De la gauche à la droite

Répugnante unanimité pour défendre le colonialisme

(«le prolétaire»; N° 476; Avril - Mai 2005)

 

 

Le 23 février le parlement a adopté une loi, censée régler le problème de l’indemnisation des Harkis (supplétifs algériens que l’armée française utilisait pour ses basses oeuvres et qui ont été abandonnés ensuite à leur sort) et des rapatriés, par laquelle «la Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’oeuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française» (1).

C’est la version un peu édulcorée dans l’exposé des motifs d’un projet de loi réhabilitant l’oeuvre coloniale française qui avait été déposé en 2003 par des députés de droite dont Douste-Blazy l’actuel ministre de la santé. La nouvelle loi va cependant plus loin en prétendant dicter des règles pour l’enseignement et la recherche sur cette époque. Son article IV stipule en effet:

«Les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite. Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit».

Un député de la majorité pouvait alors se réjouir que «jamais le législateur n’avait pris position aussi clairement sur le sens à donner à l’histoire de la colonisation française, sur le rôle positif joué par la France outre-mer».

Si les députés de gauche n’ont pas voté la loi, ce n’est par opposition à sa justification du colonialisme, mais parce qu’ils estimaient insuffisantes les mesures prévues en faveur des Harkis et des rapatriés. De plus, au cours des débats parlementaires, le représentant du groupe «communiste» (chaudement remercié par le porte-parole de l’UDF pour cette initiative) avec l’appui de députés socialistes présenta un amendement pour que les participants à une manifestation OAS le 26 mars 62 à Alger tombés sous les balles de la police soient reconnus comme «morts pour la France» (2)...

Pour s’indigner de cette attitude des PCF et PS il faudrait avoir oublié l’action constamment pro-impérialiste et pro-colonialiste de ces partis quand ils étaient au gouvernement ou dans l’opposition: rappelons que PCF et PS étaient au gouvernement au début de la guerre d’Indochine ou lors de la sanglante répression du Constantinois ou que le PCF vota les pleins pouvoirs au gouvernement du socialiste Guy Mollet qui allait intensifier la guerre d’Algérie.

Cette loi impudente n’avait suscité que très peu de réactions, jusqu’à ce que des historiens démocrates lancent une pétition pour son abrogation au motif qu’«elle impose une histoire officielle, contraire à la neutralité scolaire et au respect de la liberté de pensée qui sont au coeur de la laïcité», qu’elle impose le mensonge sur les crimes coloniaux et qu’«elle légalise un communautarisme nationaliste suscitant en réaction le communautarisme de groupes ainsi interdit de tout passé».

Nous ne mettons pas en doute les sentiments anticolonialistes à l’origine de cette pétition, mais le moins qu’on puisse dire est que ces historiens ignorent... l’histoire de la laïcité et de l’enseignement scolaire! Un article publié dans ce numéro indique comment les fondateurs de l’école laïque donnaient des directives pour enseigner une histoire officielle nationaliste (et colonialiste) aux enfants: l’histoire officielle, c’est-à-dire la falsification de l’histoire, a toujours été, qu’on le veuille ou non, au coeur de la laïcité. Et la neutralité scolaire n’a jamais été autre chose qu’un leurre essentiellement utilisé dans les faits pour empêcher la diffusion des thèses anticapitalistes. D’ailleurs Jules Ferry lui-même ne craignait pas d’affirmer, pour justifier que les manuels d’instruction civique soient examinés «du point de vue politique» avant d’être autorisés: «J’ai promis la neutralité religieuse; je n’ai jamais promis la neutralité politique»! (3). Il existe de nombreux ouvrages qui montrent, si besoin était, la réalité de cette histoire officielle et de ses mensonges.

L’histoire - quand il s’agit de l’histoire récente - est en effet quelque chose de trop brûlant pour que son enseignement puisse être fait selon les règles de la «neutralité». Si les vieux poncifs de la propagande réactionnaire d’autrefois ont disparu parce qu’ils ne sont plus adaptés aux relations capitalistes modernes, ils ont été remplacés par d’autres, plus insidieux, car enveloppés dans l’idéologie démocratique. Les événements historiques sont présentés de façon à montrer les bienfaits du système capitaliste sous sa forme actuelle, développée et civilisée. Le matérialisme historique, la conception marxiste selon laquelle l’histoire est avant tout l’histoire des luttes des classes, n’aura évidemment jamais droit de cité dans l’enseignement bourgeois.

Le fait que les députés n’ont pas hésiter à donner avec le vote d’une loi un maximum de publicité et de solennité à ce qui se pratiquait auparavant, est un signe supplémentaire du regain d’agressivité de l’impérialisme français qui a multiplié ces derniers temps les interventions militaires, de la Côte d’Ivoire à Haïti.

Les prolétaires devront y répondre, non pas à la façon des démocrates par d’inoffensives pétitions, mais de la seule façon efficace: par la reprise de la lutte anticapitaliste internationale.

 


 

(1) cf «Le Monde Diplomatique», avril 2005.

(2) cf «Libération», 30/3/2005

(3) cf «La république n’éduquera plus», Plon 1994, p. 67.

 

Particommuniste international

www.pcint.org

 

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