Thèses sur la tâche historique l'action et la
structure du parti communiste mondial selon les positions qui constituent
depuis plus d'un demi siècle le patrimoine historique de la Gauche Communiste
(Thèses de Naples, 1965)
( «Il Programma Comunista», N° 14, 1965. Thèses présentées à la réunion générale du 17-18 juillet à Naples. Publié en français dans la brochure «Défense de la continuité du programme communiste», 1973)
(Voir aussi «Thèses de Milan»)
Retour thèses et textes du parti
1. Les positions
historiquement formulées concernant l'idéologie et la doctrine du parti, son
action dans les situations historiques successives et donc son programme, sa
tactique et sa structure organisationnelle, doivent être considérées comme un
tout unique. Au cours de sa lutte, la Gauche les a maintes fois réordonnées et
énoncées sans jamais y apporter de modifications. La presse du parti pourra
reproduire les textes relatifs à ces questions; il suffira pour l'instant d'en
rappeler quelques-uns qui sont fondamentaux:
a) Thèses complètes de la
Fraction communiste abstentionniste italienne de 1920;
b) Thèses de Rome,
c'est-à-dire du IIe Congrès du Parti Communiste d'Italie, mars 1922;
c) Prise de position de la
Gauche communiste aux Congrès internationaux de 1922 et 1924 et à l'Exécutif
Élargi de 1926;
d) Thèses de la Gauche à la
conférence illégale du Parti Communiste d'Italie, en mai 1924;
e) Thèses présentées par la
Gauche au IIIe Congrès du Parti Communiste d'Italie, Lyon, 1926.
2. Dans ces textes, ainsi
que dans les nombreux autres textes que nous utiliserons et qui seront notamment
publiés dans les volumes de notre Histoire de la Gauche Communiste nous avons notamment
revendiqué et réaffirmé, avec une continuité parfaite, certains résultats
historiques qui sont le patrimoine du marxisme révolutionnaire, en nous fondant
sur ses textes programmatiques classiques tels que le Manifeste du parti
communiste et les Statuts de la Ire Internationale de 1864.
Nous revendiquons également
les bases programmatiques des Ier et IIe Congrès de la IIIe Internationale
fondée en 1919, ainsi que les thèses fondamentales de Lénine sur la guerre
impérialiste et sur la révolution qui leur sont antérieures. En même temps, en
prenant clairement position sur les grandes crises qu'a affrontées le mouvement
prolétarien, la Gauche a fait sien le bilan historique et programmatique que le
marxisme en a tiré, qui englobe la théorie des contre-révolutions et la
doctrine de la lutte contre le danger toujours renaissant de l'opportunisme.
Parmi ces leçons historiques, produits non seulement d'une saine vision
théorique, mais aussi de luttes de masses grandioses, on peut citer:
a) La liquidation des
courants petits-bourgeois et anarchistes, voulue par Marx pour rétablir le principe
fondamental de la centralisation et de la discipline à l'égard du centre de
l'organisation et pour condamner définitivement des conceptions nuisibles comme
l'autonomie des sections locales et le fédéralisme des différentes sections du
parti mondial; ces conceptions furent ensuite à l'origine de la honteuse
faillite de la IIe Internationale fondée en 1889 et qui devait sombrer avec la
guerre de 1914.
b) Le bilan de la glorieuse
expérience de la Commune de Paris dans les textes rédigés par Marx au nom de
l'Internationale, qui sanctionnaient le dépassement des méthodes parlementaires
et applaudissaient à la vigueur insurrectionnelle et terroriste du grand
mouvement parisien.
c) La condamnation, portée à
la veille de la première guerre mondiale par la véritable Gauche marxiste
révolutionnaire, non seulement du réformisme révisionniste et évolutionniste,
qui avait contaminé toute l'Internationale et tendait à démanteler la
perspective marxiste de la catastrophe révolutionnaire, mais aussi du
syndicalisme révolutionnaire des Sorel et autres, qui pouvait passer pour une
réaction prolétarienne contre le réformisme mais ne l'était qu'au sens
«ouvriériste» du terme, et rejoignait ainsi le «labourisme» de
l'extrême-droite; sous prétexte de revenir à l'action directe et violente, le
syndicalisme révolutionnaire rejetait en effet la position fondamentale du
marxisme, qui affirme la nécessité d'un parti révolutionnaire centralisé et
d'un État prolétarien dictatorial et terroriste, seul; instruments capables de
mener l'insurrection de classe à la victoire et de briser les tentatives de
réaction et de corruption de la contre-offensive bourgeoise, en posant les
prémisses de la société communiste sans classe et sans État, qui sera le
couronnement de la victoire prolétarienne dans le monde entier.
d) La critique et la
démolition impitoyable, par Lénine et la Gauche de tous les pays, de l'ignoble
trahison (le 1914, dont l'aspect le plus mortel et le plus ruineux ne fut pas
tant le ralliement aux bannières de la patrie et de la nation, que la rechute
dans les déviations, nées en même temps que le communisme marxiste, qui
prétendent enfermer le programme et l'action de la classe ouvrière à
l'intérieur des principes bourgeois de la liberté et de la démocratie parlementaire,
en célébrant ces conquêtes de la bourgeoisie montante comme des acquis
éternels.
3. Dans la période suivante,
celle de la nouvelle Internationale, ce qui forme le patrimoine inoubliable de
la Gauche communiste, c'est son juste diagnostic théorique et sa juste
prévision historique des nouveaux dangers d'opportunisme qui se dessinaient
dans l'Internationale dès ses premières années de vie. La méthode historique
permettra de traiter ce point sans lourds développements théoriques. Les
premières manifestations d'opportunisme dénoncées et combattues par la Gauche
apparurent dans la tactique à propos des rapports à établir avec les vieux
partis socialistes de la IIe Internationale. dont les communistes s'étaient
séparés sur le plan organisationnel par des scissions; par suite, ces tendances
apparurent également dans des mesures erronées en matière d'organisation.
Dès 1921 on pouvait prévoir
que la grande vague révolutionnaire d'après-guerre était en train de s'affaiblir
et que le capitalisme tenterait une contre-offensive aussi bien économique que
politique. Le IIIe Congrès avait constaté avec raison qu'il ne suffisait pas
d'avoir formé des partis communistes fermement attachés au programme de
l'action violente, de la dictature prolétarienne et de l'État communiste, si
une large fraction des masses prolétariennes restait accessible à l'influence
des partis opportunistes, que tous les communistes considéraient alors comme
les pires instruments de la contre-révolution bourgeoise, et qui avaient les
mains souillées du sang de Karl Liebknecht et de Rosa Luxembourg. Mais la
Gauche communiste n'accepta pas la formule qui voulait, pour éviter les
initiatives de type blanquiste prises par de trop petits partis, que l'action
révolutionnaire fût subordonnée à la conquête de la «majorité» du prolétariat
(on ne sut jamais, entre autres, s'il s'agissait de la «majorité» du véritable
prolétariat salarié ou du «peuple», comprenant également des paysans
propriétaires et des petits capitalistes, des artisans et toutes sortes
d'autres couches petites-bourgeoises). Avec son allure démocratique, cette formule
de la «majorité» éveillait une première crainte, qui fut hélas confirmée par
l'histoire: celle que l'opportunisme ne renaisse dans la nouvelle
Internationale par le biais habituel d'un hommage aux funestes notions de
démocratie et de comptabilité électorale.
Le IVe Congrès, qui eut lieu
à la fin de 1922, et les Congrès suivants, n'infirmèrent pas les prévisions
pessimistes de la Gauche. Celle-ci continua à lutter vigoureusement et à
dénoncer les tactiques dangereuses (front unique entre partis communistes et
socialistes, mot d'ordre du «gouvernement ouvrier») et les erreurs dans le
domaine de l'organisation (tentatives d'accroître les effectifs des partis
communistes non seulement par l'afflux de prolétaires abandonnant les autres
partis à programme, action et structure social-démocrates, mais par des fusions
avec des partis entiers ou des fractions de partis après des tractations avec
leurs états-majors; et, pis encore, par l'admission de prétendus partis «sympathisants»
comme sections nationales du Komintern, ce qui constituait une erreur
fédéraliste évidente).
Le troisième point sur
lequel porta la critique de la Gauche était celui des méthodes de travail au
sein de l'Internationale; dés cette époque, et de plus en plus vigoureusement
dans les années suivantes, elle dénonça le danger croissant d'opportunisme que
représentait l'emploi par le centre, représenté par l'Exécutif de Moscou, non
seulement de la «terreur idéologique», mais surtout des pressions organisationnelles
sur les partis ou même les sections de partis ayant pu commettre des erreurs
politiques. Une telle méthode de travail constituait une application erronée -
puis, au fur et à mesure, une falsification totale - des justes principes de la
centralisation et de la discipline absolues. Son utilisation s'accentua dans
tous les pays, mais surtout après 1923 en Italie où la Gauche, suivie par tout
le parti, donna une preuve de discipline exemplaire en passant la direction à
des camarades de la droite et du centre désignés par Moscou. On ne cessa en
effet, à seule fin de faire prévaloir dans la politique du parti les dangereuses
erreurs centristes, d'agiter abusivement le spectre du «fractionnisme» et de
menacer d'exclusion le courant de gauche sous le prétexte mensonger qu'il
préparait une scission. Ce troisième point vital fut discuté à fond dans les
Congrès internationaux et en Italie, et il est aussi important que la
condamnation des tactiques opportunistes et des formules d'organisation de type
fédéraliste. En Italie, par exemple, la direction centriste, tout en accusant
la direction de Gauche de 1921-1922 d'avoir exercé une dictature sur le parti
(qui, pourtant avait manifesté à plusieurs reprises son accord total avec
elle), continua à agiter le spectre des ordres de Moscou, osant même exploiter
la formule de «parti communiste international», comme le fit en 1925, dans la
polémique qui précéda le congrès de Lyon, Palmiro Togliatti, véritable champion
de la liquidation de l'Internationale Communiste.
4. Lorsque la Gauche
dénonçait alors les signes avant-coureurs d'une crise mortelle, il était facile
de lui reprocher de n'obéir qu'à des préoccupations purement doctrinales; c'est
pourquoi il importe de montrer quelles confirmations l'histoire a apportées à
ses critiques et à son diagnostic.
En ce qui concerne la
question tactique, il suffit de rappeler que le front unique avait été proposé,
à l'origine, comme un moyen de «ruiner» les partis socialistes et de priver
leurs états-majors des masses qui les suivaient, et qui devaient passer dans
notre camp. L'évolution de cette tactique a confirmé qu'elle comportait un
danger: celui de conduire à une trahison et à un abandon des bases
révolutionnaires de classe de notre programme. Les héritiers historiques du
front unique de 1922 sont aujourd'hui bien connus de tous: ce sont les fronts
populaires constitués pour appuyer la deuxième guerre mondiale du capitalisme
démocratique, et les «fronts de libération» antifascistes, qui ont conduit à la
collaboration de classe la plus large, puisqu'elle s'étendait à des partis
ouvertement bourgeois: tel était le fruit monstrueux de la deuxième vague de
l'opportunisme qui se développait sur le cadavre de la IIIe Internationale.
Quant aux premières manœuvres organisationnelles, c'est-à-dire les fusions de
1922, elles ont posé les bases de la totale confusion d'aujourd'hui, où
parlementarisme et démocratisme constituent l'orientation commune de tous les
partis, y compris le parti communiste, qui a ainsi complètement renié les thèses
parlementaires de Lénine au IIe Congrès. En renonçant à l'unité de
l'organisation mondiale pour admettre divers partis socialiste, ouvriers ou
même populaires dans tel ou tel pays, le XXe Congrès du parti russe a fini, en
1956, par faire exactement ce que la Gauche avait prévu: il a abandonné
également le programme de la dictature du prolétariat, en présentant celle-ci
comme un phénomène exclusivement russe et en introduisant les «voies
nationales» et démocratiques au socialisme, qui ne signifient rien d'autre
qu'une rechute dans l'ignoble opportunisme de 1914 - ou plutôt dans un opportunisme
plus vil et plus infâme encore, puisqu'il ose se réclamer du nom de Lénine.
Pour en venir au troisième
point, c'est la féroce terreur stalinienne qui a confirmé historiquement que la
Gauche avait eu raison de dénoncer la méthode de travail de l'Internationale et
les pressions néfastes exercées d'en haut. En effet le but de la terreur
stalinienne était de démolir le parti de l'intérieur, en utilisant le pouvoir
d'État pour briser par des dizaines de milliers d'assassinats une résistance
menée au nom du retour au marxisme révolutionnaire et des grandes traditions
léninistes et bolcheviques de la révolution d'octobre. La Gauche qui en 1926
avait repoussé avec raison l'offre fallacieuse, faite par les centristes, d'«un
peu plus de démocratie dans le parti et dans l'Internationale» et était restée
dans l'opposition (mais sans jamais parler jusqu'à ce moment là (1926) de
sortir de l'Internationale ou de provoquer des scissions), avait exactement prévu
sur tous les plans le cours ultérieur des événements; le rapport des forces ne
lui permit malheureusement pas d'empêcher l'infâme troisième vague opportuniste
de tout submerger.
La Gauche avait indiqué en
temps voulu la juste voie à suivre dans les rapports entre les partis et
l'Internationale d'une part, entre le parti et l'État russe d'autre part.
Historiquement, le renversement de ces positions se rattache à la question des
rapports entre la politique de l'État russe et la politique du prolétariat dans
les autres pays. A l'Exécutif de l'Internationale de l'automne 1926, Staline
abattit son jeu en déclarant que l'État russe cesserait désormais de
subordonner son avenir à un affrontement de classe général capable de renverser
le pouvoir du capital dans tous les autres pays, et qu'il s'agissait désormais,
dans l'économie sociale intérieure, de «construire le socialisme» chose qui
chez Lénine ne signifiait rien d'autre que construire le capitalisme -. Dés
lors il était facile de prévoir la suite des événements, marquée par le
sanglant conflit au cours duquel l'opposition, apparue trop tardivement en Russie,
et rapidement écrasée sous l'ignoble accusation de fractionnisme, fut
exterminée.
Cette question se rattache à
un délicat problème: au nom d'un centralisme truqué, on imposa à tous les
partis dans lesquels militaient d'ardents révolutionnaires un appareil
étouffant, en se servant moins du prestige du bolchevisme, de Lénine et de
l'octobre rouge, que d'un vulgaire rapport économique: c'était l'État de Moscou
qui détenait les moyens de payer les fonctionnaires de l'Internationale.
La Gauche observa un silence
héroïque devant cette honte, car elle savait bien qu'il y avait un autre
terrible danger: celui de la déviation petite-bourgeoise et anarchisante dont
on risquait de provoquer les jacassements habituels: «Vous voyez bien qu'on en
arrive toujours là; dès qu'il y a État, dès qu'il y a pouvoir, dès qu'il y a
parti, il y a corruption, et si le prolétariat veut s'émanciper, il doit le
faire sans partis ni États autoritaires». Nous savions trop bien que, si
l'orientation de Staline revenait à donner à partir de 1926 la victoire à
l'ennemi bourgeois, ces aberrations d'intellectuels petits-bourgeois sont de
tous temps et depuis désormais un siècle la meilleure garantie de survie pour
l'odieux capitalisme, puisqu'elles enlèvent des mains de ses fossoyeurs la
seule arme qui puisse l'abattre.
A cette honteuse influence
dé l'argent - qui disparaîtra dans la société communiste, mais seulement après
une, série d'événements dont l'instauration de la dictature prolétarienne n'est
que le premier acte - s'ajoutait dans l'Internationale l'utilisation d'une arme
que la Gauche dénonça ouvertement comme digne des parlements et des diplomaties
bourgeoises, ou de la très bourgeoise Société des Nations: on encourageait ou
on flétrissait selon les cas le carriérisme et les vaniteuses ambitions
personnelles des chefaillons qui pullulaient dans les rangs du mouvement; si
bien que chacun d'eux se trouvait placé devant l'alternative suivante: ou bien
une notoriété immédiate et commode s'il acceptait docilement les thèses de la
toute-puissante Centrale, ou bien un anonymat irrémédiable et peut-être la
misère s'il voulait défendre les justes thèses révolutionnaires dont la
Centrale avait dévié.
C'est aujourd'hui une
évidence historique que ces Centrales internationales et nationales étaient sur
la voie de la déviation et de la trahison; selon ce qu'a toujours affirmé la
Gauche, c'est là la raison qui doit leur retirer tout droit à exiger au nom
d'une discipline hypocrite l'obéissance aveugle de la base.
5. Le travail effectué pour
reconstituer partout le parti de classe après la fin de la seconde guerre
mondiale s'est heurté à une situation extrêmement défavorable, les événements
internationaux et sociaux de cette terrible époque ayant permis à
l'opportunisme d'obscurcir tous les termes du conflit entre les classes et de
convaincre un prolétariat rendu aveugle de la nécessité de contribuer dans le
monde entier au rétablissement des régimes constitutionnels parlementaires et démocratiques.
Notre mouvement, qui se
trouvait inexorablement placé à contre-courant, d'autant plus que de larges
masses prolétariennes s'étaient jetées à corps perdu dans la pratique mortelle
de l'électoralisme (dont les faux révolutionnaires faisaient une apologie mille
fois plus éhontée que celle des révisionnistes cinquante ans plus tôt), ne put
répondre qu'en s'appuyant sur tout le patrimoine qui avait été le sien au cours
de cette longue période historique défavorable. En appliquant la classique
méthode marxiste, qui vise à renouer le «fil du temps», notre mouvement
s'employa à rappeler au prolétariat la valeur des résultats historiques
enregistrés tout au long de la douloureuse retraite. Il ne s'agissait pas de
nous réduire à une tâche de diffusion culturelle ou de propagande de petites
doctrines de sectes, mais de démontrer que la théorie et l'action sont des
domaines dialectiquement inséparables et que les leçons de l'histoire n'ont
rien de livresque ou d'académique, mais résultent (pour éviter ce terme
d'expériences, qui est aujourd'hui la tarte à la crème des philistins) des
bilans dynamiques que nous avons tirés des affrontements intervenus sur une
très grande échelle entre des forces réelles considérables, en utilisant même
les cas où les forces révolutionnaires ont finalement été vaincues, C'est ce
que nous avons appelé, selon un critère marxiste classique, les «leçons des
contre-révolutions».
6. Dans son effort pour
s'organiser sur ses bases propres, notre mouvement rencontra d'autres difficultés,
dues à des perspectives trop optimistes: on crut que, de même que la fin de la
première guerre mondiale avait entraîné une immense vague révolutionnaire et la
condamnation de la peste opportuniste grâce à l'action des bolchéviks, de
Lénine, et à la victoire révolutionnaire en Russie, de même la fin de la
seconde guerre mondiale en 1945 entraînerait des phénomènes historiques
parallèles, et rendrait possible la constitution rapide d'un parti révolutionnaire
reprenant la grande tradition.
Cette perspective pouvait
être généreuse; elle constituait néanmoins une grave erreur, car elle ne tenait
pas compte de la «faim de démocratie» qu'avaient suscitée dans le prolétariat
non tant les exploits plus ou moins féroces des fascismes italien et allemand,
mais surtout le retour de la funeste illusion qu'il suffirait de rétablir la
démocratie pour qu'on en revienne tout naturellement aux positions révolutionnaires.
Au contraire, ce qui
constitue un des points fondamentaux du patrimoine de la Gauche, c'est la conscience
que les illusions populistes et social-démocrates représentent le danger le
plus grand, et qu'elles ne conduisent pas à une révolution opérant de nouveau
le passage de Kerenski à Lénine, mais sont à la base de l'opportunisme, qui est
la plus puissante force contre. révolutionnaire.
Pour la Gauche,
l'opportunisme n'est pas un phénomène de nature morale et réductible à la corruption
des individus, mais un phénomène de nature sociale et historique qui fait qu'au
lieu de combattre le front réactionnaire de la bourgeoisie et des couches
petites bourgeoises plus conservatrices encore, l'avant-garde prolétarienne
tend à établir une soudure entre le prolétariat et les classes moyennes. En
cela, le phénomène social de l'opportunisme ne diffère donc pas du fascisme,
puisqu'il s'agit toujours d'asservir le prolétariat aux couches
petites-bourgeoises («intellectuels», «classe politique» et classe
bureaucratique administrative), qui en réalité ne sont pas des classes douées
d'une vitalité historique propre, mais des couches marginales et parasitaires
tout à fait méprisables. Il ne s'agit pas là de ces déserteurs de la
bourgeoisie dont Marx décrit le passage fatal dans le camp de la classe
révolutionnaire, mais au contraire des meilleurs serviteurs et défenseurs de la
conservation capitaliste, qui vivent de la plus-value extorquée aux
prolétaires.
Le nouveau mouvement faillit
même tomber dans l'illusion selon laquelle il y avait encore quelque chose à
faire dans les parlements bourgeois, en se plaçant sans doute dans l'optique
des fameuses thèses de Lénine, qu'il s'efforçait de ressusciter, mais sans
comprendre qu'un bilan historique irrévocable avait montré que cette tactique
ne pouvait aboutir, quelles qu'aient pu être en 1920, à un moment où l'histoire
tout entière semblait prête à basculer, la grandeur et la noblesse des
perspectives révolutionnaires visant à faire sauter les parlements de
l'intérieur; mais tout se réduisit au contraire à la triviale revanche sur le
fascisme (du cri de Modigliani: «Vive le parlement!».
7. Il s'agissait de
transmettre l'expérience historique de la génération qui avait vécu les luttes
glorieuses du premier après-guerre et de la scission de Livourne à la nouvelle
génération de prolétaires qu'il fallait libérer de l'enthousiasme insensé
suscité par la chute du fascisme, pour la ramener à la conscience de la
nécessité d'une action autonome du parti révolutionnaire contre tous les autres
partis, et surtout contre le parti social-démocrate, et reconstituer des forces
décidées à lutter pour la dictature et la terreur prolétariennes, contre la
grande bourgeoisie et tous ses ignobles serviteurs. Pour accomplir cette tâche,
le nouveau mouvement trouva organiquement et spontanément une forme structurelle
d'activité qui, en quinze ans, a fait ses preuves. Le parti réalisa des
aspirations déjà présentes dans la Gauche communiste au temps de la IIe
Internationale, et qui s'exprimèrent ensuite au cours de sa lutte théorique
contre les premières manifestations du danger opportuniste dans la IIIe
Internationale. Cette aspiration séculaire est la lutte contre la démocratie et
contre toute influence de cet ignoble mythe bourgeois, en parfaite continuité
avec la critique marxiste, les textes fondamentaux et les premiers documents
des organisations prolétariennes, depuis le Manifeste du parti communiste.
L'histoire de l'humanité ne
s'explique pas par l'influence d'individus exceptionnels par leur force et leur
valeur physique ou même intellectuelle et morale; il est faux et anti-marxiste
de considérer la lutte politique comme un processus de sélection de ces
personnalités d'exception, et le démocratisme, qui prétend effectuer cette
sélection par le décompte des voix de tous les membres de la société, nous est
encore plus étranger que les vieilles doctrines qui y voyaient l'œuvre de la
divinité ou l'apanage d'une aristocratie sociale. L'histoire est au contraire
l'histoire de la lutte des classes: on ne peut la déchiffrer et en appliquer
les enseignements aux batailles non plus théoriques et critiques mais violentes
et armées opposant les différentes classes, qu'en mettant à nu les rapports
économiques qui, dans des formes de production données, s'établissent entre les
classes. Ce théorème fondamental avait été confirmé par le sacrifice des
innombrables militants tombés sous les coups du capital, et dont la
mystification démocratique avait brisé les généreux efforts; et c'est sur ce
bilan d'oppression, d'exploitation et de trahison que la Gauche communiste
avait institué son patrimoine révolutionnaire. Il était donc clair que la seule
voie à suivre était celle qui nous libérerait toujours plus du mortel mécanisme
démocratique, non seulement dans la société et dans ses différentes
institutions, mais dans la classe révolutionnaire elle-même et avant tout dans
son parti politique. Cette aspiration de la Gauche ne peut être ramenée ni à
une institution miraculeuse, ni aux lumières de quelque penseur, mais elle
découle intimement de toute une série de luttes réelles, violentes, sanglante,
impitoyables et même de celles qui se sont terminées par la défaite des forces
révolutionnaires. On en trouve les traces historiques dans toutes les manifestations
de la Gauche, que ce soit a l'époque où elle luttait contre les blocs électoraux
et l'influence de l'idéologie maçonnique, contre l'appui aux guerres coloniales
puis à la gigantesque première guerre européenne, qui triompha de l'aspiration
prolétarienne à déserter l'armée et à retourner les armes contre sa propre
bourgeoisie, surtout par une propagande ignoble sur la conquête de la liberté
et de la démocratie; que ce soit enfin à l'époque où, dans tous les pays d'Europe
et derrière le prolétariat révolutionnaire russe, la Gauche se jeta dans la
lutte pour abattre son ennemi direct, qui protégeait le cœur de la bourgeoisie
capitaliste: la droite social-démocrate, et le centrisme plus ignoble encore,
qui, nous diffamant comme il diffamait le bolchevisme, le léninisme et la
dictature Soviétique russe, faisait tous ses efforts pour jeter de nouveau un
pont - pour nous, c'était un guet-apens - entre le prolétariat en marche et les
criminelles illusions démocratiques. Parallèlement, cette aspiration à se
libérer de toute influence de la démocratie jusque dans le vocabulaire se
retrouve dans d'innombrables textes de la Gauche que nous avons rapidement
énumérés au début de nos thèses.
8. L'ampleur, la difficulté
et la longueur historique de l'œuvre à accomplir par le nouveau mouvement ne
pouvaient pas attirer les éléments douteux et désireux de faire une carrière
rapide, car loin de promettre des succès historiques à brève échéance, elles
les excluaient au contraire. Le travail s'organisa sur la base de fréquentes
rencontres de délégués de toute l'organisation, dans lesquelles il n'y avait ni
débats contradictoires, ni polémiques entre des thèses opposées, ni donc la
moindre manifestation sporadique de nostalgie pour la maladie de l'antifascisme
démocratique. Dans ces réunions, il n'y avait rien à voter ni à délibérer, leur
but étant uniquement de continuer de façon organique l'important travail de
transmission historique des fécondes leçons du passé aux générations présentes
et futures, aux nouvelles avant-gardes destinées à se former dans les masses
prolétariennes. Cent fois battues, trompées et déçues, celles-ci finiront bien
par s'insurger contre les souffrances que leur inflige la purulente décomposition
de la société capitaliste, et par sentir dans le vif de leur chair que ses
produits les plus achevés et les plus venimeux sont l'opportunisme de type
populiste, les bureaucrates des grands syndicats et des grands partis, et toute
la ridicule pléiade des intellectuels et artistes «engagés» («engagés» comme
des laquais, pour faire leur sale besogne!) qui se prostituent aux classes
riches par l'intermédiaire des partis traîtres et sont animés du pire esprit
bourgeois et capitaliste, celui des classes intermédiaires et soi-disant
«populaires».
Ce travail du parti et cette
dynamique s'inspirent d'enseignements classiques de Marx et de Lénine, qui
donnèrent la forme de thèses à leur présentation des grandes vérités
historiques révolutionnaires. Ces thèses et ces rapports, fidèles aux grandes
traditions marxistes vieilles de plus d'un siècle, étaient répercutés par tous
les délégués présents, ainsi que par les comptes rendus de notre presse, dans
toutes les réunions périphériques, locales et régionales, où ce matériel historique
était ainsi porté à la connaissance de tout le parti. Il serait absurde de dire
qu'il s'agit de textes parfaits, irrévocables, et non modifiables, car durant
toutes ces années nous avons au contraire toujours affirmé qu'il s'agissait de
matériaux en continuelle élaboration, destinés à recevoir une forme toujours
meilleure et toujours plus complète; d'ailleurs on n'a pas cessé de constater
un apport de plus en plus fréquent d'excellentes contributions, parfaitement en
accord avec les positions classiques de la Gauche, provenant de tout le parti
et même de très jeunes camarades. C'est seulement en développant notre travail
dans cette direction que nous pouvons espérer un accroissement quantitatif de
nos effectifs et des adhésions spontanées qui arrivent au parti et qui en feront
un jour une force sociale plus importante.
9. Avant de conclure sur
cette question de la formation du parti après la seconde guerre mondiale, il
est bon de réaffirmer certains résultats qui ont aujourd'hui la valeur de
thèses caractéristiques pour le parti, car il s'agit, malgré les effectifs
réduits du mouvement, de résultats historiques, et non d'inventions d'inutiles
génies ni de solennelles résolutions de congrès «souverains».
Le parti reconnut très vite
que, même dans une situation extrêmement défavorable et même dans les pays où
elle l'est le plus, il faut éviter l'erreur de considérer le mouvement comme
une pure activité de propagande écrite et de prosélytisme politique. Partout,
toujours et sans exceptions, la vie du parti doit s'intégrer dans un effort
incessant pour s'insérer dans la vie des masses, même lorsque ses manifestations
sont influencées par des directives opposées aux nôtres. C'est une vieille
thèse du marxisme de gauche qu'on doit accepter de travailler dans les
syndicats de droite où se trouvent les ouvriers; le parti repousse l'attitude
individualiste de ceux qui dédaignent d'y mettre les pieds et en arrivent même
à théoriser le sabotage des rares et timides grèves auxquelles se risquent les
syndicats actuels. Dans de nombreuses régions, le parti a déjà mené une
activité non négligeable dans ce sens, même s'il se heurte toujours à de graves
difficultés et à des forces contraires qui lui sont supérieures, numériquement
du moins. Il est important de préciser que même là où ce travail ne s'est pas
encore développé de façon sensible, on doit repousser la conception qui
voudrait réduire notre petit parti à des cercles fermés sans lien avec
l'extérieur, ou se contentant de chercher des adhésions dans le seul monde des
opinions, qui, aux yeux des marxistes, est un monde faux tant qu'on ne le
traite pas comme une superstructure du monde des conflits économiques. Il
serait tout aussi faux de vouloir subdiviser le parti ou ses sections locales
en compartiments étanches se consacrant exclusivement, selon les cas, à la
théorie, à l'étude, à la recherche historique, à la propagande, au prosélytisme
ou à l'activité syndicale: dans l'esprit de notre théorie et de notre histoire
ces domaines sont absolument inséparables et en principe accessibles à tous les
militants, quels qu'ils soient.
Un autre point, qui
constitue un acquis historique auquel le parti ne pourra jamais renoncer, est
le refus absolu de toutes les propositions tendant à accroître ses effectifs et
à élargir ses bases au moyen de congrès constitutifs communs avec les nombreux
groupes et groupuscules qui pullulent depuis la fin de la guerre, en élaborant
des théories incohérentes et absurdes, ou n'ayant d'autre base que la condamnation
du stalinisme russe et de tous ses dérivés locaux.
10. Revenant à l'histoire
des premières années de l'Internationale Communiste, nous rappellerons que les
dirigeants russes, qui avaient derrière eux non seulement une connaissance
profonde de la doctrine et de l'histoire du marxisme, mais aussi le résultat
grandiose de la victoire révolutionnaire d'Octobre, considéraient des thèses
comme celles de Lénine comme un matériel que tous les militants devaient
accepter, tout en reconnaissant qu'on pourrait ultérieurement les développer
dans la vie du parti international. Ils demandèrent qu'on ne votât jamais, car
toutes les thèses devaient être acceptées par adhésion unanime, spontanément
confirmée par toute la périphérie de l'organisation qui, dans ces années glorieuses,
vivait dans une atmosphère d'enthousiasme et même de triomphe.
La Gauche partageait ces
généreuses aspirations, mais elle considérait que pour atteindre les résultats
auxquels nous aspirions tous il aurait fallu rendre plus rigoureuses et plus
rigides certaines mesures d'organisation et de constitution du parti communiste
unique, et préciser dans le même sens toutes les normes de sa tactique.
Lorsqu'il apparut qu'un
certain relâchement dans ces domaines fondamentaux - relâchement que nous
avions dénoncé devant le grand Lénine lui-même - commençait à avoir des effets
néfastes, nous fûmes contraints d'opposer nos rapports aux rapports de
l'Exécutif, et nos thèses à ses thèses.
A la différence d'autres
groupes d'opposition, de ceux qui se formaient en Russie même et du courant
trotskiste lui-même, nous avons toujours soigneusement évité de donner à notre
travail au sein de l'Internationale la forme d'une revendication de
consultations démocratiques et électorales de toute la base, ou de réclamer des
élections générales des comités directeurs.
La Gauche espérait sauver
l'Internationale et son tronc sain et fort de grandes traditions sans organiser
de mouvements scissionnistes, et elle repoussa toujours l'accusation de s'être
organisée ou de vouloir s'organiser en fraction, ou en parti dans le parti.
Même lorsque les manifestations d'un opportunisme naissant devinrent de plus en
plus évidentes, elle n'encouragea ni n'approuva le système des démissions
individuelles du parti ou de l'Internationale.
Pourtant, cent passages des
textes mentionnés ci-dessus montrent que la Gauche, dans sa pensée
fondamentale, a toujours considéré que la voie conduisant à la suppression des
élections de camarades ou des votes de thèses générales conduisait également à
l'abolition des radiations, des expulsions et des dissolutions de groupes
locaux, autre ignoble bagage du démocratisme politicard. Nous avons plusieurs
fois énoncé en toutes lettres la thèse selon laquelle ces procédés disciplinaires
devaient devenir de plus en plus exceptionnels et disparaître peu à peu.
Si c'est le contraire qui se
produit, et, pire encore, si ces questions disciplinaires, au lieu de servir à
sauver des principes sains et révolutionnaires, servent à imposer les positions
conscientes ou inconscientes d'un opportunisme naissant - comme ce fut le cas
en 1924, 1925, 1926 -, cela signifie seulement que le centre n'a pas rempli
correctement sa fonction, que cela lui a fait perdre toute influence réelle sur
la base, et qu'il peut d'autant moins obtenir la discipline qu'il chante plus
fort les louanges d'une rigueur disciplinaire parfaitement artificielle.
Dans les toutes premières
années, la Gauche espérait que les concessions faites sur le plan de l'organisation
et de la tactique n'étaient dues qu'à la fécondité de ce moment historique,
qu'elles ne seraient que provisoires, puisqu'elles étaient liées à la
perspective de Lénine envisageant de grandes révolutions en Europe centrale et
peut-être occidentale, et qu'on en reviendrait ensuite à la claire ligne de
conduite intégralement conforme à nos principes vitaux. Mais cet espoir fit progressivement
place à la certitude que l'Internationale allait à sa perte, et que le nouvel
opportunisme ne pourrait manquer de prendre les formes classiques d'une
glorification et d'une exaltation de l'intrigue démocratique et électorale. La
Gauche continua donc sa lutte historique de défense du communisme, sans jamais
relâcher sa méfiance à l'égard du mécanisme démocratique, même quand on pouvait
croire qu'elle y serait contrainte malgré elle par de véritables opérations de
truquage électoral au sein des partis: quand le fascisme falsifiait les
élections, il était juste de saluer ce fait en invitant le prolétariat à
relever le défi par les armes, mais quand ces pratiques prirent place au sein
même des partis communiste, perpétrées effrontément par lés pères de ce nouvel
opportunisme qui s'évertuait à reconquérir les partis et l'Internationale, il
fallut les dénoncer dans les faits; car même si nous pouvions théoriquement
éprouver une certaine satisfaction ironique à les entendre dire: «Nous sommes
dix et nous voulons vous soumettre, vous qui êtes mille», nous n'étions que
trop certains qu'ils parachèveraient leur ignoble carrière en escroquant les
votes des ouvriers par millions.
11. La position de la Gauche
a cependant toujours été ferme et constante: si les crises disciplinaires se
multiplient au point de devenir la règle, cela signifie que quelque chose ne va
pas dans la direction générale du parti, et que le problème mérite d'être
étudié. Naturellement, nous ne renierons pas nos propres principes en
commettant la sottise de croire que le salut consiste dans la recherche
d'individualités plus capables et dans le renouvellement des chefs, grands et
petits, car il ne s'agit là que des positions caractéristiques de l'antagoniste
historique du marxisme révolutionnaire de gauche, l'opportunisme.
Une autre thèse de Marx et
de Lénine sur laquelle la Gauche est extrêmement ferme, c'est que le remède aux
vicissitudes et aux crises historiques auxquelles le parti prolétarien est
nécessairement exposé, ne peut se trouver dans une formule constitutionnelle ou
organisationnelle qui aurait la vertu magique de la préserver des
dégénérescences. Cette illusion relève des conceptions petites-bourgeoises qui
remontent à Proudhon et, à travers une longue chaîne, aboutissent à l'ordinovisme
italien, c'est-à-dire à la conception selon laquelle le problème social peut
être résolu par une formule d'organisation des producteurs. Indéniablement,
dans l'évolution suivie par les partis, on peut opposer à la ligne ascendante
du parti historique la ligne tourmentée des partis formels, avec ses zigzags,
ses hauts et ses bas, voire ses chutes brutales. Les marxistes de gauche
s'efforcent précisément d'agir sur la ligne brisée des partis contingents pour
la ramener à la courbe continue et harmonieuse du parti historique. Ceci est
une position de principe, mais il est puéril de vouloir la transformer en
recette d'organisation. Selon notre ligne historique, nous utilisons non
seulement la connaissance du passé et du présent de l'humanité, de la classe
capitaliste et de la classe prolétarienne, mais aussi une connaissance directe
et sûre de l'avenir de la société et de l'humanité, tel que le prévoit avec
certitude notre doctrine, à savoir la société sans classes et sans État, qui en
un sens peut-être sera aussi une société sans parti, à moins que l'on n'entende
par parti un organe qui ne lutte pas contre d'autres partis mais assure la
défense de l'espèce humaine contre les risques que lui fait courir la nature
physique avec ses processus évolutifs et sans doute aussi ses catastrophes.
La Gauche Communiste a
toujours considéré que sa longue lutte contre les tristes vicissitudes
contingentes des partis formels du prolétariat c'est déroulée en affirmant des
positions qui s'enchaînent de. façon continue et harmonieuse dans le sillage
lumineux du parti historique, qui traverse sans ce briser les années et les
siècles, depuis les premiers affirmations de la doctrine prolétarienne
naissante jusqu'à la société future, que nous connaissons bien, dans la mesure
même où nous avons bien appris à connaître les tissus et les centres nerveux de
l'odieuse société présente, que la révolution devra abattre.
La proposition d'Engels,
d'adopter l'excellent deux mot allemand de Gemeinwesen (être commun,
c'est-à-dire communauté sociale) au lieu du mot État, se rattachait au jugement
de Marx selon lequel la Commune de Paris n'était déjà plus un État, précisément
parce qu'elle n'était plus une corporation démocratique. Après Lénine, cette
question n'a plus besoin d'autres clarifications théoriques, et il n'y a pas de
contradiction dans la géniale observation selon laquelle en apparence Marx
était beaucoup plus étatiste qu'Engels, dans la mesure où c'est Marx qui a le
mieux précisé que là dictature est un véritable État muni de forces armées,
d'une police répressive et d'une justice politique appliquant la terreur sans
se laisser arrêter par des scrupules juridiques. La question est également liée
à la condamnation par Marx et Engels de l'idéalisation révisionniste qui caractérise
la stupide formule d' «État populaire libre» des socialistes allemands: non
seulement cette formule pue le démocratisme bourgeois, mais elle détruit toute
la notion du conflit inexorable entre les classes, avec la destruction de
l'État historique de la bourgeoisie et l'instauration sur ses ruines de la
dictature révolutionnaire du prolétariat qui, si elle ne revendique pas de
constitutions éternelles, n'en est pas moins l'État le plus implacable qui
soit.
Il ne s'agissait donc pas de
trouver un «modèle» de l'État futur dans des dispositions constitutionnelles ou
organisationnelles, ce qui est aussi stupide que de vouloir construire dans le
premier pays conquis à la dictature du prolétariat un modèle des États et des
sociétés socialistes dans d'autres pays.
Mais l'idée de fabriquer un
modèle de parti parfait serait tout aussi vaine, et peut-être davantage encore.
Une telle idée se ressent des faiblesses de la bourgeoisie décadente qui,
impuissante à défendre son pouvoir, à conserver son système économique qui s'en
va en morceaux, et même à maîtriser sa pensée doctrinale, se réfugie dans une absurde
technologie robotisée, cherchant dans ces stupides modèles formels automatiques
une garantie de survie, pour échapper à la certitude scientifique qui nous a
fait porter sur l'époque bourgeoise et sur sa civilisation un diagnostic infaillible:
la mort!
12. Parmi les élaborations
doctrinales que nous appellerons provisoirement «philosophiques», et qui font
partie des tâches de la Gauche communiste et de son mouvement international, il
nous faut, parler d'une thèse à laquelle nous avons déjà apporté de nombreuses
contributions, en démontrant qu'elle est tout à fait conforme aux positions
classiques de Marx, d'Engels et de Lénine.
La première vérité que
l'homme pourra conquérir, c'est la notion de la société communiste future.
Cette notion n'emprunte aucun élément à l'infâme société présente, capitaliste,
démocratique ou chrétienne, et elle ne considère nullement comme un patrimoine
humain sur lequel elle pourrait se fonder la prétendue science positive
élaborée par la révolution bourgeoise, qui est pour nous une science de classe
qu'il faut détruire et remplacer intégralement, au même titre que les religions
et les scolastiques des formes de production précédentes. En ce qui concerne la
théorie des transformations économiques permettant de passer du capitalisme -
dont nous connaissons bien la structure, alors que les économistes officiels
l'ignorent totalement - au communisme, nous nous passons également des apports
de la science bourgeoise, et nous avons le même mépris à l'égard de la
technique et de la technologie bourgeoises dont tout le monde, traîtres
opportunistes radoteurs en tête, proclame qu'elles vont vers de grandes
conquêtes. C'est de façon totalement révolutionnaire que nous avons édifié la
science de la société, de sa vie actuelle et de son développement futur. Quand
cette œuvre de l'esprit humain sera parfaite - et elle ne pourra l'être
qu'après la mise à mort du capitalisme, de sa civilisation, de ses écoles, de
sa science et de sa technologie de truands -, l'homme pourra aussi pour la
première fois écrire la science et l'histoire de la nature physique et résoudre
les grands problèmes de la vie de l'Univers, depuis les origines (que des savants
réconciliés avec le dogme continuent à appeler «création») jusqu'à ses développements
aux échelles de l'infiniment grand et de l'infiniment petit, dans l'avenir le
plus lointain, aujourd'hui indéchiffrable.
13. Ces problèmes, et
d'autres encore, sont un domaine d'action du parti que nous maintenons physiquement
en vie et qui n'est pas indigne de s'insérer dans la ligne du grand parti
historique. Mais ces notions de haute théorie ne sont pas des expériences
permettant de résoudre de petites querelles et de petites incertitudes humaines
qui, malheureusement, dureront aussi longtemps qu'il y aura dans nos rangs des
individus cernés et dominés par le milieu barbare de la civilisation
capitaliste. Ces développements ne peuvent donc servir à définir le mode de vie
propre au parti libéré de tout opportunisme: contenu dans la notion de
centralisme organique, ce mode dé vie s'affirme graduellement et ne peut surgir
d'une «révélation».
Cette thèse marxiste
évidente appartient au patrimoine de la Gauche, et on pourra la retrouver dans
toutes les polémiques qu'elle a dirigées contre le Centre de Moscou en voie de
dégénérescence. Le parti est en même temps un facteur et un produit du
développement historique des situations et, à moins de retomber dans un nouvel
utopisme plus lamentable encore que le précédent, on ne pourra jamais le
considérer comme un élément extérieur et abstrait, capable de dominer le milieu
ambiant.
Que dans le parti on puisse
tendre à créer un milieu farouchement antibourgeois, qui annonce dans une large
mesure les caractères de la société communiste, cela a été affirmé depuis longtemps,
par exemple par les jeunes communistes italiens dès 1912.
Mais cette juste aspiration
ne peut nous amener à considérer le parti idéal comme un phalanstère entouré de
murs infranchissables.
Dans notre conception du centralisme organique, nous avons toujours affirmé contre les centristes de Moscou que dans la sélection des membres du parti il n'y a qu'une seule garantie. Le parti continue inlassablement à graver toujours plus nettement les lignes directrices de sa doctrine, de son action et de sa tactique au moyen d'une méthode unique, dans l'espace comme dans le temps. Tous ceux qui se trouvent mal à l'aise devant ces positions ont la ressource évidente de quitter le parti. Même après la conquête du pouvoir on ne peut pas concevoir d'adhésion forcée au parti; c'est pourquoi le terrorisme disciplinaire est étranger à la juste acception du centralisme organique: de telles mesures ne peuvent que copier, jusque dans le vocabulaire, des pratiques constitutionnelles dont la bourgeoisie n'a que trop usé, comme la faculté pour le pouvoir exécutif de dissoudre et de reconstituer les assemblées élues - formes que l'on considère depuis longtemps comme dépassées non seulement pour le parti prolétarien, mais même pour l'État révolutionnaire historiquement transitoire du prolétariat victorieux. A celui. qui veut adhérer, le parti n'a pas à présenter de plans constitutionnels et juridiques de la société future, car de telles formes sont le propre des sociétés de classe et d'elles seules. Celui qui, voyant le parti avancer sur cette voie claire et nette, que nous nous sommes efforcés de résumer dans ces thèses pour la réunion générale de Naples en juillet 1965, ne se sent pas encore à une telle hauteur historique, sait parfaitement qu'il peut prendre n'importe quel chemin différent du nôtre. Nous n'avons aucune autre mesure à prendre en la matière.
Parti communiste international
www.pcint.org
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