Le sabotage des grèves sur les régimes spéciaux de retraite

(«le prolétaire»; N° 487; Déc. 2007 / Janv. - Févr. 2008)

 

Après avoir triomphé du grand mouvement de grèves contre les attaques gouvernementales sur les régimes spéciaux, le gouvernement est en position de force pour poursuivre son offensive antiprolétarienne - modification des contrats de travail, recul de l’âge de la retraite, etc., - tout en continuant à serrer la vis sur le plan des salaires et à poursuivre ses attaques contre les travailleurs sans-papiers.

 Il est important de revenir sur le sabotage des grèves de cet automne et d’en dégager les enseignements les plus importants pour les futures luttes qui ne manqueront pas d’éclater contre ces attaques.

 A la suite de cet article nous republions les tracts que nous avons diffusé lors des grèves et dans lesquels nous avons essayé de donner un contenu plus concret à nos positions traditionnelles en faveur de l’organisation de classe des prolétaires.

 

Le 23 novembre dernier, le premier ministre François Fillon, alors en voyage diplomatique en Suède commentait devant les journalistes la fin des grèves:

«On ne pouvait espérer faire mieux. (...) La gestion de cette crise a été presque parfaite»; il s’agit d’ «un tournant historique important» (il pensait sans aucun doute à la longue grève des cheminots en 95 contre l’attaque sur leur régime de retraite). Fillon ajoutait n’avoir jamais douté du succès car «dès le début, la CGT avait la volonté d’en sortir», CGT qu’il jugeait «plus raisonnable que certains syndicats réformistes» (1) (les syndicats réformistes, dans le jargon politique actuel, ce sont les organisations les plus collaborationnistes: UNSA, CFDT, FO, la CGT étant censée être plus revendicative).

Il est bien normal que les dirigeants politiques bourgeois se soient félicités de leur victoire et de l’attitude de la CGT, le syndicat le plus important à la SNCF ou à la RATP (ainsi qu’à EDF), qui l’a permise. En se déclarant prêt à négocier les modalités de la réforme gouvernementale la veille du jour où commençait la grève contre cette réforme, la CGT avait en effet coupé dès le début l’herbe sous le pied des grévistes.

 Bien entendu, étant donné la combativité existant chez les travailleurs, la CGT ne pouvait appeler immédiatement à la reprise du travail, comme l’a fait la CFDT-cheminots dès le deuxième jour. Les AG votaient massivement la poursuite de la grève lors des premiers jours, les grévistes voulant faire la jonction avec la journée de grève et de manifestations des travailleurs de la Fonction Publique du 20 novembre.

 La direction de la CGT et ses compères - ainsi que le gouvernement - ont dû composer avec cette combativité et tabler sur l’usure du mouvement. Les dirigeants de la Fédération CGT cheminots, dépeints par la grande presse comme des «durs», parce que, liés au PCF, ils sont en opposition à différentes orientations de Thibault et cie (liens avec le PS, soutien à la Constitution européenne, etc.) ont démontré que, comme ce parti, ils sont surtout durs contre les intérêts des travailleurs.

 Ils ont bataillé pour empêcher la création de comités de grève qui auraient pu signifier une perte de leur contrôle sur le mouvement; ils ont réussi, comme par exemple à Marseille, à empêcher l’organisation par les grévistes d’actions en direction d’autres travailleurs, et en général la mise en place de piquets de grève effectifs pour bloquer complètement la circulation des trains: la loi imposant le service minimum ne devait entrer en vigueur qu’en 2008, mais les directions syndicales l’ont mise en pratique lors de ces grèves!

La CGT a donc été le principal point d’appui du gouvernement lors des grèves (divers journaux ont relaté le détail de ses négociations discrètes avec le gouvernement, nous n’y reviendrons pas), les autres syndicats comme la CFDT , FO et les Autonomes ne pouvant jouer qu’un rôle accessoire du fait de leur moindre importance. De son côté, le syndicat SUD (devenu le deuxième syndicat aux élections à la SNCF) en refusant d’entériner les attaques gouvernementales et en appelant à la poursuite du mouvement pour la défense des régimes spéciaux, s’est présenté comme le défenseur intransigeant des intérêts ouvriers; il a même été pour cela écarté par la CGT le 6 décembre de discussions intersyndicales, à sa grande indignation!

 

L’unité syndicale, formule de la défaite ouvrière

 

La réalité est pourtant quelque peu différente. S’il est indéniable que SUD regroupe des travailleurs combatifs et qu’il a recueilli la sympathie des grévistes écoeurés par les manoeuvres de la CGT, de la CFDT ou des Autonomes, il porte, lui aussi, sa part de responsabilité dans la défaite. Alors même qu’à son dernier Congrès, il s’était prononcé en faveur de la mise en place de comités de grève pour diriger les luttes, il ne conçoit dans la pratique les luttes que sous le signe de l’unité syndicale - exactement comme la CGT. La conséquence est que sous le prétexte de maintenir ou réaliser cette unité syndicale, les revendications et méthodes classistes sont écartées et que les travailleurs sont conduits à se soumettre aux diktats des appareils syndicaux les plus collaborationnistes. Il n’y a pas de doute que beaucoup de travailleurs, et pas seulement parmi les moins combatifs, considèrent l’unité syndicale comme la meilleure garantie de succès de la lutte, si ce n’est sa condition sine qua non; de la même façon qu’ils considèrent les grands appareils syndicaux collaborationnistes comme étant toujours, en dépit de «défauts» ou de «faiblesses» qu’ils ne peuvent pas ne pas constater, des organisations au service des prolétaires.

Les grèves de cet automne ont donné une nouvelle fois la preuve qu’il s’agit là d’une funeste illusion; ces grandes organisations syndicales, financées pour leur plus grande partie par l’Etat bourgeois et les patrons, peuplées de permanents carriéristes (2), sont irrémédiablement liées à la défense de l’ordre social en vigueur; qu’à leur tête il y ait un Chéréque (chassé des manifestations du 20 novembre par la colère des manifestants), un Thibault, un Le Reste ou un Séguy (le dirigeant CGT qui en 68 avait négocié la liquidation de la grève générale), cela ne change rien à leur nature d’organisations de la collaboration des classes: elles ne feront jamais que la seule chose qu’elles savent faire, celle pour laquelle elles sont entretenues, récompensées et félicitées par les bourgeois: empêcher la renaissance de la lutte de classe, organiser la défaite ouvrière.

Laisser entre les mains des appareils syndicaux le sort d’une lutte signifie la condamner à l’échec.

 

Les flancs-garde du collaborationnisme

 

En ayant l’unité syndicale comme ligne de conduite, SUD a contribué à laisser la direction de la lutte aux mains de ces appareils collaborationnistes; peu importe alors ses postures «radicales», il a contribué ainsi lui aussi à la défaite du mouvement. Il empêche en outre les travailleurs les plus combatifs de tirer les enseignements de la défaite, en servant dans les faits de flanc-garde à ces grandes organisations antiprolétariennes.

 Dans la région lyonnaise qui a été l’un des derniers bastions de la grève à la SNCF, le responsable SUD déclarait le 23/11: «On s’est bien fait avoir par la CGT qui a roulé tout le monde dans la farine et savait dès le départ qu’elle ne voulait pas aller jusqu’au bout» (3). Mais le même jour à l’AG de la Gare de Lyon (à Paris) le secrétaire fédéral Sud rail affirmait: «On va essayer tous ensemble de repartir sur quelque chose, de reconstruire une unité syndicale» (4), déclaration «pas facile» à expliquer, selon le journaliste, «quand fuse de toutes parts le mot traître! à l’encontre de certains délégués ou militants CGT».

Remplir le rôle objectif de couverture à l’aile gauche de l’alliance syndicale ne suffisait pourtant pas; la logique de la position de SUD l’amenait inévitablement à marcher dans les pas des grands syndicats. C’est ainsi que quelques jours après avoir dénoncé comme une capitulation la participation de ces derniers aux «négociations» par entreprises, SUD cheminots décidait d’y participer à son tour! C’est que s’il veut être reconnu comme organisation représentative, il doit démontrer à la direction qu’il est une organisation responsable... Entre ses intérêts de boutique et les intérêts de classe des travailleurs, SUD cheminots n’a pas hésité bien longtemps!

Ramener dans le giron du collaborationnisme antiprolétarien les prolétaires qui tendent à s’en libérer, c’est cela la raison d’être du centrisme, comme disaient autrefois les bolcheviks pour qualifier cette variété du réformisme qui se dit d’extrême-gauche; ce n’est pas par hasard que les forces qui dirigent SUD appartiennent précisément à ce courant, à la LCR en premier lieu.

Pendant tout le conflit, la LCR s’est bien gardée de n’émettre vis-à-vis de la CGT que les plus minimes critiques indispensables pour coller au mécontentement des grévistes. Son bilan du mouvement, ne contenant aucune référence au sabotage syndical, a pour titre: «une grève qui fait du bien» (5)! On y lit: «La question que l’on peut se poser, après 10 jours de grève est simple: les cheminots ont-ils perdu? Nous pensons que non. Non qu’ils aient gagné bien sûr (!), même s’il y a eu quelques avancées [suit un long catalogue de ces “avancées” dont se glorifient les syndicats] il n’y a pas de quoi monter sur les tables pour crier victoire, etc.»; «Bref, les cheminots n’ont pas dit leur dernier mot, et ils sortent renforcés de ces dix derniers jours: les négociations à venir se feront sous pression»!!! Apparemment la LCR est aussi satisfaite que Fillon du déroulement des événements...

Alors que l’appareil cégétiste doit faire face à la colère de nombreux travailleurs, y compris dans ses rangs, ce «ni victoire, ni défaite» des camarades de Besancenot représente pour celui-ci une aide précieuse (6). Le rôle de jonction avec le réformisme traditionnel joué consciemment par la LCR s’est aussi manifesté par l’appel de besancenot aux partis de gauche pour des actions communes en soutien aux grévistes. La LCR ne pouvait pourtant ignorer que lors de la présidentielle le PS s’était déclaré partisan de la suppression des régimes spéciaux de retraite! Hollande l’a réaffirmé en disant que si la gauche avait gagné les élections elle aurait eu, elle aussi, à faire face à des grèves à ce sujet (7).

La position de Lutte Ouvrière n’a pas été différente; pas plus que la LCR elle n’a, ne disons pas mené une lutte décidée contre le sabotage syndical, mais simplement émis des critiques sérieuses à son endroit; le communiqué commun LCR-LO publié au début de la grève n’en disait pas un mot et se contentait de banalités inoffensives.

Lors de la manifestation du 20 novembre, le journaliste du «Monde» qui s’inquiétait de la possible apparition d’une organisation indépendante des grévistes en coordinations, a été rassuré par un «cheminot trotskyste» lui affirmant son opposition à une telle perspective au nom du refus de tout «mouvement minoritaire». Qu’il appartienne au PT, à LO ou à la LCR, ce militant anonyme exprimait ainsi la position commune à tous ces groupes soi-disant révolutionnaires: l’opposition à l’organisation de classe des prolétaires, le soutien à la domination des organisations syndicales liées à l’ordre bourgeois.

 

Nécessité de l’organisation prolétarienne

 

Car il ne faut pas s’y tromper; pour être fructueuse la lutte contre le collaborationnisme, contre l’emprise fatale des appareils syndicaux vendus au capitalisme, ne doit pas déboucher sur l’antisyndicalisme de principe, c’est-à-dire sur un spontanéisme anarchisant refusant toute organisation.

Sans organisation, les prolétaires ne peuvent résister aux attaques bourgeoises et au sabotage des organisations collaborationnistes. En l’absence de l’organisation des prolétaires d’avant-garde conduisant une lutte systématique contre tous les faux amis et mettant en avant les méthodes et les orientations classistes, les Assemblées Générales se transforment rapidement en chambres d’enregistrement des décisions prises par les grands syndicats réformistes.

On l’a encore vu lors des grèves de cet automne: ne voulant pas se démasquer outre mesure, les syndicats déclarent rituellement, après avoir laissé le mouvement s’épuiser, que c’est aux AG de travailleurs de décider de la fin de la grève: comme il n’existe pas pour les contrecarrer d’organisation de classe, ils savent qu’ils ne courent guère de risque de se faire déborder...

La reconstitution d’organisations de classe, tel est le problème objectivement posé par toutes les grandes luttes ouvrières trahies, comme celles qui viennent de se dérouler.

 Commencer à travailler à cette reconstitution, telle est la tâche qui attend les travailleurs les plus conscients, telle est la seule perspective pour que le prolétariat réussisse à sortir de son impuissance actuelle et à reprendre la voie de son émancipation.

 


 

(1) cf «Libération», 24/11/2007

(2) Selon l’article «la vérité sur l’argent des syndicats», «Le Nouvel Observateurs» n°1858 (20/2/2002), il y aurait 10 000 permanents à la CGT et 8000 à la CFDT, que les cotisations des adhérents syndicaux seraient bien en peine d’entretenir. On estime généralement que les cotisations ne couvrent que 25% des dépenses de la CGT, le reste étant payé par l’Etat, les organismes sociaux, les entreprises.

Emblématique est le cas de Le Duigou, éminent dirigeant de la CGT et négociateur avec le gouvernement sur la question des retraites: Inspecteur principal des impôts, il a été permanent pendant 20 ans à ce syndicat, avec salaire payé par son ministère de tutelle. Après avoir signé la fin des régimes spéciaux de retraite, donc la diminution des pensions pour cette catégorie de travailleurs, il vient d’être réintégré dans sa corporation afin de pouvoir toucher dans quelques mois une retraite bien méritée de plus de 3200 euros mensuels....

Les maoïstes de VP qui donnent ces chiffres sur leur blog Ouvalacgt.over-blog .com, écrivent que «c’est toute la structure même de l’appareil syndical qui est à revoir. Aujourd’hui elle tend de plus en plus à une structure d’experts spécialisés dans les négociations au plan national ou européen; (...) En n’oubliant pas d’épurer à chaque fois tous les appareils, toutes les structures de cogestion et de collaboration!».

Mais en réalité, il ne s’agit pas seulement de «revoir» et d’ «épurer» la structure de l’appareil syndical: cet appareil syndical lui-même est une structure organisée contre la lutte prolétarienne qu’il est impossible de rénover, modifier ou reconquérir tant elle est imbriquée depuis des décennies dans le réseau bourgeois de contrôle social. Les prolétaires devront se doter d’une autre structure, d’une autre organisation, pour mener leur lutte.

Et la seule «garantie» pour que cette nouvelle organisation fondée sur l’indépendance de classe ne retombe pas dans la dépendance de forces bourgeoises, et que le parti révolutionnaire marxiste en prenne la tête.

(3) cf «Le Progrès», 24/11/2007.

(4) cf «Libération», 24/11/2007.

(5) Déclaration du «secrétariat cheminots de la LCR», «Rouge» n°229.

(6) Selon l’hebdomadaire «Marianne» n°553 (24-30/11/2007), Thibault aurait téléphoné à Besancenot lors des grèves pour «lui enjoindre de ne pas politiser un conflit syndical». Vrai ou faux, il reste que la LCR a été parfaitement loyale à la direction syndicale.

(7) cf «Le Monde», 18-19 novembre 2007. Le journal Sud-Ouest du 26/11 rapporte des déclarations du dirigeant du PS: «Hollande soupçonne le gouvernement “d’encourager les gauchistes”, se félicite de l’évolution réformiste de la CGT: “on a intérêt à ce qu’elle évolue, le syndicalisme que l’on doit combattre, c’est celui de SUD”».

 Ce qu’il voulait dire, c’est que pour le PS comme pour tout parti bourgeois, un syndicalisme revendicatif, non collaborationniste, est un adversaire à combattre. C’est ce que veulent cacher les faux révolutionnaires qui, de LO à la LCR, cherchent à s’allier avec un parti de ce genre.

Par la suite Hollande a écrit qu’il avait des divergences avec SUD, mais qu’il ne voulait pas combattre ce syndicat: nous avons vu pourquoi...

 

Particommuniste international

www.pcint.org

 

Retour sommaires

Top