L’ «extrême» gauche face à la crise: réformisme et confusion

(«le prolétaire»; N° 491; Nov.-Déc. 2008 - Janvier 2009)

 

 

Aucun de nos lecteurs ne s’étonnera sans doute de la nature des réactions des groupes et partis qui se prétendent révolutionnaires, à la sévère crise que connaît l’économie mondiale, remettant implicitement en cause tout un pan de la propagande bourgeoise sur les bienfaits croissants du capitalisme et sa capacité à dépasser ses contradictions internes.

Les marxistes ont l’habitude de dire que les crises démontrent à la fois le caractère insurmontable de ces contradictions, et le caractère mensonger de tous les apologues du capital, y compris dans leur variété réformiste selon lesquels il peut être pacifiquement et indéfiniment amélioré. Nous verrons que la crise en cours démontre le caractère crassement réformiste et irrémédiablement confusionniste des pseudo-révolutionnaires.

 

Les revendications des libertaires de l’UTCL à l’Etat bourgeois

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L’UTCL a publié le 23 novembre, en marge du G 20 (la réunion des 20 plus grandes puissances), une déclaration internationale signée de 9 groupes libertaires de divers pays (Afrique du Sud, Australie, Brésil, Canada, France, Italie, Pérou et Royaume Uni). On y trouve des banalités qui sont sans aucun doute bonnes à répéter:

«La crise est typique de celles qui apparaissent régulièrement dans l’économie capitaliste»; «la solution à la crise proposée par les capitalistes et les gouvernements demeurera une solution capitaliste. En effet, comme dans toutes les crises, les travailleurs, les travailleuses et les pauvres payent - tandis que le capital financier est renfloué avec des sommes énormes. Il est probable [sic!] que cela continue»; «les nationalisations n’ont rien à voir avec le socialisme»; les dirigeants des nouveaux pouvoirs capitalistes (Chine, Brésil, Inde, etc.) «sont des défenseurs du capitalisme», etc.

Etant non marxistes, il n’est guère surprenant que nos libertaires ne parlent que de «peuple», ignorant la notion de classe ouvrière ou prolétarienne, et qu’ils ignorent donc aussi la nature de classe de l’Etat: «C’est nous [nous qui?] et non l’Etat, qui devons prendre le contrôle de l’économie» écrivent-ils. Ce que cela veut dire, la déclaration se garde bien de le déclarer; mais quoi qu’il en soit, elle appelle à la mobilisation: «Si l’on veut que la crise mène à quoi que ce soit d’autre qu’à la défaite complète des classes populaires (...), les classes populaires doivent se mobiliser». Fort bien, mais se mobiliser pour quoi faire?

Voilà la réponse: «Nous devons exiger [!] des plans de sauvetage, pas pour les capitalistes, mais pour nous [?]. En tant que communistes libertaires, nous nous battrons pour que ceux qui ont acheté des maisons avec des crédits hypothécaires soient renfloués et puissent garder leur maison». Qui peut renflouer ceux qui ont acheté des maisons (des communistes libertaires?), sinon les banques sur l’injonction de l’Etat qui pourtant, quelques lignes plus haut, ne doit pas prendre le contrôle de l’économie?

La déclaration continue: «Nous continuerons à nous engager et à soutenir les luttes pour un travail mieux payé, la réduction du temps de travail, le logement, les services publics, le système de santé, l’aide sociale et l’éducation, la protection de l’environnement».

 Loin de nous l’idée de dédaigner les luttes immédiates des travailleurs pour leurs revendications élémentaires. Ces luttes défensives sont au contraire indispensables pour résister aux pressons capitalistes et pouvoir passer ensuite à l’offensive, à la lutte de classe (non populaire!) révolutionnaire; mais ici nous avons non des axes de lutte, mais un catalogue de revendications typique de toute organisation réformiste où rien n’est oublié, ni l’environnement, ni l’éducation, ni l’aide sociale!

«Nous nous battons, ajoutent martialement nos libertaires, pour l’arrêt des guerres impérialistes et pour l’arrêt des répressions contre notre classe et ses luttes». Bravo! Mais comment se battre pour cet objectif, nous n’en saurons rien. La déclaration internationale se termine par un dernier point où on lit:

«Nous présentons ces revendications en réponse à la réunion du G 20 et nous continuerons à les revendiquer dans le futur». A qui d’autre ces libertaires présentent-ils ces revendications, sinon à l’Etat bourgeois? Ils peuvent bien ensuite évoquer dans la dernière phrase l’«action directe» pour réaliser ces revendications (comment renflouer les crédits hypothécaires par l’action directe?) et «à travers de telles revendications», la construction «d’un mouvement mondial des classes populaires qui puisse conduire à la destruction du capitalisme, de l’Etat et des crises», il est clair que ce n’est que du vent: une organisation (et non un mouvement) mondiale des prolétaires (et non des peuples) pour lutter contre le capitalisme, ne pourra se constituer que sur la base d’un programme politique anticapitaliste bien précis et non sur la base d’une mixture indigeste de revendications immédiates et réformistes à «présenter» à on ne sait qui. Evidemment pour une telle tâche, les prolétaires devront se passer des libertaires...

 

Les recettes miraculeuses des trotskystes

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Les différents groupes trotskystes présentent des variations sur un thème similaire, celle du contrôle des entreprises ou de l’économie. Nous allons en voir un échantillon représentatif. Lutte Ouvrière, dans son n° du 31/10 n’hésite pas à invoquer une «explosion sociale»: «Une explosion sociale est nécessaire pour imposer l’interdiction des licenciements et la répartition du travail entre tous sans diminution de salaire, seule façon de préserver l’emploi. Elle est nécessaire pour imposer l’indexation automatique des salaires sur les prix afin de sauvegarder le pouvoir d’achat». Par définition une explosion sociale n’impose rien du tout, et encore moins, si l’on peut dire, des revendications réformistes complètement absurdes!

Jamais en effet les capitalistes et leur Etat n’accepteront l’interdiction des licenciements, la répartition du travail entre tous, l’indexation automatique des salaires sur les prix; il n’y a que la dictature du prolétariat qui pourrait imposer de telles mesures, avant d’avoir eu le temps et la possibilité d’exproprier les capitalistes.

En attendant, seule la lutte de classe des prolétaires pourra faire reculer les capitalistes et leur arracher un certain nombre de concessions. C’est la renaissance de cette lutte de classe qu’il faudrait préparer, au lieu, comme le fait Lutte Ouvrière, de bercer les prolétaires d’illusions sur la survenue miraculeuse d’une explosion sociale résolvant tous les problèmes...

Les trotskystes radicaux du «Groupe Bolchevik» n’hésitent pas à accuser LO et la LCR d’avoir peur de s’attaquer à la propriété privée capitaliste.

Dans leur journal «Révolution Socialiste» d’octobre, ils publient un texte sur la crise sous le titre: «Expropriation de toutes les banques et de toutes les sociétés financières!». Apparemment la propriété privée des entreprises capitalistes non financières ne doit pas être touchée...

Le G.B. écrit: «La classe ouvrière a les capacités de se défendre, de prendre la tête de tous les opprimés et d’éradiquer les racines des crises, des guerres et de la destruction de l’environnement. Cela commence par la rupture avec Sarkozy, le gouvernement, la 5e République, l’auto-organisation et l’autodéfense de tous les exploités et opprimés, pour déboucher sur un gouvernement des conseils de travailleurs qui mettra en place un plan d’urgence qui n’hésitera pas à exproprier les groupes capitalistes et ouvrira la voie des Etats-Unis socialistes d’Europe. Il va de soi qu’une telle tâche exige un nouveau parti ouvrier, collectiviste et internationaliste».

Belle perspective, à qui il ne manque qu’un détail que le rédacteur du GB a sans doute oublié par inadvertance: la révolution, la lutte armée pour s’emparer du pouvoir et détruire l’Etat bourgeois! Lénine disait pourtant que les communistes devaient sans relâche rappeler cette nécessité aux prolétaires... A moins que ce ne soit pour faciliter le «Front Unique des Organisations qui se réclament des travailleurs», dada traditionnel du GB!

Le texte du GB se clôt par une série de revendications d’un «programme d’urgence» censé dessiner une «solution ouvrière à la crise». A côté des revendications pittoresques du «respect de la laïcité» et d’une «manifestation unie contre le projet de budget 2009» (le GB est issu du lambertisme et il a hérité de ses marottes), on y trouve la perle suivante: «Nationalisation sans indemnité, ni rachat, des banques, des organismes de crédit, des compagnies d’assurance et de toutes les sociétés financières, sous contrôle de leurs travailleurs et de leurs clients!». «Conseils de travailleurs et de clients», c’est quand même plus moderne que les vieux Conseils d’ouvriers et de soldats de 1917!

 

Le «plan d’urgence» de la LCR

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La LCR a publié sur les pages de plusieurs numéros de son organe «Rouge», les positions de divers «économistes progressistes». Comme elle n’a fait aucune critique à ses positions plus réformistes les unes que les autres, il est licite d’imaginer qu’elle les approuve. Mais bornons nous à critiquer les positions qu’elle revendique explicitement.

La LCR appelle à un «plan d’urgence». «Il faut un plan d’urgence qui s’attaque à la racine de la crise», déclarait ainsi Besancenot le 30 septembre. Plus précisément: «il faut mettre en place un service public bancaire, sous le contrôle des salariés du secteur et de la population, service public décentralisé et mutualisé qui aurait pour objectif de drainer l’épargne et de mobiliser le crédit pour satisfaire les besoins sociaux décidés par la collectivité» et il finissait par: «Moraliser le capitalisme est un leurre. Il faut bien au contraire le renverser».

Il est pour le moins contradictoire de parler de renverser le capitalisme tout en proposant la création d’un service d’Etat pour drainer l’épargne et mobiliser le crédit: tant qu’existe l’épargne et le crédit, c’est-à-dire l’argent, le capitalisme existe aussi!

Le numéro 2269 (9/10) de Rouge précise «Trois mesures d’urgence anticapitalistes». La première, c’est «Briser le pouvoir de la finance», la finance, et non le capitalisme en soi, étant donc vue comme la cause de tous les maux.

Mais attention, les trotskystes de la LCR ne sont pas de dangereux gauchistes irresponsables et ils sont bien d’accord qu’il faut sauver les banques: «Dans l’immédiat, les salariés n’ont rien à gagner à un effondrement du système financier, car un tel effondrement signifierait la fin du crédit, et la fin du crédit, c’est l’impossibilité de financer les activités réelles de production de biens et de services, donc une accélération dramatique de la crise sociale. Il n’y a donc pas lieu de s’opposer, sur le principe, au sauvetage des banques. En revanche, c’est sur les conditions dans lesquelles celui-ci s’effectue que doit se concentrer la bataille».

Et comme axe de «bataille», la LCR ressort la grotesque proposition de suppression de l’article 56 du Traité de Lisbonne (pas encore entré en vigueur) dont nous avons déjà parlé: 37 000 personnes auraient déjà signé la pétition. Les requins de la finance doivent trembler...

En résumé, les travailleurs ont tout intérêt à ce que le capitalisme soit en bonne santé, sinon ce serait la crise sociale! C’est ce que disent non seulement Ségolène Royal et Marie-George Buffet, mais aussi Sarkozy qui affirme vouloir imposer des conditions au sauvetage des banques qui vont bien plus loin que la suppression de ce fameux article 56...

S’il était encore besoin de donner un exemple du crétinisme réformiste et démocratique de la LCR, nous pourrions le trouver dans le n° 2272 de son journal (30/10). La LCR s’insurge devant le «dévoiement» des actions de la Caisse des dépôts et consignations.

 Créée en 1816 par Louis XVIII pour rétablir la confiance dans les finances publiques après les guerres napoléoniennes, la CDC est devenue un «investisseur institutionnel» qui exerce des activités dans le financement du secteur immobilier et qui est présent dans le capital de nombreuses grandes entreprises, financières ou non, de la Société Générale à Peugeot-Citroën. Elle a par exemple récemment joué un rôle dans la bataille pour le contrôle de la société de construction Eiffage qui était convoitée par l’espagnole Sacyr.

 Indignés par le fait que la CDC ait été utilisée pour renflouer la banque franco-belge Dexia (spécialisée dans le financement des collectivités locales), les trotskystes de la LCR écrivent: «En quelques semaines, plus de 30 milliards de fonds de la République [!], issus majoritairement de l’épargne populaire [!!] et placés sous la protection [!!!] de la CDC ont été dispersés, sans contrepartie solide [!!!!]. (...) Ces différentes opérations illustrent bien le dévoiement des missions de la CDC et le mépris de son autonomie démocratique».

Parler de l’autonomie démocratique de ce véritable bras financier du capitalisme français, il fallait l’oser! Mais continuons à lire, cela en vaut la peine:

«Ces orientations doivent être fermement combattues. Avant qu’il ne soit trop tard, il est urgent que le mouvement social, les citoyens et leurs représentants exigent la transparence et le contrôle de l’utilisation de ces fonds».

On n’en est plus au contrôle des «classes populaires» comme chez les libertaires, ni des «travailleurs et des clients» comme chez le GB, mais à celui des «représentants des citoyens», c’est-à-dire des députés! C’est d’ailleurs ce qui devrait se passer, la CDC dépendant en théorie du parlement: l’exigence de la «révolutionnaire» LCR se résume donc en définitive à un banal appel au parlement bourgeois pour qu’il joue son rôle constitutionnel...

 

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En résumé, en fait d’attaque à la racine de la crise, ces groupes sont incapables de proposer autre chose que des perspectives mensongères de contrôle du capitalisme, plus ou moins camouflées selon les cas de phrases vides à consonance révolutionnaire. Le capitalisme ne peut pas se «contrôler», que ce soit par le peuple, les députés ou les travailleurs.

Mais il peut et il doit être combattu pied à pied par les prolétaires organisés pour mener cette lutte de classe, avant qu’il puisse être extirpé par la dictature prolétarienne internationale après la victoire de la révolution. C’est une perspective qui ne pourra se réaliser du jour au lendemain; elle exigera au contraire beaucoup d’efforts et de sacrifices - cette fois-ci pour leur propre cause - de la part des prolétaires. Mais il n’existe pas d’autre moyen pour s’attaquer à la racine des crises et pour s’opposer à l’avenir de misère et de guerre que prépare le capitalisme.

Et le seul «plan d’urgence» qui vaille, c’est le travail patient pour reconstituer, contre tous les faux partis révolutionnaires, le parti de classe international qui est indispensable à la lutte de classe prolétarienne et à sa victoire.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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