Crise économique capitaliste et lutte de classe

(«le prolétaire»; N° 488; Mars-Avril 2008)

 

Au moment où nous écrivons, la réalité de la récession dans la principale puissance capitaliste mondiale, les Etats-Unis, ne fait plus guère de doute, y compris parmi les plus hauts responsables américains, à l’exception du président Bush et de ses proches. Même le directeur de la Réserve Fédérale (la banque centrale américaine) a fini par admettre que la croissance économique de son pays allait connaître un ralentissement, voire une contraction.

Cet automne la plupart des experts économiques officiels juraient encore que malgré les problèmes de la finance liés à la spéculation immobilière, une récession était peu probable aux Etats-Unis, et par conséquent dans le reste du monde: «Les fondamentaux sont bons, l’économie est saine! Les carnets de commande sont pleins» affirmaient-ils d’une seule voie. Marx relevait déjà il y a 150 ans qu’on entend toujours de tels propos à la veille des crises...

Aujourd’hui les mêmes reconnaissent que la récession a commencé: difficile de faire autrement quand les statistiques indiquent que les emplois disparaissent par dizaines de milliers aux Etats-Unis depuis le début de l’année: plus de 75 000 postes de travail supprimés en janvier et février, 80 000 en mars.

Cependant ils estiment que la récession sera de faible ampleur et de courte durée, en raison de la quantité énorme de crédit injectée dans l’économie par la Réserve fédérale qui devrait faire sentir ces effets stimulants d’ici quelques mois. En outre la bonne tenue des exportations américaines grâce à la baisse du dollar par rapport aux monnaies de ses principaux concurrents (Europe, Japon et même Chine), fait que le secteur des industries exportatrices contribuer à tirer en avant tout le reste de l’économie.

 Ils avancent en général ce sujet une autre thèse, celle du «découplage». En raison de leur puissant développement interne, les grandes régions économiques du monde que sont l’Europe et l’Asie sont devenues beaucoup moins dépendantes du marché américain et par conséquent une récession aux Etats-Unis n’entraînerait pas une récession internationale; au contraire la poursuite de la croissance économique dans ces régions pourrait permettre, en «compensant» en quelque sorte une crise américaine, que l’économie mondiale continue à croître, faisant finalement sortir les Etats-Unis de leur récession.

 Cette thèse qui fait office de véritable poncif dans les publications du FMI, de l’OCDE et autres institutions analogues, a été avidement reprise par les responsables politiques européens, soucieux de maintenir la «confiance» des consommateurs et des «acteurs économiques», ce facteur subtil et impondérable sans lequel, paraît-il, tout s’effondrerait (en réalité la «confiance» des consommateurs dépend étroitement de leur feuille de paie de prolétaires, et celle des capitalistes de leur chiffre d’affaires).

Elle s’appuie sur une réalité, celle du décalage qui existe entre les différentes économies capitalistes (l’économie des grands pays européens continue par exemple encore à croître alors que la récession frappe outre-atlantique); et sur un souhait, celui de trouver ailleurs une locomotive pour faire redémarrer la gigantesque machine américaine embourbée. Rien de nouveau sous le soleil capitaliste: la recherche d’une telle locomotive a été régulièrement l’objectif des capitalistes yankees lors des récessions des décennies antérieures, avec des succès plus que mitigés.

En effet s’il est vrai que l’économie américaine a perdu au cours des cinquante dernières années sa prépondérance écrasante sur le reste du monde (cet affaiblissement économique, relatif mais bien réel, sapant inexorablement les bases de sa domination politique), elle reste cependant de loin la première du monde: aucune autre n’est assez forte pour la relayer en cas de besoin.

Mais surtout les 10-15 dernières années ont vu un développement rapide et important des liens économiques et des flux financiers qui relient entre eux les pays de la planète.

C’est cette «mondialisation» tant vantée par les bourgeois comme un élément important de la croissance économique (ils avaient raison) qui fait qu’aucune économie, non seulement ne peut plus fonctionner indépendamment du marché mondial (ce qui est vrai depuis que le capitalisme s’est imposé à l’échelle de la planète); mais surtout ne peut pas échapper aux retentissement des crises qui éclatent dans le centre névralgique du capitalisme mondial, les Etats-Unis. Un «découplage» des économies ne pourrait survenir qu’à l’issue de graves crises catastrophiques, de guerres généralisées - ou de révolutions! -, seules suffisamment puissantes pour briser ces liens.

C’est ce qui explique que l’établissement bancaire qui a perdu le plus d’argent dans la crise des prêts immobilières américains soit... une banque suisse! Les pertes bancaires depuis novembre annoncées début avril se chiffraient ainsi:

 UBS (Union des Banques Suisses): 37,1 milliards de dollars; Merryl Lynch: 24,4 milliards; Citygroup: 18,1 milliards, Carlyle Capital: 16,6 milliards; Morgan Stanley: 9,4 milliards; Crédit Suisse: 5,7 milliards; Bank of America: 5,3 milliards; Capital One: 4,9 milliards; Deutsche Bank: 4,8 milliards; Société Générale: 4,3 milliards (1). A noter que ces pertes se sont accumulées depuis le début de cette année et surtout dans les dernières semaines, particulièrement difficiles sur les marchés financiers.

Cependant la plus grosse perte pour l’année 2007 n’a pas été enregistrée par une banque, mais par General Motors, numéro un mondial des constructeurs automobiles et symbole autrefois de la toute puissance de l’industrie américaine: 38,7 milliards de dollars! Cette perte record est attribuée à une chute sévère des ventes de véhicules automobiles et aux pertes de sa branche financière (qui fournit les crédits aux consommateurs pour acheter leurs véhicules). C’est la démonstration que la crise n’est pas limitée au seul secteur de la finance et de la bourse: ce qui est mauvais pour General Motors est mauvais pour les Etats-Unis...

 

Guerre monétaire

 

De plus, la chute du dollar qui aide les exportateurs américains, pénalise par conséquent leurs concurrents: donnant une petite bouffée d’oxygène à l’économie étasunienne, elle tend à étrangler les économies européennes et asiatiques les moins solides ou les plus dépendantes de leurs exportations. D’où les plaintes incessantes des dirigeants français, confrontés à un déficit croissant de leur commerce extérieur, sur la valeur trop élevée de l’euro.

 Par contre l’Allemagne, qui reste le premier exportateur mondial en raison des avantages compétitifs de ses marchandises, supporte le renchérissement de l’euro qui gonfle mécaniquement l’excédent de son commerce extérieur (le plus gros excédent mondial: 263 milliards de dollars en février, devant la Chine: 250 milliards, alors que les Etats-Unis ont le plus gros déficit: 819 milliards de dollars).

C’est pourquoi le président de l’association des exportateurs allemands pouvait encore déclarer au début de l’année qu’il «soutenait» la politique de l’ euro fort suivie par la Banque centrale européenne (autrement dit, que cette politique exprime les intérêts de la puissance économique dominante en Europe - et toutes les gesticulations d’un Sarkozy n’y changeront rien), qui avait aussi l’avantage d’atténuer les hausses de prix des matières premières.

Les injections massives et répétées de liquidités dans les circuits économiques par la Réserve fédérale américaine pour pallier à une crise de crédit et stimuler l’activité, constituent en fin de compte de la création de masses de monnaie supplémentaires; sa conséquence mécanique est de faire baisser la valeur de cette monnaie, c’est-à-dire d’augmenter la valeur de toutes les marchandises exprimées dans cette monnaie, ce que l’on appelle l’inflation.

Le dollar étant une monnaie mondiale, par le truchement de laquelle s’exprime la valeur de toutes les matières premières, sa baisse signifie donc une hausse correspondante du prix en dollars de ces dernières. Ce phénomène est renforcé par les opérations dites «spéculatives»: les détenteurs de dollars ont tout intérêt à s’en débarrasser s’ils ne veulent pas voir fondre la valeur de leur capital, ce qui, lorsqu’il s’agit comme c’est le cas de milliards détenus par des Fonds divers, la trésorerie de grandes entreprises ou les réserves d’Etats, a tendance à renforcer encore la baisse de cette monnaie.

Ces capitaux se portent soit sur les monnaies concurrentes, soit, le plus souvent sur les matières premières qui voient leur prix flamber brutalement. Le fameux «trader fou» qui a fait perdre des milliards de dollars à la Société Générale en spéculant à la hausse sur le marché des matières premières de la Bourse allemande n’était pas si fou que ça; il obéissait seulement au mécanisme capitaliste des lois du marché qui, lui, est parfaitement fou! Les experts estiment que le 20% du renchérissement du prix du pétrole est dû à ce mécanisme spéculatif, ce qui faisait dire à certains que la Réserve Fédérale américaine est devenu un facteur plus important que l’OPEP dans le commerce pétrolier...

Notons au passage que les capitaux peuvent aussi se reporter sur la valeur refuge traditionnelle en cas de crise, l’or, dont le prix a atteint actuellement des records historiques. La réapparition de la fièvre de l’or, ce «symbole barbare», est un signe supplémentaire de la maladie de l’économie capitaliste...

Les autorités américaines laissent baisser tout à fait volontairement leur monnaie. Mais, dans la mesure où elle est fructueuse, c’est-à-dire dans la mesure où, grâce à elle, l’économie américaine fait plonger ses concurrents pour se maintenir la tête hors de l’eau, la baisse du dollar tend à prendre la forme d’une guerre monétaire; et la coopération tant vantée des institutions économiques et financières du monde pour écarter les risques de crise laisse la place à une concurrence féroce sur tous les terrains. Les capitalistes ne peuvent se sauver tous de la crise; celle-ci ne peut être surmontée que par l’élimination des plus faibles et le renforcement des plus forts. C’est vrai des entreprises et des capitalistes «individuels», mais ça l’est aussi des Etats capitalistes: la crise économique qui se traduit par des destructions de capitaux et des liquidations d’entreprise, amène aussi dans son sillage rivalités, affrontements et guerres inter-Etatiques..

La récession actuelle marque la fin du cycle d’expansion ouvert après la crise économique de 2001-2002, dont le facteur déclenchant avait été l’éclatement de la «bulle informatique», la spéculation frénétique sur les entreprises dites de nouvelles technologies.

La récession de 2001-2002 venait après une période de croissance aux Etats-Unis inhabituellement longue - presque 10 ans - et vigoureuse qui s’était ouverte après la première guerre contre l’Irak. Outre les effets bénéfiques de cette guerre, l’économie américaine avait pu prospérer aux dépens de son concurrent le plus pressant, le Japon, asphyxié par le taux de change insupportablement élevé du Yen par rapport au dollar que les Etats-Unis lui avaient imposé. Last but not least, n’oublions pas non plus que l’implosion du bloc soviétique avait ouvert un grand marché aux économies «occidentales», tandis que la pression concurrentielle du capitalisme allemand était en partie atténuée par sa digestion de l’ex-Allemagne de l’Est.

Le redémarrage économique américain à partir de 2002 a reposé essentiellement sur deux moteurs: une nouvelle guerre en Irak qui, comme dix auparavant, faisait redémarrer le secteur «militaro-industriel», ô combien important chez l’impérialisme planétaire américain; et le recours massif au crédit qui relançait tout particulièrement le secteur immobilier, autre secteur très important dans les économies capitalistes développées. Cependant les conditions exceptionnellement favorables pour le capitalisme étasunien de la décennie précédente n’étaient plus présentes; aussi la croissance économique dans cette période a été la plus faible depuis des décennies, celle qui a créé le moins d’emplois, celle où les salaires ont le moins augmenté. Le recours massif et généralisé au crédit, dont on peut donner une illustration frappante en disant que le taux d’endettement des ménages américains atteint désormais 130% de leur revenu disponible, qui a servi indéniablement à alimenter l’expansion économique, ne pouvait que déboucher tôt ou tard sur un effondrement, dont on ne voit aujourd’hui que les premiers effets.

 

Une seule perspective sûre,  la reprise  de la lutte de classe

 

La crise économique actuelle sera d’autant plus longue à être surmontée que les ressorts classiques activés lors de la récession précédente ne peuvent plus aussi facilement être utilisés. L’économie américaine et mondiale est déjà gorgée de crédits; les taux d’intérêt sont descendus au niveau de l’inflation (ce qui revient en pratique à les amener à un niveau proche de zéro). Et par ailleurs les Etats-Unis sont encore empêtrés dans la guerre en Irak.

La «purge» sera donc sévère et ce sont les prolétaires qui en payeront le prix fort. Augmenter leur exploitation sera la seule solution pour les capitalistes pressés de sauver les taux de profit, alors même qu’internationalement la classe ouvrière avait, en règle générale, vu ses salaires stagner au cours des dernières années.

Le président de la Banque Européenne, l’ineffable Trichet, se répand ces temps-ci en déclarations pour mettre en garde les bourgeois européens contre toute tentation de préserver la paix sociale par des hausses de salaire. En France, Sarkozy qui prétendait vouloir être «le président du pouvoir d’achat», ne peut que déclarer que «les caisses sont vides» tandis que les industriels, comme Peugeot Cycles, vont de plus en plus poser aux prolétaires l’ultimatum de travailler plus pour gagner moins - ou de voir leurs emplois disparaître.

Dans tous les pays, le capitalisme va pousser son offensive contre les travailleurs. D’ores et déjà cela a provoqué des explosions sociales comme en Afrique dont nous parlons ailleurs dans ces colonnes et un regain des luttes ouvrières, de la Russie de Poutine-Mevdevev à l’Egypte de Moubarak, en passant par le Bangla Desh ou le Vietnam - ou l’Amérique de Gorges Bush.

Dans la calme et opulente Europe elle-même, on voit que commencent à apparaître les premiers frémissements de lutte ouvrière (et parfois plus que des frémissements!): des grèves sauvages en Allemagne à une grève générale en Grèce en passant par une grève des cheminots en Suisse (la première depuis 1918!), des émeutes des banlieues françaises à celles du Danemark, un peu partout la chape de plomb de la paix sociale commence à se fissurer.

Il ne faut évidemment pas se nourrir d’illusions; les difficultés et les obstacles sur la voir de la reprise de la lutte de classe sont encore énormes, comme nous l’avons mis en évidence en analysant dans les numéros précédents du journal les luttes les plus significatives en France.

Mais l’ébranlement que causera la crise à l’équilibre social en vigueur ne pourra pas ne pas accélérer cette évolution déjà en cours et qui, avec d’inévitables hauts et bas, est, elle aussi, irréversible. Les prolétaires inévitablement réapprendront à se battre, à s’organiser et à diriger leurs luttes indépendamment des organisations collaborationnistes de toute espèce; ils seront poussés à se regrouper non plus seulement pour la lutte de défense immédiate quotidienne, mais pour la lutte politique plus générale; inévitablement se fera jour parmi eux le besoin de l’organisation politique, le besoin du parti, pour mener ces luttes et afronter le capitalisme.

Le monde capitaliste s’enfonce à nouveau dans la crise?

Il ne fait que hâter l’heure de la reprise de la lutte de classe et de la révolution!

 

Particommuniste international

www.pcint.org

 

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