Référéndum sur la constitution européenne: une victoire bourgeoise

(«le prolétaire»; N° 477; Juin-Juillet-Août 2005)

 

Après le résultat du référendum, les commentateurs, journalistes et satiristes bourgeois se sont déchaînés contre Chirac qui échouerait dans tout ce qu’il fait, tandis que les partisans du non se félicitaient de la victoire «populaire» qui aurait mis en échec les progrès du «libéralisme», les agissements du capitalisme financier international et la construction anti-démocratique de l’Europe.

On pourrait déjà faire remarquer à ces derniers que les places boursières européennes (et internationales) ne se sont guère rendus compte du coup redoutable qui était porté à la Finance, puisque, impavides, elles ont continué leur hausse après l’annonce de la retentissante victoire du non. Quant à la «construction européenne», cette alliance entre Etats bourgeois , elle va continuer sur la voie que la «Constitution» européenne mort-née voulait symboliser avec emphase. Le fameux «plan B», solution en cas d’échec de la ratification, consiste à «faire entrer en vigueur les innovations les plus consensuelles» de cette prétendue «Constitution» (qui n’en était pas une, puisqu’il n’existe pas de super-Etat européen, mais un accord diplomatique laborieusement négocié); mais comme le disait plaisamment un responsable de la commission européenne: «le cadavre de la Constitution est encore trop chaud. Il faut attendre au moins un an que la bête ait vraiment refroidi pour la dépecer à l’abri des regards» (1): les millions de bulletins de vote négatifs français et hollandais, ne pèsent rien devant les puissants intérêts qui dans la période actuelle poussent les classes dirigeantes européennes, en dépit de leurs divergences sur tels ou tels points, à serrer les rangs face à leurs concurrents impérialistes.

La défaite des partisans du oui, en dépit d’une puissante campagne d’opinion menée par la grande majorité des médias en sa faveur (reflet du haut degré de concentration capitaliste de ce secteur) a représenté sans aucun doute un camouflet pour le gouvernement Chirac-Raffarin - et pour les partis dits «de gouvernement», de gauche ou de droite: PS, Verts, UMP, UDF; nul doute que Blair ait vu dans l’affaiblissement politique de Chirac et de Schroeder un encouragement pour tenter de faire passer des modifications au budget européen lors récent du sommet de Bruxelles.

Le désaveu que leurs électeurs ont infligé au PS et aux Verts est un facteur de déstabilisation de ces partis, mais surtout il pose potentiellement un problème pour l’équilibre et le bon fonctionnement du système politique démocratique bourgeois, c’est-à-dire, en dernière analyse, pour le contrôle politique de la classe ouvrière. La grande force de la bourgeoisie, disait Engels, est de pouvoir se constituer une opposition crédible: cette opposition permet au mécontentement plus ou moins étendu qui est inévitable sous le capitalisme, surtout parmi les prolétaires, d’être canalisé, d’une manière inoffensive pour le système, vers le remplacement du personnel politique, vers le changement des personnages qui sont au sommet, plutôt que vers une lutte réelle, frontale contre le capitalisme et la classe dirigeante. C’est au fond ce qu’exprimait Fabius lorsqu’il expliquait aux dirigeants socialistes et aux bourgeois qu’il faisait campagne en faveur non «pour ne pas laisser le champ libre à l’extrémisme». La bourgeoisie a besoin d’organisations et de partis de gauche puissants, implantés et influents parmi les travailleurs pour contrôler ces derniers. Si le PS, tel qu’il est aujourd’hui, n’arrive plus à jouer ce rôle essentiel que le PCF ne peut plus remplir depuis des décennies, il faudra trouver un réformisme de rechange: les candidats sont nombreux, mais, pour l’heure, divisés et impuissants; l’appel de la soupe est cependant si puissant que les masques tombent; on assiste à de spectaculaires réconciliations et à d’édifiants spectacles: caciques sociaux-démocrates à des meetings de la LCR, déclaration de Besancenot à un meeting du PCF selon laquelle son organisation est prête à entrer dans un gouvernement de gauche, flirt de Fabius (qui à un moment avait postulé pour être nommé à la tête du FMI) avec José Bové et les altermondialistes...

 

La victoire de l’électoralisme est la défaite des prolétaires

 

Au-delà du résultat immédiat du scrutin, le référendum a fonctionné à merveille comme diversion à la lutte prolétarienne, et, à ce titre, il a constitué pour la bourgeoisie une grande victoire, une victoire sans aucune mesure avec les désagréments causés par la défaite du oui. Alors que les élections européennes sont en général marquées par un fort taux d’abstention, les électeurs ayant conscience qu’elles ne servent à rien, ce référendum a connu une forte participation (pratiquement égale à celle du référendum sur Maastricht: presque 70%) qui tranche y compris avec les fortes abstentions des dernières consultations électorales. Les syndicats, le PCF, l’extrême-gauche (des trotskystes aux anarchistes, en passant par ce qui reste du maoïsme) ont fait tous leurs efforts pendant de long mois pour persuader les prolétaires que leur sort dépendait au moins en partie de l’issue de ce référendum; ils ont fini par les convaincre que leur adversaire était ce projet constitutionnel qui, s’il était adopté, allait ouvrir la voie à des attaques générales contre leurs conditions de vie et de travail: comme si l’exploitation capitaliste dépendait d’un chiffon de papier, comme si elle était déterminée par des textes législatifs et des bulletins de vote! C’est bien la mortelle illusion réformiste, légaliste, démocratique qu’ils se sont tous employés à diffuser avec enthousiasme.

Il ne s’agissait plus pour les travailleurs de lutter ou de se préparer à lutter contre leurs patrons, contre leurs capitalistes, leur gouvernement et leur Etat, contre les attaques quotidiennes que leur infligent ces derniers, mais de se préparer... à voter contre les futures attaques hypothétiques ourdies par des forces étrangères et supranationales: c’est bien le poison du nationalisme qui se trouvait dans cette propagande collaborationniste en faveur de la défense des services publics à la française et du modèle social français.

Si la participation électorale été forte, il faut aussi constater que l’abstention a été non négligeable parmi les travailleurs. Selon les enquêtes, le pourcentage d’abstentionnistes a été le plus élevé parmi les couches les plus prolétariennes, parmi les chômeurs, les précaires, les «exclus»: sans qu’il faille bien sûr y voir une adhésion politique aux thèses abstentionnistes révolutionnaires, il est évidemment compréhensible de façon matérialiste que  les éléments les plus exploités, les moins «intégrés» dans la société, les moins emprisonnés dans le réseau des amortisseurs sociaux et des filets de la collaboration des classes, sont aussi ceux qui sont le moins intégrés dans le système politique bourgeois et ceux sur qui la propagande bourgeoise sur les bienfaits du système social français a du mal à prendre!

L’influence bourgeoise sur la classe, directe ou par l’intermédiaire du collaborationnisme politique et syndical, a reposé et repose encore sur des bases matérielles bien réelles, mais que cependant les difficultés économiques contraignent le capitalisme à réduire peu à peu mais inexorablement, par les «réformes» qui se succèdent les unes aux autres. Il ne s’agit pas de rêver à l’impossible retour d’un âge d’or du capitalisme (qui en réalité n’a existé que pour les bourgeois), humain, démocratique et social comme le font les réformistes de tout poil, mais de comprendre que le capitalisme lui-même travaille objectivement à la réapparition de grandes flambées de luttes entre les classes en durcissant ses attaques antiprolétariennes.

En début d’année les directions syndicales s’étaient senties obligées d’organiser des journées d’action et des manifestations où s’exprimait, à leur corps défendant, une certaine combativité, afin de laisser s’exprimer le mécontentement croissant des travailleurs. Mais en même temps elles poussaient à la diversion référendaire (avec l’appui des syndicats contestataires SUD ou CNT) et dès que celle-ci commença à prendre parmi les masses, elles mirent fin avec soulagement à ces journées et à ces manifestations: faire semblant de lutter, ce qui comporte toujours le risque d’être pris au mot, n’était plus nécessaire puisqu’il fallait voter...

Le référendum a eu ainsi comme premier résultat de donner à la bourgeoisie française quelques mois de trêve sociale bien utile alors que commençaient à s’accumuler les nuages sur ce front à la suite de la dégradation des conditions de travail, de l’augmentation de la précarité et de la hausse du chômage.

La victoire du non, du fameux «non de gauche» en particulier (voire du «non de classe» pour les plus exaltés des électoralistes), a-t-elle au moins en quelque façon fait reculer ou freiné les capitalistes, ou à défaut mis les prolétaires dans une meilleure position pour les combattre? Il n’en a rien été. Le nouveau gouvernement, censé avoir entendu «les demandes des français» et mis en place pour y répondre, est, comme son prédécesseur, un gouvernement de lutte antiprolétarien qui répond aux demandes des patrons et des capitalistes et pas aux bouts de papier déposés dans les urnes. Sous le prétexte de la lutte contre le chômage, il pousse à une précarisation accrue des travailleurs (d’abord dans les petites entreprises, mais c’est un début), il s’attaque aux chômeurs (quoique pas de façon aussi sévère que le préconisait à dessein le MEDEF, ce qui permet aux syndicats de se dire soulagés), il tend à durcir le contrôle de l’immigration et à faire la chasse aux sans-papiers - au nom de la défense du travailleur français face à la concurrence du travailleur étranger! Toutes ces mesures, que le gouvernement entend en outre mettre en application très rapidement, par la voie des ordonnances, ne pouvaient susciter aucune réaction d’une classe ouvrière anesthésiée par l’opium électoral et désarmée par ceux qui criaient à sa victoire dans les urnes...

Le bilan de cette campagne référendaire et du référendum lui-même est la démonstration pratique des thèses anti-électoralistes marxistes: la trompeuse voie électorale (selon laquelle ce sont les bulletins de vote qui déterminent la politique des Etats et les modalités de l’organisation économique), l’illusoire terrain démocratique (où tous les individus seraient égaux), ne servent qu’à la bourgeoisie.

S’il veut se défendre, défendre ses intérêts de classe, le prolétariat ne doit pas se placer sur ce terrain et utiliser cette voie, mais rompre avec lui et se placer sur le terrain de la lutte entre les classes, utiliser la voie de l’organisation exclusive de classe, sur le plan de la défense immédiate comme sur le plan politique (parti) dans la perspective de la lutte directe contre la classe ennemie, son mode de production et tout son système politique, institutions et partis divers!

 

 


 

 

(1) «Le Figaro», 18-19/06/2005

Particommuniste international

www.pcint.org

 

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