La disparition de l’individu en tant que sujet économique, juridique et acteur de l’histoire, est partie intégrante du programme communiste original (Fin)

( Compte-rendu de la réunion générale de Parme 1958 )

le prolétaire»; N° 472;Juin-Juillet-Août 2004)

 

La force ou la raison

 

Il est connu que nous avons critiqué la conception du parti de masse et la façon de diriger les partis communistes qui avait été introduite dans l’Internationale sous l’appellation inexacte de bolchévisation; mais nous avons toujours pris grand soin à ce qu’on ne prenne pas notre critique pour une qui découlerait de l’apologie de la démocratie en général, idéalisant un type de parti valable pour tous et débouchant inévitablement là où les staliniens aboutirent, comme il était facile de le prévoir: dans le pacifisme social le plus plat.

Il faut donc bien distinguer deux questions, celle de la nature du parti communiste et celle de l’évolution à l’époque bourgeoise de la forme parti, ou question du rapport politique-culture.

La formule présente du renversement de ce rapport à l’avantage du terme politique au détriment terme culture, Perticone l’attribue dans ses articles au sociologue allemand Max Weber; celui-ci aurait théorisé à l’époque de la première guerre le parti «démo-culturel» avant d’être plus tard emporté par la déception hitléro-stalinienne. Ce sont toujours des anciens semi-marxistes que nous avons dans les jambes.

Avant de parler des toutes récentes formes totalitaires et de l’explication-lamentation «charismatique», il nous faut affirmer que le marxisme n’a jamais eu rien à voir avec une «théorie des partis» faisant découler la dynamique de ces derniers de l’opinion de leurs adhérents. Dans notre conception, le parti révolutionnaire a une doctrine bien définie, acceptée et partagée par tous ses composants, ce qui ne signifie pas qu’ils ont la faculté, au moindre soubresaut, de la changer à la suite de consultations numériques; en effet cette théorie naît collective et unitaire sous la force des événements historiques et non pas à la suite de l’association subjective d’éléments épars. Mais cette conception s’applique à un seul parti.

Pour ce qui est des autres, la légende d’un âge d’or démocratique et de type scolastique ou instituteur de marionnettes, nous fait bien rire. Pendant la révolution bourgeoise, ces partis s’appuyaient, eux aussi, sur la dictature et la terreur. Ils se proclamaient illuministes, illusion qui ne fut pas détruite par Marx mais par Babeuf quand celui-ci théorisa que dans la lutte sociale la force a des droits supérieurs à ceux de la raison. Le parti rationnel envisagé par Weber n’a donc aucune origine prolétarienne ou socialiste. Le point fondamental est toujours le même: l’école des prolétaires, ce sera la révolution victorieuse; celle-ci leur demande d’être armés et non pas d’avoir des diplômes. Même aux prolétaires adhérents au parti, on ne fait pas passer un «examen culturel». Depuis les luttes au sein de la Deuxième Internationale la gauche a ridiculisé la thèse du parti «culturaliste».

Dès leur naissance, les partis de la bourgeoisie ont exprimé et défendu des intérêts de classe bien précis et non pas le résultat changeant de diverses opinions. Les multiples partis de la moyenne et de la petite bourgeoisie ont constitué des mécanismes de transformation des revendications du grand capital en superstitions politiques des classes moyennes et de la petite bourgeoisie poltronne. Ceux dont les adhérents se recrutaient plutôt dans les couches «intellectuelles» sont aussi ceux qui ont vu le moins clair dans l’histoire et dans la société; ils ont fourni des héros ingénus pour les entreprises et les conquêtes du capitalisme européen en se reprenant comme idéaux ses louches appétits. Dans tout le Risorgimento (9) italien nous ne trouvons qu’une seule grande exception à cette rationalité mystifiante, à ce «culturisme» de la lutte politique: Carlo Pisacane, un marxiste qui n’eut pas le temps de lire Marx, qui donna sa vie à la cause nationale et fut tué non par les flics mais par la paysannerie analphabète et aclassiste.

 

La ridicule époque des grands

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Perticone oppose une phase où les partis étaient basés sur la démocratie volontaire et une autre qui se caractérise par une discipline aveugle envers un centre dirigeant incarné aux yeux de la base par des individus déterminé ou pire par un seul individu. Si on abandonne tout regret à la Weber pour la première phase et toute prévision de sa réapparition à l’avenir dans le cadre d’une nouvelle joute libérale multipartiste (qui en fait n’a jamais réellement eu lieu dans le passé) cette opposition peut avoir une portée, mais seulement dans la mesure où l’on fait la critique de la dégénérescence contemporaine de la société bourgeoise; et dans la mesure où on évite d’identifier de façon métaphysique les voies opposées qui mènent disons au parti de Staline, et à ceux d’Hitler, de Mussolini ou, mettons aujourd’hui, de De Gaulle.

La caractéristique de ces monstrueuses organisations - dont la cause véritable est la passivité des masses dans une société en décomposition, ce qui n’est pas dû à un manque de «culture» ou à un manque d’«éducateurs» mais à un défaut de force mécanique révolutionnaire en raison des causes complexes et lointaines bien connues - est l’étrange absurdité suivante: alors que partout et en tous lieux le système moderne «charismatique» fait du chef une idole (idole combien fragile et temporaire!), il se défend précisément en faisant constamment l’apologie de la stupide panacée démocratique et en se vantant de l’adhésion libre et souveraine des prétendues «consciences».

La guerre a renversé les Etats totalitaires comme ceux d’Allemagne, d’Italie et du Japon et leurs partis gouvernementaux avec eux. Parmi les vainqueurs, les Etats occidentaux sont des démocraties parlementaires permanentes; et c’est sous cette forme juridique qu’ils se sont efforcés toujours plus d’organiser les pays du monde sur lesquels ils ont de l’influence. La Russie et les Etats qui lui sont liés à l’intérieur de l’URSS, ont conservé le système du parti unique; il n’y a pas de partis en concurrence pour le pouvoir; mais la politique que les partis soi-disant communistes mènent en dehors de l’URSS est complètement centrée sur l’apologie ouverte de la démocratie électorale, qu’ils exigent des pouvoirs locaux. Dans la polémique entre les deux blocs d’Etats et de partis, la revendication démocratique est toujours en première ligne et l’accusation la plus fréquemment lancée est celle d’avoir violé la manifestation électorale de la volonté populaire. Chacun des deux adversaires affirme comme une vérité évidente l’accusation que l’autre perpètre une telle infamie.

En dépit de cette débauche d’invocations à la souveraineté populaire la plus large possible, à chaque fois que ces pouvoirs mondiaux se rencontrent, c’est une règle commune, acceptée par les uns comme les autres, que des millions d’hommes, dont les intérêts (nous ne dirons pas: dont les opinions) sont en jeu, ne soient que les lointains spectateurs d’une réunion de 4 ou 5 grandes personnalités juchées au sommet, déléguées des gouvernements des Etats les plus monstrueux; tout se décide dans ce monde démocratique et populaire par ces 5 «big», c’est-à-dire au maximum par 5 grands personnages sur deux milliards de membres de l’espèce humaine, tous «démocratiquement souverains»; par 5 grandes figures à qui nous lançons l’apostrophe d’un poète oublié, citée ironiquement comme le plus bel hendécasyllabe de la littérature italienne: «0 big pyramidal, che fai tu il?» (0 big pyramidal que fais-tu là?).

La démocratie pouvait-elle dégénérer davantage et tomber plus bas?

Quelles sont les chances pour la sociologie rationnelle des opinions des élites, des choix des hommes cultivés, qui devraient conduire, selon l’illusion de Weber, la vie politique mondiale en s’échangeant, de temps en temps, le pouvoir avec un «fair play» élégant, avec une courtoisie tolérante?

On a dit, contre la gauche marxiste qui s’opposait au gros parti monstrueux et à l’adulation des masses, que nous étions des tenants de la théorie des élites intellectuelles. Mais nous sommes tout autant contre la démocratie dans la société, dans la classe et dans le parti pour lequel nous préconisons le centralisme organique, que contre la fonction des élites dirigeantes: il ne s’agit là que d’un mauvais ersatz du Chef individuel, d’une marionnette collégiale mise à la place de celle individuelle, et ce peut même constituer, dans certains cas, un pas en arrière. La différence fondamentale réside dans le fait que notre doctrine n’envisage pas une constellation de partis, mais le rôle d’un seul dont le dialogue avec les autres n’est pas intellectuel ni culturel, et encore moins électoral et parlementaire, mais repose sur la violence de classe, sur la force matérielle, et a pour objectif la soumission et la destruction de tout autre parti.

Le parti que nous sommes sûrs de voir ressurgir dans un lumineux avenir sera constitué par une vigoureuse minorité de prolétaires et de révolutionnaires anonymes, qui pourront remplir différentes fonctions, comme les organes d’un même être vivant, mais qui seront tous, à la périphérie comme au centre, liés à la règle inflexible et impérieuse du respect de la théorie; de la continuité et de la rigueur dans l’organisation; d’une méthode précise d’action stratégique aux impératifs inviolables dont l’éventail des possibilités doit être tiré de la terrible leçon historique des ravages occasionnées par l’opportunisme.

Dans un tel parti finalement impersonnel, nul ne pourra abuser du pouvoir à cause précisément de la caractéristique inimitable qui le distingue de façon ininterrompue depuis son origine en 1848.

Cette caractéristique est celle de l’absence d’hésitation du parti et de ses adhérents à affirmer que la conquête du pouvoir politique et son exercice central est sa fonction exclusive, sans jamais et à aucun moment cacher ce but, jusqu’à ce que tous les partis du capital et de ses laquais petit-bourgeois aient été finalement exterminés.

 


 

(1) Le Risorgimento (renaissance) est la période de la formation de l’Etat unitaire italien au XIXe siècle à travers diverses guerres et insurrections contre les pouvoirs réactionnaires et l’occupation étrangère. Carlo Pisacane fut tué en 1857 lors d’une tentative d’insurrection dans le sud de l’Italie.

 

 

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