’institution de l’association foncière, impossible sans la liberté absolue de la terre, qui aujourd’hui, à de rares exceptions près, est à peu près complète dans la quasi totalité des pays civilisés, éliminant ainsi l’obstacle de l’ingérence d’un tiers dans les seuls bénéfices de l’amélioration de la terre ou des cultures [l’auteur, partisan ouvert de la propriété personnelle de la terre, insiste sur le fait que le privilège féodal devait disparaître parce qu’il empêchait le développement des forces productives agricoles, c’est-à-dire de l’investissement en capital et travail dans des améliorations foncières, qui était arrivé à maturité pour l’époque, nous donnant ainsi un bon argument de la validité de la méthode marxiste].

L’application du code napoléonien consolida ce régime dans tout notre pays et l’abolition du régime féodal dans le Mezzogiorno en 1806, en Sicile en 1812 et en Sardaigne de 1806 à 1838 y contribua tout autant. La législation civile de l’Italie nouvelle affirma avec plus de force cette orientation en supprimant les fidéicommis et les majorais, puis en cherchant à liquider toutes les formes de coparticipation à une seule propriété. Il subsista cependant d’importants restes de propriétés collectives, même si prévalait la tendance à l’abolition de toute espèce de confusion dans la possession de la terre; et le recouvrement de la rente foncière fut particulièrement privilégiée par la loi. [Toutes mesures caractéristiques de la révolution bourgeoise libérale dont les abrutis finis attendent toujours la venue et espèrent les effets!]. La libération de la propriété foncière aida ainsi particulièrement l’amélioration des cultures commencée dans notre pays à partir du XIIème siècle [sans attendre le ministre Segni et l’expert de l’opposition Ruggero Grieco, voyez-vous ça!], rendant possible la formation d’une culture capitaliste [ca-pi-ta-lis-te, écrit tel quel et non qualifié comme pourrait le faire quelqu’un qui comme nous a une telle phobie du capitalisme qu’il pourrait sourire au féodalisme l’instant de fugaces accès de contingentisme] aux rendements très élevés, qui n’aurait certainement pas été possible sous un autre régime».

Nous espérons ne pas avoir trop ennuyé le lecteur avec la méthode historique, mais qu’y faire? Quand la presse de toutes tendances, parle, toutes les dix lignes, de baronnie, de féodalité et de la pauvre bourgeoisie, du malheureux capitalisme, qui n’arrivent pas à se développer librement dans ce pauvre pays médiéval (tu parles!), les clous doivent être battus et rebattus...

Voyons aujourd’hui où nous en sommes dans les choses essentielles.

«La richesse agraire provient de la terre qui produit sur sa superficie une certaine quantité de denrées ayant une valeur fixée par leur marché respectif [...]. C’est là que joue le phénomène fondamental de sa limitation, et en effet, par exemple dans notre pays, avant les dernières annexions [de 1918], sur une superficie de 287 mille kilomètres carrés, 22.600 en étaient ou naturellement impropres ou soustraits pour des raisons diverses à la production; il en restait donc à peu près 264 mille, soit 92,17%». La population à l’intérieur de ces frontières était, d’après les données de 1921, de plus de 37 millions d’habitants, «c’est-à-dire de 130 par kilomètre carré de territoire et de [bien] 141 par kilomètre carré de superficie agricole ou forestière [...]. Nous avons en effet une forte proportion de régions montagneuses (de 800 à 1000 mètres d’altitude) qui dans les Alpes comprennent de vastes superficies recouvertes par les neiges éternelles, ou qui, là comme dans les Apennins, se situent de 1500 à 2000 métres ou plus, altitude qui ne permet que de maigres pâturages et des bois. La région des collines comprend à la fois de vastes étendues de terres instables, les plaines littorales sablonneuses et recouvertes de dunes, des zones marécageuses, etc. C’est ainsi que la partie la plus fertile des terres, où se concentre la plus grande partie de notre population est considérablement réduite, avec des territoires qui alimentent 3, 4, 500 habitants par kilomètre carré et parfois même de 7 à 800.

C’est pourquoi l’affirmation trop souvent répétée par des étourdis de l’existence encore chez nous de vastes étendues de terres non cultivées susceptibles d’une colonisation avantageuse ne peut être acceptée que sous bénéfice d’inventaire. Il y a certainement beaucoup de terres mal cultivées et la production agricole italienne est encore susceptible de s’accroître. Mais les chiffres rapportés ci-dessus prouvent que la question des «terres non cultivées» a une importance très relative, autrement il ne serait pas possible qu’une population si dense vive chez nous».

Même les étourdis savent que de 1921 à 1949 les chiffres ont changé. En effet sur 301 mille kilomètres carrés, 278 mille sont en production, c’est-à-dire le même pourcentage de 92 %, tandis qu’il y a désormais 45 millions d’habitants; et les chiffres de la densité de population sont passés 150 à 162, soit une augmentation de 15 %!

Entre les sacrifices alimentaires des années de guerre et les dons intéressés de denrées agricoles à l’époque de l’UNRRA et de l’ERP (8), il paraît évident que la productivité agricole de cette botte italienne décharnée, a connu une certaine augmentation de rendement, en ligne avec ce que permettait l’état de son outillage. Quant à la population, elle ne songe pas à arrêter sa croissance: en 1948 elle a dépassé le demi million d’unités pour arriver à une augmentation relative de 10 à 12 pour mille. L’excèdent annuel des naissances sur les décès dépassait de peu les huit pour mille à l’époque des exhortations démographiques de Mussolini à qui la fumisterie actuelle attribue des facultés et des pouvoirs, bons ou mauvais, qui lui étaient complètement étrangers. Il passa pour celui qui interdisait l’émigration, mesure qui n’était qu’une faible rétorsion tactique vis-à-vis des grandes puissances capitalistes qui fermaient leurs portes au nez des travailleurs italiens. De toute façon même cette soupape de sécurité ne fonctionnait pas comme dans le passé: entre 1908 et 1912 l’émigration atteignit le maximum de 600 mille travailleurs par an (vingt pour mille); elle reprit après la guerre pour atteindre dans les années 1920-1924 un peu plus de 300 mille avant de diminuer ensuite fortement. Il semble qu’en 1948, la dernière année, elle soit remontée à 137 mille, mais avec une grande partie de travailleurs temporaires (trois pour mille).

Pour ce qui est de la proportion de la population employée dans l’agriculture, elle était à peu près de 25% selon les statistiques du premier avant-guerre (1911); elle serait aujourd’hui d’au moins dix millions, mais il faut noter qu’il s’agit de dix millions de personnes productives, en excluant les jeunes gens de moins de dix ans, les vieux incapables de travailler, une partie des femmes, de sorte qu’il est évident que la grande majorité de la population italienne vit encore de l’économie agricole. Il est plus important de voir la répartition de la population agricole active; après la première guerre l’estimation était la suivante: 19% propriétaires, 8% fermiers, 17% métayers, 56% journaliers et ouvriers agricoles. Ces derniers constituaient donc la majorité et il faut tenir compte que la plus grande partie des propriétaires, fermiers et métayers vivent dans des conditions économiques qui sont proches de l’indigence. Il est important de noter que la proportion des prolétaires agricoles purs était plus forte dans le Midi que dans le nord et le centre: à peu près 79% dans les Pouilles, 70% en Sicile, 69% en Calabre.

Cette situation quasiment originale de l’agriculture italienne par rapport aux autres pays d’Europe montre quelle grave erreur sociale et politique il y a à la considérer comme pré-bourgeoise. Elle suffit aussi à faire comprendre à quel point le problème des modifications (grandes ou petites) du dynamisme des entreprises productives est posé de façon absurde quand on le réduit à dessein au problème d’une redistribution générale ou exceptionnelle de la propriété juridique et personnelle de la terre.

Il n’est pas facile de se promener dans le jardinet des statistiques... Dans les récentes discussions sur la réforme Segni et sur les contrats agricoles, les contradicteurs se sont mutuellement accusés de ne pas savoir lire. Il faudrait savoir comment ces statistiques sont manipulées. A l’époque de la bataille du blé le ministère de l’agriculture demandait aux inspecteurs provinciaux les chiffres des superficies emblavées et des récoltes, tandis que le parti [fasciste -NdT] prescrivait aux fédéraux les chiffres à atteindre. Fédéraux et inspecteurs n’avaient aucune envie de se casser la tête ni de perdre leur poste. C’est toujours la même histoire et tous les «bureaux du plan» débitent des mensonges. Alors ce que peuvent valoir aujourd’hui en Italie toutes les statistiques recueillies par l’administration publique pléthorique, désarticulée et ondoyante, il est facile de le deviner. Il suffit de penser que nous sommes dans un régime de pluralisme des partis, or le degré de fausseté dans les affaires publiques croît comme le carré du nombre des partis en lice.

Les chiffres les plus récents de Serpieri (9), source indubitablement autorisée quand elle était consultée avant et après le Risorgimento, augmentent beaucoup le nombre des propriétaires en y ajoutant un nombre important d’usufruitiers emphytéotiques et autres; confirmant plus ou moins la proportion de fermiers et de métayers, ils réduisent le pourcentage des journaliers et des ouvriers agricoles à seulement 30% de la population active agricole.

Si on laisse de côté les recensements de la population, il faut prendre en compte les recensements fascistes qui avaient essayé d’établir un classement socio-corporatif des professions et des situations économiques. Mais il n’est pas facile de lire dans les déclarations le nombre des propriétaires, il n’est pas facile de faire la distinction entre les propriétaires urbains et ruraux, il n’est pas facile de calculer si, pour la même propriété, tous les membres de la famille du propriétaire, femmes et mineurs compris, sont déclarés agriculteurs propriétaires.

Si l’on veut se tourner alors vers le cadastre, établi sans aucun doute sur des éléments exacts, on se trouve en présence d’une statistique non pas d’individus mais d’entreprises. Parmi elles il y a des personnes morales très variées: communes, coopératives, sociétés, et ainsi de suite. Restent les entreprises privées; mais alors que d’un côté dans de nombreux cas, à une propriété encore indivise ou dont la division n’est pas encore transcrite, correspondent des legs collectifs compliqués aux héritiers familiaux, de l’autre il est absolument impossible de savoir si une personne a plusieurs propriétés dans différentes communes de l’État car les registres des propriétaires n’existent que par commune. Il existe 7.800 communes et chacune enregistre des milliers d’entreprises. Si l’on voulait dresser le registre national des propriétaires de terres, ce serait un travail tel qu’avec quelque plaisanterie de calcul combinatoire, il serait possible de démontrer que les employés du super-bureau occupé à cette tâche consommeraient une fraction non négligeable du produit agricole du pays. Comme dans la spirituelle observation faite aux ministres Fanfani et Tupini: vous ne construirez que les bâtiments pour les bureaux de vos plans respectifs.

C’est la raison pour laquelle les meilleurs spécialistes dressent des tableaux de pays imaginaires quand ils veulent expliquer la signification des statistiques sur l’étendue des propriétés par rapport au nombre des propriétaires, avec les proportions relatives de têtes, de superficies, ou de valeurs agricole, etc. (qui se prêtent à la petite propagande classique: 1 % possède les 50 % de la terre et ainsi de suite jusqu’aux 80 % qui doivent se partager à peine les 20 % de superficie restants). Posez le système de la propriété titulaire du sol, du libre commerce de la terre et de la transmission héréditaire, et vous ne pourrez pas avoir une répartition différente de celle-là, ou tendant irrésistiblement à y revenir si des interventions extérieures l’en avaient écarté. De sorte que la progression alarmante vers le beaucoup de terres à peu et de le très peu de terres à beaucoup, si elle est d’un côté un effet de perspective arithmétique, elle est de l’autre la caractéristique du régime civil de la terre libre dans un pays libre.

La très grande variabilité de la répartition de la possession de la terre en Italie par rapport aux différents types d’entreprise organisée, nous donne le tableau régional bien connu: on trouve parfois à quelques kilomètres de distance la grande exploitation extensive et la minuscule propriété familiale, la grande ou moyenne propriété moderne bien équipée et la petite exploitation de colline. Les différences régionales sont incontestables si on veut en déduire la nécessité de traiter le problème technique région par région; mais, même sans vouloir prendre au sérieux la politique agricole contingente actuelle, il serait possible de conclure que la variété des situations régionales et leur étonnante diversité sont précisément une raison pour combattre les inconvénients des cas extrêmes avec un programme national unitaire...

Il parait évident que les propriétés de superficie moyenne et de grande valeur de la vallée du Pô, avec leurs élevages florissants et leur culture irriguée, de même que les propriétés un peu moins étendues de l’Italie moyenne où règne la culture arborée à haut rendement, ainsi que des nombreuses propriétés analogues du Sud et de la Sicile, ont un rendement productif proche du maximum. Il nous reste alors à traiter pas seulement le problème du fameux «latifundium», qui ne pourra jamais être liquidé par les malheureux impuissants actuels; il y a aussi le problème de l’extrême parcellisation, de la minuscule propriété inséparable de la minuscule entreprise, qui est la véritable maladie de notre agriculture, cause majeure de marasme, de misère, de conformisme social et politique, comme de gaspillage incommensurable de pénibles efforts du travail.

Nous allons examiner un peu les véritables données de ces deux calamités. Mais il faut souligner d’abord combien il est absurde que l’opposition, même seulement à des fins polémiques ou pour des manœuvres parlementaires, ne sache opposer à l’orientation du parti majoritaire démocrate-chrétien en faveur du fractionnement des propriétés, selon la stupide utopie du «tous propriétaires» et à sa perspective creuse de distribution aux paysans pauvres des terres incultes (qui sont en réalité les terres incultivables que tout paysan même analphabète mais doté des rudiments du métier refusera même si on les lui donne), la critique solidement fondée de la fragmentation de la terre en exploitations minuscules et figées séculairement dans des méthodes de travail primitives.

Tous propriétaires: prenons donc les 270 mille kilomètres carrés et répartissons les entre les 45 millions d’Italiens. Chacun aura trois cinquièmes d’hectare, soit un espace équivalent à un carré d’un peu moins de quatre-vingts mètres de côté. Le maillage imbécile que le régime de la libre propriété et le relevé géométrique cadastral ont inscrit sur la superficie de la terre, mesurerait 300 mètres pour chaque propriété; si l’on voulait poser des clôtures même simples, leur coût économique serait proche de la valeur réelle du lopin... Et ce n’est là que l’une des causes de la diminution de productivité engendrée par l’exiguïté des champs à travailler, qui courbe l’homme à la dure servitude de la pioche.

Notre raisonnement n’est pas absurde, car les statistiques effectives donnent des taux de fragmentation encore plus élevés.

Les statistiques de la superficie moyenne de la parcelle cadastrale, c’est-à-dire de la zone de terrain qui non seulement appartient à une même exploitation mais qui a la même culture et la même catégorie du point de vue de la valeur, donnent évidemment une surface inférieure à celle moyenne du lot, c’est-à-dire de l’ensemble de parcelles d’une même exploitation; mais elles donnent une meilleure idée de l’extrême fragmentation pour ce qui est de l’exploitation technique. Alors que nous avions supposé que chaque italien dispose de 0,60 hectare, c’est-à-dire 60 ares, il existe des régions où la parcelle moyenne est encore plus petite: Aquila et Turin avec 35 ares, Naples avec 25, Imperia avec 22.

L’auteur déjà cité défend le régime de la libre acquisition de la terre et de la propriété familiale car elle «constitue un stimulant très efficace pour la bonification de la terre et l’amélioration de la culture par l’utilisation maximale du travail du propriétaire et des membres de sa famille» et elle «produit une meilleure répartition des richesses et diminue le nombre d’indigents et (...) tout ce qui est produit par le petit paysan propriétaire, à la différence de la rente et parfois même du profit capitaliste agricole de la grande propriété, reste en totalité sur place et concourt à l’amélioration de la terre et de ses cultivateurs»: il ne peut donc être soupçonné de tendances socialistes. Voici ce qu’il dit de l’émiettement du foncier:

«À l’émiettement de la propriété correspond celui analogue de la culture, oeuvre en règle générale du propriétaire lui-même et des siens, ce qui complète ainsi l’insuffisance de la rente et du profit à assurer le minimum nécessaire à l’existence [...]. La classe des plus petits propriétaires, comme en général toutes les classes travailleuses, a une natalité très élevée; de là vient qu’il y a en moyenne un plus grand nombre d’héritiers que dans les grand domaines. En outre la durée de vie moyenne de ces paysans, travailleurs acharnés et qui ne s’épargnent point, est fatalement inférieure à celui des classes aisées. Dans cette classe des petits propriétaires, les transferts de propriété pour cause d’héritage y sont donc plus fréquents et chaque héritier obtient son lot de terre, et il y manque d’autre part, en règle générale, la richesse en biens mobiliers avec lesquels, dans les classes aisées, on peut donner leurs parts à certains cohéritiers. [...]. Pour ces raisons la petite propriété tend à se diviser beaucoup plus rapidement que la grande, avec le grave inconvénient qu’ensuite chaque cohéritier prétend à sa part de semences, de vignes, d’oliviers, etc., de telle façon que se forment des lopins de terre de peu d’ares voire réduits à quelques mètres carrés et des lots qui comprennent différentes parcelles du territoire communal situées en des endroits très éloignés les uns des autres. On comprend tout de suite quel énorme gaspillage de temps, d’énergie et de travail est causé par un tel émiettement.

Il provoque aussi une véritable perte de terrain productif le long des limites des parcelles qui, si on estime à environ 0,30 mètres de large l’espace pour le passage des personnes, pour une clôture ou autre, représente 12% de la superficie d’un lopin carré d’un are, alors que si la superficie est d’un hectare la perte ne représente que 1,2%. Cette multiplication des lignes de séparation entre les propriétés accroît en outre d’autant les causes de procès pour usurpations, violation de limites, déplacement des bornes, plantations abusives, etc., dans lesquelles se gaspille de façon improductive une grande partie des maigres ressources des petits propriétaires. Ce n’est peut-être pas par hasard si la Sardaigne, qui à côté de vastes étendues de pâturages, de bois, de biens communaux, etc. connaît une réduction à l’extrême de la taille des propriétés, est la région la plus chicanière de notre pays».

Il existe des propriétés foncières tellement exiguës en Sardaigne qu’avant-guerre on a eu le cas d’une expropriation fiscale pour une dette de 5 lires d’impôt! »

Et aujourd’hui l’Etat exproprierait les nababs?

«L’inévitable parcellisation de la propriété, conséquence des faits que nous avons examinés, peut être défavorable à l’augmentation de la production agraire, surtout parce que le petit propriétaire ne peut pas se constituer un capital suffisant d’exploitation en raison de la faiblesse de ses revenus. C’est la raison pour laquelle il n’a en général pas de bêtes de somme ni de bétail; il est donc condamné à la bêche et à la pioche même quand il serait possible d’utiliser la charrue; il rechigne à l’introduction d’un outillage plus perfectionné, d’engrais artificiels ou d’autres nouveaux moyens de production agricole, avant tout parce qu’ il n’a pas de quoi se les procurer et ensuite parce qu’il est en général conservateur et traditionaliste par manque d’éducation. S’il arrive à épargner il préférera acheter, à qui sait quel prix, un bout de terrain, plutôt que de se constituer un capital d’exploitation».

Pour être bref nous arrêtons ici le tableau, qui continue avec les inévitables endettements usuraires, la misère, le manque de logements, et la description des régions très pauvres qui se trouvent non seulement dans des zones de la Campanie, des Abruzzes, ou de Calabre, mais aussi dans les régions montagneuses d’Emilie et de Vénétie «qui du fait de la division de la propriété pourraient être appelées des pays de véritable démocratie rurale». Démocratie très apte en fait à être chrétienne et terrain très fertile pour les semailles politiques du gouvernement actuel...

C’est au tour maintenant de l’autre inculpé, le latifundium, de prendre place sur le banc des accusés. Il faut noter tout d’abord que si le latifundium représente la grande propriété foncière, plus des trois quarts du temps il ne représente aucune unité d’exploitation ou de culture, mais se décompose en petites fermes ou en petites métairies. Tous les méfaits ou presque de la parcellisation peuvent aussi lui être reprochés.

Ce que l’on ne veut pas comprendre, c’est qu’en abolissant éventuellement le titre juridique de propriété, on ne crée pas une unité de culture plus petite organisée en lotissements productifs, car toutes les causes qui ont donné naissance au phénomène du latifundium persistent. On ne pourrait que retomber dans une parcellisation qui, déjà nocive dans une région fertile, est catastrophique dans les régions stériles et conduirait à une situation pire que celle actuelle, voire, si la liberté d’achat et de vente n’était pas supprimée, à la reconstitution du latifundium.

Les conditions qui ont donné naissance au latifundium sont complexes et nous ne pouvons pas les approfondir ici. Elles commencent par des conditions naturelles insurmontables car dues à la nature géologique des terrains (par exemple les vastes formations en Sicile d’argile éocène sont inaptes aux cultures ligneuses et ne permettent que la culture extensive du blé; non loin de ces contrées la province de Messine reposant sur des formations granitiques, et celle de Catania au terrain volcanique, voient dominer les cultures intensives et fractionnées). Ont joué également la présence endémique du paludisme due au désordre hydraulique des flancs des montagnes et des fleuves des plaines, la faible densité de population, ainsi que les raisons historiques plusieurs fois rappelées, avec les invasions des côtes et l’insécurité régnant jusqu’à des époques pas très éloignées. Ces époques sont si peu éloignées que les libérateurs et bienfaiteurs américains eux-mêmes, à peine arrivés en Calabre et après avoir liquidé la milice forestière fasciste pour d’évidentes raisons de morale démocratique, se lancèrent comme prise de guerre dans une coupe dévastatrice des forêts séculaires des Apennins calabrais. Ils aggravèrent ainsi de façon irréparable la plaie du ravinement des eaux non régulées vers les malheureuses plaines infestées du littoral. Il leur fallut accourir ensuite avec le D.D.T...

Sur le plan économique le rapport est en général le suivant: le propriétaire foncier donne la gestion à un fermier capitaliste spéculateur qui n’a besoin que d’un capital d’exercice réduit car il exploite la terre en sous-louant les pâturages à des bergers et les terres à blé à de petits paysans; à cause de la concurrence, ces derniers abandonnent au grand fermier la plus grande partie du profit de l’entreprise.

«Ils ne résident pas sur le terrain cultivé, mais ils s’y rendent de très loin quand les exigences de la culture et des récoltes le réclament; ils se réfugient alors dans la paille, dans des cavernes, des grottes, des espèces de hangars ou sous des abris avec les conséquences que nous avons déjà illustrées... ».

Ces paysans vivent dans des conditions pires que celles des ouvriers agricoles, alors même qu’ils n’arriveront jamais à organiser une agriculture moins extensive par manque de capital d’exploitation.

La proposition de résoudre le problème du latifundium par son morcellement forcé est très ancienne. Elle a une série de précédents qui allèrent dès les premiers temps jusqu’à des cas d’expropriation pour ne pas avoir amélioré des terres non cultivées. Mais ils se sont presque toujours soldés par des échecs, surtout dans des périodes économiques difficiles. Il ne suffit pas en effet d’expulser le propriétaire négligent, à qui d’ailleurs dans le régime actuel on paye une forte indemnité aux frais du public; il faudrait fournir aussi aux paysans non seulement un capital d’exercice mais également un capital correspondant aux travaux nécessaires: cela dépasserait de beaucoup le coût déjà payé pour l’expropriation. Il faut en effet prévoir le financement d’habitations, de routes, de la bonification de terres, des conduites d’eau et ainsi de suite, pour rendre possible l’habitation des paysans sur ces terres; il faudrait de plus prévoir des crédits pour attendre les résultats de la transformation qui est à longue échéance. En 1894, après les émeutes des «faisceaux» siciliens, il y eut le projet de loi Crispi; dès 1883 une loi spécifique à la campagne romaine avait reconnu le principe «révolutionnaire» actuel de l’expropriation des grands terrains non cultivés; ce principe passa ensuite dans les lois Serpieri de 1924 à celle de Segni aujourd’hui. Ils ont tant osé, les libéraux, les fascistes, les démocrates-chrétiens, mais depuis toutes ces années les cas d’application se comptent sur les doigts de la main.

Nous ne passerons pas en revue les propositions de lois italiennes ou étrangères qui ont pour but à l’inverse de freiner la parcellisation des terres agricoles car nous n’avons évidemment pas l’intention de proposer une réforme alternative à celle du gouvernement; mais nous voulons simplement faire remarquer que les fameux partisans du concret et des mesures techniques des oppositions n’y ont pas pensé. Persuadés que la révolution dans les campagnes russes a consisté à partager la propriété foncière, ils ne vont pas plus loin que le bout de leur nez; ils ne savent que revendiquer la distribution des terres aux paysans, et même, c’est vrai, aux ouvriers agricoles, non pas en gestion collective, mais carrément en tant que propriété personnelle, oui, oui, en propriété privée absolue, c’est le dernier mot d’ordre du Cominform, comme on peut le voir dans les nombreux articles de l’«Unità» sur la question agraire et les problèmes méridionaux. Mais qu’en Russie on n’ait absolument rien partagé et rien exproprié mais seulement aboli les privilèges féodaux de la noblesse et du clergé, supprimant ainsi la chape étouffante qu’ils représentaient pour les petites exploitations rurales existantes qui dans un premier temps conservèrent leurs dimensions et qu’ensuite on essaya avec un succès douteux de regrouper en exploitations plus grandes, d’État ou coopératives; que donc le problème historique soit bien différent, tout cela ne dit rien aux journalistes de l’«Unità». De même que ne leur disent rien la proportion des montagnes et des plaines en Russie; la différence de densité de la population qui est de 9 habitants par kilomètre carré, et de 30 dans la partie européenne de la Russie au lieu de nos 150; la différence du rapport des terres cultivées à la superficie totale qui est de 25 % au lieu de nos 92 % en dépit de l’immense plaine et à part la Russie asiatique, alors que c’est seulement dans les terres noires ukrainiennes que ce pourcentage monte à 60 %; la quasi inexistence des salariés agraires non fixes, etc., etc. Et tout cela parce que ces messieurs ne suivent plus d’objectifs généraux et de principe, mais se sont voués à l’étude des conditions de vie concrètes immédiates du «peuple»!...

Arrêtons-nous un moment sur la proposition démocrate-chrétienne, dont la démagogie creuse est évidente - entre parenthèses, il était facile de prophétiser aux gros propriétaires épouvantés que les socialo-communistes ne leur auraient fait aucun mal au cas où ils se seraient retrouvés au pouvoir, mais qu’ils devaient s’attendre à recevoir un certain coup des démocrates-chrétiens. Nous toucherons dans toute l’Italie, disent ces derniers, à peu près quatre-vingts grandes propriétés de multi-milliardaires, dont nous prendrons une partie. Il s’agissait de fixer les plafonnements... Il fallait tenir compte non seulement de la taille de la propriété mais aussi de la richesse qu’elle représente; pour cela il semble qu’ils fixent un plafonnement non de superficie mais d’imposition cadastrale dont on présume qu’il est un indice de la valeur du fonds. Mais à superficie égale un grand domaine exploité de façon moderne peut valoir jusqu’à 15 fois de plus que des terres de montagne ou des pâturages, surtout à cause de l’ensemble des installations fixes. Il ne serait pas juste d’exproprier cent hectares où il n’y a rien à améliorer plutôt que 1.500 hectares désertiques ou presque. A ce point il y avait deux critères sur le plan juridique: frapper les propriétés de valeurs les plus grandes et celles aux rendements moyens les plus faibles, indice d’une culture négligée. Les super-techniciens devaient donc soumettre à Segni une liste des quatre-vingts Crésus à égorger, liste établie par le score obtenu en multipliant le montant imposable de la grande propriété par sa superficie en hectares ou, ce qui est la même chose, en divisant le carré du montant total imposable par le montant imposable moyen. Algèbre? Algèbre réformiste et concrétiste.

Mais le critère pour choisir les quelques richards à pressurer importe peu. La question est de savoir que faire de la terre qui leur est enlevée, même si ce n’est qu’en partie - dans ce cas il est facile de prévoir qu’ils toucheront une bonne indemnisation et qu’ils se débarrasseront des mauvaises terres qui se trouvent dans toute grande propriété - et comment l’équiper pour en rendre l’exploitation possible par le «libre» paysan, dans la nouvelle démocratie rurale chrétienne. Quelqu’un devra fournir le capital d’exercice et le capital encore plus important pour l’amélioration de l’exploitation. Voila le point central. Ce n’est certainement pas le paysan bénéficiaire individuel ou collectif, qui pourra le faire. L’État se défaussera sur les lois spéciales habituelles, comme celles sur l’amélioration foncière, aux budgets limités, à la disposition des combinards habituels. D’ailleurs l’Etat n’est en mesure de subvenir ni à de nouveaux investissements pour des installations agricoles, ni même à la réfection des installations détruites par la guerre. Le capital international, celui des fameux fonds et plans américains encore moins, puisque leur critère fondamental est le court terme - le plan Marshall prend fin officiellement en 1952 - et la rentabilité totale.

Le problème se ramène à des questions d’économie générale et de politique mondiale. Le remaniement de la propriété foncière, même s’il se produisait, ne résoudrait rien. Les réformes agraires sont réalisables dans les période de prospérité et d’offres de capitaux à des taux favorables et remboursables à long terme. Pour un pays comme l’Italie il n’y a que deux solutions. Premièrement. Autarcie économique, tentée par notre bourgeoisie après la victoire lors de la première guerre, qui lia le capital national et l’obligea partiellement à améliorer l’agriculture. Une telle éventualité, conditionnée par l’autonomie politique, la force militaire et un solide pouvoir intérieur, est historiquement liquidée; le fascisme en a obtenu certains résultats, notamment celui indéniable de la bonification des marais pontins tant de fois tentée dans l’histoire par les Césars et les papes. Deuxièmement. Soumission à un pouvoir mondial qui ait intérêt à une grande production de denrées alimentaires pour le peuple italien sur le marché intérieur, à des fins commerciales ou militaires. Ce n’est pas le cas pour l’Amérique; notamment en vue de crises productives, celle-ci compte beaucoup sur la planification de la production alimentaire qui est désormais passée des cycles locaux de consommation directe, à un vaste mouvement mondial tout aussi fécond en profits spéculatifs que celui des produits industriels. En cas de guerre, l’Amérique lancera des bombes atomiques tout en distribuant des boîtes de conserve à ses mercenaires.

C’est encore moins le cas de la Russie qui n’aura pas l’Italie dans sa sphère et qui d’ailleurs n’a économiquement aucun intérêt à y inclure des pays avec une grande quantité de bouches à nourrir. De toute façon la Russie n’exporte pas de capitaux mais doit en importer, et elle joue militairement et politiquement à exploiter les investissements du capital occidental en marge de la guerre froide. Et c’est encore moins le cas enfin si l’Italie était assujettie à une constellation mondiale fondée sur l’entente des deux ou trois grands qui se lanceraient dans la colonisation de tous les continents et de tous les océans plutôt que des côtes osseuses de la Péninsule.

La réforme agraire aujourd’hui en Italie tourne donc autour de l’émission de stupidités démagogiques; elle ne dépasse pas le niveau de querelles politiques subalternes entre groupes et intérêts qui, en s’assurant une influence sur les masses populaires à l’intérieur du pays, espèrent vendre cher leurs services à des maîtres étrangers.

Le ministre Segni se vante de créer avec son fameux «démembrement» - digne terme de sorcellerie - des très grandes propriétés, près de deux cent mille petits propriétaires, c’est-à-dire des crève-la-faim bons pour la paroisse ou la caserne et qui seront la risée des pays capitalistes civilisés des deux rives de l’Océan. Il crée des milliers de cierges et de baïonnettes dans les nuits des campagnes italiennes comme Napoléon dans celles de Paris et Mussolini dans celles de nos villes industrielles à faible démographie avaient prétendu le faire. Mais admettant qu’il réussisse effectivement à démembrer, à parcelliser et à peupler ses lopins, comment compte-t-il régler le processus de transfert et de regroupement de la propriété? Que fera-t-il du principe sacro-saint du droit civil moderne: celui du libre commerce de la terre? Contrôlera-t-il la concentration, le «remembrement» de celle-ci avec des limites arithmétiques à vérifier chaque fois qu’un notaire rédigera un acte d’achat et de vente de terres ou d’héritage? La seule pensée d’une telle réglementation devrait suffire à faire dresser les cheveux sur la tête au plus fervent partisan du «dirigisme» économique.

Croyez-vous que les socialo-communistes, pourtant aujourd’hui, mais pour bien d’autres raisons, ennemis farouches des réformateurs de la Démocratie Chrétienne après le flirt d’hier, jettent à la face des Segni l’argument selon lequel tout effort réformiste ne peut que confirmer que le régime capitaliste ne doit pas être amendé mais anéanti? Pensez donc! Ils leur crient qu’il faut réformer davantage, démembrer davantage, parcelliser encore plus, augmenter encore le nombre de démocrates ruraux qui, en diminuant le nombre des forces rouges de la lutte des classes dans les campagnes, fierté de l’histoire prolétarienne italienne, créera des légions d’électeurs pour les listes du gouvernement et des armées de conscrits pour l’état-major de l’Amérique dans l’Expédition de Russie.

L’histoire enseigne que c’est avec des chefs d’oeuvre de ce type que les renégats ont toujours servi leur nouveau patron.

 La réforme des contrats agricoles est tout aussi édifiante sur la nature de la réforme foncière. Les antifascistes de toutes nuances se sont présentés avec de formidables promesses de réformes lorsque les fascistes leur remirent entre les mains l’Italie meurtrie; ils ne savaient pas que le réformisme dans le monde actuel n’est possible que sur la base de politiques totalitaires. Ni le nazi-fascisme, ni le stalinisme ne sont des révolutions; ce sont cependant des réformismes sérieux et ils en ont donné des exemples probants. Le réformisme de la nouvelle Italie ne fait suer que les rhinocéros. On avait promis l’étude des trois grands secteurs: réforme de l’Etat, réforme industrielle et réforme agraire. La majorité et l’opposition, en lesquels s’est brisée l’union antifasciste d’hier, font tous les jours la démonstration de leur vacuité par leurs orientations contradictoires et enchevêtrées et leur incapacité à les réaliser dans les faits; et dans leurs crêpages de chignons, ils n’arrivent même pas seulement en paroles à suivre la boussole des positions sociales et politiques .

En un mot, croyant défendre, pour obtenir des voix, les intérêts des travailleurs, ils se retrouvent soutenir ceux des patrons; pensant peut-être briser des lances en faveur de la bourgeoisie et de la moyenne bourgeoisie, ils n’arrivent qu’à jeter un pavé dans la mare.

Le contrat de fermage agricole, au sujet duquel les démagogues défendent la position simpliste du blocage, c’est-à-dire l’interdiction de la mise à la porte du fermier par le propriétaire, cache derrière un même schéma juridique des rapports économiques et sociaux très différents. Plagier la position du blocage des loyers pour les habitations - qui, comme nous pourrons le montrer une autre fois, est aussi une sottise - ne signifie pas avoir donné une solution sérieuse au problème. Dans la petite ferme, face au propriétaire foncier, qui peut de son côté être un grand, un moyen ou un petit propriétaire, se trouve le fermier qui, outre un capital d’exploitation insignifiant, utilise son propre travail manuel: c’est donc un travailleur bien qu’il verse de l’argent au lieu d’en recevoir. Dans la grande ferme au contraire, face au propriétaire foncier se trouve un entrepreneur capitaliste qui dans les exploitations modernes emploie des ouvriers agricoles salariés, et dans les exploitations où l’agriculture est arriérée sous-loue à des petits colons. Se mobiliser en faveur de cet entrepreneur capitaliste plutôt que contre lui est une erreur épouvantable, un suicide des partis ouvriers, même modérés, un reniement de la lutte de classe historique des ouvriers agricoles italiens; ces derniers, à l’époque des faisceaux de Sicile, se jetaient sur le gabellotto, le versurerio, c’est-à-dire le grand fermier, marchand de campagne, authentique bourgeois pourri. Et encore auparavant, en 1884, ils se soulevèrent dans la Polesine contre les entrepreneurs avec leur fameux cri de bataille: la boje! - ça bout! et ça va verser - et toujours, comme d’ailleurs aujourd’hui encore malgré l’ignominie des chefs, contre les fusils de l’État national italien démocratique.

Le capitalisme agricole italien a beaucoup spéculé, même au dépens du propriétaire, bourgeois lui aussi, mais aux ongles moins crochus, sur le protectionnisme des fermages par une législation faite en dépit du bon sens. Exemple, les célèbres décrets Gullo qui ont réduit de moitié les loyers des contrats de fermage à grain. Qu’est-ce que ce contrat? Le loyer est habituellement payé au propriétaire en argent. Mais on a pu convenir qu’il soit payé en denrées alimentaires: tous les ans le fermier remet une quantité donnée d’une ou plusieurs denrées (quel que soit le produit brut: nous sommes toujours dans le cas du fermage et non d’une colonie partiaire). Cela permet ainsi au propriétaire de se protéger des variations de la valeur de la monnaie et d’éviter la baisse de son revenu réel à la suite d’une augmentation générale des prix, comme c’est le cas après les guerres. Mais pour de nombreux propriétaires il n’est pas intéressant de recevoir des denrées car, quand il s’agit de grands fermages, cela constituerait une masse gigantesque de marchandises difficiles à transporter, à conserver, etc.

Pour se protéger quand même des changements de valeur de la monnaie, on décide que le loyer sera bien payé en argent, mais sans que la somme soit fixée; elle correspond en effet au cours annuel d’une quantité donnée, proportionnelle à la superficie du fond, d’un produit conventionnel - blé, riz brut, chanvre - le plus souvent un de ceux qui sont officiellement cotés avec un prix d’État. On dit ainsi qu’on a loué à quatre quintaux de blé l’hectare; le fermier ne fournit pas blé, il peut même ne pas en avoir cultivé et récolté un seul grain, mais avoir élevé du bétail ou semé d’autres plantes. Le contrat pouvait aussi bien être stipulé en dollars ou en livres d’or bien que personne n’ait encore trouvé l’arbre qui donne ces fruits. Eh bien, lorsqu’on a réduit de moitié ce loyer aucun paysan travailleur n’y a rien gagné puisque par principe le système ne s’applique pratiquement jamais au petit fermage. Mais des entrepreneurs agricoles beaucoup plus riches que leurs propriétaires, au point d’être parfois propriétaires eux-mêmes d’immeubles urbains et agricoles immenses, vont toucher des millions. Ce simple fait, il est à croire que les Solon d’aujourd’hui ne l’ont pas encore compris.

 Pour ce qui est du métayage, on a brisé toutes les lances populaires en faveur des métayers sans tenir compte que dans le nombre certains ont du personnel salarié et sont donc des patrons. Pour les défendre on a voulu augmenter la quote-part du produit alloué au métayer. Mais en Italie les contrats de colonie partiaire sont de type très variés selon les cultures, avec des proportions diverses de partage de répartition et diverses charges d’anticipation de frais et de taxes pour les contractants, si bien qu’on a abouti au pire embrouillamini. A un moment donné la gauche se mit à affirmer que ce genre de contrats devait disparaître parce qu’ils étaient de type féodal. Nous revenons toujours au même point, à la conception selon laquelle le parti socialiste prolétarien n’est pas fait pour transformer - avec des caresses ou à coups de nerfs de bœuf, c’est une autre question - le capitalisme en socialisme, mais pour veiller à ce que le capitalisme ne redevienne pas féodalisme. Donc non pour démasquer mais pour vanter l’idole capitaliste purifiée...

De toute façon l’argument, faux dans son principe, est aussi faux dans les faits:

«Le contrat de métayage est d’origine très ancienne et ils est propre à tous les pays où dominait le droit romain; c’est pourquoi il est si répandu chez nous, en France et dans les pays ibériques...».

Le métayage s’est beaucoup développé après l’émancipation des serfs de la glèbe et en Italie, dès la fin du XIIIème siècle... Savoir ensuite si le métayage a contribué ou non au développement technique de l’agriculture et comment il a influé sur les différents types de culture, est une question assez difficile à résoudre. Du point de vue social l’important est de comprendre que la figure du métayer fait face non seulement au propriétaire terrien, mais aussi au travailleur prolétarien: il est alors un donneur de travail, un bourgeois, un ennemi. Et il trouve des gens qui veulent faire des lois en sa faveur, qui croient les avoir faites alors qu’elles se retournent contre lui... après qu’ils l’aient pris tantôt pour un serf de la glèbe, tantôt pour un camarade prolétaire.

De nouveaux cris au retour du féodalisme ont éclaté quand les démocrates-chrétiens ont proposé le réajustement des loyers emphytéotiques. Le rapport d’emphytéose consiste à ce que le propriétaire reçoit un loyer fixe perpétuel de l’exploitant; il ne peut ni le mettre à la porte ni lui demander des augmentations, c’est au contraire ce dernier qui peut racheter le bail en payant en argent vingt fois le loyer quand il le juge bon. Le droit de rachat se transmet et se vend comme un droit de propriété. Que diable ce rapport strictement mercantile a-t-il à voir avec le féodalisme? Il est vrai que certaines législations bourgeoises naissantes ont voulu supprimer cette forme en même temps que bien d’autres formes féodales, mais :

«L’emphytéose naît, à l’époque du bas empire, de la transformation graduelle des concessions des terres publiques sous forme de vectigal, c’est-à-dire à perpétuité au colon avec l’obligation de les cultiver et de payer un loyer, etc.».

Cette idée fixe du féodalisme peut être une méprise historique due à une phobie infectieuse, mais l’erreur la plus grossière est celle du réformateur qui ne voit pas que les bénéfices vont dans la poche opposée à celle de celui qui l’intéresse. En votant contre l’augmentation du loyer dans un rapport de un à dix, la gauche socialo-communiste était persuadée d’agir en faveur d’une masse de paysans travailleurs qui sont débiteurs du loyer ou du bail emphytéotique envers les gros propriétaires. Ces cas existent bien, mais les emphytéoses ne sont que quelques milliers, et les loyers sont si bas en réalité qu’ils sont en fait relativement privilégiés par rapport aux autres types d’exploitation agricole puisque la nouvelle charge n’a rien de prohibitif. Mais dans la plupart des cas ce sont des propriétaires qui possèdent certaines terres en bail emphytéotique et qui les donnent en fermage ou en colonat comme les autres. Le faible loyer emphytéotique va aux communes, aux institutions d’assistance, ou aux communautés religieuses, qui ont vu dans de nombreux cas leur rente annulée par l’inflation. S’il avait été possible de bloquer le décret logique du gouvernement, la grande masse des loyers qui auraient été payés en plus cette année [1949 - NdT] serait allée justement dans les poches des propriétaires fonciers, dont on voulait au contraire réduire les revenus, que l’on voulait mortifier et frapper en tant que classe rétrograde et parasitaire...

Ces réformateurs législatifs ou techniques qui vantent tant leur clairvoyance avisée face à notre fidélité aveugle aux grands principes, n’oublient qu’un détail: c’est qu’ils ont les yeux derrière la nuque, pour ne pas les localiser de façon plus grossière.

Ils nous bassinent depuis trente ans qu’ils se consacrent à étudier les problèmes concrets, mais dans tous les cas ils font piètre impression. Ils ne savent pas, par exemple, combien de grosses propriétés méridionales extensives sont nées en accumulant des quotes-parts emphytéotiques achetées à bas prix par des paysans pauvres, et combien il convenait aux propriétaires que le loyer soit encore payé en lires du premier avant-guerre - parfois même stipulé en fraction de lires. Le moindre apprenti des estimations rurales mettait dès le début en compte ce réajustement prévisible des loyers. Tous produits du régime civil de la liberté de la terre, tous effets qui continueront tant que ne sautera pas la libre baraque du capitalisme bourgeois.

Depuis les eaux du Potomac, le grand charlatan du capitalisme (10) a consacré toutes les libertés. Il en est une qu’il a oublié d’énoncer, mais ses dignes partisans, élèves et alliés, la pratiquent avec largesse, avec enthousiasme et, pire encore, souvent avec une délicieuse bonne foi: la liberté d’être bête.

 

 


 

(1) Oreste Bordiga, «Traité d’économie rurale», Ed E. Délia Torre, Portici, 1926, p. 74-75, puis plus loin p. 75 et p. 78.

(2) «Revue» (De mai à octobre 1850). cf Karl Marx, Oeuvres, Politique I, Ed. Gallimard, p.409. Ces textes parus dans la «Neue Rheinische Zeitung. Politisch-ökonomische Revue» sont en fait le fruit du travail commun de Marx et Engels.

(3) cf K. Marx, «Le Capital», Livre 1, ch. 24, § 2.

(4) Ministre de l’Intérieur à l’époque.

(5) cf K. Marx, ibidem, ch. 4, note 39. Le même point est développé au chapitre 23 du Livre III.

(6) cf Lénine, «L’Etat et la révolution», ch. 2, 3. Oeuvres complètes, Tome 25, p. 445.

(7) cf «Gloses marginales au programme du Parti ouvrier allemand», Ed. Spartacus 1971, p. 15.

(8) UNRRA (United Nations Relief and Rehabilitation Administration) organisme des Nations Unies pour venir en aide aux pays ravagés par la guerre, dissous en 1947. ERP (European Recovery Program): plan de reconstruction européen.

(9) Arrigo Serpieri (1877-1960), spécialiste des questions agricoles, auteur d’une loi sur la «bonification intégrale» (1929). Par «Risorgimento», Bordiga fait allusion non à la «Renaissance» de l’époque de la fondation nationale de l’Italie, mais à la renaissance agricole projetée par le fascisme avec ses différentes mesures: augmentation du nombre de paysans et de la superficie des terres, «bataille du blé», etc. Les chiffres sont probablement tirés du livre de Serpieri: «La réforme agraire en Italie» (1946).

(10) Allusion à Harry Truman, président des Etats-Unis de 1945 à 1953.

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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