Les bourgeois appellent les prolétaires aux sacrifices
Une seule réponse prolétarienne: la lutte de classe anticapitaliste!
(«le prolétaire»; N° 501; Octobre 2011 - Janvier 2012)
Au cours du week-end des 8 et 9 décembre derniers s’est tenu le énième sommet de la dernière chance pour sauver l’Europe - qui se souvient du nombre de ceux, tous aussi «décisifs», qui l’ont précédé? Il avait été précédé d’une véritable préparation psychologique basée sur une dramatisation outrancière de la situation: il ne restait que «quelques jours», le sauvetage de l’euro, de la «construction européenne» et, pourquoi pas?, de l’économie mondiale, dépendait de la réussite de ce sommet «crucial». Soulagement, le lundi matin: le sommet avait été une réussite (à part le fait que la Grande-Bretagne avait préféré se retirer des négociations au nom de la défense des intérêts du centre financier qu’est la city de Londres) en débouchant sur un accord qui, en stipulant un retour rapide à l’équilibre budgétaire des Etats, créait, selon Sarkozy, les conditions de la sortie de la crise et même de la naissance d’une nouvelle Europe!
Hélas! Il suffit de quelques jours pour que, selon l’expression du Monde, «les marchés désavouent l’accord de Bruxelles» (1): les bourses plongeaient une nouvelle fois, les taux d’intérêt offerts par les Etats emprunteurs augmentaient à nouveau, l’euro baissait par rapport au dollar, etc.
Les marchés, c’est-à-dire les grandes banques, les grandes institutions et fonds financiers, y compris d’Etat, les grands investisseurs qui après la crise des subprime américains avait crû trouver un placement sans danger dans les emprunts des Etats européens, n’avaient décidément pas été «rassurés» par les accords du dernier sommet européen. Les responsables économiques américains (et aussi ceux de pays qui exportent en Europe comme la Chine ou le Brésil) font pression depuis longtemps sur les Européens, non seulement pour qu’ils garantissent le remboursement de leurs emprunts, mais aussi pour qu’ils prennent des mesures de relance économique de façon à éviter autant que faire se peut la rechute de l’économie mondiale ans la récession (l’Union Européenne prise comme un tout constituant le plus gros marché mondial).
Ces critiques des plans de restriction budgétaire sont relayés de divers côtés dans les pays européens qui supportent le plus le poids de l’austérité ou qui la redoutent: économistes et politiciens, surtout de gauche, syndicalistes, plaident pour «une autre politique» qui permettrait selon eux de retrouver la croissance économique, quitte à en reporter à plus tard la diminution des déficits budgétaires. Une variante de cette position est d’en appeler à la Banque Centrale Européenne (BCE) pour qu’elle prenne des mesures massives pour enrayer la «spéculation» et pour relancer la machine productive, comme le font ses consoeurs américaine, japonaise ou britannique: prêter de manière illimitée aux Etats européens qui ont de plus en plus de problèmes pour emprunter sur les marchés, «quantitative easing» (assouplissement monétaire), eurobonds, etc., en un mot être prête à imprimer des euros à volonté pour faire baisser les taux d’intérêts et pallier aux difficultés de financement des différents «acteurs économiques» (banques, entreprises). Mais le gouvernement allemand, suivi par quelques autres, est catégoriquement opposé à ce que la BCE s’engage dans cette voie préconisée en France par le gouvernement (et par les partis de gauche), alors même qu’il est obligé de se rallier à la position allemande selon laquelle c’est aux différents Etats de faire les efforts nécessaires pour rétablir leurs finances, quels qu’en soient les coûts.
Le capitalisme fera payer les prolétaires!
Cette position allemande est souvent expliquée par des raisons psychologiques ou subjectives: l’influence de théoriciens économiques «orthodoxes» ou, le plus souvent, le souvenir de l’hyper-inflation dans l’Allemagne des années vingt.
La réalité est, comme toujours, bien différente; l’Allemagne est actuellement dans une meilleure posture que les autres Etats européens: elle continue à engranger des excédents commerciaux, son déficit budgétaire n’est pas très élevé et sa dette totale moins importante que d’autres; elle est par ailleurs le plus gros actionnaire de la BCE et c’est donc elle qui courrait le plus de dangers au cas où cette dernière se lancerait dans des opérations risquées pour soutenir tel ou tel Etat. Les rapports entre les Etats bourgeois ne sont pas dictés par de bons sentiments, par l’altruisme ou la générosité; même au sein d’une «union» comme la zone euro ou l’union européenne, ce sont des rapports de force. L’Allemagne, puissance économique dominante en Europe, entend bien faire retomber les frais de la crise et de la remise en ordre de la zone sur les économies européennes plus faibles: il ne faut pas chercher ailleurs l’explication de son refus de laisser la BCE jouer un rôle semblable à celles des autres banques centrales. Après la première guerre mondiale, la devise des impérialistes français était: l’Allemagne paiera! Maintenant, les journaux populaires allemands titrent: l’Allemagne ne paiera pas! pour les Grecs, Portugais et autres Italiens; mais la conclusion qui découle des faits économiques pourrait bien être: l’Allemagne fera payer! Mais les politiciens qui dénoncent «l’égoïsme allemand» oublient tout simplement de dire qu’ils ne trouvent rien à redire à l’égoïsme français: le gouvernement français pas hésité à imposer avec le gouvernement allemand de façon tout-à-fait ses prescriptions aux gouvernements grecs, irlandais, portugais ou italiens...
La situation allemande n’est cependant pas si brillante; même si elle est plus compétitive, parce qu’elle a déjà accru depuis plusieurs années l’exploitation de ses travailleurs, la santé de l’économie germanique est évidemment étroitement dépendante de celle de ses partenaires commerciaux, et 40% de ses exportations se font à destination de la zone euro; ses 10 principaux clients sont, dans l’ordre, la France, les Etats-Unis, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Autriche, la Chine, la Belgique et la Suisse; ses 10 plus importants excédents commerciaux sont enregistrés avec la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, l’Autriche, l’Italie, la Belgique, l’Espagne, la Pologne et la Suisse (2). L’Allemagne est donc fortement dépendante des marchés européens et de la zone euro en particulier (3).
Son secteur bancaire se ressent encore fortement de la crise des subprime: la Commerzbank, deuxième banque allemande, est à deux doigts de la faillite et elle sera probablement nationalisée d’ici peu, tandis que les banques régionales ne vont pas très bien; enfin elle a, elle aussi, de forts besoins d’emprunts pour l’année qui vient: 255 milliards d’euros (équivalent à 9,8% du PIB).
Pour faire une comparaison internationale, voici quels sont les besoins d’emprunts en 2012 des grands Etats: Italie: 391 milliards d’Euros (24,4% du PIB); France: 295 milliards (14,1%); Espagne: 175 milliards (15,8%). En dehors de la zone euro: Grande-Bretagne: 257 milliards de Livres (16,5%); Etats-Unis: 3151 milliards de dollars (19,8%), Japon: 226 mille milliards de yens (47,4%) (4).
L’Allemagne a donc une somme à emprunter relativement plus faible par rapport à son PIB, et elle empruntera à un taux plus bas (ses emprunts lui coûteront moins chers) car elle jouit d’une confiance plus grande auprès des prêteurs en raison de ses performances économiques supérieures. Cependant si, tout comme l’indique aujourd’hui, l’économie européenne et mondiale entre en récession, le poids des emprunts et de la charge de la dette se feront sentir fortement dans tous les Etats, l’opulente Allemagne y compris: c’est pourquoi les «agences de notation» ont averti qu’elles dégraderaient dans ce cas la note de tous les Etats européens qui ont encore le fameux «triple A» (qui signifie qu’ils n’ont aucun problème à rembourser leurs dettes). Il leur sera alors beaucoup plus difficile de recourir aux mesures qui ont permis de surmonter la récession qui a suivi la crise financière des subprime (augmentation des déficits étatiques, recours aux emprunts, etc.), d’autant plus que les Etats européens se sont engagés à ne plus y recourir et à revenir au plus vite à l’équilibre budgétaire! Un institut de prévision économique s’est amusé à calculer quelles seraient, toutes choses égales par ailleurs, les conséquences des engagements d’austérité pris lors du dernier sommet (5): il y aurait une «récession violente» en Italie et en Grande-Bretagne (baisse du PIB de 3,7% dans ces 2 pays), «forte» en Espagne (baisse de 3,2%) et en France (3%), et plus faible en Allemagne (1,4%).
Le degré de crédibilité de ce genre d’estimation est bien sûr limité. Si la menace de crise économique devenait vraiment importante pour l’Allemagne, celle-ci risquerait fort de changer d’attitude: la BCE qui est alignée de façon tout à fait «indépendante» sur la politique allemande a déjà montré, en ce qui concerne les banques, qu’elle n’a pas rechigné à faire ce qu’elle refusait: prêter de façon illimitée pour parer au blocage de ce secteur de l’économie.
Cependant l’intérêt de cette étude est de montrer que l’Allemagne est en condition d’imposer la potion amère de l’austérité à ses partenaires sans en être trop touchée, bref, de leur faire payer la crise. Mais en définitive qui payera? Où les Etats - y compris l’Etat allemand - trouveront les ressources nécessaires au rétablissement de leurs finances, sur qui les capitalistes feront-ils peser leur cure d’austérité? C’est bien évidemment la classe exploitée qui sera frappée au premier chef. Un haut responsable européen ne disait-il pas à propos de la Grèce: il faut baisser les salaires? La même médecine attend tous les travailleurs européens, au delà de ces derniers, les travailleurs du monde entier: le capitalisme entend bien faire payer les prolétaires!
Les capitalistes Européens préparent des attaques anti-ouvrières redoublées
La crise économique révèle au grand jour les rapports de force entre les Etats qui sont fonction de leur puissance économique, elle aggrave les tensions qui étaient amorties en période de croissance; elle rend donc visibles les contradictions de l’Union Européenne et plus particulièrement de la zone euro, au point de remettre en question la viabilité de celle-ci, aux dires mêmes des plus hauts dirigeants européens qui n’hésitent pas à multiplier les déclarations sur ce sujet autrefois tabou.
Il s’agit cependant pour le moment simplement de faire pression sur les Etats récalcitrants (récalcitrants parce qu’ils craignent un affaiblissement de leur stabilité sociale et politique); un éclatement de la zone euro serait catastrophique non seulement pour les Etats qui en sont membres, mais pour l’économie internationale dans son ensemble où l’euro s’est conquis un espace non négligeable; les dirigeants allemands ou polonais n’ont pas tout à fait tort de dire que cette éventualité pourrait déboucher sur des affrontements militaires en Europe, même s’ils brandissent cette menace pour impressionner leurs opinions publiques: la guerre est l’alternative vers laquelle se dirige inévitablement le capitalisme lorsqu’il a épuisé tous les autres moyens pour surmonter ces crises, si le prolétariat ne réussit pas à l’abattre par la révolution avant qu’il ne plonge l’humanité dans une troisième boucherie mondiale.
Nous n’en sommes pas là; à l’ordre du jour des capitalistes, c’est l’attaque économique et sociale contre les prolétaires pour restaurer leurs taux de profit, pas encore l’attaque militaire pour détruire les Etats concurrents, en même temps que les richesses et les forces productives en surnombre.
Devant une crise économique, le capitalisme n’a d’autre solution que d’augmenter l’exploitation du prolétariat, de «restructurer» l’économie (en liquidant les entreprises les moins rentables), de diminuer les salaires - d’abord les salaires dits «indirects» (prestations sociales, pensions de retraite, etc.), puis les salaires directs comme cela se passe déjà en Grèce et ailleurs -, d’augmenter les prélèvements fiscaux, pour sauver les profits et enclencher un nouveau cycle d’accumulation. Il n’y a aucune illusion à avoir: les deux plans de rigueur décrétés par le gouvernement depuis l’été, avec la hausse de la TVA, les nouvelles attaques sur les retraites, etc., ne sont qu’un avant-goût de ce qui attend les prolétaires dans les mois qui viennent. La chancelière allemande Merkel qui, décidément parle d’or, a affirmé que la crise qui touche l’Europe allait «durer des années». Dans tous les pays européens, les bourgeois appellent aux efforts pour défendre l’euro, l’économie nationale, en prétendant que c’est de l’intérêt de tous. La propagande nationaliste, directement anti-prolétarienne, revient en force; sous la forme du «produisons français» ou du protectionnisme, elle est relayée par les partis de gauche et les syndicats, y compris lorsqu’ils préconisent de prétendues autre solutions réformistes à la crise. Il est en effet essentiel pour le capitalisme d’empêcher que les prolétaires fassent échouer par leurs luttes les attaques bourgeoises.
En France, la bourgeoisie va pouvoir compter au cours des prochains mois sur la diversion électorale: à quoi bon prendre le risque de se lancer dans des combats incertains, diront les auxiliaires réformistes de la bourgeoisie, puisqu’il suffit d’attendre tranquillement les élections présidentielles pour se débarrasser du méchant Sarkozy qui est responsable de tout?
Sans doute les prolétaires n’ont-ils pas oublié qu’il y a quelques années à peine, lorsqu’elle était au pouvoir, la gauche a suivi une politique totalement respectueuse des intérêts bourgeois. Mais le propre du cirque électoral est de faire surgir à chaque fois un personnage différent en qui les électeurs sont appelés à faire confiance. Et tant que les prolétaires ne luttent pas, tant qu’ils n’ont pas pris confiance dans leur propre force, il ne leur reste qu’à espérer un sauveur quelconque...
Cependant la propagande électorale bourgeoise et réformiste ne suffirait pas si elle n’était pas épaulée par l’action démoralisante des appareils syndicaux collaborationnistes et de leurs satellites.
Les grandes et moins grandes confédérations syndicales ont réussi sans trop de peine l’année dernière à empêcher que l’opposition à l’attaque contre les retraites ne se transforme en une lutte réelle; multipliant pendant des mois les inutiles journées d’action et les inoffensives manifestations processions, l’intersyndicale a permis le passage de la réforme sans qu’une minorité même réduite de travailleurs dénonce et s’oppose à son action anti-prolétarienne. Le résultat de cette victoire bourgeoise a été de renforcer le découragement, la résignation, l’idée que la lutte ne sert à rien. Surfant sur cette démoralisation dont ils ont été les auteurs, les syndicats ont donc pu cet automne s’épargner le souci d’organiser une mascarade de lutte, et se contenter d’insipides et écoeurants appels à «interpeller les élus et le gouvernement»!!!
Les prolétaires ne sont pourtant pas condamnés à subir les attaques gouvernementales; ils ne sont pas condamnés à accepter des sacrifices, à se résigner à la dégradation de leurs conditions de vie et de travail, à accepter d’être réduits au chômage, pour sauver l’économie capitaliste nationale et européenne.
Dans la période qui vient les réformistes de tout poil vont redoubler d’efforts pour faire croire que cette économie est un bien commun à toutes les classes et qu’elle doit donc être défendue par tous, tandis que les patrons, eux, poseront le problème en termes plus crus: accepter les sacrifices ou perdre son emploi. Les luttes ne seront pas faciles, mais les prolétaires s’apercevront de plus en plus qu’accepter les sacrifices ne garantit rien, sinon que d’autres sacrifices encore plus grands seront demandés. Il n’existe en réalité pas d’autre «garantie» que la lutte contre les patrons et leur Etat.
Les capitalistes préparent de nouvelles attaques contre les prolétaires; la seule façon d’y répondre, c’est de se préparer à la lutte ouverte pour la défense exclusive des intérêts prolétariens, avec les méthodes et les moyens classistes, et non les simulacres de lutte organisés par les syndicats réformistes vendus aux capitalistes.
Une lutte qui ne se laisse pas arrêter par les appels à défendre l’entreprise, l’économie nationale ou l’euro, parce qu’elle est orientée par la perspective générale, non de réformer le capitalisme, mais de le renverser par la révolution communiste internationale!
(1) cf Le Monde, 16/12/11
(2) Chiffres de 2010. cf «Statistiches Bundesamt, Foreign Trade», Wiesbaden 2011.
(3) Selon Le Monde du 31/11-1/2/12, l’Allemagne a été la grande gagnante de l’euro. Par contre les salariés ont subi des «sacrifices importants»: les salaires réels ont baissé, les prestations sociales ont diminué. Le succès des capitalistes allemands a été payé par leurs prolétaires.
(4) cf OFCE, Notes n°8, 16/12/2011.
(5) Ibidem.
Parti communiste international
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