Grèce: Le KKE contre la lutte de classe
(«le prolétaire»; N° 496; Avril-Mai-Juin 2010)
Le Parti Communiste Grec (KKE) s’affirme haut et fort comme le défenseur acharné et sans compromis des prolétaires, multipliant les dénonciations du gouvernement au service de la «ploutocratie» et des impérialistes. Par l’intermédiaire de la fraction syndicale qu’il contrôle, le PAME, il entend pousser les grandes confédérations syndicales liées au PASOK à la lutte contre les mesures d’austérité redoublées qui s’abattent sur les travailleurs.
Il vaut la peine de s’attarder un peu sur quelques unes de ses déclarations tonitruantes pour voir ce qui se cache derrière..
C’est ainsi que dans son appel pour le premier mai (1), le KKE n’est pas avare de formules combatives:
«Camarades, travailleurs grecs et immigrés, jeunes, retraités, chômeurs, le KKE vous appelle à faire de ce premier mai un hommage aux luttes et sacrifices de notre classe, une nouvelle progression de la conscience politique de classe et un accroissement de l’engagement militant pour s’opposer à la politique criminelle du gouvernement et de la ploutocratie qui mène la classe ouvrière, nos familles et nos enfants à l’exploitation la plus brutale et la plus sauvage, à la pauvreté permanente et au chômage. (...) Que personne ne craigne de faire des sacrifices pour la lutte, que personne ne succombe (...) aux résultats de cette politique qui sert aux bénéfices et au renforcement des monopoles».
On voit que l’appel n’hésite pas à parler de classe, mais c’est pour mettre en avant une orientation et un but interclassistes. La phrase suivante dit en effet:
«C’est l’heure de lever l’unité de classe et la mobilisation populaire contre nos droits. (...) Notre classe a le pouvoir et la possibilité de diriger la formation d’un grand front antimonopoliste, anti-impérialiste et démocratique qui abattra le pouvoir des monopoles et luttera pour le pouvoir populaire» (souligné dans le texte).
L’adversaire à combattre n’est donc pas le système capitaliste et la lutte n’est pas une lutte de classe contre la classe bourgeoise; l’adversaire pour le KKE, outre les impérialistes (étrangers), ce sont les «monopoles», la «ploutocratie» - donc une poignée de très riches; la lutte, est une lutte populaire, démocratique - donc une lutte de plusieurs classes - pour un pouvoir «populaire» non défini. Le texte revient un peu plus loin sur ce dernier point:
«Vous avez expérimenté la voie de développement qui sert au profit capitaliste. (...) Pourtant il existe une issue. Il existe une voie de développement qui sert aux besoins des travailleurs et du peuple. C’est la voie du pouvoir populaire, de l’économie populaire» (souligné dans le texte).
Ce pouvoir et cette économie sont ils socialistes ou capitalistes, le KKE évite soigneusement de le dire; mais si le flou est nécessaire à sa démagogie interclassiste (pour rassembler les prolétaires dans un front commun avec les petit-bourgeois et les bourgeois non ploutocrates, il faut mettre de côté les intérêts de classe prolétariens!), l’utilisation de la terminologie populaire démontre qu’il ne s’agit pas de pouvoir ou d’économie de classe, c’est-à-dire socialistes: critiquant le profit capitaliste mais faisant référence aux ex-pseudo régimes socialistes de l’Est (capitalistes d’Etat en réalité), le KKE démontre qu’il ne peut proposer autre chose qu’une version «améliorée» du capitalisme.
Un autre document intitulé «Les propositions du KKE pour trouver une solution à la crise» (2) précise un peu mieux quelles sont les perspectives de ce parti.
«Le temps est venu pour un front populaire et social» peut-on y lire, front qui «doit avoir deux buts liés entre eux»:
«Le premier est la lutte, ce qui suppose de résister, de mener une guerre d’usure et de saper ces mesures barbares (...) lutte contre un appareil dont une partie est le système politique bourgeois du parti et la ploutocratie».
«Cependant la plus importante tâche de notre front doit être créative, celle de libérer un point de vue militant et populaire, l’optimisme et la dignité militantes, un patriotisme de classe [!] et l’internationalisme, l’action populaire et les initiatives qui peuvent transformer le front en un vaste courant de modification et d’inversion du rapport des forces. Ce front a un choix, créatif et réaliste. Renforcer la proposition alternative pour un pouvoir populaire ayant comme mot d’ordre central: socialisation des monopoles, formation de coopératives populaires (...), planification nationale sous contrôle du peuple et des travailleurs depuis la base. Prouver et démontrer que les possibilités de développement de notre pays existent toujours, mais qu’un temps précieux ne doit pas être perdu (...).».
Le KKE écrit ainsi en toutes lettres que pour lui la lutte n’est pas le plus important! Cette lutte contre les mesures d’austérité gouvernementales est d’ailleurs conçue uniquement comme une «guerre d’usure» dont le «coeur» «reste sur les lieux de travail, les rues avec les petits commerces, la campagne, les écoles, les universités, les quartiers immigrés, tous les quartiers ouvriers et populaires»; bref, face à l’attaque capitaliste unitaire et centralisée par l’Etat bourgeois, il préconise la stratégie défaitiste d’une lutte émiettée suivant les diverses classes sociales qui devraient y participent... Notons également la revendication du patriotisme, qui est en opposition directe à l’internationalisme prolétarien; le KKE parle bien d’internationalisme, mais il est incapable de le concevoir autrement que comme une «action commune des peuples», c’est-à-dire en noyant une fois de plus le prolétariat dans l’interclassisme.
De toutes façons, pour lui, le plus important c’est sa proposition d’un pouvoir populaire, couronnement de son orientation interclassiste. Le texte énumère fièrement les atouts de la Grèce: ses ressources naturelles et ses richesses minérales, «le niveau satisfaisant de concentration de la production, des moyens de production, son réseau commercial dense», les qualités de sa main d’oeuvre (!), expérimentée, éduquée, etc., pour démontrer que le pays est en condition de «constituer et développer une économie populaire autonome».
Cette économie populaire serait caractérisée par la «socialisation» des grandes branches économiques et une «planification centralisée»; le pays sortirait de l’Union européenne et la dette publique ne serait pas répudiée (n’exagérons pas!), mais «réexaminée» «avec comme critère principal, les intérêts du peuple» (?).
A aucun moment il n’est indiqué que cette économie future qui permettrait de «satisfaire des besoins des travailleurs» et «de développer les moyens de production» serait en rupture avec le mode de production capitaliste, qu’elle n’obéirait plus à la loi de la valeur, qu’elle verrait la disparition du marché c’est-à-dire de la production de marchandises, de la circulation monétaire, de l’organisation en entreprises, etc., et donc des classes sociales; en un mot que ce serait une économie socialiste ou en transition vers le socialisme.
Lutte de classe, révolution, dictature du prolétariat, tous ces concepts de base pour les véritables communistes sont inconnus pour nos héritiers du stalinisme. Et d’ailleurs comment serait-il possible de les revendiquer quand on cherche une alliance avec les petits commerçants, les paysans, les intellectuels? Sans rupture avec le capitalisme, sans renversement de l’Etat bourgeois dont ne veulent à aucun prix les petits et moyens bourgeois, il serait pourtant possible selon le KKE d’arriver à un régime idéal satisfaisant démocratiquement aux intérêts des diverses classes du peuple...
Est-il nécessaire de faire une longue analyse pour montrer l’absurdité de cette idée de nature typiquement petite-bourgeoise? Le KKE lui-même n’y croit pas: ce n’est rien d’autre qu’un attrape-nigaud pour appuyer sa perspective de «front démocratique» ou «front populaire».
L’analyse rapide de ces textes démontrent que le KKE n’a rien de communiste, qu’il n’est pas le parti de classe des prolétaires, mais un des multiples partis de la collaboration de classe Le Manifeste du Parti Communiste écrivait: «Les classes moyennes, petits industriels, petit commerçants, artisans, paysans, tous combattent la bourgeoisie pour sauver leur existence de classes moyennes du déclin qui les menace; elles ne sont donc pas révolutionnaires mais conservatrices; bien plus elles sont réactionnaires: elles cherchent à faire tourner à l’envers la roue de l’histoire. Si elles sont révolutionnaires [c’est en abandonnant] leur propre point de vue pour se placer sur celui du prolétariat» (3).
Le KKE, lui, comme tous les partis anticommunistes de son espèce, s’efforce d’empêcher le prolétariat de retrouver son propre point de vue pour le placer sur celui des classes moyennes!
Sa politique des dernières années confirme cette conclusion, si c’était nécessaire. Troisième plus grand parti de Grèce, le KKE est un parti parlementaire réformiste classique. En 1988, dans le cadre d’un front de gauche appelé «Synaspismos» où il s’était rassemblé avec ses anciens dissidents «eurocommunistes» et d’autres, il n’a pas hésité à participer à un gouvernement d’union avec le parti de droite Nouvelle Démocratie pour barrer la route au PASOK! Ce gouvernement ne dura que quelques mois et en 1991 le KKE quitta Synaspismos: depuis, il cherche à faire oublier son passage au gouvernement.
Aux dernières élections législatives (octobre 2009) remportées par le PASOK (44% des voix, contre 33,5% à la Nouvelle Démocratie), il a recueilli 7,5% des suffrages et obtenu 21 députés. En décembre 2008, le KKE avait déclaré que les émeutes déclenchées après l’assassinat d’un jeune par la police étaient l’oeuvre de fanatiques violents et organisées par des services d’espionnage étrangers! A la suite de ces déclarations plusieurs sièges du KKE à Thessalonique ont été attaqués à coups de cocktails molotov...
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Digne descendant des tenants de la théorie du socialisme dans un seul pays qui ont étranglé la révolution internationale et massacré ses militants, partisan fanatique de la légalité, le KKE ne tient un discours combatif que pour prévenir un combat véritable; il n’agite sa perspective de «front populaire» que pour enterrer la seule perspective non illusoire pour les prolétaires: celle de l’organisation économique et politique sur des bases de classe indépendantes, afin de mener la lutte pour la défense exclusive de leurs seuls intérêts de classe, avant de pouvoir demain passer à l’attaque contre la bourgeoisie, son Etat et son système économique, en union étroite avec les prolétaires des autres pays.
(1) cf. es.gr.kke.gr/news/news2010/2010-05-1may. Les textes du KKE peuvent être consultés dans différentes langues sur son site: www.kke.gr.
(2) cf fr.kke.gr/news/2010news/2010-05-14-proposalkke
(3) cf «Le Manifeste...», chapitre «Bourgeois et prolétaires»
Parti communiste international
www.pcint.org