Les mesures anti-ouvrières du gouvernement socialiste espagnol

(«le prolétaire»; N° 497; Juil.-Août-Sept.-Oct. 2010)

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Suivant la trace des ses collègues Grecs et précédant d’autres pays comme l’Allemagne ou l’Italie qui vont continuer la voie des réformes économiques, et pressé par les besoins de la bourgeoisie nationale dans une situation de crise, le gouvernement socialiste d’Espagne a lancé une attaque en règle contre les conditions de vie de la classe prolétarienne.

Bien que tous les apologistes de la bourgeoisie clament la fin de cette crise qui a commencé en 2008 et qui a touché pratiquement tous les pays du monde, frappant de plein fouet le secteur financier de l’économie et faisant plonger avec lui l’ensemble de la dite économie réelle (celle qui produit directement des marchandises et des services), les prémisses sur lesquelles s’appuie la sortie de la crise sont en fait des facteurs de sa prolongation et de son aggravation: l’argent injecté à bas coût dans le système bancaire ou l’endettement public sont en effet des solutions qui ne résolvent pas le problème dans lequel retombe périodiquement la production capitaliste et la société bourgeoise: la crise de surproduction au cours de laquelle le taux de profit de l’investissement devient complètement insuffisant pour maintenir les niveaux où était arrivé la production. Les mesures qui cherchent à garantir l’investissement à travers la création de liquidités ou par l’intervention directe de l’Etat ne peuvent qu’exacerber la crise en y introduisant des éléments aggravants.

Mais ce sont là les seules mesures que la bourgeoisie pense adopter pour sortir le capital de sa crise. L’autre face de la généreuse intervention de l’Etat que tous les intellectuels du système bourgeois ont applaudi, ce sont les mesures dirigées contre la classe ouvrière dans le but d’extraire le plus possible de plus-value de la force de travail; un ensemble de recettes économiques qui ont été également saluées par les experts économiques, et avec lesquelles on prétend dégrader les conditions de vie et de travail des prolétaires en les soumettant à une stricte discipline pour augmenter son exploitation. Les principales mesures sont les suivantes:

- La réforme du travail qui réduit drastiquement les indemnités de chômage, en les faisant passer à 25 jours pour chaque année de travail, au lieu de 33. Elle introduit aussi la possibilité pour les entreprises de modifier unilatéralement les contrats de travail pour y introduire les changements nécessaires à la bonne marche des affaires.

- La réforme du système des retraites qui veut diminuer ce que reçoivent les retraités en augmentant l’âge de départ à la retraite de 65 à 67 ans et les années de cotisation sur lesquelles s’établit la pension: non plus les 15 dernières années, mais l’ensemble de la durée de vie au travail.

- Les mesures d’urgence du «plan anti-crise» comme la baisse de 5% du salaire moyen des fonctionnaires, la suppression des 420 euros pour les chômeurs non indemnisés ou la «diminution des dépenses d’autonomie» qui se réfère sans aucun doute au système de prestations qui sera transféré aux Communautés Autonomes (Revenu minimum d’insertion, etc.). Dans la dernière mouture de ces mesures, les diminutions des aides aux chômeurs (baisse générale et obstacles plus grands pour obtenir les indemnités, contrôles des chômeurs, etc.) vont de pair avec la hausse des impôts (comme la TVA) destinée à accroître les revenus de l’Etat pour qu’il puisse continuer à soutenir - économiquement, politiquement et militairement - les grandes entreprises et le secteur financier;

Cet ensemble de mesures est la concrétisation dans les faits des exigences de la bourgeoisie qui reviennent toujours à extorquer davantage de bénéfice de la classe ouvrière en augmentant le rythme du travail, en diminuant les salaires, etc., bref en aggravant sauvagement l’exploitation des travailleurs pour surmonter une crise... en préparant une crise ultérieure, et à terme, un nouveau conflit mondial.

C’est une nécessité fondamentale pour les prolétaires de répondre à ces attaques; l’aggravation constante de leurs conditions de vie les place en effet devant l’alternative de tomber dans la misère la plus aiguë... ou de lutter. Et lutter, pour les prolétaires, ce n’est pas se laisser happer par l’illusion répandue par la bourgeoisie de créer son entreprise ou de se surmonter un moment difficile en serrant les dents (et en se serrant la ceinture, bien entendu), ce qui signifie en définitive aggraver la concurrence avec les autres prolétaires, en cherchant à profiter des rares possibilités offertes par le système bourgeois de s’en sortir «seul contre tous».

Lutter, pour la classe prolétarienne, cela signifie affronter la classe bourgeoise sur le terrain de la défense intransigeante de ses intérêts de classe; c’est-à-dire pour l’obtention des objectifs immédiats qui permettent des conditions de vie et de travail meilleures que celles existantes, qui mettent précisément des limites à la concurrence que les prolétaires se livrent entre eux, qui démontrent que l’unité dans la défense des intérêts communs à tous les prolétaires est la seule solution pour pallier aux conséquences des lois capitalistes de production.

Pour être capable d’entreprendre cette lutte de défense de ses intérêts de classe, le prolétariat devra nécessairement combattre les ennemis qui sont apparemment de son côté et qui prétendent être ses représentants et les garants de l’amélioration supposée de ses conditions à l’intérieur du système capitaliste: ceux qui font du collaborationnisme interclassiste leur politique et qui depuis des décennies ont inoculé le virus de la conciliation entre les classes dans les veines de la classe prolétarienne.

Ce collaborationnisme interclassiste qui compte parmi ses meilleurs représentants l’ensemble des syndicats jaunes, réformistes, engagés dans le dit dialogue social a pour fonction d’un côté de désorganiser les grèves et les luttes qu’il est contraint de soutenir pour ne pas en perdre le contrôle, et de l’autre de dénaturer la lutte ouvrière en la liant aux lois de la compétitivité et de la rentabilité et en imposant des méthodes de lutte impuissantes qui ne font aucun mal aux patrons.

Dans le premier cas ces agents de la bourgeoisie parmi les prolétaires confrontés à la situation de ne pas pouvoir éviter les manifestations de colère et de mécontentement, n’ont pas d’autre solution que d’en prendre la tête pour pouvoir les neutraliser. Sinon, ils révéleraient ouvertement leur nature anti-ouvrière et leur fonction de gardiens de la paix sociale. Ils cherchent toujours à isoler, limiter et diviser les luttes ouvrières, en les confinant dans le cadre de l’entreprise, de la localité, de la nation. (...)

Dans le second cas, ces agents de la bourgeoisie cherchent à canaliser les revendications ouvrières dans le cadre de la conciliation sociale. Ils s’emploient en permanence faire croire aux prolétaires que leurs intérêts sont liés à ceux de l’entreprise, des patrons ou de l’Etat, soumettant les revendications aux logiques du profit et à la défense de l’entreprise. Plus encore: ils inculquent aux prolétaires la notion démocratique pourrie selon laquelle toute revendication doit s’exprimer en respectant le cadre juridique et légal bourgeois - créé précisément pour rendre inefficace les actions prolétariennes. On a ainsi vu ces dernières années les travailleurs de l’industrie automobile mobilisés dans des processions pacifiques pour implorer aux responsables politiques du moment de prendre des «mesures» contre la concurrence allemande ou les travailleurs des chantiers navals lancés dans des actions discutées à l’avance avec la police et la municipalité pour obtenir la garantie du maintien de la charge de travail..

 La rupture du prolétariat avec cette néfaste politique de collaborationnisme interclassiste qui implique qu’il ne se libérera jamais des chaînes de la domination bourgeoise, ne passe donc pas par une supposée reformulation des organisations ouvrières parce que la forme syndicat, en tant que telle serait anti-ouvrière (alors que ce sont la hiérarchie et la politique d’union interclassiste suivie dans les 70 dernières années qui le sont); ni par un simple changement des directions ou des hiérarchies bureaucratiques qui dirigent les syndicats. Cette rupture avec le collaborationnisme peut commencer à partir des luttes élémentaires et partielles à condition qu’elles se placent sur le terrain de la défense réelle et exclusive des intérêts prolétariens.

La nécessité pour le prolétariat est d’extirper de son sein tout soupçon d’union entre les classes et de soumission à des intérêts contraires aux siens, au nom d’un bien suprême. La crise capitaliste avec la détérioration des conditions d’existence des prolétaires peut favoriser cette rupture parce que il devient beaucoup plus clair dans ces conditions que la direction jaune et collaborationniste de la lutte est absolument inefficace pour la défense des intérêts les plus immédiats des prolétaires, au moment même où cette défense devient de plus en plus pour eux une question vitale.

(...)

 

La grève du métro à Madrid

 

Il existe aujourd’hui peu d’exemples, si minimes soient-ils, de tentatives prolétariennes de rompre avec la paix sociale. Des décennies de contre-révolution permanente et d’attaques préventives d’une bourgeoisie fidèlement soutenue par ses laquais réformistes ont plongé la classe ouvrière dans le marais de l’apathie et de la désorganisation.

L’exemple le plus significatif d’une tendance à la lutte ouverte, classe contre classe, a été récemment donné par les travailleurs du Métro de Madrid. Face à l’application des réformes annoncées par le gouvernement et encore aggravées par la municipalité de Madrid, ils ont réagi en se lançant dans une lutte qui a été attaquée par absolument tous les chiens de la bourgeoisie, depuis la Police nationale jusqu’aux intellectuels de la gauche démocratique et parlementaire. La valeur pour nous de cette lutte n’a rien à voir avec l’éloge facile et inconditionnel avec lequel l’extrême gauche l’a saluée, ni encore moins avec la justification démocratique avec laquelle certains de ses acteurs ont essayé de qualifier le conflit comme «légitime» et non «sauvage». La valeur de la lutte des travailleurs du métro, comme celle de n’importe quelle lutte où les prolétaires se battent en premier lieu pour rompre les liens de l’interclassisme, réside dans les leçons que les limites atteintes posent à la classe prolétarienne.

C’est évidemment dans les grandes entreprises comme le Métro (plus de 6000 travailleurs) qu’apparaissent le plus souvent ce type de conflits; cela est dû à la plus grande concentration de travailleurs, mais aussi à la tradition de lutte qui y existe et à la relative facilité pour adopter des méthodes lutte visiblement efficaces par rapport à des petites entreprises. Ce n’est pas à cause du caractère de service public de l’entreprise, ni à cause d’une prédisposition congénitale à la lutte de ces travailleurs, qui a fait que cette grève a été la première vraiment efficace contre les mesures anti-ouvrières en Espagne.

Le résultat le plus important obtenu par les travailleurs du Métro a été la rupture du cadre de la négociation dans les conflits; ils n’ont pas respecté les règles du jeu avec lequel la bourgeoisie garantit pratiquement la défaite des grèves. Les deux jours sans service minimum, les piquets organisés contre les briseurs de grève ou la défense contre la police illustrent de quelle façon ils ont échappé au piège mortel de la soumission aux intérêts de l’entreprise. Les intérêts prolétariens sont en opposition ouverte aux intérêts bourgeois; cela signifie qu’on ne peut juger si une grève et ses conséquences sont justifiés ou non que d’un point de vue de classe; il n’y a pas plus d’intérêts communs entre travailleurs et patrons qu’entre la victime et le bourreau. La première leçon qu’il faut tirer de cette lutte est que pour obtenir satisfaction, il est indispensable de liquider la conception démocratique du bien commun, de l’intérêt général qui rassemblerait toutes les classes sociales. La grève du Métro a été une grève sauvage et injustifiée parce qu’elle a brisé la prison où la bourgeoisie enferme les prolétaires. La preuve que cette lutte a fait mal aux capitalistes est fournie par la tentative de traîner en justice les syndicats qui ont organisé la lutte, et surtout ceux qui ont été les plus proches des grévistes (le syndicat libertaire Solidaridad Obrera): ce n’est rien d’autre qu’une vengeance patronale qu’il faut prendre comme un hommage à la lutte.

S’il fallait une confirmation de cette vérité élémentaire, on pourrait la trouver dans les attaques, réellement sauvages, que la bourgeoisie a lancé avec tous ses moyens contre les travailleurs du Métro. Ces attaques n’ont pas été seulement policières et répressives, il s’est agi aussi et surtout d’une campagne orchestrée par l’ensemble des serviteurs du patronat, la presse, les prétendus experts, etc. Ces attaques ont été menées au nom de la démocratie, de l’intérêt de l’ensemble des citoyens, de la bonne marche de la ville paralysée par le blocage du métro. Les accusations de sédition lancées contre les grévistes ou la pression médiatique ont un caractère répressif, évidemment, mais fondé sur la répression de classe la plus puissante pour la bourgeoisie: la démocratie qui appelle les prolétaires à laisser de côté leurs intérêts propres au nom de l’intérêt commun. C’est sur ce terrain que le patronat a finalement réussi à l’emporter, les travailleurs du Métro n’étant pas préparés à opposer à ce prétendu intérêt commun la pierre de touche de la lutte prolétarienne authentique: l’intérêt général est l’intérêt de la bourgeoisie, paralyser la société, c’est paralyser les affaires des patrons, la ville est la ville des exploiteurs et par conséquent... elle doit crever.

La répression combinée de la bourgeoisie, policière et démocratique, démontre que les prolétaires doivent se préparer pour pouvoir lutter. La grève est un art et elle demande donc une préparation pour l’organiser comme pour la défendre contre ses ennemis. Et cette organisation doit être la moins improvisée possible; il est indispensable d’abandonner l’idée que la bourgeoisie n’attaquera pas les grévistes en vertu de la Justice et de la Démocratie. L’articulation pratique de cette organisation exige précisément l’organisation indépendante des prolétaires dans des unions permanentes qui ne disparaissent pas avec la fin du conflit, mais qui préparent la résistance quotidienne contre les agressions du capital.

Les organisation syndicales jaunes, comme celles qui étaient présentes dans la grève du Métro (CCOO, UGT, etc.) ne remplissent pas cette fonction, elles font exactement l’inverse: elles désorganisent le prolétariat, en le détournant y compris de ses objectifs immédiats.

Il est vital pour les prolétaires d’en finir non seulement avec les manoeuvres défaitistes de ces organisations (manipulation des AG, négociations secrètes avec les patrons, etc.), mais aussi avec toute la politique interclassiste qui aujourd’hui étouffe tous les conflits. Cette rupture est la base de la reprise de la lutte de classe et par conséquent de la naissance d’organisations classistes avec lesquelles les prolétaires puissent prendre leurs luttes en mains. Les prolétaires les plus combatifs doivent faire tous leurs efforts pour que les luttes rompent enfin avec les méthodes et les moyens de la politique conciliatrice des syndicats collaborationnistes; non seulement pour organiser leurs forces de façon à mener de façon efficace la défense des intérêts de classe, mais aussi pour maintenir de façon stable cette organisation afin que les expériences de lutte ne se perdent pas, obligeant à recommencer à partir de zéro à chaque conflit.

L’avant-garde de la lutte, et en particulier les communistes révolutionnaires, sont appelés à fournir tout leur appui et leur contribution pratique afin que les prolétaires puissent enfin donner une continuité organisative à la lutte classiste.

La lutte des travailleurs du Métro est un jalon dans la lutte prolétarienne, aujourd’hui partout inexistante sur des bases de classe. La légende et le mythe sont les principaux alliés de la bourgeoisie; La lutte des travailleurs du Métro a représenté une tentative pour se placer sur le terrain de l’affrontement ouvert contre le patronat; tentative imparfaite sans aucun doute et semé d’erreurs qui s’est soldé par un répit pour l’entreprise.

Mais de telles tentatives constituent le sang qui devra arriver au coeur du prolétariat pour que son corps d’exploité reprenne son combat historique, interrompu par des décennies de paix sociale.

 

(Extrait du supplément n°11, septembre 2010, à «El Programma Comunista»)

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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