Massacres en Guinée

(«le prolétaire»; N° 494; Sept.-Oct.-Nov. 2009)

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Le 22 décembre 2008 mourait Lansana Conté après 24 ans de pouvoir (il était en fait gravement malade depuis longtemps et ne servait plus que prête-nom au clan présidentiel). Sa mort n’a été annoncée qu’au bout d’une semaine, sans doute pour permettre le placement en lieu sûr de la fortune de ses proches et pour préparer une transition selon leurs voeux. Cette dernière circonstance ne se réalisa pas. A la suite de quelques affrontements au sein de l’armée une junte militaire s’empara du pouvoir sous le nom de CNDD (Conseil National pour la Démocratie et le Développement); le chef en était le capitaine Dadis Camara.

Aussitôt toutes les personnalités politiques accoururent au camp militaire faire allégeance au CNDD, à commencer par les ministres du gouvernement en place qui auraient du assurer la transition! Les derniers ne furent pas les chefs syndicaux. Hadja Rabiatou Diallo, secrétaire générale du principal syndical, la CGTG, expliquait après sa rencontre avec Camara: «un coup d’Etat contre un cadavre n’est pas un coup d’Etat. Les jeunes officiers du CNDD ont occupé un siège vacant. Le premier qui s’est jeté dessus l’a pris. Et nous syndicalistes, nous nous réjouissons qu’il l’ait fait» (1). Elle précisera ailleurs que Camara faisait partie des noms proposés par les syndicats pour être premier ministre lors des négociations avec Conté qui avaient abouti à la liquidation de la grève générale en 2007.

Les Etats-Unis regrettèrent que la Constitution n’ait pas été respectée (comme si cette constitution était autre chose qu’un chiffon de papier que Conté avait toujours foulée aux pieds) et en général la «Communauté internationale» condamna - platoniquement - cette prise de pouvoir. La France n’eut même pas cette pudeur (ou cette hypocrisie démocratique) en soutenant d’emblée la junte.

Dans les premiers temps, le CNDD connut un état de grâce; Camara limogea quelques caciques de l’ancien régime et multiplia les déclarations contre la corruption. Il prit l’habitude de faire téléviser ses interventions au cours desquelles il prenait à partie tel ou tel haut personnage. Baptisés «Dadis show», ces émissions télévisées connurent un grand succès.

 

Les luttes ouvrières à Rusal

 

La ressemblance avec un Hugo Chavez se fit plus précise lors des problèmes sociaux à Rusal. Il s’agit d’une usine d’alumine (la seule d’Afrique), la Guinée étant le deuxième producteur mondial de bauxite, le minerai qui est à l’origine de l’aluminium. Créée par Péchiney, l’usine qui est le plus grand employeur privé du pays, était devenue propriété d’Etat avant d’être vendue à un trust russe sous Conté. Pendant l’année 2008 plusieurs mouvements de grève avaient eu lieu à Rusal. A l’avant-garde de ces grèves souvent sauvages (déclenchées sans préavis) se trouvait un groupe de jeunes ouvriers qui accusaient les dirigeants syndicaux d’être de mèche avec les patrons. Au printemps 2009 une nouvelle grève se déclenchait pour obtenir le paiement du salaire minimum (300 dollars). Les ouvriers s’emparaient des cadres russes pour les ramener chez eux. Les femmes des ouvriers organisaient une grande marche de soutien aux grévistes. Devant cette situation le CNDD se trouvait contraint d’agir, la direction refusant toute concession aux ouvriers. Camara convoquait alors les syndicalistes pour leur annoncer qu’il allait nationaliser l’entreprise, l’argument étant qu’elle avait été bradée lors de la vente aux Russes, sans doute en contrepartie d’un important bakchich. Tout comme Chavez avec les travailleurs de Sidor, Camara réussissait ainsi à arrêter la lutte des ouvriers de Rusal...

Le désenchantement vis-à-vis de Camara et du CNDD a été cependant rapide, étant donné que pour les travailleurs et les masses pauvres rien n’a changé. Le mécontentement est allé croissant comme le montrent les émeutes sporadiques qui ont éclaté ici ou là. La «nationalisation» de Rusal- en réalité l’annulation de la vente - traîne en longueur, les capitalistes russes n’entendant pas se laisser déposséder, alors même que cette décision a inquiété les impérialistes présents en Guinée: le 3 septembre ils décidaient un lock-out de l’entreprise.

 De plus la décision de Camara de se présenter aux élections présidentielles lui a aliéné la classe politique. Les partis politiques et les syndicats ont créé une alliance informelle sous le nom des «Forces Vives» pour s’opposer à cette volonté. Ces F.V. organisaient le 27 septembre un grand meeting à Conakry pour demander au CNDD de respecter ses engagements à céder le pouvoir aux civils; dès le matin des groupes de jeunes descendus des quartiers populaires commençaient à sillonner le centre-ville aux cris de A bas Camara! La junte décidait l’interdiction du meeting alors que les gens commençaient déjà à se rassembler. L’armée, principalement les Bérets Rouges de la Garde présidentielle ouvraient alors le feu sur les manifestants désarmés, se livrant à un véritable massacre, à des viols et des exactions de toutes sortes. Le nombre des morts est inconnu, nombreux ayant été enterrés en cachette, mais il est probablement supérieur à 150.

La condamnation par la «Communauté internationale» a été unanime, des sanctions ont été prises officiellement pour pousser la junte à céder le pouvoir (sanctions pas bien terribles: refus d’accorder des visas au chefs du CNDD); ’Camara et cie n’envisageant pas de se retirer, une «médiation» entre le CNDD et l’opposition a été confiée au président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, qui a toujours été un homme-lige de l’impérialisme français; il s’y connaît en putsch, puisque c’est comme ça qu’il est arrivé au pouvoir, en assassinats, puisqu’il a fait assassiner son camarade Sankara; et en répression aveugle puisque c’est ainsi qu’il a réprimé les manifestations contre la vie chère de l’an dernier. Les «Forces Vives» n’ont pas récusé un tel personnage et elles seront présentes aux négociations qui doivent se tenir à Ouagadougou (la capitale du Burkina).

Les libertaires de la CNT française ont publié un appel du «Mouvement social guinéen» en date du 28/9 qu’ils demandent sans rougir de diffuser largement. Ce MSG est un front interclassiste regroupant syndicats, organisations patronales et les «Forces Vives» dont nous avons parlé. Il remercie les Etats impérialistes et africains de leur réaction aux massacres, exhorte les religieux à le soutenir pour «restaurer la paix» et appelle à une «transition apaisée» en faveur de l’établissement de la démocratie.

La signature des dirigeants syndicaux au bas de ce document honteux ne peut surprendre: ils ont déjà montré ce qu’ils valaient en faisant avorter la grève général en 2007 avec l’objectif de mettre sur pied un «gouvernement de consensus». Face au massacre du 27 septembre, ils ont appelé non à la lutte mais... à la prière (appel à des journées de deuil). Mais ce n’est pas par la prière qu’il sera possible de faire tomber les dictateurs. Les prolétaires et les masses guinéennes ont montré lors des grèves générales qu’elles étaient capables de mettre n’importe quel pouvoir à genoux.

Mais c’est bien ce qui inquiète les dirigeants syndicaux comme les patrons et les impérialistes et c’est ce qu’ils veulent empêcher à tout prix. Ils n’hésiteront pas demain à faire la paix avec Camara comme ils l’ont fait avec Conté, en dépit des flots de sang répandus par l’un comme par l’autre et en dépit que ces derniers ont fait et feront la guerre aux prolétaires.

Les événements de Guinée sont une leçon pour tous les prolétaires du monde: là-bas comme partout il ne faut faire aucune confiance aux réformistes qui n’ont que l’entente nationale et le bien de la société à la bouche et qui cherchent à s’allier aux patrons; là-bas comme partout la lutte prolétarienne pour vaincre doit pouvoir s’appuyer sur l’organisation de classe indépendante des travailleurs, là-bas comme partout elle a besoin d’une véritable direction de classe qui ne cherche pas à la trahir au premier moment, c’est-à-dire du parti de classe.

 


 

(1) cf Le Monde, 9/1/200

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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