Le rôle du PCF dans la répression coloniale

(«le prolétaire»; N° 477; Juin-Juillet-Août 2005)

 

Dans le précédent n° du «Prolétaire» nous avons rappelé comment en mai 45 le PCF, alors au gouvernement, avait approuvé la répression sanglante contre les populations algériennes du Constantinois et contre les militants des partis anticolonialistes algériens (certains membres locaux du PC algérien participant même aux massacres de civils désarmés). 

Nous écrivions que cinquante ans après, ce parti, voué corps et âme à la défense de l’impérialisme français, cachait toujours la réalité de son soutien aux crimes coloniaux. Pour le cinquantième anniversaire de l’insurrection de la Toussaint 54, Marie-Georges Buffet affirmait ainsi sans honte dans un discours: «Lorsqu’éclate l’insurrection (...) seul le PCF, comme force politique, marqué par un combat anticolonial identitaire, est engagé dans le mouvement qui conduira à l’indépendance. (...) Le sens que donnaient alors les communistes à leur action était d’agir avec des mots d’ordre contre le colonialisme, susceptibles de faire réfléchir et des rassembler largement, et si possible des majorités. Rassembler pour la paix en Algérie parce que refuser la guerre c’était indissociablement exiger comme alternative une solution politique négociée avec les Algériens (...)».

Le mensonge est flagrant, en dépit des contorsions du discours: lorsqu’éclate l’insurrection et pendant de nombreuses années encore, le PCF est en réalité engagé, non dans le soutien à l’indépendance, mais dans le soutien à la domination coloniale dans le cadre d’une «Union Française» évidemment démocratique, etc; il donne son appui au gouvernement colonialiste de Guy Mollet qui intensifie la guerre en Algérie; il fait tout son possible - et il y réussit malheureusement - pour empêcher toute union entre prolétaires français et algériens et s’oppose à toute action de sabotage ou d’opposition réelle à la guerre.

Et quand, la guerre devenant de plus impopulaire, il se décide à mobiliser les masses, c’est uniquement pour «la paix» et «la négociation». Il finira donc, comme c’était logique, par soutenir de Gaulle, le négociateur de la paix avec le FLN et le sauveur de la République face aux «ultras» de l’OAS...

«Bien sûr», reconnaissait benoîtement la dirigeante du PCF, «il y eut des succès et des échecs, des hésitations et des débats (...) des erreurs» - la seule indiquée étant le vote des «pouvoirs spéciaux» à Guy Mollet (qui s’en servit immédiatement pour rappeler les réservistes); mais, concluait-elle, «de ce combat, avec la lucidité qu’il impose, nous pouvons être fiers» (1). Sans commentaires...

En raison de l’importance donnée par les médias au soixantième anniversaire des massacres du Constantinois après les déclarations de l’ambassadeur de France en Algérie, le PCF a été cependant contraint de présenter une défense un peu plus argumentée; nous ne sommes plus à l’époque du stalinisme triomphant où il suffisait de dénoncer comme provocateurs tous les critiques. Le PCF a fait appel à l’«historien Alain Ruscio», qui a l’avantage de présenter une apparence impartiale et objective, quasiment scientifique! Mais cette apparence s’écroule aussitôt.

 L’individu vient de commettre un énorme pavé, «La question coloniale dans “L’Humanité” (1904 - 2004)», où il a reproduit une sélection d’articles du journal sur ce sujet. On peut sans doute y retrouver quelques uns des articles les plus pro-colonialistes (mais aucun article par exemple sur les interventions militaires impérialistes à l’époque récente des gouvernements de gauche); mais tout en étant condamnés ou déplorés par l’auteur, ces articles sont toujours soigneusement encadrés d’une présentation et de notes qui s’emploient à les excuser ou à les présenter comme des «erreurs» en contradiction avec la position réelle du parti.

Donnons une illustration: la démolition à coups de bulldozer d’un foyer de travailleurs immigrés par des militants du PCF à Vitry en 1980 est ainsi présentée comme une erreur: «en s’accrochant, pour le moins maladroitement (sic!), à la thèse de la machination anticommuniste (...) le PCF a commis une erreur politique... qui lui a coûté cher. C’est pour longtemps l’image d’un PC fraternel, internationaliste (re-sic!) qui a été écornée. La façon violente dont les directions locale, fédérale, (probablement) nationale ont traité un problème, à l’origine réel (re-re-sic!), a détruit des années d’efforts antiracistes (!!!) en particulier dans la communauté immigrée ou issue de l’immigration et auprès de la jeunesse radicale. La généralisation est certes injuste».

Il ne s’agissait pas de maladresse ou de méthode mauvaise pour traiter un «problème réel», mais de la traduction pratique du social-chauvinisme pour qui les travailleurs étrangers sont effectivement un problème et un danger, social-chauvinisme dont le PCF a été l’incarnation et le propagateur principal au cours de ses trop longues années d’efforts antiprolétariens.

Pour ce qui est du soutien du PC à la répression dans le Constantinois, elle est relativisée dans son livre par Ruscio (qui invoque aussi la faiblesse de l’information disponible par «L’Humanité») avec un jésuitisme que nous laissons le lecteur apprécier: «Le journal communiste adopte une thèse habituelle pour l’époque. La France nouvelle est en train de l’emporter avec l’aide des alliés. Toute opposition à cette marche en avant ne peut être que le fruit d’un complot ourdi par les derniers partisans, avoués ou honteux, du fascisme. (...). La sécession serait, dans les conditions du moment, un drame. Seuls les vichystes y pensent. En Algérie, le PCF semble craindre par dessus tout, alors, que cette région serve de base à une contre-attaque de la réaction. Le 25 février 1945, le quotidien communiste titre: “l’Algérie deviendra-t-elle la Vendée de la France nouvelle?”. Le parallèle avec la République naguère menacée par les royalistes, avec l’aide de l’étranger, est édifiant».

Bien évidemment, le PCF ne croyait pas le moins du monde à la menace d’une Vendée algérienne, à des complots ourdis par des crypto-fascistes - parmi les victimes du colonialisme ! - pour s’opposer à ce qui aurait été une nouvelle révolution nationale française. Ce n’étaient là que des arguments de grossière propagande pour faire passer auprès des prolétaires sa défense de l’impérialisme et du colonialisme français, rebaptisés dans le jargon stalinien du moment «la France nouvelle» et pour combattre les velléités des masses algériennes à entrer en lutte pour leur émancipation en les accusant de faire le jeu du fascisme.

 

*   *   *

 

Dans «L’Humanité» du 9 mai, Ruscio, appelé à la rescousse, présente donc sa défense du PCF: «Dans la longue série des luttes des communistes contre le colonialisme français, il est des moments forts, inscrits désormais dans l’histoire du pays (?), de la guerre du Rif à l’encadrement des premiers mouvements d’immigrés, en passant par les guerres de décolonisation. Mais il subsiste de grands points d’interrogation de cette histoire. Dont l’attitude lors de la tragédie de mai 1945 en Algérie. Les communistes ont-ils bien saisi la nature du drame, l’ont-ils analysé pour ce qu’il était, comme un crime colonial? On sait bien que non».

Remarquons que jusqu’à présent, ni les lecteurs de «l’Humanité», ni les auditeurs de Mme Buffet n’en savaient rien! D’autre part si lors de la guerre du Rif (Maroc) en 1925, le PCF, non sans hésitation et sans oscillations, mena effectivement une campagne anticolonialiste, ce ne fut là qu’un épisode exceptionnel dans son histoire. Dans le cadre de l’alliance de Front Populaire avec le Parti Socialiste et le Parti Radical, le PCF abandonna du jour au lendemain l’anticolonialisme (qui avait été stipulé comme une obligation par l’Internationale communiste des premières années). Il rompit avec l’Etoile Nord-Africaine (ENA), l’ancêtre des organisations indépendantistes algériennes, mais à base prolétarienne et née sous ses auspices, parce que celle-ci ne renonçait pas à son agitation anticoloniale. Après la victoire du Front Populaire, le PCF mena campagne contre l’ENA, qui avait pourtant adhéré à ce dernier et mis en conséquence en sourdine ses positions indépendantistes: la Conférence nationale du PC de fin 36 appelait à la répression contre l’ENA. Il accepta donc sans broncher la dissolution de celle-ci par le gouvernement Blum en janvier 37. Le 27 août de la même année, Messali Hadj et d’autres dirigeants de l’ENA qui avaient constitué une nouvelle organisation, le Parti du Peuple Algérien, étaient arrêtés: le PCF salua cette répression d’ «auxiliaires du fascisme», collaborant «avec les fonctionnaires et maires fascistes» pour mener «leur oeuvre de division du peuple algérien qu’ils voulaient dresser contre le peuple de France» (2). Dans d’innombrables déclarations le PCF affirma la nécessité de maintenir l’union des colonies avec la France (position qu’il maintiendra pratiquement jusqu’à ce que les indépendances aient été arrachées dans le sang par les révolutions anticoloniales) ce qui fit dire à un militant communiste algérien: «le danger de la pénétration d’une idéologie nationaliste dans le parti est possible, mais ce qui est certain, c’est qu’avec le Front Populaire, le préjugé colonialiste est entré réellement dans le parti» (3).

Il n’en sortira plus. Ce sont les mêmes arguments et les mêmes calomnies, les mêmes appels à la répression et les mêmes soutiens à celle-ci qui seront employés par le PC après la guerre, comme nous l’avons vu dans le précédent article: son attitude face aux évènements du Constantinois est la traduction de son orientation pro-impérialiste déjà dénoncée une décennie auparavant par les militants anticolonialistes algériens, attitude criminelle qui rejetait les prolétaires algériens dans les bras de leur bourgeoisie nationale.

Ruscio serait bien en peine de justifier tout cela; il préfère donc faire le silence pour se concentrer sur un point de détail: l’accusation selon laquelle Tillon, ministre PCF de l’aviation au moment de la répression du Constantinois, serait responsable des bombardements aériens contre les villages algériens. Nous n’avions pas repris cette accusation dans notre article, car il s’agissait du ministère de l’aviation civile et non du ministère des Armées (un des ministères de «souveraineté», comme la police ou les Affaires étrangères que la bourgeoisie n’a jamais voulu laisser entre les mains de son valet stalinien): la question de la complicité politique du PCF avec la répression était de toute façon suffisamment établie par le seul fait de la participation à ce gouvernement, à quelque poste que ce soit.

Mais Ruscio entend démontrer la non culpabilité de Tillon dans les bombardements et pour cela il produit triomphalement un témoignage tiré des archives du PCF: le 18 mai 45, Marty, membre de la direction du PC (Bureau Politique), affirme à une réunion du Comité Central: «Hier à 6 heures du soir nous avons fait prévenir le ministère de l’Air et son chef de cabinet, membre du parti, que l’aviation en Algérie était en train de bombarder et mitrailler depuis 10 jours (...) et que la majorité des 6000 morts arabes étaient dus à l’aviation française. Or le ministre ne le savait pas parce que les télégrammes envoyés ne lui étaient pas remis, de manière que le ministre ne puisse pas intervenir...».

Que prouve en réalité ce témoignage, sinon que selon les déclarations même des dirigeants du PCF, les bombardements étaient bien au moins en partie de la responsabilité du ministère Tillon, puisque celui-ci aurait pu intervenir à leur sujet?

Mais l’aveu véritable se trouve dans la fin de la phrase: «...alors que le gouvernement avait décidé que l’aviation devait simplement servir comme démonstration et sans tirer»: la décision de faire intervenir l’aviation (et probablement en même temps de la Marine et de l’Armée) avait donc été prise en parfaite connaissance et en commun accord par tous les membres du gouvernement, ministres du PCF compris!

L’explication selon laquelle le gouvernement aurait décidé de faire donner les chasseurs bombardiers de l’armée de l’air sans qu’ils tirent ni bombardent (véritable fable pour enfants!) était à l’évidence une version destinée à prévenir les doutes éventuels des cadres du PCF sur la responsabilité de leur parti dans les atrocités de la répression; preuve en est, si besoin, dans le fait qu’apparemment, Marty n’a pas protesté dans cette même réunion contre les actions de la Marine et de l’Armée, en affirmant que le gouvernement avait décidé que les navires tirent à blanc ou que les soldats se contentent de défiler en fanfare devant les populations...

Non seulement donc le PCF avait appelé publiquement à «châtier impitoyablement» les auteurs des émeutes du Constantinois, comme le sait bien qui lit autre chose que «l’Humanité», mais Ruscio nous donne la preuve qu’il a participé à l’organisation de la répression qui devait faire des dizaines de milliers de mort!

En juillet 1919, au moment de la fondation de l’Internationale communiste, Lénine écrivait:

«On ne saurait tolérer que certains condamnent l’impérialisme en paroles, et qu’en fait ils ne mènent pas une lutte révolutionnaire pour affranchir les colonies (et nations dépendantes) de leur propre bourgeoisie impérialiste. C’est de l’hypocrisie. C’est la politique des agents de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier. Les partis [socialistes - NdlR] anglais, français, hollandais, belge, etc. hostiles à l’impérialisme en paroles, mais qui en réalité n’engagent pas une lutte révolutionnaire à l’intérieur de «leurs» colonies pour renverser «leur» bourgeoisie, qui n’aident pas systématiquement le travail révolutionnaire, déjà amorcé partout dans les colonies, qui n’y introduisent pas des armes et de la littérature pour les partis révolutionnaires des colonies, ces partis sont des partis de gredins et de traîtres» (4).

Le PCF et ses ministres «introduisaient», eux, les armes et les soldats de l’impérialisme pour réprimer les insurgés. Comment les qualifier autrement que le faisait «l’Ouma», organe de l’ENA, en 1937: «vous avez pris la place de l’impérialisme et vous êtes devenus des chauvins de la pire espèce, alliés du colonialisme!» (5).

 


 

(1) «L’Humanité», 1/11/2004.

(2) «L’Humanité», 26/8/37, cité dans «Le Mouvement social» n°78 (janvier-mars 1972)

(3) Cité (pour s’en indigner) par les «Cahiers du Bolchevisme», organe théorique du PCF, mars 1939. Ibidem.

(4) Oeuvres, tome 29, p. 510.

(5) «Ils nous ont trahi», n° spécial «La dissolution de l’Etoile Nord Africaine». cf «L’ENA. 1926-1937» Ed. O.N.I, Alger 1984, p. 83.

 

Particommuniste international

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