Les taches multiformes et indissociables du parti de classe

(«le prolétaire»; N° 483; Janvier-Avril 2007)

 

L’article synthétique mais efficace sur les tâches fondamentales du parti de classe que nous reproduisons ci-dessous, a été publié en juin 81 sur «El Comunista», alors organe du parti en Espagne. Son objectif était d’indiquer aux  jeunes éléments qui se rapprochaient du parti les orientations classiques du marxisme sur ce point. Il n’est pas inutile de les rappeler aujourd’hui.

 

Dès l’origine le marxisme a défini les objectifs propres du Parti communiste avec une netteté exemplaire. Le Manifeste de 1848 l’exprime de façon synthétique comme pour le graver dans l’esprit des esclaves salariés: constitution du prolétariat en classe, donc en parti; renversement de la domination bourgeoise; conquête du pouvoir politique. Il est inutile de rappeler longuement que pour les marxistes ce renversement présuppose la guerre civile et que ce pouvoir politique ne peut exister que sous la forme de la dictature du prolétariat.

72 ans plus tard, réagissant à la dégénérescence social-démocrate et à l’apolitisme anarcosyndicaliste, le IIe Congrès de l’Internationale Communiste affirme tout aussi lapidairement, dans son manifeste rédigé par Trotsky: la IIIe Internationale est le parti de l’insurrection violente et de la dictature du prolétariat..

Par conséquent, on adhère au parti communiste pour forger l’organe politique qui se propose de diriger l’insurrection armée et la dictature prolétarienne. Pour le marxisme, la révolution n’est pas ce Grand Soir rêvé par les anarchistes et les syndicaliste révolutionnaires qui nient la nécessité du parti et de l’Etat prolétarien. La révolution sera toute une période historique d’avancées et de reculs, d’insurrections battues et victorieuses, de guerres civile et de guerres révolutionnaires dont la question centrale sera celle de la conquête et de l’exercice dictatorial du pouvoir politique.

L’insurrection elle-même n’est qu’un moment - essentiel, sans aucun doute - de la guerre des classes. Ses conditions objectives sont fournies par une profonde crise sociale (c’est-à-dire par un développement intense de la lutte de classes) produite par une poussée révolutionnaire dans les couches les plus larges du prolétariat qui a entraîné une crise politique générale de la domination bourgeoise d’une ampleur telle que le pouvoir commence à échapper aux mains de la classe capitaliste. Ses conditions subjectives sont données par  l’existence d’un parti communiste doté d’une claire vision programmatique, fortement centralisé et discipliné, qui ait su conquérir une influence déterminante sur les secteurs les plus combatifs de la classe; et par la ferme volonté dans le parti et dans les couches décisives du prolétariat (et des soldats) de se lancer dans la lutte finale pour la conquête du pouvoir.

La préparation de la révolution est donc la préparation du parti et, par son intermédiaire, des masses aux tâches suprêmes de la guerre de classe.

 

Trois fronts d’une lutte unique

 

Engels a écrit dans un passage célèbre que le parti a trois tâches permanentes: théorique, politique et économico-pratique (de résistance aux capitalistes). En 1926, la Gauche communiste définissait dans les Thèses de Lyon ces trois tâches de la façon suivante:

«L’activité du parti (...), toujours et dans toutes les situations, doit se développer simultanément dans ces trois directions:

a) Défendre et préciser en fonction des faits nouveaux qui se produisent les postulats fondamentaux du programme, c’est-à-dire la conscience théorique du mouvement de la classe ouvrière:

b) Assurer la continuité de l’organisation du parti et son efficacité, et la protéger des influences extérieures contraires à l’intérêt révolutionnaire du prolétariat;

c) Participer activement à toutes les luttes de la classe ouvrière, même suscitées par des intérêts partiels et limités, pour encourager leur développement, mais en les reliant constamment aux buts finaux révolutionnaires, en présentant les conquêtes de la lutte de classe comme des voies d’accès aux luttes futures indispensables, en dénonçant le danger de se replier sur des réalisations partielles comme si elles étaient des fins en elles-mêmes (...)» (1)

 

La lutte théorique et politique

 

L’activité théorique du parti est une condition fondamentale de la révolution: sans théorie révolutionnaire, il ne peut pas y avoir de mouvement révolutionnaire. La détermination scientifique des buts finaux; l’acquisition et la défense des principes du communisme, c’est-à-dire des objectifs généraux à atteindre pour donner naissance à la nouvelle société; la compréhension de la dynamique de la lutte des classes pour y insérer l’action consciente du parti (autrement dit, la tactique) capable d’assurer la capacité révolutionnaire de la classe par delà les flux et reflux des victoires et des défaites; tout cela exige l’analyse constante des événements à la lumière du marxisme et la pleine possession de la théorie marxiste. La lutte théorique traduit la conscience du parti qu’il serait antimarxiste de vouloir trouver dans la conscience individuelle de chaque militant, de la même façon que la compréhension de la stratégie militaire n’est pas le fait de tous les officiers et tous les soldats d’une armée. La théorie est la boussole du parti révolutionnaire sans laquelle il ne peut y avoir que le grossier empirisme de l’opportunisme qui se nourrit de l’idéologie de l’ennemi de classe.

La lutte politique, dans la mesure où elle peut se distinguer de la lutte théorique et revêtir une physionomie propre, s’exprime dans l’activité du parti qui gravit historiquement les échelons: a) de la propagande des principes du communisme et des conclusions de la doctrine par rapport aux expériences concrètes, en opposition aux autres partis et forces des classes ennemies et du prosélytisme; b) de la conquête d’une influence politico-organisative croissante sur les masses combatives de la classe, tendant à en subordonner les luttes aux objectifs révolutionnaires et à leurs exigences générales; c) de l’insurrection armée et de l’instauration et direction du nouveau Etat de classe. C’est dans cette activité spécifique et caractéristique que se matérialise la raison d’être du parti. Sans elle - et, aujourd’hui, en l’absence même du premier niveau - on ne peut parler ni de parti, ni d’action de parti.

 

La participation aux luttes partielles

 

La participation active aux luttes partielles de la classe ouvrière, et en particulier à la lutte syndicale, constitue un des terrains d’action du parti, bien qu’il ne s’agisse pas d’une activité caractéristique de celui-ci. Ce qui, sur ce terrain, distingue les communistes, ce n’est pas le fait de participer à la lutte syndicale (ouverte par principe à tout prolétaire indépendamment de ses positions politiques), ni d’y participer de telle ou telle façon; c’est le fait d’y prendre part pour renforcer la conviction que dans la société bourgeoise il ne peut y avoir de conquêtes stables, et pour rappeler la nécessité de faire de la guérilla permanente contre le capital, une école de guerre du communisme (mais l’école de guerre n’est pas la guerre elle-même!).

Au moyen de cette participation, le parti peut compléter par sa propagande les leçons de l’expérience, gagner de nouveaux prosélytes et étendre son influence politique et organisative parmi les masses les plus larges de la classe. Réciproquement, cette participation est un facteur de renforcement des organisations immédiates et une garantie de leur maintien sur la voie de la lutte de classe.

Mais s’il est vrai que les communistes participent aux luttes économiques et qu’ils sont historiquement en mesure de leur donner leur potentialité maximum en les intégrant dans la lutte révolutionnaire, la réciproque n’est pas vraie: on n’adhère pas au parti communiste du simple fait d’être un militant syndical, même très combatif. Le militant syndical lutte pour des objectifs spécifiques de caractère économique (salaire, temps de travail, etc.). Le militant communiste en tant que tel inscrit sa lutte dans celle d’une organisation qui combat pour la conquête du pouvoir.

 

Le travail organisatif

 

Un aspect essentiel de la lutte des militants communistes est le travail organisatif. Toute guerre - et en particulier la guerre des classes - implique l’organisation, depuis l’état-major jusqu’au détachement, des communications aux moyens de subsistance, des finances jusqu’au service d’information et de contre-espionnage. De même, le parti présuppose une organisation apte au combat sur tous les terrains de la guerre sociale, avec ses structures publiques et clandestines, légales et illégales, avec ses réseaux de communication et d’information, avec son administration et ses administrateurs, avec ses organes de propagande et de défense, avec ses organisation territoriales et sectorielles, verticales et horizontales, qui dans leur ensemble doivent en assurer la continuité, l’efficacité et la sécurité. Il s’agit d’un travail de parti, d’un aspect de sa lutte qui soutient matériellement aussi bien le travail (y compris théorique) de propagande et de prosélytisme, que le travail d’agitation et de participation aux luttes immédiates de la classe et celles de direction révolutionnaire des masses.

 

Pour une conception non limitative des tâches du parti

 

Ces divers niveaux de l’action du parti constituent les exigences spécifiques d’une action unitaire. Chacun de ces niveaux implique des méthodes de travail bien déterminés et, en conséquence, la spécialisation des militants. Mais le parti, en tant que collectivité unitaire, «doit toujours et dans toutes les situations les englober» comme il a été dit plus haut. Pour reprendre les paroles d’Engels, la lutte du parti «doit se mener de façon méthodique dans les trois directions concentrées et réciproquement liées». Mieux: «la force et l’invincibilité du mouvement réside précisément dans cette attaque que nous pourrions dire concentrique» (2).

Le parti se prépare et prépare la classe en réalisant l’ensemble de ses tâches. Il ne se réduit à aucune d’entre elles. Ce n’est pas par hasard que la structure de base du parti, c’est-à-dire la section locale, est une structure territoriale à qui revient tant le travail de propagande et de prosélytisme politique que le travail organisatif et celui de participation aux luttes ouvrières. Ce n’est pas par hasard que les groupes communistes (ou cellules) syndicales ou d’usine, les groupes de propagande (y compris la rédaction), comme toutes les autres articulations du parti du parti dans les divers secteurs de son activité, dépendent de ses organisations territoriales (sections locales, régionales, nationales, centre international). Le parti n’est pas la somme de ses diverses activités, mais la collectivité centralisée qui assume les tâches permanentes de la préparation révolutionnaire.

Le parti ne se limite pas au travail théorique. Il n’est pas seulement un produit de l’histoire doté de conscience; il est aussi un facteur de l’histoire doté de volonté. Il ne s’agit pas seulement d’interpréter le monde, mais de le changer. Mais réciproquement, sous-évaluer le travail théorique, c’est ouvrir la porte à l’impuissance, à l’influence désagrégatrice de l’ennemi, à la trahison opportuniste.

Le parti ne se limita pas non plus au travail de propagande et de prosélytisme. Le marxisme a constitué historiquement le dépassement de l’utopisme, qui prétend transformer la société par l’éducation. La lutte contre l’ «éducationnisme» a toujours été inséparable du marxisme en général et de la lutte contre l’opportunisme en particulier. Une des premières manifestations de la Gauche elle-même a été la lutte en 1912 contre le «culturalisme» des Jeunesses Socialistes, contre la droite qui prétendait réduire l’activité révolutionnaire des jeunes à l’acquisition de la «culture socialiste».

Le parti est bien un organe de propagande; mais il l’est afin d’être un organe de combat.

Mais réciproquement, sous-évaluer la propagande et le prosélytisme signifie vider l’action du parti, le priver de sa raison d’être. L’armée de la révolution est une armée de volontaires, que ce soit au niveau du parti (qui est son état-major) ou au niveau des masses encadrées dans les organisations immédiates de la classe. L’adhésion au parti, l’orientation et la direction de ses organisations et de ses militants, présupposent une propagande politique permanente contre celle des forces adverses.

Le travail du parti ne se limite pas non plus au travail organisatif. Bien qu’il reconnaisse dans le blanquisme la justesse de l’exigence de l’organisation centralisée de l’action insurrectionnelle et de la conquête du pouvoir, le marxisme a montré les limites de cette conception purement organisative de l’action révolutionnaire. La révolution implique la lutte des masses dirigée par le parti, et par conséquent la conquête d’une influence décisive de celui-ci sur celles-là. Mais réciproquement sous-évaluer le travail organisatif implique une vision pacifiste et fataliste de la lutte des classes.

Pacifiste, dans la mesure où la lutte des classes est une guerre à mort pour le pouvoir: la bourgeoisie a fait la démonstration de ses capacités de résistance en défense de sa dictature; l’état-major du prolétariat doit se préparer méthodiquement et systématiquement à une guerre qui n’est pas seulement d’idées, mais doit être menée avec les moyens matériels de toute guerre civile. Fataliste, dans la mesure où elle laisse à d’autres la résolution des problèmes qui revient au parti et à lui seul pour assurer la continuité et l’efficacité de l’action politique de l’avant-garde révolutionnaire.

 

Contre  l’économisme

 

Le parti ne se limite pas davantage à la participation aux luttes immédiates. Les perspectives du parti ne se limitent pas à l’horizon de la guérilla syndicale. Sa lutte ne se confond avec aucune des luttes partielles et elle n’est pas la somme de ses participations à elles. Marx reconnaît comme précurseur du mouvement communiste, non le mouvement spontané de caractère syndical, mais l’utopisme qui apporta l’anticipation programmatique de la société future, et la Conjuration des Egaux de Babeuf qui, en même temps que l’intuition du communisme, apporta la lutte prolétarienne pour la conquête du pouvoir. La genèse et le développement du mouvement communiste ne coïncide ni ne superpose au mouvement syndical de la classe ouvrière. Celui-ci plonge ses racines dans l’antagonisme qui oppose profit et salaire et qui ne sort ni ne peut sortir des limites de la société bourgeoise. Alors que le mouvement communiste se situe sur le terrain de la lutte pour un nouveau mode de production, sur le terrain politique de la conquête du pouvoir. Le mouvement syndical combat les effets de l’exploitation salariale; le mouvement politique révolutionnaire tend à en extirper les causes.

Les énergies révolutionnaires de la classe ne sont pas cristallisées dans le mouvement syndical, mais dans le mouvement politique. L’adhésion au parti implique de dépasser les limites inhérentes à tout mouvement syndical, de s’élever à la conscience et à la volonté communistes. C’est pourquoi était et reste opportuniste la prétention de l’économisme d’hier et d’aujourd’hui de «donner à la lutte économique un caractère politique» (2).

La fonction du réformisme est précisément de réduire l’horizon de la lutte prolétarienne à la lutte pour un partage plus favorable entre salaire et profit. C’est pourquoi, ni la conscience ni la volonté communistes ne peuvent résulter du mouvement syndical; c’est pourquoi la conscience révolutionnaire doit être apportée de l’extérieur dans le mouvement spontané, grâce à l’action du parti, afin d’intégrer l’action des masses dans une lutte qui dépasse les limites de la conjoncture et des intérêts immédiats.

Faire dépendre la naissance, les directives et l’action du parti des luttes partielles avec leurs hauts et bas, c’est-à-dire de la courbe spontanée du mouvement syndical, signifie sacrifier les objectifs finaux aux résultats contingents, ce qui est la définition même de l’opportunisme; cela signifie reprendre à son compte la formule du réformisme de toujours selon laquelle «le mouvement est tout, le but n’est rien».

Le parti n’est pas une organisation sélectionnée de propagandistes (un parti de professeurs), ni un parti de syndicalistes, si combatifs soient-ils: c’est l’organisation des prolétaires qui unissent à la conscience des principes communistes, la décision de consacrer toutes leurs forces à la cause de la révolution.

Mais réciproquement, sous-évaluer la participation aux luttes immédiates signifie abandonner le prolétariat qui défend ses conditions de vie à des influences adverses; cela signifie s’empêcher l’apprentissage du difficile art de la lutte et la possibilité d’étendre l’influence du parti dans les masses; cela signifie en somme rendre impossibles les conditions indispensables de la préparation révolutionnaire du parti et de la classe.

Il n’existe pas de voie particulière qui permettrait de forger concrètement le parti révolutionnaire et d’en étendre l’influence; le parti se renforce et acquiert la capacité de diriger la classe sur la voie révolutionnaire en développant l’ensemble de ses tâches au cours d’une lutte qui s’inscrit dans la continuité de fer entre ses positions programmatiques et ses consignes de propagande et de combat.

Il n’existe pas de «voies plus courtes» parce qu’il n’existe pas d’autre voie.

 


 

(1) cf les «Thèses de Lyon» présentées au 3e Congrès du PC d’Italie, tenu à Lyon en 1926 à cause de la répression fasciste en Italie. Textes du PCInt n°7, p. 112.

(2) cf la préface d’Engels en 1874 à «La guerre des paysans en Allemagne».

(3) cf Lénine, «Que faire?», chapitre III, § a; Oeuvres Complètes, Tome V, p. 413.

 

Particommuniste international

www.pcint.org

 

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