Le collaborationnisme politique et syndical en action pour empêcher la défense des retraites

(«le prolétaire»; N° 497; Juil.-Août-Sept.-Oct. 2010)

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L’éditorialiste d’un quotidien patronal écrivait le 30 septembre que «l’opinion publique» était «interloquée de voir les syndicats renoncer à pousser leur avantage» (1); et il expliquait à ses lecteurs bourgeois sans doute perplexes qu’il n’y allait pas avoir de grève reconductible, parce que «les grandes confédérations syndicales en ont peur», même si «de plus en plus nombreux étaient les manifestants désireux de franchir un nouveau cran dans la mobilisation». Selon lui, trois raisons expliqueraient l’attitude des syndicats: ils auraient peur de l’échec d’un mouvement de grève reconductible, ils redouteraient le danger de coupure entre travailleurs du public et du privé en cas de grève, et ils craindraient de perdre le contrôle d’un mouvement dont ils «n’attendent plus vraiment qu’il débouche sur des concessions de la part du pouvoir», avec le risque de «renforcer les organisations extrémistes comme SUD-rail». L’éditorialiste n’a pas pris la peine de préciser que ces «extrémistes» font partie depuis deux ans de l’intersyndicale dont il loue le «comportement responsable adopté depuis le début du mouvement»...

La réalité est que les grandes confédérations syndicales, en France comme ailleurs (voir l’article sur l’Espagne), sont des organisations collaborationnistes dont la raison d’être - et plus trivialement le financement par le réseau des institutions de la collaboration entre les classes - est de ne soutenir les revendications prolétariennes que dans la stricte mesure où elles ont compatibles avec les exigences de l’économie et de l’entreprise capitalistes.

 Chacune de ces confédérations occupe sans doute un créneau particulier, correspondant aux catégories de salariés à laquelle elle s’adresse; la CFDT est la première à reprendre ouvertement les exigences bourgeoises alors que la CGT est obligée de se montrer un peu plus revendicative en paroles; quant aux syndicats plus petits comme SUD (Solidaires) qui regroupe des éléments critiques par rapport à la CFDT et à la CGT, ils doivent tenir un discours combatif. Mais tous s’emploient dans les faits à éviter que n’éclate une lutte réelle.

Il est vrai que Solidaires a dernièrement critiqué l’intersyndicale et repris à son compte l’objectif de «retrait du projet de loi» que l’intersyndicale refuse. D’ailleurs Annick Coupé, porte-parole de Solidaires n’a-t-elle pas affirmé dans une interview au «Monde» (2) qu’il fallait «un affrontement central avec ce gouvernement»? Fortes paroles, mais qui pour être crédibles, n’auraient pas dû être suivies par un sacré bémol: «personne ne peut dire à l’avance quelle forme cela peut prendre: grève générale, grève reconductible, manifestations à répétition... La question n’est pas de décider à la place des travailleurs, mais de porter cet objectif (...) L’unité syndicale reste décisive pour les mobilisations et nous y sommes attachés car nous voulons gagner». A quoi peut servir l’unité avec ceux qui ne veulent ni du retrait du projet, ni d’affrontement avec le gouvernement, sinon à attacher les travailleurs à une stratégie (entièrement décidée à leur place) qui mène inévitablement à la défaite sans combat?

On nous rétorquera peut-être que des syndicats Solidaires ont déposé des préavis de grève reconductible lors des dernières manifestations; cela s’explique sans doute par le désir de certains adhérents de ces syndicats de sortir de l’impasse mortelle dans laquelle l’intersyndicale dévie le mécontentement; mais cela a encore moins de valeur pour prétendre que Solidaires a une orientation différente de la CGT ou de la CFDT que la décision de FO d’appeler à un jour de grève générale; dans les deux cas il ne s’agit que de récupérer le mécontentement de certains secteurs du prolétariat ou de ne pas se laisser déborder par ses adhérents. Ni Solidaires, ni FO, n’envisagent de rompre avec l’Intersyndicale et encore moins avec sa politique de diversion et d’épuisement des travailleurs; si Solidaires parle d’une grève reconductible, c’est en précisant toujours qu’elle ne l’envisage que «dans l’unité» - l’unité avec ceux qui ont déjà saboté toutes les grèves reconductibles! Peut-on se moquer davantage des prolétaires?

Les AG de grévistes ou de manifestants qui se sont déroulées dans certains endroits, sont condamnées à l’impuissance tant qu’elles en restent aux orientations de leurs organisateurs: unité syndicale ou pression sur les syndicats pour qu’ils se mettent à organise une vraie lutte. Par exemple, l’appel des «Syndicalistes pour la grève générale» (3), non seulement n’ose pas faire une critique ouverte du sabotage des organisations collaborationnistes, mais tient à préciser que sa «démarche n’est pas proclamatoire (...). Il ne s’agit pas d’exiger des structures syndicales nationales d’agir en dehors des mandats décidés dans le cadre de leur fonctionnement interne». Appeler les adhérents des syndicats à «construire» (sic!) la grève générale, tout en affirmant ne pas vouloir remettre en cause le fonctionnement et le rôle des bureaucraties qui brident toute initiative des travailleurs et des adhérents de base au nom de la collaboration entre les classes, qu’est que cela signifie sinon vouloir cacher, aux yeux des prolétaires qui s’interrogent, la nature foncièrement anti-prolétarienne de ces appareils syndicaux?

La rupture nécessaire avec la pratique collaborationniste et avec les appareils qui la défendent, ne peut sans doute avoir lieu dans la situation actuelle que chez des minorités de prolétaires; mais la tâche des ces éléments d’avant-garde n’est pas de se mettre à la remorque de la masse des travailleurs au nom de la «démocratie». Il leur faut, non pas camoufler leur position ou la mettre de côté pour tenter des manoeuvres condamnées à l’échec envers les bonzeries syndicales, mais expliquer ouvertement la vérité à leurs frères de classe et travailler à les gagner à la lutte prolétarienne.

 

Le suivisme de l’extrême gauche

 

Ce n’est évidemment pas ce que font les organisations dites d’ extrême gauche. Le NPA trouve que le calendrier de l’intersyndicale est «tardif», qu’il aurait «dû être plus resserré, plus offensif», mais sa très timide critique ne va pas jusqu’à expliquer comme le journaliste bourgeois que nous avons cité, que l’intersyndicale est opposée à une véritable lutte. Lui aussi appelle à «aller vers la reconduction de la grève pour construire (re-sic!) la grève générale» (4) (le style est aussi contourné que l’orientation politique), comme si le problème de qui dirigerait cette éventuelle grève n’avait pas lieu d’être; cela veut dire que le NPA, comme nos syndicalistes unitaires, entend laisser aux appareils syndicaux la direction du mouvement: la défaite est assurée...

De son côté, «Lutte Ouvrière» va encore moins loin; on chercherait vainement dans les pages de son hebdomadaire une critique quelconque de l’action des syndicats; on peut y lire au contraire que les propositions des dirigeants syndicaux «ouvrent une perspective de mobilisation pour le monde du travail. Il faut s’en saisir» (5); ou que c’est «du devoir des confédérations syndicales de faire en sorte que le mouvement ne s’arrête pas le 23 septembre» (6) L.O. n’hésite pas à critiquer le PS parce que, tout en se disant opposé à la réforme de Sarkozy, il ne s’oppose qu’à l’augmentation de l’âge légal de départ à la retraite et pas à l’allongement de la durée de cotisation (7). Mais L.O. «oublie» de dire, c’est-à-dire cache à ses lecteurs, que c’est là la position ouverte de la CFDT et la position implicite de l’intersyndicale! Qu’aurait dit Trotsky de ces gens qui font croire au sens du devoir des bonzeries syndicales? Qu’ils ne sont certainement pas des communistes ou des révolutionnaires, mais de fieffés menteurs dont l’action ne peut bénéficier qu’à l’ennemi de classe...

Les travailleurs ne pourront avancer sur la voie de la lutte réelle que lorsqu’ils cesseront de voir dans les organisations collaborationnistes des soutiens indispensables à leurs revendications; lorsqu’ils commenceront à s’organiser, avec des objectifs et des méthodes de classe, indépendamment de l’influence désastreuse de ces professionnels de la collaboration entre les classes.

Mais il leur faudra aussi rompre avec tous les faux amis, avec tous les prétendus révolutionnaires qui ne veulent ni ne peuvent être autre chose que les valets de ces grandes organisations et partis réformistes.

L’aggravation des attaques bourgeoises accélérera cette nécessaire clarification en faisant faire aux prolétaires l’expérience directe de ce que valent les discours et les orientations des uns et des autres. C’est elle qui les poussera à la reprise de la lutte de classe, leur faisant ressentir en conséquence de façon de plus en plus pressante le besoin de l’organisation et du parti de classe.

 

03/10/2010


 

(1) cf Les Echos, 30/9/10.

(2) cf Le Monde, 21/9/10.

(3) Voir sur leur site: www. syndicalistes unitaires.org.

(4) cf Tout est à nous (hebdo du NPA), 28/9/10

(5) cf Lutte Ouvrière n°2199, 24/9/10 (éditorial des bulletins d’entreprise).

(6) cf Lutte Ouvrière n°2200, 1/10/10 (édito des bulletins d’entreprise).

(7) cf L.O. n° 2199, op. cit.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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