Les faux amis de la Commune

(«le prolétaire»; N° 500; Mai-Septembre 2011)

Retour sommaires

 

 

Le 140e anniversaire de la Commune de Paris n’a, tout compte fait, pas donné lieu à de nombreuses commémorations; c’est compréhensible, car pour célébrer la Commune autrement que par des expositions, pour la célébrer comme l’un des «assauts au ciel» du prolétariat, il faudra que le prolétariat lui-même se soit réveillé de la trop longue torpeur dans laquelle l’ont plongé les drogues anesthésiantes de la démocratie et de la collaboration entre les classes. Cette oeuvre de paralysie du prolétariat s’accompagne nécessairement d’un effort permanent pour lui faire oublier son ancienne tradition classiste, pour falsifier un riche passé de luttes sur lequel il pourrait s’appuyer aujourd’hui encore. Et cet effort pernicieux est d’autant plus efficace quand il est accompli par des forces qui prétendent être ses amis et par des groupes qui affirment vouloir justement défendre ce passé glorieux.

Un exemple particulièrement répugnant nous est fourni par «Les amis de la Commune»; il s’agit d’une association, traditionnellement dirigée par le PCF, qui organise des commémorations rituelles à chaque anniversaire, et qui se veut en quelque sorte le dépositaire «officiel» de la mémoire de la Commune.

Cette année pour l’anniversaire de l’insurrection parisienne, elle n’a rien trouvé de mieux que de lancer... une pétition «pour la réhabilitation de la Commune et des communards» (1)! Le procédé est déjà en soi ridicule, mais nous allons voir qu’il correspond en fait parfaitement à son objectif: dénaturer le sens réel de la Commune.

Le texte de la pétition commence par dire que la loi d’amnistie des Communards, votée en 1880, est insuffisante, puis il continue:

«140 ans après la Commune de Paris, il est plus que temps que la nation aille au-delà de l’amnistie. Il est plus que temps de reconnaître à la Commune toute sa place dans l’histoire universelle comme un vecteur décisif de la conquête de la République, de la conquête des droits sociaux qui traduisent les valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité».

Il est clair d’emblée que pour leurs auteurs cette initiative ne s’inscrit absolument pas dans une perspective de classe, mais dans la perspective de «la nation», c’est-à-dire dans une perspective interclassiste; et qu’en outre cette reconnaissance de la Commune par la nation - c’est-à-dire, y compris par la bourgeoisie, par les descendants des fusilleurs de 1871! -, est demandée en réduisant son sens à une lutte pour l’instauration de la république - c’est-à-dire une forme particulière de l’Etat bourgeois -, les «droits sociaux» décrétés par la Commune, n’étant que la traduction des idéaux républicains!

Le ton est donné; la demande de réhabilitation des Communards, qui selon la pétition est une «urgence démocratique», est en fait une nouvelle attaque contre eux, une nouvelle falsification de ce qu’a été et de ce qu’a représenté la Commune, un nouveau reniement de ce en quoi elle est immortelle, selon le mot de Lénine. La pétition demande «une série de mesures concrètes immédiates» dont on ne sait s’il faut en rire ou en pleurer, comme «inscrire la Commune dans les commémorations nationales» (probablement aux côtés des célébrations militaires), lui donner toute sa place dans les manuels scolaires, indiquer les noms des Communards dans les bâtiments et les locaux des administrations, etc.

«Mais, poursuit la pétition, la plus belle forme de réhabilitation des communards serait que soient enfin mises en oeuvre les mesures démocratiques et sociales de la Commune qui restent d’une brûlante actualité dans le monde où nous sommes».

Voici la liste complète de ces mesures selon la pétition: «une démocratie qui permette au peuple d’être entendu et de conserver sa pleine souveraineté» (!), reconnaissance de la citoyenneté pour les étrangers, égalité des salaires hommes - femmes, réquisition des logements vacants, réquisition des entreprises abandonnées, «démocratie sociale et contrôle salarié [? peut-être cela signifie-t-il: contrôle par les salariés]», justice accessible pour tous, école laïque et obligatoire.

On constate donc que la première mesure prise par la Commune, la suppression de l’armée permanente et son remplacement par le peuple en armes, a été écartée par nos prétendus «Amis de la Commune»! Sans doute cette mesure n’est-elle plus d’actualité brûlante aujourd’hui pour nos pétitionnaires...

Mais d’autre part, la rappeler rendrait évidemment irréalisable tout espoir de faire reconnaître la Commune par les bourgeois qui utilisent leur armée aux quatre coins de la planète, avec le soutien des partis de gauche, et n’hésitent pas à l’utiliser pour maintenir l’ordre à l’intérieur! Il en va de même de la tentative de supprimer la police ou de rendre éligibles et révocables à tout moment les juges et tous les hauts et moins hauts fonctionnaires...

Quel a été en réalité le sens réel de la Commune? Marx l’a écrit en toutes lettres:

«Son véritable secret, le voici: c’était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de classe des producteurs contre la classe des appropriateurs, la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du travail. Sans cette dernière condition, la constitution communale eut été une impossibilité et un leurre (...). La Commune devait donc servir de levier pour renverser les bases économiques sur lesquelles se fonde l’existence des classes, donc, la domination de classe» (2).

Les Communards ne sont pas tombés pour la misérable et lâche perspective d’une «démocratie» dans laquelle un «peuple» indistinct serait «entendu» - entendu par qui d’autre sinon par ses maîtres qui donc seraient toujours au pouvoir?

Leur but n’était pas une «démocratie sociale», quoi que cela veuille dire, mais leur émancipation de l’exploitation. Les mesures sociales prises par la Commune, y compris celles que passent sous silence les «Amis de la Commune», comme l’interdiction du travail de nuit, n’ont été possibles que parce qu’il s’agissait d’une révolution, d’une insurrection violente qui les imposait aux bourgeois par la force des armes, et non pas d’un quelconque mouvement, pacifique et démocratique, de réforme de l’ordre existant. Lénine, que nous avons cité plus haut, donnait cette définition:

«La cause de la Commune est la cause de la révolution sociale, la cause de l’émancipation politique et intégrale des ouvriers, la cause du prolétariat mondial. En ce sens, elle est immortelle» (3). Révolution sociale, émancipation intégrale des ouvriers, cadre international de la lutte, c’est précisément cela que font disparaître les faux amis de la Commune, et en ce sens, ils s’emploient à tuer encore une fois la cause de la Commune!

Rien d’étonnant, sans doute, de la part d’une association liée au PCF, ce farouche ennemi de la révolution prolétarienne qui pendant des décennies a contrôlé et détourné les luttes ouvrières pour qu’elles ne mettent pas en péril l’ordre bourgeois, pour qu’elles ne débouchent que sur des réformes compatibles avec la bonne marche du capitalisme.

Rien d’étonnant non plus si le honteux appel à la réhabilitation des communards - «Ils ont sauvé la République et fait vivre la démocratie. Réhabilitons les Communards» - a été signé par tous les partis de la gauche bourgeoise qui au cours des dernières années ont bien servi le capitalisme français au gouvernement et qui n’aspirent qu’à y retourner: PCF bien sûr, PS, Radicaux, Verts, accompagnés par la CGT, la FSU, Solidaires, la Ligue de Droits de l’Homme, les Francs-Maçons, etc.

Mais il faut signaler, pour les clouer au banc d’infamie, qu’elle a été aussi signée par des organisations qui se prétendent révolutionnaires:  Lutte Ouvrière, le NPA, la CNT. Ces gens-là méritent ce que disait Lénine des «sociaux-démocrates actuels, c’est-à-dire des traîtres actuels au socialisme» que «rien de sérieux ne différencie des démocrates petits-bourgeois»: «L’expérience de la Commune a été non seulement oubliée mais dénaturée. Loin d’inculquer aux masses la conviction que le mouvement approche où il leur faudra agir et briser la vieille machine d’Etat en la remplaçant par une nouvelle et en faisant ainsi de leur domination politique la base de la transformation socialiste de la société, on leur suggérait tout le contraire» (4). Et il concluait:

«Quant à nous, nous romprons avec ces renégats du socialisme et lutterons pour la destruction de toute la vieille machine d’Etat, afin que le prolétariat armé devienne lui-même le gouvernement» (5).

Les combattants prolétariens ne peuvent jamais rechercher ni espérer aucune réhabilitation de la part de leurs adversaires de classe; les Communards ne seront pas réhabilités, mais vengés, lorsque le prolétariat, rompant avec tous ses faux amis, retrouvera la force de s’insurger et d’établir à nouveau mais cette fois-ci de façon solide et durable, son pouvoir, sa dictature, sur les ruines de l’Etat bourgeois.

 


 

(1) On peut trouver cette pétition en ligne à: http://lacomune.perso.neuf.fr/pages/Actua.html

(2) Marx, «La guerre civile en France», texte adopté par l’Association Internationale des Travailleurs, 30/5/1871 (reproduit dans la brochure Le Prolétaire n° 34).

(3) cf Lénine, «A la mémoire de la Commune», 15/4/1911. Oeuvres, Tome 17

(4) La liste des signataires se trouve à: http://lacomune.perso.neuf.fr/pages/28mai2011.html

(5) cf Lénine, «L’Etat et la révolution», août-sept. 1917; Oeuvres, tome 25, p. 529-530.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

Retour sommaires

Top