Bref aperçu sur la Syrie (1)
(«le prolétaire»; N° 500; Mai-Septembre 2011)
La domination sanglante de l’impérialisme française
L’histoire de la Syrie moderne commence vraiment pendant la première guerre mondiale (1), alors qu’auparavant le pays était une dépendance de l’empire Ottoman.
Avec le soutien massif des britanniques qui leur avaient promis l’indépendance, les troupes du chérif Hussein qui s’était révolté en 1916 et proclamé roi des Arabes, chassèrent les Turcs d’une bonne partie du Moyen-Orient. En mars 1920 un gouvernement syrien se constitua à Damas et déclara l’indépendance de la Grande Syrie (comprenant le Liban et la Palestine).
Mais pendant la guerre des accords secrets avaient été passés entre les puissances impérialistes, les fameux «accords Sykes- Picot» (du nom des représentants français et anglais qui les signèrent, avec le russe Sazonov) qui furent connus lorsque la révolution bolchevique, s’emparant des documents diplomatiques tsaristes, put révéler au monde les arcanes de la diplomatie bourgeoise.
Un des buts de guerre des impérialismes français et britanniques, alliés mais rivaux, était le dépeçage de l’Empire Ottoman allié de l’Allemagne, et le partage de ses dépouilles. Reniant ses promesses aux nationalistes arabes, l’impérialisme anglais fit bloc avec l’impérialisme français pour que le traite de Sèvres conclu en 1920 respecte les grandes lignes des accords Sykes - Picot: A la France fut ainsi confié un «mandat» (censé «préparer l’indépendance») sur la Syrie tandis que la Grande-Bretagne s’en faisait attribuer un sur l’Irak et la Palestine.
Alors qu’en France l’euphorie de la paix retrouvée agissait toujours comme un puissant calmant des tensions sociales, les troupes françaises sur place se lançaient à l’attaque des forces du gouvernement de Damas; la ville fut prise en juillet 1920, mais les combats dans les diverses régions du pays durèrent jusqu’en 1923. Entre-temps Paris, conformément aux volontés du lobby colonial, avait créé l’Etat libanais en incorporant à la région du Mont Liban qui était depuis longtemps un point d’appui des intérêts français (2), des provinces syriennes comme la plaine de la Bekaa, la région de Tripoli, etc. La Syrie sous mandat français était divisée en plusieurs Etats pour pouvoir être mieux contrôlée: dès le début, comme au Liban, les Français jouèrent la carte de la division et du confessionalisme, attisant les divisions existantes. En 1924 l’impérialisme français mit ainsi sur pied une Fédération Syrienne regroupant les régions de Damas et d’Alep, un Etat Alaouite, ainsi que 2 territoires «autonomes» (autonomes par rapport au reste de la Syrie, pas rapport à l’impérialisme!): le Djebel Druze et le Sandjak d’Alexandrette (région où était présente une forte minorité turque).
Devant l’arbitraire et la brutalité du joug colonial imposé à travers l’administration militaire française qui faisait regretter aux populations syriennes la domination ottomane, une révolte éclata en 1925 dans le Djebel Druze; rapidement elle embrasa toute la Syrie, faisant fi des divisions administratives instaurées par l’occupant, jusqu’à chasser les Français de Damas.
Malgré une répression sauvage (les troupes françaises n’hésitèrent pas à bombarder la ville pendant des mois) les Français connurent de graves revers militaires; cependant après les victoires initiales des insurgés, la révolte fut finalement vaincue en 1927 - non seulement en raison de l’afflux de troupes coloniales françaises bien armées (3), mais essentiellement à cause de la division des forces qui dirigeaient le mouvement (grands propriétaires terriens, tribus, nationalistes bourgeois). Cependant l’autorité française n’allait guère au delà des grandes villes, les campagnes et les petites villes étant constamment secouées de manifestations et d’appels à la lutte contre l’occupant.
Pour tenter de reprendre le contrôle de la situation et alors même que certains cercles capitalistes prônaient le retrait d’une Syrie ingouvernable pour se concentrer sur le Liban, l’impérialisme se tourna vers une politique plus libérale: fin de l’administration militaire, élections, discussions avec les notables en vue d’une indépendance qui respecterait les intérêts français. C’est ainsi qu’un projet d’indépendance graduel d’une partie des territoires syriens fut concocté en 1934 avec le «président» fantoche de la Syrie; ce projet de partition du pays suscita la colère des nationalistes qui répliquèrent par des manifestations et des grèves (50 jours de grève) dans tout le pays. En 1936, le nouveau gouvernement de Front Populaire se résignait à engager des négociations avec les nationalistes. Et finalement un traité de paix fut signé en décembre 36 qui débouchait sur la reconnaissance immédiate de la Syrie en tant qu’Etat indépendant comprenant les territoires Druzes et Alaouites qu’auparavant l’impérialisme voulait détacher de la Syrie, mais pas ceux attribués au Liban. En «contrepartie» les Syriens acceptaient le maintien de bases militaires françaises, la libre disposition de l’espace aérien par l’aviation française et un soutien syrien à un éventuel effort de guerre français; en outre, la pleine souveraineté ne devait être accordée qu’au bout de 25 ans!
Ce traité d’indépendance démontrait, s’il en était besoin, que le gouvernement de Front Populaire n’entendait léser en aucune façon les intérêts de l’impérialisme français; mais des voix s’élevèrent vite dans les milieux colonialistes pour le dénoncer comme un bradage de l’empire. Docile, le gouvernement décida alors de ne pas le présenter au parlement pour le faire ratifier, sous le prétexte qu’il n’aurait sans doute pas été voté au Sénat! Le traité n’entra donc jamais en vigueur...
Pour acheter la neutralité de la Turquie en prévision d’une guerre imminente avec l’Allemagne, l’impérialisme français transforma en 1938 le Sandjak d’Alexandrette en une République de Hatay sous condominium franco-turc, puis céda l’année suivante cette région à la Turquie, à la grande colère des nationalistes syriens. Jusqu’à aujourd’hui, les différents gouvernements syriens n’ont jamais reconnu cette annexion.
Au cours de la deuxième guerre mondiale les Forces Françaises Libres de de Gaulle après s’être emparées en 1943, avec l’appui des Britanniques, de la Syrie et du Liban aux mains des troupes fidèles à Vichy, promirent solennellement l’indépendance à ces deux pays dès la fin de la guerre.
Mais dès novembre 43, les autorités antifascistes de la dite «France Libre» arrêtaient le président et les ministres du gouvernement libanais issus des élections qui venaient d’avoir lieu et installèrent à leur place un gouvernement fantoche. Il faudra une grève générale et de violents affrontements pour que soit libéré et reconnu le gouvernement élu et que soient réitérées les promesses. Mais quand survint la fin de la guerre, les promesses sont une nouvelle fois oubliées.
En mai 45, après 10 jours de manifestations à Damas pour demander l’indépendance et le départ des troupes françaises, celles-ci bombardèrent la capitale syrienne pendant 36 heures d’affilée pour tenter d’en reprendre le contrôle.
Il y aura des centaines de morts et blessés et de très nombreuses destructions, mais les Français sont finalement contraints de lâcher prise et de quitter le pays: la domination de l’impérialisme français finira comme elle avait commencé: dans le sang et les ruines (4).
(A suivre)
(1) En réalité des mouvements nationalistes arabes ont commencé à apparaître dans les régions dominées par l’Empire Ottoman dès le début du vingtième siècle.
(2) La France de Napoléon III, qui depuis l’époque de Louis XIV s’était fait accorder le titre de «protectrice des Chrétiens d’Orient» par le Vatican, envoya en 1860 une flotte de guerre (avec cependant un accord des puissances européennes qui en limitait la portée), à la suite des massacres des populations chrétiennes (maronites) au Mont-Liban par les Druzes, qui s’étendirent ensuite jusqu’à Damas. L’Empire Ottoman fut contraint d’accorder une autonomie au Mont-Liban, partagé entre Druzes et Chrétiens. Cette autonomie permit aux capitalistes français d’y développer leur présence économique autour de la production de la soie et des activités portuaires et commerciales de Beyrouth.
(3) Pour ne pas provoquer d’agitation en France, ce sont essentiellement des troupes coloniales qui furent engagées en Syrie.
(4) Au Liban, il faudra attendre l’automne 46, et une série de grèves et de manifestations, de même que de pressions diplomatiques, pour que l’impérialisme français se résigne à l’indépendance effective du pays et rembarque ses derniers soldats. Mais il y maintiendra longtemps une présence économique importante. cf «Le Prolétaire» n°481, juillet-septembre 2006.
Parti communiste international
www.pcint.org