Famine et lutte contre la vie chère au Niger

(«le prolétaire»; N° 477; Juin-Juillet-Août 2005)

 

Les règles du marché condamnent des millions de paysans pauvres à la famine

 

Le Niger, pays enclavé du Sahel, ancienne colonie française où la majorité des 12 millions d’habitants vit à la campagne, souvent d’une agriculture de simple subsistance, est sous les feux de l’actualité à cause d’une famine meurtrière qui y sévit dans certaines régions; ces derniers jours une association humanitaire dirigée par l’ancien ministre socialiste Kouchner a lancé à grand bruit une opération charitable, avec l’aide de l’armée française qui a décidé de convoyer gratuitement les dons. Pour les soldats français il s’agit d’une bien utile opération de relations publiques destinée à redorer leur blason terni par les massacres de Côte d’Ivoire.

En réalité cela fait près d’un an, à la suite des mauvaises récoltes, que le gouvernement nigérien avait été prévenu du risque quasi certain d’une famine; il n’a rien prévu pour la prévenir et a même longtemps essayé de la dissimuler: le sort des paysans misérables comme celui des prolétaires est le cadet des soucis de tout gouvernement bourgeois, africain ou non et il n’était évidemment pas question de porter atteinte à la sacro-sainte propriété par exemple en réquisitionnant des stocks de nourriture. Lorsqu’il ne fut plus possible de cacher la réalité, il ne restait plus au gouvernement qu’à faire appel à la charité internationale.

Mais cette aide tarde à venir, les fonds d’aide d’urgence restant bloqués malgré les beaux discours de l’ONU et autres structures internationales de brigandage impérialiste, car l’Etat nigérien est incapable de payer le prix demandé par le «Programme Alimentaire Mondial» (il n’a pu trouver que le tiers des 13 millions d’euros exigés par le P.A.M.): tout se paye, même les dons humanitaires, dans notre beau monde capitaliste!

La cellule de crise alimentaire que le gouvernement mit en place pour vendre à moitié prix les stocks de céréales de l’Etat et distribuer les sacs de riz offerts par le Japon et autres, est en outre utilisée par toute une série de profiteurs pour faire des affaires fructueuses plutôt que pour aider véritablement les affamés.

Selon le président de Médecins Sans Frontières, de retour du Niger: «Les autorités nigériennes, main dans la main avec les gros commerçants ont donc estimé que si on distribuait de la nourriture gratuitement on allait aggraver la situation et déstabiliser le cours du mil. Ils ont bloqué jusqu’à mi-juillet cette décision, avec l’aval, au passage, de l’Ambassade de France, de l’Union européenne et des Nations Unies qui, tous, préconisaient les ventes à prix modérés. (...) Au Niger, on vend l’aide d’urgence à des populations qui n’ont pas les moyens de l’acheter» (Libération, 22/7/2005).

Les Autorités nigériennes comme les puissances impérialistes et les organisations internationales ont en effet comme impératif: «le respect maximum des règles du marché»: «Conséquence, beaucoup de familles insolvables n’ont pu se procurer de quoi manger». L’aide alimentaire n’aurait touché ainsi que 20% des populations qui en auraient eu besoin. 3,5 millions de personnes seraient menacées de crever de faim pour que les règles du marché - c’est-à-dire les intérêts des gros commerçants et des gros producteurs sans parler des intermédiaires divers, bref des bourgeois, ne soient pas lésés!

 

La lutte contre la vie chère trahie par le collaborationnisme

 

Le gouvernement avait un problème qui le préoccupait davantage: comment rétablir les finances de l’Etat. La solution qu’il a trouvée, avec la bénédiction de la Banque Mondiale et du FMI, c’est faire payer les pauvres! C’est ainsi qu’il décida l’augmentation drastique de la TVA, cet impôt qui frappe davantage les plus pauvres; elle fut portée en début d’année à 19 %, soit le maximum au sein des Etats membres de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine, pour revaloriser de 12 % le budget initial de 2005 et le porter de 401 à 450 Milliards de F CFA. Cette hausse (qui contredisait les promesses électorales d’amélioration des conditions de vie des Nigériens), inclut les produits de première nécessité pour la population, après l’eau et l’électricité déjà frappés à ce taux depuis le premier janvier (l’eau l’étant maintenant à partir de 15 m3 au lieu de 25 et l’électricité à partir de 50 KW au lieu de 150). Le sac de riz de 100 kg passe ainsi de 12.500 à 17.500 F CFA, le paquet de lait en poudre (alors que l’eau courante n’est pas accessible à 40 % de la population dans ce pays) de 1.000 à 1.300 et les 250 g de pain de 150 à 180 F CFA; en outre les commerçants en ont évidemment profité pour accroître leur marge bénéficiaire en augmentant encore davantage les prix, après qu’ils aient subi aussi des augmentations d’impôts sur les bénéfices et les patentes.

Devant le mécontentement général, des associations de consommateurs, syndicats et organisations diverses, constituent une Coalition Contre la Vie Chère; une manifestation est décidée pour le 15 mars. Ce jour-là, 100.000 personnes manifestent dans les principales villes du pays, dont 20.000 dans la capitale, Niamey, en direction de l’Assemblée Nationale; les slogans officiels sont de type démocratique du style «l’eau est un droit constitutionnel au Niger», mais d’autres plus spontanés s’en prennent au gouvernement et aux députés.

La répression des forces de l’ordre, avec du matériel made in France, est immédiate. A Niamey, 47 manifestants sont arrêtés dont des leaders de la CCVC, inculpés de «violences et voies de faits» et de «dégradation de biens publics». A Zinder, des affrontements avec la police ont lieu. Le gouvernement n’entend pas céder et le ministre des Finances affirme qu’«il n’y a pas mille manières de chercher de l’argent»: il est évident que pour les bourgeois, il faut faire payer les masses laborieuses. Les manifestations sont interdites.

Mais la Coalition appelle alors à la grève générale et à une «journée villes mortes» le 22 mars avec succès. En effet, à Niamey, les banques et les grandes entreprises n’ont pu fonctionner, les 3 grands marchés et la presque totalité des magasins sont restés fermés et même les vendeurs ambulants n’ont pas travaillé; à Zinder les fonctionnaires ont fait grève, les commerces ont baissé leurs rideaux et les taxis n’ont pas circulé. Mais la répression va s’accroître avec de nombreuses arrestations de leaders et de manifestants.

Le 5 avril, une nouvelle journée de manifestations, de grèves et de meetings malgré la répression (de nombreuses arrestations ayant eu lieu après la journée du 22 mars) et les interdictions. Mais si le régime joue la montre, il n’est pas trop serein car, le lendemain, le président Tandja doit s’adresser à la nation, fait exceptionnel puisque, depuis qu’il est au pouvoir, il ne l’a fait qu’une fois: à la suite de mutineries de soldats dans des garnisons de Niamey et Diffa. Lors de son intervention, s’il veut bien reconnaître en parole le droit de manifester, il dénonce le mouvement comme une «menace pour l’Etat» et qualifie ses leaders de «dangereux extrémistes». Tout le problème viendrait du ministre des Finances qui aurait mal expliqué les causes de l’augmentation de la TVA!.

Le même jour, comme par hasard, le patronat quitte le «comité de vigilance» mis peu auparavant en place par le régime, un comité de collaboration des classes où se trouvaient des membres du gouvernement, de l’opposition, du patronat, des syndicats et de... la CCVC, censé discuter entre «partenaires sociaux» d’autres moyens pour trouver l’argent nécessaire au budget de l’Etat. Se sentant en position de force, les capitalistes ne voient plus d’intérêt à continuer cette comédie. Mettant à la trappe la revendication de retrait des mesures gouvernementales, la CCVC appelle à de nouvelles manifestations le 9 avril pour défendre le droit de manifester, la liberté de la presse, la fin de la chasse aux sorcières et la libération des prisonniers. 15.000 personnes manifestent à Niamey et des manifestation ont lieu dans d’autres villes parfois avec des affrontements comme à Agadez (25 arrestations).

Mais la Coalition et les partis d’opposition ont hâte de voir se terminer au plus vite cette agitation qui risque de «dégénérer». Malgré la répression et l’arrestation des éléments les plus combatifs, ou plutôt grâce à cette répression, la CCVC accepte dès le lendemain de signer l’arrêt du mouvement après négociation avec le gouvernement, qui est soutenu par tous les partis d’opposition.

Si certains produits de première nécessité ainsi que l’eau et l’électricité sont pour le moment exclus des hausses, le taux de TVA reste maintenu à 19%.

Si le gouvernement été indéniablement contraint de faire des concessions pour calmer le mécontentement, les travailleurs et les masses nigériennes auraient tort de croire que ces concessions sont autre chose que temporaires.

Mais ils doivent surtout se rendre compte que les dirigeants de la CCVC ont en réalité vendu la lutte au moment même où elle pouvait prendre une ampleur menaçante pour la bourgeoisie: c’est bien pourquoi partis gouvernementaux comme d’opposition étaient tous unis pour faire arrêter au plus vite la lutte. Comme partout, les forces collaborationnistes ne peuvent être du côté des prolétaires. La CCVC s’est d’ailleurs bien gardée de mettre dans ses revendications la revalorisation des salaires bloqués depuis 1984 (!), et même diminués de 10 à 30 % chez les fonctionnaires depuis l’arrivée de Tandja. Le salaire minimum pour un prolétaire tourne autour de 30.000 F CFA. Les fonctionnaires de base gagnent à peine plus; mais les catégories plus élevées touchent jusqu’à 200 000 F CFA, soit le double d’un médecin. Par contre, un député gagne 1,5 millions de F CFA, un ministre quasiment autant, Tandja 9 millions de F CFA, le président de l’Assemblée Nationale 10 millions et le premier ministre 12 - ceci bien entendu, sans les bakchichs divers et les trafics en tout genre qui sont l’apanage de ces personnages et qui constituent l’essentiel de leurs revenus.

Les prolétaires nigériens ont su manifester leur mécontentement en dépit des intimidations et de la répression des autorités.

Pour résister aux attaques de la bourgeoisie nationale et de ses parrains impérialistes (au premier rang desquels se trouve la France qui a la haute main sur les quelques richesses du pays, à commencer par l’uranium dont le Niger est le troisième producteur mondial et dont elle accapare les deux tiers de la production), pour ne pas que leurs luttes soient détournées, il leur faudra rompre avec le collaborationnisme et s’organiser pour la défense de leurs seuls intérêts de classe: mais c’est un problème que devront résoudre les prolétaires de tous les pays.

 

 

Particommuniste international

www.pcint.org

 

Retour sommaires

Top