Italie: victoire du referendum patronal chez fiat
(«le prolétaire»; N° 498; Nov.-Déc. 2010 / Janv.Févr. 2011)
Marchione, le Carlos Ghosn italien, a été nommé PDG de FIAT pour faire ce que le français a pour l’instant réussi avec Renault: «sauver» cette gigantesque entreprise automobile en difficulté dans une compétition internationale sans merci, tout en la développant à l’échelle internationale; il a ainsi mis en bonne partie la main sur Chrysler, avec l’aide du gouvernement Obama qui avait volé au secours des grandes entreprises automobiles américaines en faillite, et développe la production de FIAT dans des pays comme le Brésil. Mais pour son développement international, FIAT a besoin d’accroître ses profits en Italie, où comme dans les autres pays producteurs traditionnels, la crise a fait des ravages: en dix ans (de 1999 à 2009, derniers chiffres connus) la production automobile, tous véhicules confondus, y a reculé de 50,4% (le recul étant de 56% aux Etats-Unis, de 51% au Canada, de 45% en Grande-Bretagne, de 35% en France, de 24% en Espagne, de 20% au Japon et de 8% en Allemagne, alors que la production augmentait dans le même temps de 16,5% en Corée du Sud, de 135% au Brésil, de 221% en Inde, de 653% en Chine, le record pour les pays produisant plus d’un million de véhicules revenant à l’Iran avec 1072% de hausse!).
La direction de Fiat s’était d’abord attaqué aux ouvriers de son usine de Pomigliano, dans la région de Naples. Se plaignant d’un manque de rentabilité de l’établissement elle avait menacé de le fermer, sauf si les ouvriers acceptaient une augmentation de la charge de travail et renonçaient à un certain nombre d’acquis existant dans la convention collective en vigueur. Un référendum était organisé, ou sous la pression du chantage à l’emploi exercé par la direction et les syndicats les plus collaborationnistes, les travailleurs acceptèrent bon gré mal gré les exigences patronales. Marchione avait juré qu’il s’agissait d’une «mesure exceptionnelle», imposée par les conditions très difficiles où se trouvait l’établissement.
Mais fort de son succès à Pomigliano, il ne se passa que quelques mois avant qu’il ne réitère la même attaque, cette fois-ci, contre les travailleurs de Mirafiori, l’usine historique de FIAT à Turin, le Billancourt italien. En préparation de son attaque qui coïncidait avec une opération boursière, FIAT avait rompu avec la Confindustria, l’organisation patronale signataire de la convention collective de la métallurgie; aux ouvriers de Mirafiori Marchione affirma que s’ils n’acceptaient pas par référendum de renoncer à la convention collective en vigueur et d’accepter toute une série d’aggravations de leur condition de travail, il abandonnerait l’usine, préférant produire aux Etats-Unis où les travailleurs et les syndicats étaient plus «responsables»! Le chantage du patron de FIAT était soutenu non seulement par le gouvernement Berlusconi et par les mêmes syndicats ultra-collaborationnistes, mais même implicitement par le principal parti d’opposition, le Parti Démocrate, le successeur du PC Italien! Seule la FIOM - la branche métallurgie de la CGIL, équivalent italien de la CGT - appelait, comme à Pomigliano, à voter non, au nom de la démocratie et du refus du «fascisme» (!) de la direction, en réalité parce qu’elle va perdre dans l’affaire son statut de partenaire social.
Finalement le référendum a connu une participation de 95% des 5500 salariés et il s’est soldé par la victoire du oui à 54%. Mais cette victoire patronale n’est pas si pesante qu’il paraît étant donné la force du chantage exercé, surtout si on considère que seuls 16% des ouvriers de Mirafiori sont adhérents à la FIOM; la proportion du non a d’ailleurs été nettement plus importante parmi les ouvriers que parmi les employés et cadres de l’entreprise.
Cependant l’important dans ce référendum est ce qu’il montre de la politique suivie par le principal groupe industriel italien, qui depuis toujours donne le là aux relations des autres capitalistes du pays avec les prolétaires. Les accords de Pomigliano et Mirafiori (que quelques jours plus tard la direction de FIAT a annoncé vouloir imposer à ses autres établissements) ont comme objectif de remettre en cause le mécanisme traditionnel de la collaboration que les syndicats tricolores ont assuré au capitalisme italien depuis la dernière guerre. Cette collaboration de classe, héritée de l’union sacrée de la Résistance, était absolument nécessaire pour la reconstruction d’après-guerre; pour pouvoir fonctionner il fallait une base matérielle de réformes sociales (les fameux amortisseurs sociaux) comme le fascisme l’avait fait. En 1943-1944, en pleine guerre, le prolétariat italien avait donné des signes de reprise de ses traditions de lutte classistes; après la chute de l’appareil répressif fasciste, le rôle du collaborationnisme syndical et politique (essentiellement des staliniens du PC et de la CGIL) était absolument crucial pour détourner la classe ouvrière de la lutte de classe, en s’appuyant sur les miettes que pouvait concéder la bourgeoisie.
Chez FIAT la tradition du syndicalisme corporatiste fasciste s’est poursuivie après la guerre par l’intermédiaire de syndicats-maisons. Ce n’est qu’après les luttes ouvrières de 68 que les syndicats tricolores comme la CGIL y remplacèrent ces vieux syndicats ultra-corrompus; à l’échelle nationale des nouvelles loi sur la représentation syndicale et différentes mesures sociales instituèrent leur rôle collaborationniste dans une situation d’agitation sociale plus marquée qu’auparavant. Mais dès la fin des années soixante-dix, après l’éclatement de crises économiques générales (à commencer par celle de 1975), la bourgeoisie commença à passer à l’offensive pour reprendre un certain nombre d’ «avantages» accordés précédemment aux prolétaires et pour intensifier l’exploitation capitaliste. Pour en rester à FIAT, cette entreprise qui comptait 120.000 salariés en Italie au début des années 80 (dont 60.000 à Mirafiori), n’en a plus qu’environ 60.000 aujourd’hui, bien qu’entre-temps elle a absorbé d’autres entreprises comme Alfa-Roméo, Lancia, Autobianchi, etc. Sans le rôle des syndicats et des partis réformistes, FIAT n’aurait pas réussi à réaliser son développement internationale et à surmonter ses différentes crises, pendant lesquelles il a obtenu à volonté des subventions étatiques.
Aujourd’hui la direction de FIAT et ses alliés bourgeois se vantent du «tournant historique» qui consisterait à avoir plié les syndicats à l’objectif de la productivité maximum de la force de travail; en fait il s’agit d’avoir fait abandonner aux prolétaires, non les positions de classe qu’ils avaient dans les années vingt, mais les positions réformistes qui assuraient leur paralysie en contrepartie de quelques concessions.
C’est en réalité un processus en cours depuis des années et qui s’est manifesté et se manifeste par une dégradation continue des conditions de vie et de travail des ouvriers, par une précarisation toujours croissante de la situation prolétarienne. La responsabilité non seulement des syndicats réformistes classiques mais aussi des syndicats dits alternatifs (type COBAS) qui maintiennent les luttes dans le cadre démocratique des mécanismes légaux de négociations, institués précisément pour paralyser la force du classe du prolétariat, est énorme à cet égard. Que pouvaient faire les ouvriers de Mirafiori en l’absence d’organisation de classe? Le chantage à l’emploi a toujours été une des armes les plus efficaces des patrons; la majorité qui a voté oui, même à contrecoeur, pense avoir sauvé son emploi. Mais à quel prix et pour combien de temps? L’exemple en France de Continental montre que la soumission aux chantages patronaux est toujours un marché de dupes: les travailleurs de FIAT s’en apercevront bien vite. Les travailleurs ne pourront pas ne pas se révolter contre la situation qui leur est faite, ils ne pourront pas ne pas se lancer dans la lutte de résistance quotidienne contre les patrons, lutte qui jouera le rôle d’école de guerre de classe contre le système capitaliste tout entier.
La leçon que les prolétaires devront tôt ou tard tirer de l’épisode FIAT et du «tournant historique» que ses patrons veulent imposer est en substance celle-ci:
● Rompre complètement avec les pratiques et les politiques du collaborationnisme syndical et politique, c’est-à-dire avec la politique de conciliation entre les classes.
● Lutter sur le terrain de l’affrontement ouvert entre capitalistes et prolétaires, en adoptant les méthodes et les moyens de la lutte de classe.
● Défendre exclusivement les intérêts ouvriers contre toute attaque bourgeoise.
● Combattre la concurrence entre prolétaires, en prenant conscience d’être membres de la même classe au delà des divisions d’âge, de sexe, de conviction politique, d’appartenance religieuse, de nationalité, d’emploi ou de chômage.
● Revendiquer des objectifs unifiants les travailleurs des différentes entreprises et secteurs pour surmonter le localisme et le corporatisme
● S’organiser sur des bases de classe, dans la perspective de reconstituer une organisation ouvrière classiste, sans aucun lien avec des institutions étatiques ou des associations patronales.
Surmonter l’oubli des positions de classe au cours de toutes ces décennies ne sera pas facile; il ne suffira pas de lutter pour des revendications immédiates exclusivement ouvrières et avec des méthodes de classe. Mais c’est une nécessité incontournable pour que le prolétariat soit capable d’aller plus loin, vers la lutte révolutionnaire, grâce à la seule chose qu’il possède dans cette société, en tant que classe historique, donc comme parti de classe: la théorie révolutionnaire, le marxisme, c’est-à-dire le programme d’un mouvement révolutionnaire que la classe prolétarienne sera appelée à mettre en oeuvre par l’évolution même des contradictions dramatiques du capitalisme.
Parti communiste international
www.pcint.org