Travailleurs sans papiers: de nouvelles menaces, de nouvelles luttes !

(«le prolétaire»; N° 489; Mai-Juillet 2008)

 

Depuis plusieurs semaines le ministre Hortefeux se félicite de son tableau de chasse: plus de trente mille personnes en «situation irrégulière» expulsés en un an, une baisse du nombre de travailleurs sans-papiers, la mise sur pied progressive d’accords du contrôle de l’immigration avec certains pays, etc. Le gouvernement français entend bien profiter de sa présidence européenne pour généraliser sa politique à tous les pays de la Communauté.

Une circulaire devrait être ainsi adoptée début de juillet, instituant entre autres la possibilité d’interner d’office jusqu’à 18 mois les sans-papiers (Humain, le sinistre Hortefeux assure qu’en France pour le moment il n’envisage pas de dépasser les 32 jours)! Sarkozy voudrait également faire interdire par cette circulaire toute régularisation massive de sans-papiers (comme il y en a eu par le passé en France, en Espagne ou en Italie) et instituer diverses mesures xénophobes contre les étrangers, les demandeurs d’asile, etc.

Ce projet a suscité des protestations diplomatiques des pays d’Amérique du Sud, où l’émigration constitue une utile soupape de sûreté et des réticences de certains pays comme l’Espagne où l’immigration a encore récemment joué un rôle utile dans la fourniture de main d’oeuvre à bas prix.

Mais il s’inscrit en fait dans une orientation politique qui se retrouve dans la plupart des pays européens, du Nord comme du Sud, et qui ne fera que s’accentuer: faire des étrangers les bouc-émissaires des difficultés sociales et diviser les travailleurs selon leur nationalité.

On peut remarquer d’ailleurs que le même phénomène se retrouve dans les pays pauvres: il n’est qu’à voir les pogroms en Afrique du Sud contre les travailleurs et réfugiés venus du Zimbabwe... Le capitalisme en crise ne peut qu’attiser la concurrence entre prolétaires et ses diverses manifestations sous forme de racisme et de xénophobie. Les attaques contre les travailleurs étrangers, et en particulier contre les sans-papiers, sont ainsi présentées comme ayant pour but de «protéger» les travailleurs nationaux, ou même, comme le dit sans rire Hortefeux, de protéger les travailleurs étrangers «réguliers»!

Elles font partie en réalité de l’attaque d’ensemble menée par la classe bourgeoisie capitaliste dans tous les pays contre les prolétaires en général.

Ce qui signifie qu’elles ne peuvent être vraiment combattues qu’en se situant sur le terrain de la lutte des classes et non sur celui de la charité ou de la compassion humanitaire. Mais pour aller sur ce terrain, le premier obstacle est constitué par les organisations collaborationnistes, ces véritables «pompiers sociaux».

 

Les pompiers sociaux à l’oeuvre

 

Depuis le 15 avril plusieurs centaines de prolétaires sans-papiers travaillant dans pus d’une vingtaine d’entreprises de la restauration, le nettoyage ou le bâtiment se sont lancés dans un mouvement de grèves, essentiellement en région parisienne. A la différence de ce qui se passe habituellement pour les luttes de ces travailleurs, ce mouvement avait pu voir le jour essentiellement grâce au soutien de la CGT. La centrale syndicale n’avait pas été soudainement touchée par la grâce de l’action de classe. En s’implantant dans un secteur potentiellement explosif en raison des conditions d’exploitation bestiales qui y règnent, la CGT voulait non seulement s’y voir reconnaître par le gouvernement un statut d’intermédiaire privilégié (rôle rempli jusqu’ici par des organisations comme «Droits Devant»); mais surtout elle entendait y jour son rôle de pompier social contre la lutte ouvrière. Bien loin d’essayer d’étendre et de généraliser la lutte, bien loin d’organiser la solidarité active des travailleurs «réguliers» qui aurait pu leur apporter un appui décisif, la CGT s’est efforcée de circonscrire et contrôler les grèves en les isolant les unes des autres. De plus elle a immédiatement accepté (si elle ne s’était pas auparavant entendue avec lui) les conditions du ministère d’un examen au cas par cas des dossiers individuels des sans-papiers en lutte. C’était lui donner dès le départ le maximum de latitude pour diviser les grévistes et affaiblir leur force collective!

Cependant comme le gouvernement et les patrons, la CGT a été surprise par l’ampleur du mouvement. Plusieurs d’autres centaines de travailleurs ont rejoint la lutte, encouragés par le retentissement du mouvement, par les marques de sympathie rencontrées lors des manifestations (comme celle du premier mai) et par les premiers succès obtenus. La CGT a alors jeté le masque, refusant même de demander la régularisation des nouveaux travailleurs rejoignant le mouvement! Il faut dire qu’elle s’était entendue avec le ministère pour que celui-ci examine 600 à mille dossiers individuels, et pas davantage. Indignés, plusieurs centaines de travailleurs du Comité des Sans-Papiers de Paris (CSP 75), décidaient le 2 mai d’occuper des locaux de la Bourse du Travail pour dénoncer l’attitude de la CGT. Dans un communiqué, le CSP 75 affirmait:

«(...) Les dépôts de dossiers sont assujettis à un appui de la CGT. La preuve en a été faite ce mercredi 30 avril lorsque la coordination 75 des sans papiers s’est rendu en délégation pour déposer les dossiers d’un millier de travailleurs auprès de la Préfecture de Paris. Ce dépôt nous a été refusé. Or nombre de grévistes appartiennent également à différents collectifs membre de la coordination 75 et à ce titre la CGT ne peut fermer les yeux sur le soutien que nous lui avons apporté. Les questions que nous posons sont les suivantes: - Quel est exactement l’ACCORD qui a été passé entre l’Etat et les différents représentants de cette grève? - Cet accord prévoit-il l’exclusivité pour la CGT et DROITS DEVANT, du dépôt de dossiers qui seront pris en compte par cet accord? Ce qui bien sûr limiterait la portée d’un mouvement qui aurait pu conduire à des régularisations bien plus massives! Ainsi devant le manque de dialogue et l’obstination de la CGT à nous oublier, nous demandons: - l’ouverture de discussions avec le syndicat pour envisager la prise en compte de la coordination 75 des sans papiers, dans les accords passés avec l’Etat. - La prise en compte de nos dossiers de travailleurs sans papiers au même titre que ceux déposés par la CGT, afin qu’eux aussi soient «favorablement» étudiés».

Le CSP 75 a révélé que la CGT lui avait affirmé dans des réunions antérieures que «le but du mouvement de grèves était de mettre la pression sur les patrons et le gouvernement pour obtenir des régularisations globales des travailleurs sans-papiers» (1). Les faits ont montré ce que valaient les belles paroles des bonzes syndicaux!

 

Les auxiliaires d’extrême gauche

 

Ils ont montré aussi l’attitude des divers acteurs et des diverses forces politiques qui affirment soutenir les luttes des sans-papiers. Embarrassés par l’action des sans-papiers de la CSP 75, les libertaires de la CNT, ne voulant pas se heurter à la CGT, ont prudemment évité de prendre position. Cela n’a pas été le cas de la LCR ou de LO.

Cette dernière a réagi à l’occupation de la Bourse du Travail par un article jésuitique où il n’y avait pas une seule critique, mais un soutien à la CGT: «Quand le 30 avril la Coordination des collectifs de sans-papiers de Paris a voulu aussi déposer collectivement mille dossiers, la préfecture de paris a refusé, prétendant qu’il fallait passer par la CGT. Comme si c’était la CGT qui décidait des régularisations! Ce mensonge a conduit des [sic!] sans-papiers exaspérés à se tromper de cible et à occuper la Bourse du Travail» (2). Ce n’est certes pas la CGT qui décide des régularisations, mais c’est bien elle qui veut décider qui peut être régularisable et qui ne peut l’être; et c’est bien elle qui refuse d’organiser l’extension du mouvement que LO conseille aux sans-papiers, ce qui n’est qu’une répugnante phrase creuse quand on soutient ceux qui s’y opposent!

La LCR a choisi son camp par un communiqué du 5 mai intitulé: «Pour la régularisation de tous les sans-papiers: Tournons l’ensemble du mouvement contre le gouvernement, Non aux divisions!». Elle y salue l’action de la CGT et de Droits Devant; elle y dénonce la «provocation» de la Préfecture de police refusant de prendre les dossiers apportées par la CSP 75, mais pour asséner: «cependant, la décision de la coordination 75 des collectifs d’occuper les locaux de la bourse du travail de Paris ne nous semble pas être une réponse pertinente à cette provocation. L’urgence est de favoriser l’unité et l’élargissement du mouvement contre le gouvernement et pour le soutien concret aux grévistes des sites occupés».

Ce que cache la LCR, c’est que c’est précisément la CGT qui bloque l’unité et l’élargissement du mouvement!

Le 22 mai, lors de la manifestation syndicale sur les retraites, le Service d’Ordre de la CGT en tête de cortège attaquait brutalement les sans-papiers devant la Bourse du Travail. Ni LO, ni la LCR n’ont jugé utile de condamner ces exactions ou même simplement d’en parler dans leur presse. Par contre la LCR trouva indispensable de publier quelques semaines plus tard un communiqué pour condamner la «scandaleuse agression» d’un jeune juif dans le 19e arrondissement; on apprit par la suite qu’il s’agissait d’une rixe entre bandes rivales et que le jeune en question, proche des milieux juifs d’extrême droite, avait déjà été condamné pour des agressions racistes. Mais l’affaire était à la une de tous les médias et la LCR ne peut jamais résister aux courants dominants...

De même la véritable mutinerie du Centre de Rétention Administrative de Vincennes, cette prison où sont parqués les sans-papiers raflés en attente d’être expulsés, auquel les résidents ont mis le feu le 22 juin après la mort d’un détenu tunisien (un seul sans-papiers a malheureusement réussi à s’enfuir) était qualifiée par LO de... «fait divers dramatique» (3)!

Avec de tels auxiliaires, on comprend que la CGT se sente les mains libres.

 Alors qu’elle avait été contrainte d’annoncer en mai le lancement d’une «deuxième vague de grèves» et que fin juin des rumeurs circulaient sur une troisième vague, les dirigeants syndicaux décidaient le 20 juin: «On ne déclenche pas la troisième vague «d’entreprises en grève» (4), on se donne du temps pour apprécier ce que fait réellement le gouvernement en termes de régularisations» (c.r. de la réunion des UD CGT de la région parisienne).

En clair cela signifie renforcer l’isolement des travailleurs en lutte et laisser toute latitude au gouvernement pour agir!

La CGT pouvait bien organiser le 3 juillet devant la Préfecture de Paris un rassemblement réunissant dans un «Front Uni» (sic!) autour d’elle, la Ligue des Droits de L’Homme, le RESF, la Cimade, le GISTI, SUD, Femmes Solidaires, Femmes Egalité avec la CSP 75 enfin amenée à résipiscence, pour demander respectueusement l’examen des dossiers de celle-ci, les autorités répondaient par une fin de non recevoir.

La conclusion est claire: il n’y a aucune confiance à accorder à la CGT, aucun «Front Uni» à constituer avec les appareils collaborationnistes, pour les revendications particulières des travailleurs sans-papiers comme pour celles des autres secteurs de la classe ouvrière. Seule la lutte et l’organisation de classe des travailleurs peut faire reculer les patrons et le gouvernement. Et il n’y a rien à attendre non plus de ceux qui préfèrent se ranger du côté des collaborationnistes plutôt que du côté des travailleurs.

 

Solidarité de classe avec les luttes des travailleurs sans-papiers!

Régularisation de tous les sans-papiers!

 Fermeture des centres de rétention et libération des travailleurs!

Non aux arrestations et aux expulsions,!

Non au contrôle de l’immigration!

Travailleurs français et immigrés, avec ou sans papiers, une seule classe ouvrière!

 


 

(1) cf «Le journal de la Bourse du Travail occupée» n°1 (28 juin); En occupant les locaux de la Bourse, les sans-papiers se donnent un lieu de réunion, de centralisation et d’organisation de leur lutte - ce qui était autrefois la fonction de ces locaux. L’action des travailleurs regroupés dans la CSP 75 mérite de recevoir la solidarité sans faille de tous les prolétaires. Cela ne signifie pas que nous approuvions toutes les orientations qui s’y font jour. Il faut cependant comprendre qu’en l’absence d’un mouvement de classe, il est inévitable que les tendances conciliatrices aient le jeu facile dans les regroupements que se donnent les travailleurs.

(2) «Lutte Ouvrière» n°2075, 9/5/2008.

(3) «Lutte Ouvrière» n°2082, 27/6/2008

(4) Ce c.r. a été publié sur divers sites internet. Voir par exemple: toulouse .indymedia.org/article.php3?id_ article=29231

 

Particommuniste international

www.pcint.org

 

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