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La tragédie du prolétariat allemand dans le premier après-guerre

 

 

( Brochure A5, 60 pages, février 2009, Prix: 2, 4 FS) - pdf

 

 

 


 

Table des matières


 

INTRODUCTION

 

Au début du siècle dernier l’Allemagne paraissait pour les marxistes être le pays prédestiné à la victoire du socialisme. En mai 1818, alors que continuait la guerre, Lénine écrivait: «L’histoire (...) a suivi des chemins si particuliers qu’elle a donné naissance en 1918 à deux moitiés de socialisme, séparées et voisines comme des futurs poussins sous la coquille commune de l’impérialisme international. L’Allemagne et la Russie incarnent, en 1918, avec une évidence particulière, la réalisation matérielle des conditions du socialisme, des conditions économiques, productives et sociales, d’une part, et des conditions politiques d’autre part.

Une révolution prolétarienne victorieuse en Allemagne briserait d’emblée, avec les plus grandes facilités, toutes les coquilles de l’impérialisme (...) et assurerait à coup sûr la victoire du socialisme mondial» (1)

Au cours des décennies précédentes, c’est en Allemagne que les forces productives avaient crû le plus vite, transformant le pays, autrefois dominé par la paysannerie, l’artisanat et la petite industrie productrice de camelote à bon marché, en très grande puissance industrielle où régnait un «capitalisme d’Etat» (au sens d’interpénétration du capital et de l’Etat) aux entreprises géantes; cette expansion l’avait placé aux premiers rangs des impérialismes mondiaux (et dans une trajectoire de collision avec l’impérialisme encore dominant mais déjà sur le déclin, la Grande Bretagne).

C’est aussi dans ce pays qu’un prolétariat en pleine croissance (près de 12 millions et demi en 1907 selon certaines estimations) (2) avait bâti en l’espace d’une génération, dans la légalité comme dans l’illégalité, le plus puissant parti socialiste du monde, le Socialdemokratische Partei Deutschlands (SPD). A la veille de 1914, le SPD comptait près d’un million d’adhérents, les syndicats qu’il contrôlait en avaient deux millions et demi (les syndicats chrétiens et patronaux en ayant un million environ). Il était en outre le pilier de la IIe Internationale et Karl Kautsky, le responsable de sa revue théorique Die Neue Zeit, avant de devenir au moment de la guerre le «renégat» fustigé par les bolcheviks, avait été le gardien sourcilleux de la théorie marxiste, au point d’être surnommé le «pape rouge»: les socialistes de tous les pays, disaient-on, recevaient son avis sur les questions les plus difficiles de théorie et de programme avec autant de confiance que les catholiques lorsqu’ils prenaient connaissance des bulles du pape de Rome.

Cet accroissement gigantesque ne pouvait pas ne pas s’accompagner de la progression des tendances petites-bourgeoises et opportunistes dans le parti déjà dénoncées quelques décennies plus tôt par Engels (3), les responsables du parti se recrutant toujours davantage parmi les éléments petit-bourgeois ou de l’aristocratie ouvrière; à partir du début du siècle la bureaucratie du parti avait commencé à se développer rapidement jusqu’à atteindre le nombre de 15 000 permanents à la veille de la guerre; un dixième des adhérents (cent mille personnes) était alors employés dans diverses administrations sociales, coopératives, conseils de prud’hommes, etc (4). Cette couche nombreuse était évidemment le vivier naturel de toutes les tendances réformistes.

C’est d’un dirigeant socialiste, Bernstein, qui avait été un proche collaborateur d’Engels avant d’en devenir l’exécuteur testamentaire, que vint, au tournant du siècle, une attaque en règle contre les fondements du programme marxiste du SPD. Selon Bernstein, le développement régulier et pacifique du capitalisme, la disparition de ses crises économiques, l’amélioration de la condition ouvrière, avaient démenti les analyses catastrophiques de Marx. Le SPD devait donc réviser son programme et abandonner les positions marxistes qui n’étaient pas autre chose que des résidus archaïques de l’époque quarante-huitarde, pour devenir ouvertement ce qu’il était déjà de fait: un parti oeuvrant pour améliorer le capitalisme par des réformes, et non pour le renverser. Ces positions iconoclastes furent repoussées avec indignation; le révisionnisme bernsteinien fut officiellement condamné et le programme révolutionnaire réaffirmé dans les congrès du parti.

Cependant l’ «opportunisme» c’est-à-dire la tendance à abandonner les principes révolutionnaires, continua à se développer rapidement malgré les proclamations orthodoxes; elle était en effet suscitée par les pressions bourgeoises et alimentée par la pratique du parti qui se développait à l’enseigne de la coupure officialisée entre «programme maximum» (programme révolutionnaire) et «programme minimum» (lutte pour les réformes). Les conditions de l’époque ne permirent pas l’apparition en réaction d’une véritable tendance de gauche organisée dans le parti: les éléments révolutionnaires, comme les Rosa Luxemburg, Mehring, Liebknecht et autres, prisonniers des traditions d’unité du parti, restèrent des personnalités respectées sinon écoutées, mais isolées par l’appareil du SPD.

La trahison en août 1914 du SPD qui, comme pratiquement tous les autres partis de l’Internationale à l’exception du parti bolchevik, se rangea comme un seul homme du côté de la classe ennemie en appelant à participer à la guerre impérialiste, fut pour les travailleurs un choc dévastateur dont il est difficile de surestimer la portée. Au moment décisif, le prolétariat qui avait patiemment, sans ménager ses efforts et ses sacrifices, construit ces formidables organisations, se retrouvait sans organisation, sans parti, jeté sans pouvoir résister dans l’enfer de la guerre mondiale!

Jamais le prolétariat allemand qui au cours des années suivantes, pendant et après la guerre, donna des preuves innombrables de combativité et d’héroïsme, qui affronta par la violence les troupes de choc de la bourgeoisie, ne réussit à surmonter ce coup décisif...

Les révolutionnaires, plus nombreux en Allemagne que dans les autres pays, restèrent en proie à la plus grande confusion, affaiblis par des courants semi-libertaires ou spontanéistes. Lorsqu’un parti communiste de masse réussit enfin à se stabiliser, c’est pour tomber dans des déviations droitières, succédant à des poussées aventuristes.

Un rare jour de lucidité, Paul Levi, le dirigeant droitier du Parti Communiste Unifié, le pourfendeur des sectaires, le critique de la constitution «trop à gauche», «trop minoritaire», du parti Communiste d’Italie après la scission de Livourne, reconnût: «Il n’est pas aujourd’hui en Allemagne un seul communiste qui ne regrette que la fondation d’un parti communiste n’ait pas été réalisée depuis longtemps, à l’époque de l’avant-guerre, que les communistes ne se soient pas regroupés, dès 1903, même sous la forme d’une petite secte, et qu’ils n’aient pas constitué un groupe même réduit, mais qui aurait au moins exprimé la clarté» (5).

Cette leçon-là, que Levi oublia aussitôt, a une portée universelle; le parti doit se préparer et doit se constituer avant l’éclatement de la période révolutionnaire, comme cela avait pu être fait en Russie, sinon il est trop tard et le retard ne se rattrape plus. C’est en cela que réside la tragédie du prolétariat allemand - et mondial.

 

*   *   *

 

Nous publions dans les pages qui suivent le texte d’un rapport à la Réunion Générale du parti des 12 et 13 février 1972, «la tragédie du prolétariat allemand dans le premier après-guerre», rapport qui faisait la synthèse d’études antérieures. Nous y avons ajouté un article plus particulièrement consacré à la dite «révolution de novembre» 1918, ainsi qu’une des correspondances de 1920 d’Amadeo Bordiga à «Il Soviet», l’organe de la Fraction Communiste Abstentionniste.

Bordiga qui était allé à Berlin pour rejoindre Moscou où allait se tenir le IIe Congrès de l’Internationale Communiste, en profita pour rencontrer les responsables non seulement du KPD, mais aussi du KAPD, sa fraction «gauchiste» qui en avait été expulsé par Levi. Les appréciations qu’il en donne sont donc particulièrement intéressantes.

Nous invitons les lecteurs intéressés à se reporter à d’autres études sur cette période faites dans le cadre de l’ «Histoire de la Gauche Communiste». C’est en particulier: «La gauche marxiste d’Italie et le mouvement communiste international», Programme Communiste n°58 (où sont publiés entre autres les articles de Bordiga sur «Il Soviet»), et «Le processus de formation des sections nationales de l’IC: le Parti Communiste Allemand», Programme Communiste n°86.

 


 

(1) Lénine, «Sur l’infantilisme de gauche», Oeuvres, Tome 27, p. 355.

(2) Selon Sombart, qui estime que le prolétariat au sens large du terme, en comptant les familles, constituerait 67 à 68% de la population. cf Broué, «Révolution en Allemagne (1917-1923)», p. 18.

(3) «Les petits-bourgeois apportent avec eux leurs étroits préjugés de classe. En Allemagne, nous n’en avons que trop et ce sont eux qui forment ce poids mort qui entrave la marche du parti», cf Engels-Lafargue, correspondance, tome I, p.392.

(4) cf. Gilbert Badia, «Histoire de l’Allemagne contemporaine», Tome I, p. 35.

(5) «Die Internationale» n°26, 1/12/1920, cité dans Broué, op. cit., p. 438.

 

 

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